INCROYABLE MAIS VRAI : les débris véhiculés par l'eau des puisards en cas de rupture du circuit primaire boucheraient les buses d'aspersion de l'enceinte de confinement !
En 1992, sur une installation nucléaire
à Bärseback en Suède, un réacteur de
type à eau bouillante, différent de nos réacteurs
à eau pressurisée, l'exploitant avait constaté
le colmatage des filtres d'une piscine de condensation par des
débris provenant de calorifugeages. Onze ans plus tard,
ce " vieil incident " refait fortuitement surface dans
l'actualité des textes de sûreté nucléaire.
Sur un réacteur à eau pressurisé, le colmatage des filtres de reprise d'eau de refroidissement
de secours en cas de rupture du circuit primaire provoquerait une perte de
refroidissement, ce qui conduirait à la fusion du coeur.
Connu de longue date, il aura fallu attendre 11 ans pour que les
experts, exploitants nucléaires et autorité de sûreté
officialisent le problème et daignent enfin " pondre
" une note à destination d'EDF le 9 octobre 2003.
image du site de l'Autorité de sûreté nucléaire : |
Cet incident en apparence banal est en réalité
d'une gravité extrême. L'eau du circuit primaire
exporte la chaleur du réacteur vers le circuit secondaire,
les turbines et les condenseurs. Elle est portée à
une température de 324°C avec une pression de 155 bars.
En cas de rupture du circuit, la dépressurisation entraînerait
instantanément l'ébullition de l'eau qui se vaporiserait
dans l'enceinte de confinement, ainsi qu'une perte de refroidissement
du coeur du réacteur.
Pour parer à cette éventualité, il est prévu
deux circuits : le circuit RIS (injection de sécurité)
et le circuit EAS (aspersion de l'enceinte). Alimentés
par un réservoir de secours de 2000 m3 - ou plus selon
les types - d'eau fortement borée (donc neutrophage) afin
d'assurer le refroidissement de secours du coeur et l'extinction
de la réaction nucléaire. Une partie de l'eau du
RIS, additionnée de soude caustique, est aspergée
en fines gouttelettes au travers de tuyauteries installées
sous le dôme de l'enceinte de confinement (EAS), afin de
condenser la vapeur qui s'échappe pour faire baisser la
pression dans l'enceinte qui est conçue pour résister
à une pression de seulement 5 bars (la soude servant à
condenser certains produits radioactifs volatils comme l'iode).
Mais une fois le réservoir de secours vidé, ce qui
peut être très rapide en fonction du débit
de la fuite, il devient nécessaire de récupérer
l'eau utilisée pour la réinjecter à nouveau
en la repompant au travers de puisards en fond d'enceinte, lesquels
sont équipés de grilles de filtrage de 2,5 mm de
trame pour arrêter les débris (calorifugeages, peinture,
béton...). Le problème étant qu'à
diverses reprises, ces grilles ont été trouvées
obturées par des débris, ce qui rend de fait très
aléatoire le fonctionnement de ce circuit d'ultime secours.
L'autorité de sûreté a donné un délai
à EDF jusqu'à 2005 pour trouver et commencer à
mettre en place une parade à l'obturation des filtres (remplacement
de certains calorifugeages, renforcement des filtres, mise en
place de chicanes et pré-filtres sur le cheminement des
débris, adaptation de la conduite accidentelle). Nous n'avons
pas d'information sur les procédés qui seraient
employés et nous pouvons donc douter de leur efficacité.
Même à supposer qu'ils parviennent à extraire
les débris d'une taille égale ou supérieure
au maillage des grilles filtrantes, cela ne règlera pas
le problème : nous avons incidemment appris cette année,
lors de la réunion de la CLI de Nogent de présentation
du bilan 2003, que les buses d'aspersion sous le dôme
ont un diamètre de 0,6 mm et seraient donc très
rapidement obturées par des débris de taille comprise
entre 0,6 et 2,5 mm.
Nous n'avons à ce jour trouvé aucun document de
sûreté nucléaire traitant de l'obturation
des buses d'aspersion.
Privé du seul procédé de condensation de
la vapeur, l'exploitant serait alors contraint de dépressuriser
l'enceinte de confinement en libérant la vapeur fortement
radioactive à l'air libre au travers de filtre à sable, dits " filtres
rustiques " que seule la France utilise et qui font sourire
la communauté internationale des experts de sûreté
nucléaire, tant leur efficacité est contestable.
C'est, en quelque sorte, comme si l'enceinte de confinement n'était
d'aucune utilité pour ce type d'accident.
Une rupture du circuit primaire est possible.
