- Genève, lundi 2 juin 1986 (AFP).
Hans Blix, Directeur général de l'AIEA, (avant Mohamed
ElBarradei), a déclaré à Genève, à
l'ouverture de la conférence ENC'86 (European Nuclear Conference,
congrès quadriennal des industries nucléaires européennes)
que « Tchernobyl n'avait
pas causé plus de morts que le match de football du Heysel,
il y a un an ».
Les violences dans le stade de Heysel (Bruxelles) entre les supporters
de Liverpool et ceux de la Juventus de Turin ont fait 39 morts
en mai 1985.
- Le Monde, 28 août 1986, M. Rosen, directeur de la sûreté nucléaire de l'AIEA, a déclaré à la conférence de Vienne en août 1986 « Même s'il y avait un accident de ce type tous les ans, je considérerais le nucléaire comme une énergie intéressante ».
- Moscou, 16 janvier 1987 (AFP). - Trois
dirigeants de l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique)
ont dressé vendredi à Moscou un tableau optimiste
de la situation dans la région de Tchernobyl, où
une partie de la population évacuée pourra revenir
cette année. [...]
« La zone située entre
10 et 30 km autour de la centrale pourra commencer à être
repeuplée de ses habitants cette année », a indiqué dans une conférence
de presse M. Hans Blix, directeur général de l'AIEA,
qui vient de passer une semaine en Ukraine avec deux de ses adjoints,
MM. Morris Rosen et Léonard Konstantinov.
Les 8 et 9 janvier
1987 a eu lieu à Paris une audition parlementaire du Conseil
de l'Europe sur les accidents nucléaires: protection de
la population et de son environnement. Nous avons déjà
indiqué la similitude des points de vue exprimés
lors de cette audition par l'américain M. Morris Rosen
et par M. Boris Semenov, Vice-Président du Comité
National soviétique de I'Energie atomique:
M. M. Rosen: «Le nucléaire est le moyen le
plus sûr de produire de l'électricité et que
s'il fallait le remplacer les dangers seraient pires».
M. B. Semenov: «Les importants dommages dus à
Tchernobyl sont comparables à d'autres catastrophes; si
l'on remplaçait le nucléaire par une autre énergie,
les risques augmenteraient sensiblement».
Monsieur Rosen, au cours de la discussion,
introduit un subtil distinguo entre les concepts «tolérable»
et «acceptable». Avec lui l'inacceptable devient tolérable!
«Les accidents comme Tchernobyl sont inacceptables mais
les risques, comparés à ceux d'autres moyens de
production d'énergie peuvent être tolérables
pour la société». Il poursuit avec: «Un
accident nucléaire grave n'est pas impossible mais il est
très improbable. L'accident de Tchernobyl n'est pas acceptable,
mais comparé à ceux que comportent d'autres sources
d'énergie les risques qu'un tel accident se produise pourraient
être tolérables».
Il développe une argumentation
particulièrement dangereuse qui bien souvent dans l'histoire
a fait souffrir les individus au nom d'un impératif collectif
supérieur: «Un accident nucléaire n'est
certainement pas tolérable pour l'individu mais pourrait
être tolérable pour la société».
Le responsable de la sûreté
nucléaire à l'AIEA tient à relativisar (pour
lui cela revient à réduire à trois fois rien)
la catastrophe de Tchernobyl: «... Il est essentiel de
relativiser les dangers de l'énergie nucléaire.
Il n'a pas craint lui-même de séjourner à
Kiev trois jours après l'accident de Tchernobyl. Malgré
un rayonnement ambiant cent fois supérieur à la
normale - équivalent au double du rayonnement naturel pendant
un an - le risque était pratiquement nul. De même,
si un accident nucléaire se produisait en Europe, les conséquences
seraient moins dramatiques que prévu».
Peut-être est-ce là une
critique très ferme de la panique qui s'est emparée
des responsables soviétiques qui ont décidé
l'évacuation rapide des enfants de Kiev. Peut-être
exige-t-il que les soviétiques renvoient de force les 135
000 évacués de la région de Tchernobyl dans
leurs foyers contaminés d'une façon «inacceptable»
mais parfaitement «tolérable» pour M. Rosen
? «Inutile de dire qu'il y a au des mouvements divers
dans l'assemblée... nous extrairons le propos de Mme Bakke
(membre du Comité de l'Environnement au parlement Norvégien).
Se référant à la déclaration de M.
Rosen par laquelle il avait fait observer que «la vie est
de toute façon dangereuse».
Voici la façon dont le compte
rendu de séance rapporte l'intervention de Mme Bakke «Certes,
la mort est le terme certain de la vie des individus. Néanmoins,
de tels propos ne conviennent pas pour parler de la destruction
éventuelle de l'humanité. Elle avait auparavant
grande confiance dans l'aptitude de l'industrie à prévenir
les accidents nucléaires. il lui paraît donc particulièrement
regrettable que M. Rosen ait déclaré qu'un futur
accident de l'ampleur de Tchernobyl était inacceptable
mais non intolérable pour la société. En
d'autres termes, M. Rosen estime-t-i1 qu'un accident tous les
cent ans n'est pas «intolérable» ou est-ce
tous les trois ans? L'attitude que reflètent ces citations
risque d'aggraver la crise de confiance déjà grave
entre les hommes politiques et le public d'une part et les experts
nucléaires de l'autre. Il faut faire en sorte qu'un accident
comme Tchernobyl ne puisse plus jamais se produire. On pourrait
pour cela, en dehors de normes de sûreté élevées,
imposer par avance des règles imposant des indemnisations
si lourdes au niveau international que les pays considéreraient
comme un moindre mal de prendre les mesures de sûreté
nécessaires»...
Enfin quelques passages des interventions
de M. Rosen qui montrent bien les conceptions en matière
de sûreté nucléaire de ce haut «responsable»
international:
«Tchernobyl a déjà
illustré ce qui pouvait se produire dans les pires conditions
et la population soviétique a survécu. Quant au
Japon, ce pays a l'un des programmes nucléaires les plus
ambitieux au monde, en dépit des deux bombes atomiques
qui ont été lachées sur lui pendant la guerre».
Ainsi l'accident nucléaire ne
serait intolérable que s'il conduisait à la destruction
totale et définitive d'une région ! Soyons assurés
qu'avec un tel responsable l'Agence de Vienne ne gênera
guère ceux pour qui la sûreté est une condition
secondaire, voire accessoire de l'industrie nucléaire.
Extrait de la Gazette Nucléaire n°84/85, janvier 1988.