Des procès en diffamation ont été
intentés ces dernières années par le Pr.
Pellerin, Directeur en 1986 du SCPRI (Service
central de protection contre les rayonnements ionisants) contre
des personnes qui dans des livres ou dans les médias l'accusent
d'avoir menti lors du passage du nuage sur la France, et évoquent
(façon de parler) l'arrêt du nuage de Tchernobyl
à nos frontières. Une plainte avec constitution
de partie civile contre X a été déposée
par l'association française de malades de la thyroïde,
la CRIIRAD et à titre individuel par plusieurs centaines
de malades - cancers et autres affections imputés aux retombées
de Tchernobyl. En fait la polémique n'a jamais cessé
depuis 1986 sur la façon dont les autorités françaises
ont « géré » la crise après l'explosion
de Tchernobyl.
Quand le nuage a-t-il atteint la France, quelle a été
la contamination des aliments et du lait en particulier, pourquoi
la France n'a-t-elle pas appliqué les recommandations de la Commission des communautés
européennes, ni, on le verra plus loin, celles de l'OMS,
quelles contaminations du sol, quel impact sanitaire sur la population
? Les réponses à toutes ces questions reflètent
les conceptions des autorités françaises en matière
de radioprotection, la façon dont elles envisagent les
problèmes de santé publique. Il ne s'agit pas du
seul Pr. Pellerin, responsable de la radioprotection en France,
personnage inamovible depuis les années 60 quel qu'ait
été le gouvernement, de gauche ou de droite. Cela
explique bien des crispations aujourd'hui encore, 17 ans après,
alors qu'ont été regroupés dans l'Institut
de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire
(IRSN), l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire
(IPSN) -autrefois dépendant du CEA- et l'Office de Protection
contre les Rayonnements Ionisants (OPRI) qui a remplacé l'ancien SCPRI, regroupement effectué sous la
seule autorité de M. André-Claude Lacoste, directeur
de la DGSNR (direction générale de la sûreté
nucléaire et de la radioprotection).
Fait nouveau, des divergences se dévoilent au grand jour
reflétant différentes conceptions de la «
transparence » mais avec un consensus sur l'essentiel :
en bref, il n'y a pas de conséquences sanitaires significatives
dues à Tchernobyl en France. Un excès éventuel
de cancer thyroïdien serait indétectable par l'épidémiologie,
par manque de puissance statistique et par manque de données
sur l'exposition des personnes aux retombées d'iode radioactif.
Il faut rappeler que la Gazette Nucléaire
a informé très tôt sur la contamination en
France, relisez le numéro 71/72 (août/sept.1986) et aussi 78/79
(juin 1987), 88/89 (juin 1988).
Des interventions publiques du GSIEN : vous vous souvenez
sûrement du plateau de télévision du 10 mai
1986 où Monique Sené a fait face au Pr. Pellerin
qui donnait enfin quelques chiffres de contamination tantôt
en picocuries
tantôt en becquerels. Cette séance a réveillé
l'opinion et la presse qui ont réalisé après
coup que le nuage était bien passé sur la France.
A Créteil le 15 mai 1987 au colloque sur les conséquences
médicales de Tchernobyl organisé par la Société
française de radioprotection et la Société
française de biophysique, ayant été autorisée
par le responsable du colloque, le Pr. Galle, à prendre
la parole au cours d'une session présidée par le
Dr. Bertin (EDF), j'ai demandé publiquement au nom du GSIEN
la démission du Pr. Pellerin pour incompétence et
qu'une commission d'enquête établisse les responsabilités
à tous les niveaux, depuis le Ministre de la santé
jusqu'aux autorités sanitaires et préfectorales
locales (j'ai été huée. Voir Gazette 78/79
où le texte GSIEN et l'argumentaire ont été
publiés). [A la séance de la veille clôturée
par l'intervention du Pr. Pellerin, j'avais précisé
de la salle que j'avais des choses désagréables
à dire au Pr. Pellerin et que j'aurais aimé les
lui dire en face ; mais le lendemain il était absent].
Désinformation, mensonges, je veux rappeler
ici quelques faits.
En tant que témoin au procès intenté par
le Pr. Pellerin à Hélène Crié et Michèle
Rivasi (3 novembre 1999) à cause de leur livre «
Ce nucléaire qu'on nous cache » (Ed. Albin Michel,
1998) j'aimerais vous faire part de l'argumentation que j'ai développée
au cours de mon audition et des réactions, parfois vives,
qu'elle a suscitées de la part du Pr. Pellerin. C'est une
reconstitution, puisqu'on n'a pas le droit en tant que témoin
de lire un texte, ou d'enregistrer l'audience, mais c'est une
reconstitution fidèle car j'ai suivi le plan que j'avais
longuement préparé. Les textes que j'ai cités
de mémoire (communiqués, extraits d'articles) l'ont
été d'une façon correcte (s'ils ne l'avaient
pas été je pense que le Pr. Pellerin se serait manifesté
!)