Le 12 mai 1998 sur le tout nouveau réacteur de Civaux 1,
une brèche s'est ouverte sur une tuyauterie de refroidissement
à l'arrêt. La pression n'était qu'à
28 bars et la température de l'eau à 180°C.
Plus de 8 heures avaient été nécessaires
à l'exploitant pour qu'il localise la fuite après
avoir relâché à l'atmosphère la vapeur
d'eau afin de permettre à un technicien de pénétrer
dans l'enceinte, puis placer le réacteur dans un état
sûr. Par chance, l'installation avait connu un certain nombre
d'aléas et n'avait fonctionné que l'équivalence
de 8 jours à pleine puissance depuis son démarrage,
fin décembre 97. L'eau du circuit primaire était
donc peu radioactive. La rupture provenait d'une fatigue thermique
du métal, issue d'une erreur de conception. Tous les réacteurs
identiques du palier des 1450 MWe étaient semblablement
dégradés. Plus récemment, le 9 août
2004, sur le réacteur 3 de Mihama au Japon, une tuyauterie
d'alimentation en eau d'un générateur de vapeur
a éclaté à une pression de 9,5 bars et à
une température de 140°C.
Le vieillissement des installations et des matériaux, les turbulences
hydrauliques et les vibrations qu'elles engendrent, la diminution
de la qualité de la maintenance et l'augmentation probable
de la puissance d'exploitation pour raisons de productivité
et de compétitivité d'une économie libérale,
ne peuvent que favoriser l'amorce de ce genre d'évènement.
Dès la rupture du circuit primaire, le premier problème
qui se déclenche est la crise d'ébullition. L'eau
à très haute température qui se dépressurise
se met à bouillir le long des gaines de combustible, formant
une couche de vapeur d'eau au contact des gaines de combustible,
entraînant l'isolation thermique et la montée en
température du combustible. En cas de défaillance
des circuits de recirculation d'eau de secours, le problème
suivant provient de la production d'hydrogène qui peut
engendrer une explosion (déflagration ou détonation)*.
Et pour clore ce paragraphe sur les enchaînements de problèmes,
signalons que nous avons posé à plusieurs reprises
la question de savoir quelle était la réaction entre
l'acide borique et la soude caustique dans l'eau de recirculation.
Á supposer que cela entraîne une précipitation
du bore, et donc le dépôt en fond de cuve et d'enceinte,
l'extincteur de réaction nucléaire serait alors
inopérant, rendant ainsi possible la reprise de la réaction
en chaîne, ce qui aggraverait fortement la situation déjà
très accidentelle. Nous attendons toujours la réponse.
image du site de l'Autorité de sûreté nucléaire : |
Dans une note non signée du 7 janvier 2004,
consultable sur le site Web de l'ASN, l'autorité de sûreté
nucléaire déclare que suite à l'anomalie
de 1992 à Barsebäch en Suède, " les
analyses menées [] sur les réacteurs à eau
sous pression, n'avaient pas conclu, pour les réacteurs
français, à l'existence d'une anomalie ".
Il aura fallu attendre 2003 pour disposer des premiers résultats
d'études réalisées au plan international
et par l'IRSN depuis 1997 (alors IPSN) pour " s'interroger
sur la pertinence des règles d'études utilisées
pour la conception des systèmes de filtration ". Voyons-y
voir de plus près pour bien mettre en valeur l'ampleur
du mensonge.
- 1990, Pierre
Tanguy, inspecteur général de sûreté
nucléaire à EDF, rapport annuel page 11 et suivantes à
propos de
défauts de montages constatés par l'autorité
de sûreté de l'époque (SCSIN)** sur les filtres
de puisards : [...] " sur des filtres placés sur
les puisards des circuits de recirculation de l'eau dans les systèmes
de sûreté qui interviendraient après un accident
de perte d'eau de refroidissement du circuit primaire. [...] Il
n'y a pas eu d'incident, les circuits n'ayant jamais été
sollicités. Là aussi, la sûreté est
concernée : si on avait eu besoin du circuit, il aurait
pu ne pas fonctionner parfaitement ; de plus l'anomalie, avec
des non conformités d'ampleurs variables, était
générique sur nombre de tranches en service. [...]
