L'arrêt du nucléaire et l'emploi

La protection de l'emploi est un épouvantail qu'on agite contre ceux qui demandent l'arrêt de l'industrie nucléaire.

Il faut bien avoir en tête que l'exigence d'un arrêt rapide de cette industrie se fonde sur ses dangers pour les individus et pour la société. La protection de l'emploi devrait-elle se faire au détriment de la protection sanitaire ? Il est vrai que la protection sanitaire des travailleurs de l'industrie nucléaire n'a guère été une préoccupation des syndicats de cette industrie mises à part quelques personnes généralement isolées dans leur syndicat. La lecture par exemple des compte-rendus des réunions du Comité Hygiène et Sécurité du groupe CEA est assez affligeante : aucun problème grave de santé nulle part, dans aucune installation. - Des cancers en excès chez les mineurs d'uranium de la Cogéma ? Vous plaisantez ! - A quoi bon faire un suivi de mortalité sur les travailleurs du CEA ? Inutile ce sont des gens d'une santé exceptionnelle. - La Commission Internationale de Protection Radiologique rédige en 1990 un projet de nouvelles recommandations, cela devrait concerner les personnels sous rayonnement. Le projet est soumis à toutes sortes de responsables de l'industrie, de la santé et peut-être à quelques individus syndiqués. Y a-t-il eu information du personnel des diverses entreprises (y compris les hôpitaux, gros utilisateurs de rayonnement) lui demandant son avis pour savoir si la radioprotection qui le concerne est satisfaisante ? Vous plaisantez, il s'agit d'une affaire entre "responsables".

Dans cette situation d'ignorance des effets du rayonnement (ignorance qui n'exclut pas une forte angoisse chez les travailleurs, qui la renforce peut-être) on comprend assez bien que la fermeture d'une installation ne pose, pour le personnel, que le problème de l'emploi.

Si l'on se réfère à l'emploi on peut dire avec cynisme que la catastrophe nucléaire est créatrice d'emplois. 800 000 "liquidateurs" pour nettoyer le site de Tchernobyl et il faut toujours tout recommencer. Il y a là un "gisement" permanent d'emplois ! Même un accident mineur (un loupé en somme) celui de Three Mile Island aux États-Unis en 1979, fusion partielle du coeur, et arrêt total depuis, a besoin de personnel. La gestion d'un réacteur catastrophé pourrait bien être une garantie d'emplois. Mais quels emplois ? Quel prix pour ces emplois ? La santé bradée à vil prix.

L'arrêt des installations nucléaires signifie-t-il la mise au chômage ? Fermer Superphénix, les mines d'uranium, La Hague etc. est-ce la même chose que de fermer une usine chez Renault ? C'est bien méconnaître les contraintes de l'industrie nucléaire.

Mettre à l'arrêt Superphénix ce n'est pas boucler les portes, vider le personnel, éteindre les lumières et cadenasser le portail. Le travail doit continuer que le réacteur fonctionne ou s'arrête. Boucler le site ? Personne n'avance de date, mais certainement il y en a pour plus de 10 ans et probablement beaucoup plus. Pour l'emploi, la fermeture de Superphénix n'est pas un risque de chômage, par contre c'est la garantie qu'il n'y aura plus besoin de "volontaires désignés" pour gérer un accident grave.

Les mines d'uranium du Limousin ne sont plus rentables depuis déjà pas mal de temps et si la Cogéma en gardait encore quelques unes en activité c'était probablement pour laisser croire que l'ensemble du cycle de l'énergie nucléaire était complètement français. La Cogéma a investi un peu partout dans le monde pour remplacer les mines du Limousin. Les Africains coûtent moins chers, leurs mines sont encore riches et si leurs régions sont dévastées personne ne viendra chercher des crosses à la Cogéma. Qui va s'inquiéter des cancers du poumon chez ces travailleurs ? Idem pour les autochtones du Canada. Ne s'agit-il pas d'Indiens ?