« Désinformation nucléaire
: le gouvernement français subit aujourd'hui le choc en
retour de sa désinformation (...) » titre Le Monde, 13 mai 1986. Cet éditorial
du journal Le Monde traduit bien le sentiment général
à ce moment.
1) Cadre général : dès l'annonce de
l'élévation de radioactivité mesurée
en Suède les propos très rassurants du SCPRI désamorcent
toute inquiétude concernant la France.
D'après le 1er communiqué AFP du 28 avril (21h52)
les dires d'un représentant du SCPRI ne font pas présager
que la radioactivité mesurée en Suède est
due à un accident grave sur un réacteur situé
loin de la Suède (et que l'AFP annoncera 2 minutes plus
tard à 21h54). Le 29 avril, l'analyse SCPRI est des plus
minimalistes et comparaison est faite avec l'accident de Windscale
dont la seule conséquence, d'après le SCPRI, aurait
été de différer la consommation de lait.
Pour les habitants proches de la centrale de Tchernobyl : «
En ce qui concerne les populations il y a certainement un problème
d'hygiène publique, mais pas de réel danger, et
certainement pas plus loin que 10 à 20 km au nord de la
centrale » (au moment même où sont évacués
les 45 000 habitants de la ville de Pripyat proche de la centrale).
Donc pour nous, qui sommes si loin de Tchernobyl, aucun problème
:
« A ce jour aucune radioactivité anormale n'a
été vue dans notre pays en France en tout cas, compte
tenu de la distance et de la décroissance dans le temps
si l'on détecte quelque chose il ne s'agit que d'un problème
purement scientifique ». Ce 29 avril le SCPRI
renforce les analyses quotidiennes sur ses 130 stations (air,
eau, lait...).
A France-Inter ce même jour le Pr. Pellerin dira que si
la radioactivité atteint la France « compte tenu
du fait que c'est une radioactivité qui a été
libérée au niveau du sol, au ras du sol, c'est à
dire à 50 mètres peut-être, il n'est pas impossible
qu'il ne subsiste pas grand chose ou presque rien quand ça
arrivera à nous par l'ouest ». Il n'y a alors
aucune donnée scientifique émanant de quelque autorité
de sûreté que ce soit pour appuyer cette affirmation
du Pr. Pellerin -qui s'avérera complètement absurde-
d'une émission des rejets au ras du sol.
2) A quelle date la France a-t-elle été
atteinte par la radioactivité venant de Tchernobyl ?
Pour le SCPRI : du 29 avril au 30 avril
16h, aucune élévation significative de la radioactivité
en France sur l'ensemble des 130 stations SCPRI. Ce n'est que
le 30 avril à minuit que le SCPRI indique une légère
augmentation de la radioactivité dans le sud-est, non significative
pour la santé publique. Le 1er mai à minuit «
tendance pour l'ensemble des stations du territoire à un
alignement de la radioactivité atmosphérique sur
le niveau relevé le 30 avril sur le sud-est (...) sans
aucune incidence sur l'hygiène publique ». Le
retour à la normale de la radioactivité atmosphérique,
y compris sur le sud-est, est effectif au 7 mai (télex
SCPRI 7 mai, 13h).
D'après les publications (Laylavoix et al.) de l'Institut de Protection et Sûreté
Nucléaire (IPSN) du CEA «
les premières augmentations de radioactivité imputables
à cet accident ont été décelées
dès le 29 avril dans le sud-est et l'est de la
France » (ex. Marcoule et Verdun). « Cette radioactivité
supérieure à la radioactivité naturelle s'est
maintenue avec des fluctuations décroissantes jusqu'au
10 mai » (Bulletin de sûreté nucléaire
51, mai-juin 1986). Même date du 29 avril citée par
G. Cogné, directeur de l'IPSN dans les Annales des Mines
de novembre 1986.
Ainsi contrairement à ce qu'a dit le Pr. Pellerin, dès
le 29 avril les particules radioactives sont arrivées en
France.
J'ai dit à la Présidente du Tribunal que j'avais
avec moi la publication de l'IPSN qui montre l'apparition de l'iode
131 le 29 avril alors que la contamination atmosphérique
en iode 131 est nulle habituellement. Elle m'a demandé
de la lui montrer : le Pr. Pellerin et son avocat ont bondi vers
la table et au vu des courbes de contamination atmosphérique
par l'iode 131, l'iode et le tellure 132 relevées à
Marcoule et Verdun dès le 29 avril le Pr. Pellerin a rétorqué
« ils se sont trompés ».