Ces défaillances du contrôle trouvent sans doute
aussi leur origine dans le fait que les agents qui en étaient
responsables ne devaient pas avoir une claire idée de l'importance
que jouaient ces filtres vis-à-vis de la sûreté
de la centrale. [...] Mais cette affaire des filtres puisards
a révélé un autre dysfonctionnement de la
sûreté, interne à l'organisation EDF, qui
me paraît très sérieux. Notre politique à
toujours été de ne laisser passer aucun événement,
même minime, sur une de nos tranches sans étudier
rapidement s'il concerne d'autres tranches (cette politique
a passablement régressé depuis, ndr). C'est là
un des bénéfices majeurs de la politique des paliers,
et nous ne devons pas avoir besoin de rappels venant des Autorités
de Sûreté. Or cette affaire s'est " perdue dans
les sables ", sans raison très déterminante,
et malgré une demande officielle du SCSIN** ".
- 1996 sur le 3614 MAGNUC (l'ancêtre minitel du site
internet de l'autorité de sûreté nucléaire)
: Fessenheim 1, 17 juillet : Découverte de protections
en vinyle obturant le filtre des deux voies du circuit de recirculation.
Ces protections avaient été placées pour
le chantier d'arrêt de tranche. Elles ont été
découvertes par hasard par des inspecteurs de sûreté
quelques heures avant le chargement du combustible, situation
ou la disponibilité des circuits de recirculation est requise.
Aucune procédure n'était établie pour vérifier
leur retrait. Les deux circuits de recirculation auraient été
inopérants en cas d'accident.
- Toujours sur le 3614 MAGNUC, Cattenom 4 le 19 mai 1996 : Découverte
d'un morceau de plastique dans le puisard d'une des 2 voies du
circuit de recirculation. Cette fois c'est l'exploitant qui
a découvert le morceau de vinyle lors d'un arrêt
de tranche dans le cadre d'un contrôle programmé.
Il résultait d'une déficience du contrôle
lors d'un arrêt de tranche antérieur. Cette tranche
avait donc fonctionné depuis au moins un an avec une des
deux voies de recirculation indisponible.
- Puis vient une longue liste d'incidents à caractère
générique sur différents sites, provoqués
par des débris divers découverts dans les puisards,
le plus souvent des peintures de revêtement du béton,
qui auraient pu obturer les filtres si le circuit de recirculation
avait été sollicité lors d'un accident de
rupture du circuit primaire.
- On peut aussi se poser légitimement la question de la
fiabilité du fonctionnement en eau des moteurs des pompes
des puisards : lors de l'inondation du site du Blayais provoquée
par la tempête de fin décembre 1999, l'eau avait
pénétré dans l'installation et noyé,
entre autre, les deux pompes basse pression du circuit RIS et
les deux pompes d'aspersion EAS, les rendant indisponibles (dossier
IPSN sur l'incident publié dans La Gazette Nucléaire 181/182 avril
2000). Il est ainsi concevable d'imaginer qu'une fuite importante
du primaire puisse créer un niveau d'eau dans l'enceinte
suffisamment important pour noyer les moteurs des pompes des puisards,
rendant indisponible cet ultime recours.
Il est donc tout à fait stupéfiant qu'on nous informe par voie de presse en 2004 d'une possibilité de dysfonctionnement d'un circuit de secours que la communauté internationale des experts de sûreté nucléaire aurait découvert à la suite d'un incident dans une centrale nucléaire suédoise en 1992***. Nul besoin de sortir de l'hexagone, les rapports annuels de l'inspecteur général de sûreté d'EDF, le service minitel sur les incidents nucléaires en France puis le site internet de l'autorité de sûreté ne sont pas confidentiels et ils sont consultables par tous. L'incident s'était déjà produit chez EDF avant même celui du réacteur suédois et les risques inhérents parfaitement identifiés. Faire du sensationnel avec un vieux problème, même très grave, et prétendre que c'est du neuf, relève de la manipulation ; sauf qu'antérieurement, face à la complexité technique d'une solution satisfaisante, les exigences des experts et de l'autorité de sûreté s'étaient quelque peu " perdues dans les sables " ; EDF est maintenant tenue de réduire ce dysfonctionnement. Certains suggèrent qu'il s'agirait là d'une réponse " diplomatique " des experts et de l'ASN qui n'auraient pas apprécié l'autopromotion de politiciens et de hauts dirigeants d'EDF au rang d'éminents spécialistes en l'art de prédire une durée de vie de 40 ans pour les centrales nucléaires.
Claude Boyer,
Lettre
d'information du Comité Stop Nogent-sur-Seine n°105.
* Lire l'article sur le risque " hydrogène "
** Nom de l'Autorité de sûreté nucléaire
de l'époque (Service Central de Sûreté des
Installations Nucléaires).
*** Pour mieux comprendre les motivations des responsables du
nucléaire, lire l'article sur les fondements de la sûreté nucléaire
en France