Aya Marumori
Directrice du CRMS, chargée de la santé.
Dans l'inquiétude quotidienne
Il est extrêmement pénible,
je pense, de vivre dans un endroit où l'on ne peut pas
exprimer librement ses inquiétudes. Ici, à Fukushima,
quand une personne exprime ses craintes, les gens la repousse
en disant qu'elle propage des rumeurs néfastes qui minent
la réputation du "pays", ou qu'elle est trop
sensible. On sent ces reproches dans l'atmosphère. Ne sachant
pas comment formuler ses angoisses, nous les refoulons au prix
d'une grand fatigue et d'une profonde lassitude.
Les autorités s'obstinaient dès le début
à déclarer que tout était sûr et en
sécurité. Ils n'ont cessé de sous estimer
l'effet des radiations et de publier des informations erronées,
soi disant pour éviter la panique. Dans cette situation,
il est normal que les gens soient inquiets. Car, à l'encontre
de ces informations officielles, on sait que l'accident n'est
pas encore terminé. Et nous n'avons aucun moyen de nous
protéger contre les radiations ; il n'y a pas d'endroit
sûr, il n'y a pas d'eau et de nourritures sûres. Comment
peut on se sentir en sécurité ? Nous avons de grandes
inquiétudes pour notre santé dans l'avenir. Nous
savons aussi que les indemnisations seront très insuffisantes.
En plus de tout cela, nous vivons dans la grande tristesse d'avoir
perdu notre "pays natal"... Il est tout à fait
normal que nous soyons tous très angoissés.
Des nourritures contaminées
Je pense qu'aujourd'hui toutes les
mères de famille se posent beaucoup de questions au sujet
de l'alimentation. Cet aliment est il contaminé ? Est il
consommable ?... Pour choisir des produits sûrs, les habitants
ont besoin de mesurer le niveau de la contamination radioactive
des produits alimentaires. Les habitants nous posent souvent ces
questions quand ils viennent au CMRS pour mesurer leurs produits.
Mais nous ne sommes pas là pour donner la réponse.
Ce qui est important c'est de leur offrir des informations et
de réfléchir avec eux.
Car nous sommes exposés à nombre d'informations
contradictoires. La « Société allemande pour
la radioprotection » (Gesellschaft für Strahlenschutz),
par exemple, recommande que la quantité des radiations
qu'on absorbe ne dépasse pas 3 Bq par jour pour les enfants
et 7 Bq par jour pour les adultes. Même la CIPR (Commission
internationale de la protection radiologique) remarque que l'absorption
de 10 Bq de radiations par jour correspond à 1000 Bq dans
200 jours, ce qui est une quantité considérable.
En Biélorussie et en Ukraine, la quantité tolérée
du Cesium 137 est
bien moins importante qu'au Japon. Nous essayons de montrer
ces divers renseignements aux gens et de réfléchir
ensemble sur leur choix.
Césiums incorporés.
Notre centre effectue également
les mesures de l'irradiation interne grâce à un compteur
corps entier. Les gens ont également besoin de savoir ce
que représentent les données. Mais nous ne pouvons
pas et ne devons pas, à partir de ces chiffres, tenter
de prévoir les conséquences, ou dire qu' «
il n'y a pas de problème ».
De ce point de vue, il est surprenant pour nous de voir des spécialistes
affirmer qu' « il n'y a pas de conséquences sur la
santé pour l'exposition inférieure à 100
mSv par an ». Car, comme chacun réagit différemment
à la radiation, on ne peut en fait jamais estimer les conséquences.
D'autant que l'effet de l'exposition à faibles doses est
insidieux et à long terme. Il faudrait donc que chacun
réfléchisse et trouve son propre mode de protection
contre les radiations. Nous essayons de soutenir nos concitoyens
pour trouver la solution.
Prenons l'exemple d'une mesure : « 500 Bq ». Pour
un citoyen ordinaire, il n'est pas du tout facile de savoir ce
que ce chiffre représente. On explique alors que l'unité
"becquerel" représente le niveau de rayonnement
délivré par une désintégration par
seconde d'un noyau atomique. « 500 Bq » représente
donc 500 noyaux de césium se désintégrant
chaque seconde en émettant des rayonnements à l'intérieur
du corps. Cette explication aide les gens à avoir une image
concrète. Par ailleurs, le césium que nous absorbons
peut être évacué par l'urine et par les selles.
Mais quand on continue à en avaler, et quand il est absorbé
par les intestins, les rayonnement émis sont dangereux.
À partir de telles explications, nous essayons de trouver
avec eux ce qu'il faut manger et comment il faut vivre. Nous proposons
également des programmes de séjour dans des zones
non contaminées.
Nous ne devons pas nous résigner
à notre sort.
Nous n'avons pas besoin de confier
tous les jugements (concernant la radiation) aux spécialistes.
Nous pouvons réfléchir et raisonner par nous mêmes,
car nous ne sommes pas des idiots. Il ne faut pas renoncer à
agir. Nous avons en nous la sagesse et la force pour survivre
même dans cette obscurité où l'on vit et dont
on ne voit pas la fin.
Nous demandons aux autorités d'agir
rapidement, au lieu de répéter seulement "soyez
rassurés", afin de reconstituer des environnements
sûrs et de protéger la population d'une manière
concrète.
Les enfants n'ont aucune responsabilité dans cette contamination
radioactive causée par l'accident de la centrale nucléaire
de Fukushima Daiichi. Les adultes, par contre, sont responsables
d'avoir participé au développement de la société
dans cette direction. C'est donc à nous de lutter, nous
n'avons pas le droit de nous résigner à notre sort
: pour cela, nous devons plutôt reconnaître pleinement
nos inquiétudes et essayer de les regarder en face. Si
nous les dissimulons, les enfants seront encore plus inquiets.
D'ailleurs, refuser la réalité ou la fuir ne sera
pas une solution. Nous ne pourrons construire l'avenir que quand
nous surmonterons nos inquiétudes, nos conflits intérieurs.
Allons vers l'avenir sans relâcher notre garde, sans nous
résigner. C'est ce dont je m'efforce au sein des activité
du CMRS.