[La récente publication de l'IRSN Tchernobyl 17
ans après, indique enfin que la radioactivité a
été décelée en France dès le
29 avril. Pourquoi les cartes IPSN des années précédentes
et publiées par la presse indiquaient-elles le 30 avril
?].
3) L'impact du visuel, la France miraculée
par l'anticyclone des Açores :
Le 29 avril le Pr. Pellerin indique
qu'il n'y a rien au-dessus de la France, les vents ne sont pas
dirigés vers nous, ils « tournent dans le sens
inverse des aiguilles d'une montre autour d'une dépression
centrée sur l'Europe » (interview de France-Inter).
Pour l'opinion publique, ce qui est fondateur de la croyance absolue
selon laquelle le Pr. Pellerin aurait dit que le nuage s'est arrêté
aux frontières, c'est la diffusion visuelle (télévision
et presse) des cartes de l'évolution météo
du 29 avril au 1er mai avec le déplacement de l'anticyclone
des Açores et la position du nuage radioactif en Europe.
Ainsi, le 30 avril la télévision (Antenne 2) en
présentant le régime des vents en France avec leur
rotation contraire à celle des vents en Allemagne met un
signe « stop » sur notre frontière.
Voilà qui est net. Quant à l'exemple des deux cartes
publiées par Libération le vendredi 2 mai
il est spectaculaire : sur la carte du 29 avril on voit en gris
le nuage arrivant sur nous par l'est de l'Europe, qui stationne
à nos frontières en arc de cercle parfait, nuage
qui, sur la carte du 1er mai est repoussé par une grosse
flèche noire en sens inverse venant de l'ouest figurant
le déplacement de l'anticyclone. Il y a bien une traînée
sur la Corse et légère sur le sud-est le 1er mai
mais tout suggère qu'il n'y a rien eu sur le reste de la
France entre le 29 avril et le 1er mai et que le nuage est dès
lors repoussé vers l'est.
Ces cartes sont mensongères, le 29 avril il y a déjà
sur la France de la radioactivité venant de Tchernobyl
(d'après le CEA) et la France aurait dû être
en gris le 1er mai. Aucune indication n'a été
fournie sur l'origine de ces cartes ni sur les mesures d'activité
ayant permis d'établir les limites du nuage radioactif.
Or ces cartes ont bel et bien été avalisées
par le SCPRI puisque ces cartes seront redonnées
sous sigle SCPRI dans un communiqué du 2 juin sous
le titre : « EVOLUTION METEOROLOGIQUE DU 29 AVRIL AU 5 MAI
1986 ».
4) Des données non chiffrées.
Selon le Pr. Pellerin, dans un premier
temps les synthèses qu'il a fournies ne contenaient pas
de données chiffrées car il a préféré
donner des conclusions pratiques indiquant que la situation ne
nécessitait pas de mesures de protection particulières.
Il a ainsi laissé croire qu'il disposait d'informations
en temps réel.
Et là se passe un accrochage avec le Pr. Pellerin lorsque
je dis :
Les bulletins mensuels publiés par le SCPRI indiquent explicitement
qu'en ce qui concerne l'activité bêta totale des
poussières atmosphériques de l'air au niveau du
sol, « les mesures sont effectuées cinq jours
après la fin du prélèvement ».
A l'exception de la station de mesure du Vésinet (Ile-de-France),
toutes les stations du SCPRI en France étaient des stations
de prélèvement. Qui dit prélèvement
dit analyses après, mais analyses faites au Vésinet,
d'où le délai. En ne révélant pas
ce détail -qu'il connaissait bien puisque c'est lui qui
avait conçu l'ensemble de ce système- le Pr. Pellerin
a menti.
Le Pr. Pellerin réagit violemment en indiquant qu'existent
17 stations de mesure en temps réel dans des aéroports,
avec des filtres déroulants qui permettent de mesurer
l'activité bêta totale. [Là j'ai été
surprise car dans les bulletins du SCPRI je ne les ai pas repérées
dans l'ensemble des stations décrites].
- Mais ces filtres sont analysés où ? Au Vésinet
? Le Pr. Pellerin répond que oui... il y a le délai
dû à l'acheminement par la poste.
Je continue : Dans le bulletin SCPRI du mois d'avril qui sera
publié plus tard on verra que, par rapport aux maxima d'activité
relevés en 1985 et dans les semaines précédent
l'accident, l'activité des poussières atmosphériques
fin avril était multipliée par des facteurs allant
de 100 à 1000 et plus, pour des stations situées
à la frontière italo-suisse, dans la vallée
du Rhône, l'Alsace, la Corse, dans les départements
de l'Hérault et de la Loire.
