Le Monde, 5/9/2007:
Neuf pays lancent un projet de recherche sur la fusion nucléaire, alternatif à ITER, chiffré à 750 millions d'euros
Epuisement des ressources fossiles et lutte
contre l'effet de serre obligent, le nucléaire reprend
des couleurs. Qu'il s'agisse des centrales à fission actuelles,
dont le parc mondial est en cours d'extension ou de renouvellement.
Ou des réacteurs à fusion qui, espèrent les
physiciens, fourniront peut-être à l'humanité,
dans la seconde moitié du siècle, une énergie
presque illimitée.
Face à ITER, le réacteur expérimental
de fusion thermonucléaire qui va être construit à
Cadarache (Bouches-du-Rhône), pour 10 milliards d'euros,
voici HiPER (High Power Laser Energy Research), un autre grand
instrument de recherche, dont le pré-projet vient d'être
sélectionné par la Commission européenne
pour le 7e programme-cadre.
Dans les deux cas, il s'agit de démontrer la possibilité de contrôler la réaction de fusion qui fait briller le Soleil. Au coeur des étoiles, les noyaux d'hydrogène se combinent pour former des noyaux plus lourds, en libérant une formidable énergie. C'est cette alchimie que souhaitent reproduire les physiciens, en faisant s'assembler des noyaux de deux isotopes de l'hydrogène, le deutérium et le tritium, dont la fusion produit de l'hélium, des neutrons et de l'énergie.
Deux voies sont explorées. La première, à confinement magnétique, consiste à piéger le mélange gazeux à l'intérieur de vastes chambres à air sous vide : c'est le principe d'ITER. La seconde, à confinement inertiel, utilise des lasers pour irradier de très petites quantités de ce mélange : c'est la technologie développée par HiPER.
" Avec la première filière, il s'agit de maintenir à très haute température un plasma de basse densité pendant un temps relativement long, de l'ordre de la seconde. Avec la deuxième, le plasma est de très haute densité (supérieure d'un facteur 109) et le temps de réaction extrêmement court (de l'ordre du milliardième de seconde) ", explique Michel Koenig, de l'Ecole polytechnique, l'un des animateurs du programme.
100 MILLIONS DE DEGRÉS
Pour provoquer la fusion du deutérium et du tritium, encapsulés dans une minibille d'un à deux millimètres de diamètre, les chercheurs ont recours à des lasers de très forte énergie. Certains de ces lasers, à impulsions longues, compriment la bille où la densité atteint environ 300 gr/cm3 et la température 100 millions de degrés Celsius. Un autre laser, à impulsions courtes, guidé par un cône en or, injecte des électrons au coeur de la microbille, où ceux-ci déposent leur énergie, provoquant l'allumage du mélange. L'objectif étant de récupérer davantage d'énergie qu'il en est consommé pour produire la réaction, sous forme de chaleur qui, dans les réacteurs du futur, serait convertie en électricité.
Les premiers travaux sur la fusion par laser datent des années 1970. Des installations militaires existent, aux Etats-Unis avec le NIF (National Ignition Facility) du Lawrence Livermore National Laboratory, et en France avec le LMJ (Laser Mégajoule) de Bordeaux, dédié à la simulation des armes nucléaires. Des centres de recherche civile existent également, aux Etats-Unis, au Japon, en Grande-Bretagne et en France. Mais l'Europe avait pris, dans ce domaine, du retard.
Elle compte se donner plusieurs longueurs d'avance avec HiPER, associant 9 pays : Royaume-Uni, France, Espagne, Allemagne, Pologne, Italie, Portugal, République tchèque et Grèce. Pour l'heure, indique Christine Labaune, directrice de l'Institut Lasers et Plasmas et coordonnatrice adjointe du projet, Bruxelles est en passe de donner son accord pour un financement de quelques millions d'euros pour la phase préparatoire, qui devrait débuter fin 2007 ou début 2008. Si cette phase est concluante, la construction pourrait débuter entre 2012 et 2015, pour un coût estimé à 750 millions d'euros. L'implantation n'est pas encore choisie, mais la Grande-Bretagne, qui pilote le projet, nourrit de sérieux espoirs.
Les défis scientifiques et technologiques sont immenses. Ce n'est pas avant 2050 que pourrait voir le jour un réacteur électrogène industriel [Iter ou Hiper ne sont que des démonstrateurs techniques, rien n'est prévu pour produire de l'électricité]. Et que l'on saura si la fusion nucléaire, version ITER ou version HiPER, tient ou non ses promesses.
Les Echos, 15/5/07:
Les physiciens européens proposent l'étude d'un réacteur à fusion allumé par laser et inspiré par la bombe H. Ces recherches concurrencent Iter mais partent avec du retard.
L'Europe est en passe de devenir le paradis de la fusion nucléaire. Après le futur démonstrateur Iter et le laser Mégajoule français, des physiciens européens préparent un projet ambitieux sur le même sujet, baptisé avec un certain culot « Hiper » (High Power Laser Energy Research). Emmenées par les Britanniques qui souhaitent accueillir ce faux frère d'Iter à domicile, 22 institutions de 9 pays ont proposé à Bruxelles de financer dans le 7e programme-cadre un réacteur à fusion pour produire de l'énergie. Il s'agit plus exactement d'étudier l'allumage par laser d'une réaction de fusion nucléaire. L'objectif ultime des chercheurs britanniques est de proposer une alternative à Iter. Le réacteur international qui sera construit à Cadarache, en Provence, mise également sur la réaction de fusion mais suivant la filière « magnétique ». Hiper veut défricher la voie du confinement inertiel, une approche moins évidente sur le papier pour produire de la chaleur et donc de l'électricité.