L'exploitation des mines d'uranium en Limousin a laissé des sites ravagés. Thierry Lamireau dans son film L'uranium en Limousin révèle des territoires véritablement sinistrés. La Cogéma menace : si vous n'acceptez pas que nous déposions chez vous des déchets de centaines de milliers de tonnes d'uranium appauvri provenant de l'usine d'enrichissement du Tricastin on s'en va et c'est le chômage généralisé. Faut-il pour autant que les Limousins acceptent cet ultimatum ? Faut-il que les syndicats exigent que l'exploitation des mines continue ? Ne pourraient-ils pas exiger que le risque cancérigène (cancers du poumon, du larynx, des os etc.) largement mis en évidence par des études officielles soit compensé par une mise à la retraite anticipée avec plein salaire et même des primes ? Quant à essayer de réparer un peu les dégâts que l'exploitation a causés dans la région il y aurait là matière à embauche. Ce seraient des revendications parfaitement justifiées et certainement plus utiles que de faire débarquer des gros bras pour empêcher la tenue d'une réunion publique à Bessines sur les problèmes de santé posés par l'uranium, pour injurier les intervenants et menacer de casser le matériel de projection. Il a fallu l'intervention de la gendarmerie pour assurer la sécurité et la tenue de la réunion ! Pourtant un des points importants portait sur le contenu des études officielles de Cogéma/CEA sur les excès de morts par cancers chez les mineurs d'uranium français. Pour les responsables syndicaux il ne fallait surtout pas que les mineurs soient informés des dangers que leurs employeurs avaient mis en évidence.

La fermeture des mines d'uranium en Limousin peut se faire sans perte d'emplois et sans avoir à accepter des sites de déchets supplémentaires.

Et La Hague ? Bien sûr La Hague tient le monopole de l'emploi dans la région. Cette installation a fait fuir toutes les activités traditionnelles comme les laiteries. Les dangers pour la santé commencent à être perçus dans le Cotentin. La Hague rejette de la radioactivité et cela est inéluctable. Envisager une usine à rejet zéro comme le demandent certains est une utopie stupide comme celle de croire qu'une centrale nucléaire en fonctionnement normal ne rejette rien dans l'environnement. Si La Hague ne rejetait rien elle serait rapidement asphyxiée sous ses propres déchets. il ne peut pas y avoir d'installation industrielle sans rejets. Le problème est : ces rejets sont-ils toxiques, très toxiques ? Pour La Hague il s'agit de rejets qui par nature sont très toxiques. Le fonctionnement de La Hague implique, qu'on le veuille ou non, des rejets dans l'environnement, un danger pour la population, les enfants (et les foetus) en particulier car ils sont beaucoup plus radiosensibles que les adultes.

Ne plus vouloir de déchets implique logiquement d'exiger la fermeture de La Hague sinon c'est se complaire dans des fantasmes qui masquent les problèmes réels. Là encore l'arrêt de La Hague est-ce la fin de l'emploi dans la région ? Non. Le démantèlement d'une installation aussi monstrueuse demanderait des années de travail (si l'on veut limiter les dégâts possibles) et une surveillance permanente jusqu'à l'extinction de la radioactivité ce qui n'est pas pour demain. Craindre le chômage en cas d'arrêt du retraitement ne sert qu'à justifier la continuation de l'activité nucléaire. Le chantage au chômage pour faire taire les angoisses des gens...

Là encore on escamote les problèmes de santé des travailleurs de La Hague. La Cogéma/CEA a toutes les données pour effectuer un véritable suivi de mortalité parmi les travailleurs les plus exposés. Bien sûr si l'étude est confiée aux habituels épidémiologistes (Institut de Protection et Sûreté Nucléaire lié au CEA, INSERM etc.) et que l'on inclue ce groupe à risque constitué par les travailleurs de La Hague (en n'oubliant pas surtout ceux des débuts de l'entreprise) dans une étude de l'ensemble des employés du CEA on est sûr à l'avance de ne rien trouver. L'épidémiologie, en France, est particulièrement verrouillée et l'apparition de certains noms parmi les signataires des études en radioprotection est, pour les officiels, une garantie de tranquillité. Il serait quand même important que le personnel sache ce que l'on exige de sa santé, de sa vie en échange de son salaire.

Et l'arrêt rapide de l'ensemble des réacteurs nucléaires français ? Pour 70% de ces réacteurs l'arrêt pourrait être très rapide en faisant fonctionner au maximum les centrales à combustibles fossiles qui existent et qu'EDF n'utilise qu'avec parcimonie étant donnée la surcapacité de notre parc nucléaire. Cela entraînerait-il du chômage ? Non car on ne ferme pas un réacteur en mettant la clé sous la porte. Le personnel employé actuellement pour faire fonctionner ces réacteurs devrait continuer à travailler après l'arrêt pour démanteler l'installation. En plus il faudrait certainement embaucher du personnel supplémentaire à EDF et aux Charbonnages de France pour faire tourner les installations non nucléaires au maximum.

Comme pour Superphénix, pour La Hague, pour les mines d'uranium l'arrêt des réacteurs nucléaires ce n'est pas la mise au chômage du personnel, bien au contraire. Ce personnel qui connaît bien les installations et pas seulement d'une façon théorique vue des bureaux parisiens, est indispensable pour que les démantèlements, les réhabilitations, les rénovations se fassent correctement et non pas d'une façon bureaucratique, à l'économie.

Roger Belbéoch