La Présidente veut me faire préciser si c'est le
29 ou le 30 avril, je dis que je ne peux pas le savoir, car il
s'agit de l'activité maximale relevée, sans précision
de date dans le bulletin SCPRI du mois d'avril, c'est peut-être
le 30 avril ?
Vésinet, salle des compteurs alpha et bêta à bas bruit de fond et des chaînes de spectrométrie gamma de I'IRSN.
5) Les niveaux de contamination en iode
131 des laits au 7 mai, donnés à la télévision
le 10 mai par le Pr.Pellerin. Des lacunes ? et/ou des mensonges
?
- Le délai entre la date de
prélèvement et la mesure n'est pas précisé.
- Des valeurs ont été données pour les laits
de vache de toutes les régions (sauf la Corse). Il y avait
une valeur pour la région PACA. Or, sur le bulletin de
mai-juin du SCPRI publié plus tard où figurent les
résultats pour la 1ère semaine de mai, la région
PACA et la Corse se distinguent de toutes les autres régions
françaises par l'indication : prélèvements
non parvenus ! D'après le SCPRI c'est le sud-est,
et la Corse d'après les cartes météo, qui
ont été touchés en premier et il n'y a pas
eu de résultats d'analyse ! A quoi correspondait donc la
valeur indiquée sur la carte présentée à
la télé le 10 mai pour la région PACA ?
- Les chiffres donnés le 10 mai correspondaient à
110 laits de coopérative pour toute la France. Chaque lait
de coopérative correspond à un mélange de
laits. Pour chaque région un seul chiffre, la contamination
moyenne en iode 131. Moyennés sur combien de laits de coopératives
avec quels niveaux de contamination chacun ? On ignorera à
quelle proportion de la consommation par région correspondent
ces laits. Dans une même région il peut y avoir des
zones touchées par la radioactivité et des zones
épargnées. Pour les consommateurs de lait, qu'ils
boivent du lait de coopérative ou du lait local, la moyenne
n'a strictement aucun intérêt, ce qui compte c'est
le lait qu'ils boivent, eux.
- Dans ce même bulletin de mai-juin déjà cité,
outre une valeur moyenne de contamination du lait par région
pour la 1ère semaine de mai (et différente de celle
donnée le 10 mai) figure cette fois une valeur maximum
de contamination en iode 131. Pour la région Rhône-Alpes
elle est de 630 Bq/l et le lait aurait dû être interdit
à la consommation si on avait appliqué en France
les normes européennes.
- C'est la valeur de 360 Bq/l au 7 mai 1986 figurant sur cette
1ère carte présentée à la télé
le 10 mai qui sera communiquée à la Commission des
Communautés Européennes comme représentant
le maximum relevé en France. Ceci est manifestement
faux d'après des analyses de laits de vache provenant des
Vosges, Ardennes, Haute-Saône, Moselle, du site nucléaire
du Bugey figurant sur les bulletins de mai et juin du SCPRI publiés
ultérieurement et encore plus faux si l'on considère
des laits de brebis de l'Hérault (1700 Bq/l au 9 mai) et
de Haute Corse (4400Bq/l au 12 mai). Or, le Pr. Pellerin et le
Pr. Chanteur, son collaborateur, font partie du groupe d'experts
au titre de l'article 31 du traité Euratom, et ce groupe
a été chargé par la Commission des Communautés
européennes d'étudier les conséquences de
l'accident de Tchernobyl. Les renseignements qu'ils ont fournis
sont mensongers.
- Dans le 1er bilan de synthèse publié le 8 mai
le SCPRI indiquait comme contamination en iode 131 du lait une
valeur de 12 picocuries par litre soit 440 Becquerels par litre
relevée le 5 mai. Dans un ouvrage de vulgarisation Radiobiologie,
Radioprotection de la Collection Que sais-je ? tant prisé
des lycéens et étudiants le Pr. Maurice Tubiana
et le Dr Michel Bertin affirmeront que la contamination maximale
du lait en France après Tchernobyl a été
de 400 Bq/l. On est loin des 4400 Bq/l au 12 mai en Haute-Corse
correspondant à combien de becquerels le 5 mai ?
6) Enfin, que veut dire pour le Pr. Pellerin
l'expression « problème significatif pour la santé
» ou « problème significatif pour l'hygiène
publique » ? Le rapport de l'OMS du 6 mai 1986.
Il le précise le 2 mai puis
le 4 mai dans un communiqué SCPRI à diffuser auprès
des autorités sanitaires, des médecins, des pharmaciens
et du public :
« L'élévation relative de la radioactivité
relevée sur le territoire français à la suite
de cet accident est très largement inférieure aux
limites recommandées par la CIPR et aux limites réglementaires
françaises, elles-mêmes fixées avec des marges
de sécurité considérables. Il faudrait imaginer
des élévations dix mille ou cent mille fois
plus importantes pour que commencent à se poser des
problèmes significatifs d'hygiène publique ».