Rappelons d'abord que la fusion de deux noyaux légers (deutérium et de tritium par exemple) produit bien plus d'énergie nucléaire que la réaction de fission de l'uranium qui chauffe nos centrales actuelles. Cette équation se réalise toutefois à une difficile condition : il faut « persuader » les deux noyaux de se rapprocher, ce qu'ils détestent. Le mariage se fait donc au prix élevé de gigantesques températures en millions de degrés et de fortes densités. Seul le coeur des étoiles répond naturellement à ces conditions.
Une roue de secours
Sur terre, les chercheurs ont trouvé deux voies pour y parvenir. Les réacteurs du type Iter recréent dans leur tore (grand aimant en forme d'anneau) un champ magnétique qui chauffe et confine le mélange deutérium tritium. Plusieurs démonstrateurs ont réussi à entretenir ainsi une réaction de fusion en chaîne quelques secondes, mais aucun n'a prouvé sa viabilité industrielle.Iter devra réaliser huit minutes de fonctionnement, avec un rendement positif. La deuxième voie est, hélas, validée depuis longtemps par les bombes H. Cette voie de confinement inertiel soumet une bille de combustible à une violente compression, synonyme de densité et température. Dans les bombes H, elle est provoquée par une bombe A à fission.
Les chercheurs ont longtemps étudié le moyen de domestiquer cette énergie de fusion capricieuse. En laboratoire, ils ont imaginé trois méthodes pour allumer la fusion par confinement inertiel de microbilles. La plus avancée actuellement consiste à concentrer des dizaines de faisceaux laser très puissants sur une capsule en or. La lumière produit alors un violent rayonnement X, qui comprime en un millième de milliardième de seconde la microbille à des densités mille fois supérieures à celle des solides, provoquant la fusion du combustible. D'autres expériences moins abouties utilisent un bombardement d'ions lourds ou des arcs électriques. Les Français (laser Mégajoule) et les Américains (National Ignition Facility) sont les seuls à construire actuellement deux machines à lasers de ce type. Leur objectif est militaire puisque les expériences de fusion serviront à valider ces prochaines décennies les codes de simulation des explosions nucléaires. Ces programmes de plus de 2 milliards d'euros doivent compenser l'arrêt des essais nucléaires. En France, le CEA, qui exploitera le laser Mégajoule, a prévu d'ouvrir épisodiquement l'installation aux chercheurs civils pour des études en astrophysique par exemple. Mais son plan de charge prévoit peu d'expériences sur la génération d'énergie. Hiper offrirait donc un autre laser de puissance pour les recherches civiles. La production d'énergie sera sa priorité en ouvrant une porte de sortie au cas où Iter n'atteindrait pas ses objectifs. Ce type de réacteur offre pour avantage une grande sûreté de fonctionnement, puisque la fusion peut être arrêtée à tout moment. La quantité de matière nucléaire utilisée promet d'être faible, les déchets aussi. La puissance du dispositif offrirait également plus de souplesse qu'Iter, la cadence des tirs pouvant s'adapter aux besoins en électricité. Christine Labaune, directrice de l'Institut des lasers et plasmas (CEA, CNRS, Polytechnique, Bordeaux-I) indique que les Américains ont déjà un important programme sur le sujet. Les Japonais pourraient aussi faire des démonstrations d'ici quelques années.
40 faisceaux laser
Le confinement inertiel avec allumage laser part pourtant avec de nombreux obstacles. L'exploitation de la source de chaleur est complexe, puisque la fusion du combustible n'a pas lieu en continu comme dans le tore d'Iter mais par explosions intermittentes. Par analogie, Iter fonctionne comme un réacteur d'avion, tandis qu'Hiper fait penser à un moteur à explosion. Encore faut-il concevoir des lasers assez fiables et réactifs pour pouvoir rallumer une réaction toutes les dixièmes de seconde comme le prévoient les promoteurs du projet. Hiper se différenciera toutefois du concept Mégajoule par une technique dite d'« allumage rapide ». Ce système ajoute à la compression laser une autre source d'allumage avec un laser à impulsion courte de l'ordre de la picoseconde (millième de milliardième). Il devrait offrir un gain de 50 à 100 fois plus élevé que le concept type LMJ. Les chercheurs espèrent ainsi qu'en juillet 270 kilojoules d'énergie dans les lasers, on récupère une énergie de fusion 15 fois supérieure. Le contrôle de cette fusion explosive va exiger des recherches très fondamentales comme le comportement ultrarelativiste des particules en jeu. La violence du confinement inertiel pose aussi des questions d'ingénierie. D'après un spécialiste du plasma, l'explosion d'une microbille détruit tout dans un rayon de 1 mètre. La récupération des bouffées de chaleur dégagées par la fusion pour chauffer de l'eau et la turbiner n'est pas triviale non plus. Une première phase de trois ans d'étude à partir de 2008 précéderait la préparation de l'installation qui s'achèverait à la fin de la décennie suivante. D'après les premières esquisses, l'installation comprendrait 40 faisceaux laser. Comme pour Iter, beaucoup de chercheurs doutent de l'intérêt industriel du système, mais les spécialistes des lasers, des matériaux, des plasmas ou de l'énergie rêvent déjà des nombreuses recherches fondamentales que le projet pourrait financer, s'il est accepté par la Commission européenne. Bruxelles a déjà validé le concept en l'inscrivant à la liste des infrastructures de recherche prioritaires. Reste à trouver les moyens. Son coût est évalué à moins de 800 millions d'euros... un cinquième d'Iter ! Mais ce serait encore une manne de plus pour la physique au détriment de disciplines moins bien dotées. Réponse en juillet.
MATTHIEU QUIRET