Nucléaire: Forçons le débat

Depuis le début de 1998, le nucléaire ou plutôt ses acteurs zélés vont de déboires en déboires. Déboires au plan des incidents et donc de la sûreté, déboires en communication et donc au plan de la crédibilité des instances officielles. Il faut dire qu'ils ne parviennent pas à comprendre que le questionnement citoyen ne cessera pas, que le temps où l'on pensait pour le vulgum pecus est révolu. Il faut vivre avec son temps et cessez de se référer à Napoléon.

Des convois contaminés en passant par la Hague, ses rejets, sa canalisation, pour finir aux sites de stockages inexistants et aux usines d'incinération d'ordures ménagères qui leur servent pour une élimination discrète, enfin supposée telle... 1998 est une année riche.

EDF s'est livrée à un chantage éhonté pour forcer la main aux Autorités, autorités bien timides à imposer des règles de sûreté ou bien pas du tout écoutées par le niveau politique. Car tout de même faire redémarrer Belleville alors qu'il y a un problème sur les grappes de commande, problème qui s'est révélé lors du déclenchement intempestif de l'aspersion de l'enceinte. Cette fameuse enceinte est par ailleurs fuyarde... Le moins qu'on puisse en dire est que cet ensemble "d'incidents" méritait mieux que le traitement qui en a été fait. Ne jamais oublier qu'un accident est souvent la superposition de petits incidents.

Finalement EDF a reconnu qu'il n'y avait pas sous-capacité du parc, ce que l'on savait mais quel poker menteur !

De toute façon tous ses arguments étaient faux : nous exportons 20 % de notre production, nous avons un parc thermique classique, un parc hydraulique. En conséquence il n'y a pas eu de pénurie mais un essai réussi de ne pas garantir la sûreté des réacteurs. Même si ils ne vont pas faire exploser volontairement un réacteur c'est tout de même un pied de nez aux autorités de sûreté qui est lourd de conséquences pour la crédibilité des informations qu'on nous distille.

Autre manquement : conférence de presse du Pr Spira à la Hague. Longuement il est expliqué tout va bien, il n'y a pas de cas de leucémies, le cluster existe mais ne se confirme pas. Dormez bonnes gens. Et une insidieuse question est posée : "Vous ne parlez pas du cas de leucémie recensé en janvier 1998 ?"

Bafouillis... et oui il y a un cas. L'argumentaire selon lequel les proches ne désiraient pas que cela se sache est bien sûr un argument mais comme il a été utilisé contre le Pr Viel. Y aurait-il deux poids, deux mesures dans le traitement des informations et des experts ?

Manquement toujours les usines d'incinérations d'ordures ménagères.

- En juillet 98 à Bruyères le Châtel un agent du service de protection contre les Rayonnements déclare la perte de 3 sources (une de strontium, une de césium et une d'américium, les deux dernières servant à calibrer des dosimètres donc très faibles). ces sources ayant été posées dans une poubelle, elles sont parties à Villejust. Le technicien SPR a déclaré la perte et le centre de Bruyères le Châtel a prévenu l'OPRI.

Devant l'impossibilité de récupérer les sources dans la fosse à déchets, son contenu a été incinéré. Il a été récupéré 2 sacs de cendres de 1,5 tonne chacun dont l'activité max est 15 Bq/kg en Am241 (bruit de fond environ 1,5 Bq/kg soit 10 fois le fond) et 37 Bq/kg en césium (bruit de fond environ 13 Bq/kg soit 3 fois le fond). Le strontium quant à lui restait introuvable, on est donc parti sur l'analyse des mâchefers. De fait la source a finalement été retrouvée quasiment intacte dans le four.

Mais au cours des contrôles effectués une contamination des mâchefers sur une surface de 4 M2 et une épaisseur de 5 cm a été mise en évidence.

Comme le souligne le rapport de L'IPSN " La découverte de cette contamination, bien qu'indépendante de l'incident survenu au CEA/BIII le 9 juillet 1998, conduit à s'interroger de nouveau sur la rigueur de gestion des déchets sortant de certaines installations utilisant des matières radioactives (défaut de tri et de contrôle à la source)."

De toute façon il y a à prendre en compte à la fois les résidus du brûlage des sources ainsi que noté dans le rapport IPSN:

- "Les cendres et suies contaminées par l'américium qui constituent des déchets de très faible activité (TFA), doivent être récupérées par le CEA/DAM et entreposées sur le centre de Bruyères le châtel en attente de leur conditionnement éventuel et de leur évacuation suivant une filière appropriée.

- Les déchets suspectés d'avoir été contaminés (mâchefers, cendres, poussières) doivent être gardés sur place, repérés et isolés des autres déchets: leur devenir doit être précisé.

Ces premières conclusions sur les sources et quelques traces (?) de radioactivité ont été progressivement complétées. D'une part il s'agit de résidus de mâchefers (430 kg environ mais représentant le résidu de combien de tonnes ?), d'autre part le contaminant proviendrait pour partie non pas de combustibles mais de cibles irradiées probablement à Saturne. Étant donné que c'est à Villejust qu'on retrouve les résidus les laboratoires concernés sont ceux de Saclay, de la faculté ou de Polytechnique.

L'analyse de certaines taches permet de conclure à la présence de résidus de minerai d'uranium. De toute façon comme le constate l'IPSN:

"Cette analyse n'appelle pas de remarque complémentaire de ma part, mais conduit à l'évidence à s'interroger sur la rigueur de gestion des cibles utilisées dans les installations de recherche."