Remarquons qu'à cette date on ignore pendant combien
de temps vont durer les rejets du réacteur accidenté.
Les seuls chiffres fournis par le SCPRI au 4 mai sont une valeur
de contamination atmosphérique en iode 131et un débit
de dose maximum de 60 microrad par heure. 100 000 fois
ce débit de dose ? Un séjour d'une vingtaine
d'heures à un tel débit de dose et qui ne semble
pas effrayer le Pr. Pellerin est bien au-delà de ce qui
est considéré comme acceptable en radioprotection
car on entre alors dans le domaine des effets biologiques des
fortes doses de rayonnement (appelés effets déterministes)
dont la gravité dépend des doses reçues (vomissements,
maladie des rayons, brûlures, etc.) C'est plus élevé
que le débit de dose relevé dans les rues de Pripyat
lorsque les autorités soviétiques ont décidé
l'évacuation des habitants car ils craignaient que si on
les laissait sur place ils ne subissent des doses de rayonnement
pouvant déclencher des effets aigus Or, et l'OMS dans le
compte-rendu du 6 mai 1986 de sa réunion d'experts tenue
à Copenhague le précise à la page 25, les
effets déterministes sont exclus en dehors de l'URSS :
« en dehors d'URSS les effets biologiques à considérer
sont de nature stochastique [non déterministes, les
cancers et maladies génétiques] pour lesquels
on suppose qu'il n'y a pas de seuil de dose, tels que les cancers
et les effets génétiques. Dans une approche de précaution
les retards mentaux des ftus irradiés sont aussi considérés
comme basés sur une hypothèse sans seuil ».
Puis les principes de base de la radioprotection sont rappelés.
Selon l'OMS [et la Commission Internationale de Protection Radiologique,
CIPR] il s'agit d'éviter autant que possible les effets
biologiques de faibles doses de rayonnement, « la probabilité
d'apparition de ces effets stochastiques pour un individu donné
est considérée comme étant proportionnelle
à la dose cumulée due à l'accident aussi
faible soit-elle ». Les mesures doivent être justifiées
(ne pas créer un risque supérieur au risque évité),
optimisées : prendre des mesures « afin de réduire
les doses d'exposition aussi bas qu'il est raisonnablement possible
par des contre-mesures dont on espère qu'elles se traduiront
par un bénéfice pour les personnes exposées
».
Il y a une interprétation mensongère du rapport de l'OMS du 6 mai 1986 lorsque le Pr. Pellerin indique le 10 mai, lorsqu'il commente la carte de la radioactivité des laits français au 7 mai, « (...) il y a lieu de souligner que l'organisation mondiale de la santé et l'OCDE ont officiellement confirmé qu'il n'y avait à prendre aucune contre-mesure en Europe ». Je ne connais pas le rapport de l'OCDE par contre celui de l'OMS rappelle dans ses conclusions p. 34 : « Toutes les mesures nécessaires de contrôle effectuées loin du lieu de l'accident visent à diminuer les doses d'irradiation autant que raisonnablement possible ». L'OMS fait ensuite la distinction entre laits provenant de mélanges et laits à consommation locale en ajoutant : « D'un autre côté, de fortes pluies ayant coïncidé avec le passage du nuage radioactif ont occasionné localement des dépôts élevés d'iode 131 et il peut donc se retrouver des concentrations élevées en iode 131 dans le lait brut de certaines fermes. Des restrictions de consommation immédiate de tels laits peuvent encore être justifiées sur la base de niveaux d'action au plan national comme le niveau des 2000 Bq/l adopté dans certains pays comme guide au-dessus duquel des restrictions doivent être considérées. ». (Et dire que des enfants corses ont continué à boire du lait de brebis contaminé à 4400 Bq/l au 12 mai et qui devait faire 15000 Bq/l début mai d'après M. Cogné directeur de l'IPSN ! ). Et le rapport poursuit : « Des actions simples telles que laver les légumes frais, ne pas utiliser l'eau de pluie comme eau de boisson sont des actions qui sont toujours à conseiller afin d'éviter des expositions inutiles ».
Le Pr. Pellerin avait délégué
un de ses collaborateurs à Copenhague, le Pr. Chanteur.
On peut vraiment se demander comment il interprète les
textes.
