Le Monde, 13.06.05:
L'introduction en France du réacteur nucléaire (dit) de troisième génération valait bien une grand-messe démocratique - obligatoire pour tout projet d'infrastructure important depuis la loi Barnier de 1995. L'EPR (European Pressurized Reactor), réacteur à eau pressurisée qu'EDF doit mettre en service à Flamanville (Manche), en 2012, fera donc l'objet d'une consultation de la population, qui s'étalera de la mi-octobre 2005 à la mi-février 2006. Elle sera organisée par la Commission nationale du débat public (CNDP), qui a créé une sous-commission ad hoc de six membres (la décision est déjà prise et le débat est organisé ensuite... une vision très particuliaire de la démocratie).
Son président, Jean-Luc Mathieu, conseiller maître à la Cour des comptes, s'est entouré de cinq personnalités venues d'horizons différents : Michel Colombier, économiste et ingénieur spécialisé dans les politiques énergétiques et environnementales ; Danielle Faysse, urbaniste et commissaire enquêteur qui a participé à des évaluations de grands projets ; Roland Lagarde, ingénieur-chercheur à EDF à la retraite ; Annie Sugier, spécialiste de la radioprotection ; Françoise Zonabend, ethnologue (Collège de France), dont les travaux ont porté sur l'organisation de la société française et ses représentations. Tous ont cosigné une "charte éthique et déontologique" dans laquelle ils s'engagent à faire preuve d'"indépendance" et d'une "stricte neutralité".
Plusieurs débats seront organisés, en Basse-Normandie et dans d'autres régions, puisqu'EDF, maître d'ouvrage, a prévu de développer l'EPR sur plusieurs sites en France. La population aura deux documents à sa disposition : un dossier d'EDF sur les caractéristiques et les objectifs du projet et, plus original, un "cahier collectif d'acteurs" où administrations, entreprises (Areva...), collectifs de scientifiques et associations (Les Amis de la terre, Greenpeace, WWF, les Ecologistes pour le nucléaire (un sous-marin d'EDF)...) ont versé leur contribution.
Pour M. Mathieu, "c'est la première fois que la CNDP est saisie sur un équipement nucléaire, que le débat a une portée nationale et qu'on l'accompagne d'un cahier où s'expriment tous les acteurs" . Dans son dossier, ajoute-t-il, "Pierre Gadonneix -le PDG d'EDF- précise qu'il tiendra compte du débat dans sa décision de lancer ou non l'EPR", qui doit être définitivement arrêtée au cours de l'été 2006.
Les questions soumises au débat sont nombreuses. Pourquoi Flamanville, qui nécessite la création d'une ligne à haute tension ? Ne valait-il pas mieux prolonger la vie des 57 réacteurs existant en attendant la quatrième génération ? Les 3 milliards d'euros investis dans la tête de série sont-ils justifiés ? Les mouvements antinucléaires sont sceptiques quant à l'utilité d'un tel débat (qui coûtera entre 1 et 1,5 million d'euros à la charge d'EDF), alors que l'EPR est d'ores et déjà inscrit dans le projet de loi d'orientation sur l'énergie, qui doit être voté en juin au Parlement. Le début de la construction du premier réacteur EPR est programmé pour 2007 et le choix de certains partenaires arrêté, comme celui du numéro un italien de l'électricité Enel.
Le réseau Sortir du nucléaire, qui revendique plus de 700 associations, dénonce une "parodie de démocratie". Il "s'étonne qu'il n'y ait eu aucun débat sur le nucléaire pendant cinquante ans et qu'on en ouvre trois en même temps : l'EPR, la ligne à très haute tension partant de Flamanville et les déchets nucléaires". Il rappelle que la sûreté totale de l'EPR, vantée par Areva, constructeur du réacteur, a été mise en doute dans un document confidentiel d'EDF, notamment en cas de crash d'un avion de ligne sur une centrale.
Jean-Michel Bezat