- Votre brillante carrière a commencé
à Grodno. Pourquoi êtes-vous venu à Gomel
après la catastrophe à la centrale atomique de Tchernobyl?
Quel âge aviez-vous alors?
Y. Bandazhevsky J'ai vécu mon enfance dans
la province de Grodno. Ayant terminé mes études
à l'Institut de médecine de Grodno en 1980 j'ai
passé la spécialisation en anatomie pathologique
et ai commencé à travailler dans le Laboratoire
central de recherche scientifique du même institut. Quand
j'étais encore étudiant j'ai commencé à
m'occuper activement de recherches scientifiques et à réaliser
de nombreuses expérimentations sur des animaux de laboratoire,
que j'élevais moi-même à la maison. Le sujet
principal de mes recherches était alors l'étude
de l'influence de différents facteurs (physiques, chimiques
et biologiques) de l'environnement sur la gestation, le développement
embryonnaire et la formation des différents organes et
systèmes. Ce travail a abouti à la préparation
de la thèse de candidat au doctorat, que j'ai soutenue
avec succès en 1983. J'ai soutenu la thèse de doctorat
en 1987. La même année j'ai été nommé
directeur du Laboratoire central de recherche scientifique.
La catastrophe de Tchernobyl a produit sur moi, comme sur un grand
nombre de personnes, un énorme choc psychologique. Je considérais
que mon devoir de médecin me dictait d'apporter mon aide
à la solution des problèmes liés à
cette catastrophe. Aussi dès 1988-1989 m'étais-je
adressé officiellement à l'Académie des sciences
et au Ministère de la santé avec des propositions
de recherches scientifiques globales sur l'influence de la radioactivité
sur les systèmes et les organes vitaux dans la période
de formation. Il me semblait que tout ce qui était entrepris
alors était insuffisant pour résoudre les problèmes
existants. Il s'agissait avant tout de l'absence d'une vision
claire des mécanismes d'action des radionucléides
incorporés dans l'organisme sur la structure et sur la
fonction des cellules et des tissus, sur le métabolisme.
Mon expérience dans mes travaux scientifiques précédents,
qui avait été reconnue par les principales écoles
de l'URSS (Moscou, Leningrad), me confortait dans l'idée
que les sujets proposés étaient valables. En 1990
le destin a voulu que je fasse directement connaissance avec la
vie des populations de Gomel et de sa province. Je pris la décision
de poursuivre mes recherches scientifiques là bas sur place.
J'ajoute que je projetais de me consacrer exclusivement au travail
scientifique dans l'institut de médecine radiologique qui
s'ouvrait alors. Toutefois, en automne de la même année
j'ai été invité à prendre la direction
de l'institut de médecine qui était en voie d'élaboration
à Gomel. J'avais alors 33 ans.
- Quelles sont les nouvelles maladies que vous avez découvertes
suite à vos recherches?
Y. B. Les nombreuses recherches scientifiques, tant
cliniques qu'expérimentales, ont montré l'action
défavorable de quantités même faibles de radionucléides
incorporés dans l'organisme, en premier lieu du césium
radioactif, sur les systèmes et les organes vitaux. En
premier lieu je voudrais signaler l'atteinte du système
cardio-vasculaire, qu'on observe même chez les petits enfants.
Une dépendance linéaire proportionnelle a été
constatée entre la quantité du césium radioactif
incorporé dans l'organisme et dans le muscle cardiaque,
et la fréquence de même que la gravité des
altérations morphologiques et fonctionnelles. En examinant
les lésions dans l'ensemble des différents organes
et systèmes, il a été possible de déterminer
les processus pathologiques interdépendants tant au niveau
du coeur, du foie, des reins, des organe endocriniens, que du
système immunitaire. En conséquence, m'étant
consacré pendant de nombreuses années à la
pathologie, je pense que, sous l'action des radionucléides
incorporés dans l'organisme, avant tout le césium-137,
des lésions morphologiques et fonctionnelles interdépendantes
entraînent des troubles métaboliques dans tous les
systèmes et organes vitaux,. En outre, les lésions
de certains organes peuvent avoir leurs caractéristiques
propres, comme par exemple, dans les reins on observe la destruction
des glomérules avec apparition de cavités. Cependant
toutes ces lésions découlent d'un processus pathologique
semblable, que nous appelons syndrome des radionucléides
de longue période incorporés. Sur la base des données
obtenues, la moindre quantité de césium radioactif
incorporé dans l'organisme humain ou des animaux, peut
provoquer l'altération de la structure et de la fonction
d'organes et de systèmes, et entraîner de nouvelles
maladies (maladie du coeur et des vaisseaux, tumeurs malignes,
maladies du foie, des reins, de la glande thyroïde et des
autres organes endocriniens) ou aggraver les maladies préexistantes.