N'est-ce pas pour éviter ce type d'interprétation
mensongère que la CIPR dans ses recommandations de 1990
(CIPR,1991 article 124) indique : Dans la pratique, un certain
nombre d'idées fausses sont apparues à propos de
la définition et de la fonction des limites de dose. Tout
d'abord on considère très souvent mais de façon
erronée, que la limite de dose est une ligne de démarcation
entre ce qui est « sans danger » et ce qui est «
dangereux. (...) Ces idées fausses sont dans une certaine
mesure renforcées par l'incorporation des limites de dose
dans les réglementations. (...) Dans ce contexte il n'est
pas surprenant que les administrations, les autorités et
les pouvoirs publics choisissent à tort, d'appliquer les
limites de dose dès que cela est possible, même quand
les sources sont partiellement ou parfois hors de leur portée,
et quand l'optimisation est la ligne de conduite la plus appropriée
».
Notes, mai 2003:
Dans le rapport du 6 mai 1986 l'OMS indiquait que les laits
de chèvre et de brebis sont plus contaminés que
le lait de vache. Nos autorités sanitaires auraient donc
dû s'inquiéter des populations locales qui consomment
leur production là où les niveaux en iode 131 dépassaient
largement 2000 Bq/l.
Dans ce même rapport était indiquée l'importance
de connaître les débits de dose. Aucune donnée
ne sera fournie à l'OMS par la France (voir Gazette
78/79, août-sept.1986). La seule valeur donnée par
le Pr. Pellerin sera le débit de dose de 60 microrad/heure
quelque part dans le sud-est, 4 fois le débit de dose habituel
au même endroit. C'est bien pour pallier à ce
manque de données rapides, en temps réel, que le
système Téléray
a été mis en place depuis Tchernobyl.
Quant aux stations dans les aéroports disposant de systèmes
à filtres déroulants il semble que seules une dizaine
de stations étaient opérationnelles en 1986. Munies
d'une alarme se mettant en marche quand l'activité bêta
totale dépassait le seuil, un fragment de filtre était
alors découpé et envoyé au Vésinet
pour analyse spectrométrique. (Les mesures d'iode 131 ne
pouvaient pas être correctes puisqu'il n'y avait pas de
charbon actif pour piéger la forme gazeuse).
A signaler que fin 1999 seul le site de la Hague était
équipé par l'OPRI d'une mesure en continu d'iode
radioactif.
Balise de mesure automatique des aérosols équipée d'une sonde Tétéray.
Complément de 2006 à l'article ci-dessus relatant le témoignage de Bella Belbéoch au procès Pierre Pellerin contre Hélène Crié et Michèle Rivasi.
L'impression que je retire de cette première
lecture est contradictoire. Il y a, c'est certain, une «
ouverture » par rapport à l'opacité des rapports
antérieurs. (L'obstination de la CRIIRAD et du Dr Fauconnier
n'y est-elle pas pour beaucoup ?). Mais les doses efficaces ne
semblent guère avoir changé et je perçois
des réticences à prendre en considération
le concept de la CIPR (Commission internationale de protection
radiologique) : pour les effets stochastiques il n'y a pas de
seuil d'irradiation en dessous duquel il n'y aurait pas d'effet.
L'OMS l'admettait en 1986 dans son rapport du 6 mai.
Ainsi dire qu'il y a eu de la contamination radioactive en France
suite à Tchernobyl, et qu'en certains endroits il y en
a encore, il en résulte (et résultera) des doses
de rayonnement, et une dose collective rapportée à
la population française cela implique qu'il y ait des effets
sanitaires.
L'IPSN/IRSN a affiné ses calculs. On apprend ainsi que
dans tout l'est du pays les activités massiques maximales
en Cs137 observées pendant l'été 1986 environ
1000 Bq/kg pour la viande sont redescendues à une dizaine
de Bq/kg à l'entrée de l'hiver, comme pour le lait.
Mais il n'est pas précisé que pour la viande cela
dépassait les normes européennes de 600 Bq/kg, ni
quelle proportion de viande cela a représenté. «
Pour l'iode 131, dans la même zone, les concentrations moyennes
ont atteint plusieurs centaines de Bq/kg mais la décroissance
a été bien plus rapide (diminution d'un facteur
2 tous les 5 jours ». Or l'activité maximale
recommandée par la CEE pour le lait et les produits laitiers
a été, pour l'iode131de 500 Bq/kg le 6 mai, puis
250 le 16 mai et 125 le 26 mai. Jusqu'à quelle date y a-t-il
eu de l'iode 131 dans le lait ?
On peut s'étonner qu'il n'y ait pas de commentaire au sujet
des légumes-feuilles qui ont été les plus
contaminés, les concentrations de Cs137 ont atteint quelques
centaines de Bq/kg dans les jours qui ont suivi les dépôts
dans le Nord-Est, et pour l'iode 131 les contaminations ont
atteint quelques milliers de Bq/kg (p. 65).
