L'un des irradiés de Forbach est mort
Le Monde, 26/3/07:
"L'irradié de Forbach est mort
Daniel Leroy s'est éteint, à 42 ans, samedi 24 mars,
à son domicile de Behren-lès-Forbach (Moselle).
Le 12 août 1991, ce jeune ouvrier intérimaire avait
été gravement brûlé par des rayonnements
ionisants après avoir pénétré dans
un accélérateur de particules de la société
Electron Bean Service (EBS), pour y accomplir des travaux de maintenance.
Plongé dans un coma artificiel, cantonné
durant des mois en chambre stérile, sa vie n'avait plus
été qu'un long combat contre les radiations. "Une
vie de souffrance rythmée par les opérations, les
greffes et les amputations, sans espoir de guérison",
témoigne son épouse, Ernestine. Daniel Leroy avait
mis des années avant d'obtenir de la justice une rente
à vie et des dommages et intérêts. Le 17 février
1994, la cour d'appel de Metz avait condamné le directeur
et le PDG d'EBS à un an d'emprisonnement, dont onze mois
avec sursis, pour "coups et blessures involontaires".
A l'audience, l'avocat général avait pointé
"une somme considérable d'incompétences, d'insuffisances
et d'indifférence". "
Le Républicain Lorrain, 25 mars 2007:
Daniel Leroy est mort
(en pdf)
1. Historique et présentation de l'installation
1. 1. - Historique
L'appareil est un accélérateur électrostatique d'électrons de type Van de Graaff, modèle -Samson- (2,5 MV, 35 mA). Il a été fabriqué aux USA par la Société "Hight Voltage" - HVEC - près de Boston.
Cet appareil, acheté d'occasion aux USA en 1988, est revendu et installé par la société française Vivirad (Handshuheim près de Strasbourg) dans la Zone Industrielle de Forbach-Sud pour le compte de la Société Ionest (D 117)1. La transaction a été d'autant plus facilitée que la société Vivirad a racheté la société HVEC.
La Société Ionest, a été constituée le 20 janvier 1989, par quatre personnes des familles Thommet et Stepec, sur les conseils de M. Muller Patrick, qui travaillait à l'époque pour la Société Kabirol. Le contrat d'achat, de livraison et de mise en oeuvre de l'irradiateur (5,35 millions de francs) est signé le 22 février 1989 (D 152 et D 117).
La Société lonest avait pour objectif la stérilisation, par irradiation au moyen d'un faisceau d'électrons d'énergie comprise entre 1,6 et 2,5 millions d'électronvolts (MeV), de produits pharmaceutiques, de matériels chirurgicaux et de divers autres produits.
Toutefois, les marchés obtenus sont techniquement et financièrement décevants et la Société Ionest est vendue en septembre 1990 à M. Van Der Gucht Philippe (D 152).
Après diverses difficultés (2), le bâtiment et l'accélérateur sont rachetés aux organismes financiers qui en avaient la propriété, par M. Magnen Philippe (PDG de Rical S.A. qui a son siège à Longvic) qui crée une nouvelle société, dénommée "Electron Beam Service" - EBS -, dont les statuts seront déposés le 19 juillet 1991 (D 194). M. Magnen en est le PDG.
Sur les conseils de M. Muller, qui deviendra le Directeur de l'Entreprise, EBS vise un marché important où la concurrence est faible : le traitement, par ionisation. de granulés ou de copeaux de téflon en provenance de Hollande notamment. Le polytétrafluoroéthylène - PTFE - commercialement dénommé "téflon", irradié à très fortes doses se dépolymérise et devient cassant. Il peut alors être broyé finement. La poudre "micronisée" ainsi obtenue est utilisée pour réaliser du téflon en feuilles Minces, pour constituer la matière de bombes d'aérosols utilisée comme agent de démoulage, ou en tant qu'additif dans des fluides divers afin d'améliorer leurs propriétés lubrifiantes.
Cette activité est commercialement intéressante, car les copeaux de téflon qui posent des problèmes en tant que déchets dans certaines industries, deviennent des matériaux recyclables. Le Coût du traitement par ionisation est de l'ordre de 16 F/kg. La poudre micronisée obtenue est vendue à environ 500 F/kg.
1.2 - L'installation de traitement par ionisation
L'installation de traitement par ionisation qui a démarré avec la Société Ionest avant d'être utilisée par la Société EBS (devenue depuis IB Process) a connu des difficultés techniques portant sur l'accélérateur, le convoyeur et le bâtiment qui abrite l'irradiateur.