L'altération du système immunitaire est l'une des
causes principales de l'augmentation des maladies infectieuses,
comme la tuberculose et l'hépatite virale.
- Quel danger y a-t-il aujourd'hui pour les habitants des régions
sinistrées?
Y. B. Les recherches que nous avons effectuées
ont montré que le plus grand danger est représenté
par l'action des radionucléides incorporés dans
l'organisme, en premier lieu du césium radioactif. Si nous
ne mettons pas fin à ce processus, les conséquences
peuvent être tragiques. C'est pourquoi un contrôle
rigoureux de la présence du césium radioactif dans
les produits alimentaires est indispensable. Cela concerne surtout
les enfants, qui sont plus sensibles au césium radioactif.
A ce propos la situation démographique me préoccupe
beaucoup, car la mortalité de la population dans la province
de Gomel dépasse la natalité de 1,6 fois. Je souligne
que cela ne concerne pas seulement ni même avant tout les
tumeurs malignes, mais aussi les altérations pathologiques
des systèmes à métabolisme intense, comme
le systèmes cardio-vasculaire, systèmes nerveux,
immunitaire, endocrinien, urinaire, digestif et de reproduction.
Le césium-137 exerce son action défavorable avant
tout sur le système énergétique des cellules
fortement différenciées, ce qui provoque leur nécrose,
ainsi que finalement, dans beaucoup de cas, la mort de tout l'organisme.
- Quel est le danger pour les futures générations?
Y. B. Compte tenu de l'action directe du césium
radioactif sur les jeunes, sur la formation de leur système
reproductif et sur les autres systèmes essentiels, ainsi
que des modifications génétiques dans les cellules
sexuelles, nous avons le devoir d'être inquiets pour la
santé des futures générations.
- L'aide fournie à la République de Belarus pour
la liquidation des conséquences de la catastrophe de la
centrale atomique de Tchernobyl est-elle suffisante?
Y. B. Afin de pouvoir apprécier la valeur de
cette aide il est nécessaire de déterminer la gravité
du dommage causé à la santé des populations,
suite à la catastrophe de Tchernobyl. Je pense que l'aide
la plus importante doit être orientée sur la prévention
des maladies qui peuvent surgir, que j'ai évoquées
plus haut. Le problème de Tchernobyl est le problème
du monde entier. Je pense que l'aide de la communauté mondiale
est nécessaire pour la liquidation de ses conséquences.
- Vous venez de commencer à travailler à l'institut
"Belrad". De quel appareillage aurez-vous besoin pour
votre travail?
Y. B. Dans cet institut j'ai l'intention d'étudier
les problèmes liés à l'action du césium
radioactif sur la physiologie des systèmes et des organes
vitaux. Je souhaite développer des méthodes de protection
radiologique. Il est nécessaire pour cela de créer
un laboratoire d'histopathologie, collaborer avec des groupes
scientifiques pour mieux saisir les changements structrels-métaboliques
des tissus et des cellules du corps humain et des animaux suite
à l'incorporation du césium radioactif. Il faut
en parallèle étudier les symptômes cliniques
au niveau du système cardio-vasculaire chez les enfants
qui vivent dans les territoire contaminés par des radionucléides.
Je souhaite pour cela avoir le soutien et recevoir l'aide nécessaire
qui puisse déboucher sur une étroite collaboration
avec des scientifiques du monde entier. L'aide pourrait venir
d'organisations sociales ou de bienfaisance, auxquelles le destin
des personnes victimes de la radioactivité n'est pas indifférent,
mais aussi de fondations scientifiques. Je voudrais espérer
que le résultat de cette collaboration puisse permettre
la création d'un Centre scientifique international de la
pathologie des radiations, pour que de nombreux chercheurs, travaillant
sur le problème de la protection des personnes contre l'action
des rayonnements, puissent unir leurs efforts pour faire progresser
nos connaissances.
- Quels moyens de protection voyez-vous aujourd'hui contre
l'action des éléments radioactifs incorporés
dans l'organisme humain?
Y. B. Sur la base de mes recherches, ainsi que sur celle
des recherches effectuées par les collaborateurs de l'institut
"Belrad", on peut attester l'efficacité des produits
à base de pectines d'origine végétale pour
mobiliser ou éliminer partiellement le césium radioactif
de l'organisme par voie naturelle. Ces produits parviennent à
corriger les troubles métaboliques dus à la présence
dudit radionucléide.
Minsk, avril 2000.
A lire :
- Interview de Yuri et Galina Bandazhevsky (PDF), par Wladimir Tchertkoff traduit du russe en avril 2000.
- Curriculum de Yuri Ivanovitch Bandazhevsky