La lecture du dossier comme le souligne la CRII-RAD laisse vraiment beaucoup d'interrogations:

- Pourquoi l'OPRI a-t-il délégué au CEA le soin de faire les prélèvements et les mesures puisque ce centre était de toute façon directement ou indirectement impliqué dans cette pollution ?

- Pourquoi 3 mois après la découverte de la radioactivité dans un incinérateur d'ordures ménagères ne connaît-on pas l'origine de cette pollution et son niveau exact ?

- Pourquoi ignore-t-on encore de quel labo proviennent ces résidus de traitement de cibles expérimentales et où ont été irradiées ces cibles ?

- L'installation d'un portique est une bonne chose mais ne suffira pas à déceler des pollutions d'émetteurs alpha et de plus qui se débarrasse de ces produits et depuis combien de temps (l'incinérateur fonctionne depuis 1984) ?

- Pourquoi se cantonner aux 3 tonnes de cendres et 430 kg de mâchefer ? Si pour les cendres ce doit être assez proche du tonnage, pour les mâchefers cette demie tonne représente 1 %, 10 %, (ou quoi ?) du total contaminé et avec quels produits ?

La CRII-RAD n'admet pas les communiqués rassurants de l'OPRI et je la suis volontiers sur ce terrain. Comme on ne sait ni d'où ça vient ni de quelles quantités il s'agit c'est vite éluder le problème et se faire rassurant.

Villejust est une usine d'incinération et de ce fait n'était pas surveillée. Ce n'est d'ailleurs pas la seule usine d'incinération polluée. Il serait judicieux de multiplier les contrôles.

Je voudrais souligner un point important. Le seul protagoniste qui a eu le bon réflexe est la personne qui a signalé la perte de ses sources. Et malheureusement je crains le pire pour son avenir. Pourtant il faut revendiquer le droit à l'erreur. Ceci ne dispense pas d'une sanction mais elle doit être limitée et tenir compte exactement des circonstances de l'incident. Dans ce cas le problème des sources est mineur devant l'élimination frauduleuse de résidus de traitement de laboratoire. Je rappelle que la prise en charge des incidents et leur déclaration passe par un climat de confiance entre les travailleurs, leur hiérarchie et l'autorité de sûreté. Je crains que ce soit rarement le cas...

Septembre 1998 une autre pollution s'est manifestée à l'usine d'épuration de l'eau à Beaurade près de Rennes. En effet les boues, résidus de l'assainissement des eaux sont envoyées à l'usine d'incinération de Villejean. Les camions chargés des boues déclenchent le portique et sont donc refoulés. Qui est responsable de cette pollution : le centre Eugène-Marquis qui traite des malades et ne fait pas la rétention correcte de sa pollution.

L'article de Ouest-France est révélateur des problèmes. On parle d'un seuil EURATOM à 100 Bq/g à comparer aux 0,3 à 3 Bq/g des résidus sans chercher à expliciter l'impact éventuel de l'iode 131 (sachant qu'il n'y a pas de limites pour définir les TFA, c'est en cours d'élaboration). De fait la période de cet iode est de 8 jours mais si on en envoie jusqu'à 850 Bq/l comme il est indiqué (alors que la norme est 7 Bq/l)... Il y a d'ailleurs mélange (si j'ose dire...) entre la concentration du rejet liquide à l'origine des boues contaminées et la teneur en radioéléments des boues.

De toute façon la position de l'OPRI n'est pas sérieuse : Rassurer en assurant qu'il n'y a pas de risques sanitaires et assurer qu'on ne doit pas dépasser le seuil fixé dans l'arrêté sinon le centre de soins de "responsable se transformera en coupable".

D'ailleurs le responsable du centre et l'OPRI n'ont pas du lire le même texte applicable en 2000 car la norme en iode ne va pas passer de 7 Bq/l à 1000 comme l'affirme le centre mais restera aux environs de la même valeur soit 10 Bq/l.

Je trouve inadmissible que le responsable de l'hôpital qualifie d'absurde la démarche des autorités. Depuis quand un directeur de centre se permet ce type d'affirmation. Le prétexte selon lequel de gros efforts ont déjà été consentis est vraiment irrecevable. Les centres hospitaliers doivent comme tout un chacun respecter les règles. Quant à affirmer que ce n'est pas dangereux et autres sornettes de ce type, vérifions avant d'affirmer. Il est un peu facile de comparer l'effet du rejet aux effets du rayonnement solaire ou du radon car de toute façon personne n'affirme qu'il est bon pour la santé de trop bronzer ou d'inhaler du radon ! L'iode n'a pas à être rejeté, de la même façon qu'on doit aérer les maisons et éviter de s'exposer au soleil sans précaution. La lutte contre le cancer ne doit pas avoir pour conséquence, par irresponsabilité, d'en entraîner d'autres qu'on peut éviter avec un minimum de respect des normes.

Un dernier point important. Les installations nucléaires ont été confrontées à des incidents en tout genre (Belleville, grappes de commande coincée et enceinte fuyarde), les 1450 MWé (erreur de conception, fissures), les wagons contaminés, les incinérations de sources.... On constate à chaque fois une tendance à ne pas déclarer l'incident et à résoudre en circuit fermé et avec les moyens du bord. Attention on joue à éteindre seul les incendies sans faire appel aux pompiers, ça marche jusqu'au jour où...

La Gazette Nucléaire n°169/170, novembre 1998.