Il est admis que pour les champignons et le gibier la diminution
de la contamination a été lente, les activités
du Cs137 ont peu varié et que ponctuellement elles peuvent
encore dépasser la limite de commercialisation de 600 Bq/kg.
La population a-t-elle été informée ?
A-t-on interdit la chasse dans les Vosges, là où
avait été trouvé un sanglier très
contaminé, où l'activité du muscle atteint
1000 Bq/kg ?
Il est satisfaisant de voir que la nouvelle carte de contamination
des sols publiée récemment par l'IRSN se raccorde
aux frontières avec celle de nos voisins. Cela donne raison
à la CRIIRAD d'avoir à chaque fois exprimé
ses désaccords et d'avoir publié l'Atlas avec André
Paris (Contaminations radioactives : atlas France et
Europe, Ed. Yves Michel, 2002).
Il est bien dit que cette carte globale de la France est d'une
certaine façon « moyennée » et ne représente
pas la contamination en un lieu déterminé. Cependant,
connaissant la très forte contamination en certains points
du bassin versant du Var, d'après le rapport Maubert de l'IPSN-Cadarache concernant
une étude de contamination démarrée le 1er
mai 1986 (voir Gazette 88/89) qui indiquait «
Il est à signaler que si les "normes européennes"
avaient été en vigueur dès le début
du mois de mai de nombreuses récoltes auraient dû
être détruites » il s'agissait à
cette époque de l'iode 131, puis du Césium 137 et
d'autres radionucléides (Ru 106 etc), on aimerait savoir
si les endroits répertoriés très contaminés
du Mercantour où, d'après le rapport IRSN, des champignons
peuvent encore aujourd'hui dépasser les 600 Bq/kg des normes
européennes en césium 137, ces endroits sont-ils
indiqués au public ? Qu'en est-il aujourd'hui de la forêt
du Boréon « haut lieu touristique Niçois où
l'on cueille, en saison, myrtilles et champignons » ? Y
a-t-il par exemple des Boletus edulis signalés récemment
par la Commission des communautés européennes comme
particulièrement contaminés ?
Ce rapport Maubert signalait que deux autres études avaient
été initiées en mai 1986 dans la vallée
de la Moselle et en Corse dans le bassin versant du Tavignano.
Ces trois rapports n'ont jamais été rendus publics
seules des synthèses ont été publiées.
La crédibilité scientifique d'un rapport exige la
possibilité pour tout scientifique d'accéder aux
données de base, ceci n'a pas été respecté
par l'IPSN.
Qu'en est-il en Corse dans les lieux forestiers, en montagne pour
la chasse et la cueillette ?
Pour ces deux zones du sud-est et la Corse je suis gênée
par les calculs de dose : ils me paraissent sous-estimés.
En particulier pour la Corse ils me paraissent beaucoup moins
réalistes que ceux effectués par le Dr Fauconnier,
habitant le pays, vivant et consommant, comme ses patients, les
productions locales. Son
exposé à Montauban (colloque organisé
par le conseil général de Tarn-et-Garonne, janvier
1988) devant les experts du CEA les avait impressionnés
par sa rigueur.
Les facteurs de risque du cancer de la thyroïde chez l'enfant
: « Un excès de risque significatif de cancer
de la thyroïde a été observé après
irradiation externe de la tête et du cou à des fins
médicales à partir de doses à la thyroïde
de l'ordre de 100 mGy ».
Ceci est faux si l'on se réfère aux premières
études de Ron et Modan sur des enfants atteints de teigne
et traités par rayons X : ils indiquaient une dose moyenne
légèrement inférieure à 9 rad (90
mGy) avec une fourchette de 43 à 168 mGy et des temps de
latence de 4 à 22 ans, moyenne 14,3 ans (22 ans était
alors la durée du suivi). La cohorte comportait 10842 enfants
âgés de 1 à 15 ans au moment du traitement
(Elaine Ron, Baruch Modan, Benign and malignant thyroid neoplasms
after childhood irradiation for Tinea Capitis, JNCI, vol. 65,
7-11, 1980).
Je suis toujours gênée lorsque je lis que «
l'excès de risque significatif a été trouvé
à partir de doses de l'ordre de ... ». Ceci peut
laisser croire qu'il existe un seuil de l'ordre de 100 mGy en
dessous duquel il ne peut pas y avoir apparition de cancer de
la thyroïde. Or le cancer de la thyroïde est une maladie
stochastique, il n'y a pas à invoquer de seuil de dose
(d'après les concepts de la CIPR). Avec une cohorte très
étendue (comme c'est hélas le cas en Biélorussie,
Ukraine et Russie) ce cancer très rare de l'enfant devient
visible sans ambiguïté.
Le temps de latence de 5 ans pris par l'IRSN pour les cancers
de la thyroïde me paraît trop élevé (1er
cas 4 ans après l'irradiation pour l'étude citée
précédemment de Ron et Modan). D'autre part les
courbes relatives au nombre de cancers de la thyroïde en
Biélorussie montrent un accroissement dès 1989 chez
les enfants opérés par Demidchik, et le nombre de
cancers des adultes a présenté une croissance quasi
exponentielle les premières années après
Tchernobyl. Je signale que pour les 14 enfants ukrainiens atteints
de cancer thyroïdien qui ont été traités
en France (chez le Pr. Aurengo) dont s'est occupée l'Association
« Les enfants de Tchernobyl » d'Ukraine (Mme Marie-Laurence
Simonet) les cas de cancers de la thyroïde se sont déclarés
entre 20 mois et 90 mois après l'exposition. On est loin
des 5 ans.
Je suis très critique sur la façon d'utiliser les
mesures faites sur le personnel CEA car elles sont biaisées
du fait que de nombreux travailleurs du CEA ont pu changer leurs
habitudes alimentaires car ils ont été très
conscients de la réalité de l'accident. Au retour
du week-end du 1er mai tout le monde à Saclay était
au courant que les alarmes s'étaient déclenchées
fichant la trouille aux travailleurs d'astreinte, (le nuage «
passait »). Cela a causé une émotion suffisante
pour que la direction de Saclay organise une réunion générale
du personnel en juin 1986 en présence du Dr. Lafuma et
où la CFDT a diffusé à tous les participants
un fascicule sur « les conséquences radiologiques
du passage du nuage radioactif dû à l'accident de
la centrale de Tchernobyl (URSS) » (Gazette Nucléaire
71/72).
Finalement il faudrait à la fois considérer les
doses collectives en se basant sur des moyennes mais la persistance
de la contamination dans certaines régions devrait inciter
à prendre en compte les doses collectives des groupes critiques
en autosubsistance qui sont complètement ignorés.
J'ai la nette impression que le rapport tend à minimiser
les effets sanitaires bien qu'il ressorte, sans le dire, une critique
des déclarations du Pr. Pellerin. Ainsi, l'IRSN critique
les contaminations rapportées par le SCPRI en 1986 mais
les conclusions sont identiques : pas d'effet sanitaire significatif.
Quant aux problèmes sanitaires des zones contaminées
du Bélarus et d'Ukraine, juste un mot. Quasiment tout ce
qui est rapporté par les médecins du Bélarus
est systématiquement considéré comme non
validé scientifiquement, par exemple les augmentations
de malformations congénitales observées par Lazjuk.
On voit poindre, peut-être, la reconnaissance d'un petit
excès de leucémie dans des zones contaminées
d'Ukraine. Bizarre que les augmentations de cancer au Bélarus
publiées par Okeanov n'aient pas été reconnues.
En somme, à part les incontournables cancers de la thyroïde
(qui ne seraient peut-être pas encore acceptés si
le Pr. Keith Baverstock n'avait pas mis son poids dans la balance
en 1992) il n'y a pas d'effet notable.
Les enfants malades du Bélarus, les cardiopathies, les
cataractes, leur fatigabilité, leur baisse d'immunité,
leurs allergies etc. cela ne fait pas de bonnes études
épidémiologiques, donc ça n'existe pas.
C'est le titre d'un article de P. Pellerin
et J. P. Moroni dans les annales des Mines de janvier 1974. Dans
cet article le responsable de la radioprotection française
faisait référence au rapport numéro 151 de
l'OMS de 1958 intitulé « Questions mentales que pose
l'utilisation de l'énergie atomique à des fins pacifiques
». Le Pr. Pellerin soulignait dans ce texte la nécessité
« de ne pas développer de façon excessive
les mesures de sécurité dans les installations nucléaires
afin qu'elles ne provoquent pas une anxiété injustifiée
(en gras dans l'article).
Ainsi en 1974, au moment du lancement du programme d'électronucléarisation
massive de la France, le responsable de la radioprotection exhortait
les techniciens de l'énergie nucléaire à
ne pas exagérer les mesures de sécurité dans
les installations nucléaires.
On ne doit donc pas s'étonner de la façon dont la
crise de Tchernobyl a été gérée. Concernant
la radioprotection la meilleure façon de ne pas alerter
les populations et de ne pas déclencher d'anxiété
n'était-elle pas de ne pas mettre en place un système
efficace de contrôle de la radioactivité ? Il semble
bien que la préoccupation du Pr. Pellerin ait été
davantage d'éviter l'anxiété que les cancers
radioinduits.
Publié dans la Gazette Nucléaire
n°207/208, juillet 2003.