L'accélérateur, constitué d'un transformateur (360 V/3,6 kV) et du système d'accélération, a été placé dans une cuve métallique de fabrication hollandaise achetée en Suisse à la Société Studer (D 119 et D 152).
Cette cuve, qui renferme de l'hexafluorure de soufre (SF6) sous une pression de 6 bars, a été installée, ainsi que le "scanner" (système de balayage du faisceau d'électrons) par la Société Vivirad pour la Société Ionest. Le matériel, livré le 9 août 1989, a été réceptionné le 20 février 1990. Or, la cuve ne répond pas aux normes françaises relatives aux installations électriques et aux appareils sous pression. C'est ainsi qu'une expertise de l'Apave, initiée par les repreneurs de la Société Ionest, signale (02/10/90) plusieurs malfaçons et non-conformités électriques affectant la machine, ainsi que l'absence de poinçonnage de la cuve et de son réservoir de SF6 attestant de l'épreuve officielle à la pression loi du (28/10/43).
Le 12 mars 1991, la Drire de Lorraine signale cette infraction, et bien d'autres, à la réglementation relative aux appareils à pression au Procureur de la République de Sarreguemines et propose l'application de sanctions prévues par la loi.
Pour échapper à cette contrainte réglementaire, la Société EBS décide de fonctionner à moins de 4 bars et de réduire consécutivement à 1,7 MV la tension d'accélération (qui est de 2,3 MV sous 8,3 bars).
Le bâtiment n'a pas été étudié par l'installateur de l'accélérateur, tandis que le tracé de la casemate d'irradiation et de la chicane d'accès ont été imposés au fabricant du convoyeur.
La partie supérieure du bâtiment qui abrite notamment la cuve de l'accélérateur n'avait ni escalier, ni toit, ni murs construits lorsque démarre l'installation de la cuve et de l'accélérateur le 26/09/89 (D 111).
Le convoyeur a été étudié par la Société "Méca-Robo" de Metz et livré le 15 février 1990 (D 156). Il devait s'adapter à une installation déjà construite qui ne se prêtait pas aux courbes utilisées habituellement (D 156). En outre, aucun "cahier des charges" n'a été rédigé. Le convoyeur classique qui a été réalisé ne convient pas aux contraintes imposées par un irradiateur délivrant de très forts débits de dose, qui obligent à proscrire formellement non seulement l'emploi de matériaux plastiques, mais également de graisses et huiles diverses dont les propriétés se dégradent sous l'effet des rayonnements. Aux dommages provoqués par les rayonnements dans ces matériaux et produits divers, s'ajoute l'effet des propriétés extrêmement oxydantes de l'ozone produit par l'ionisation de l'oxygène de l'air.
Le plan situe la salle d'irradiation, la chicane parcourue par le convoyeur et l'emplacement des deux portes et du "scanner".
D'un point de vue ergonomique, on notera qu'il n'est pas possible de pénétrer dans la salle d'irradiation par la chicane sans escalader à trois reprises le convoyeur, ce qui ne va pas sans présenter des risques classiques élevés.
Depuis l'accident grave d'août 1991, le chemin du convoyeur a été modifié.
1.3. - Le traitement des granulés et des copeaux de téflon
Des bacs en aluminium emplis de granulés ou de copeaux de téflon (3 kg environ) sont disposés sur un convoyeur qui les véhicule au moyen d'une bande transporteuse horizontale.
Les bacs sont irradiés en passant sous le faisceau vertical d'électrons qui est animé, par un "scanner", d'un mouvement de va-et-vient, afin de balayer toute la largeur du bac de téflon. La zone balayée par le faisceau d'électrons consiste en un rectangle de 745 mm de long sur 50 mm de large.
Les débits de dose délivrés par ce type d'appareil se mesurent en millions de rads par seconde.
L'appareil d'EBS délivrait 80 000 grays par seconde (8 millions de rad/s).
Le parcours des électrons de 2 MeV environ, dans un milieu de densité proche de 1 comme l'eau, le téflon ou les tissus humains, est de l'ordre de 1 cm. La dose qui varie en fonction de la profondeur passe par un maximum à 0,4 cm.
Le téflon (C2F4)n, qui est un tétrafluoroéthylène, se décompose partiellement sous irradiation en libérant notamment un gaz - le fluor- qui, au contact de l'eau (présente dans l'air, les poumons ou en surface de la peau), donne un acide puissant - l'acide fluorhydrique - qui peut occasionner des brûlures chimiques graves (brûlures pulmonaires aiguës, notamment, pour lesquelles on ne dispose pas de traitement médical).
Les affections provoquées par le fluor et l'acide fluorhydrique font d'ailleurs l'objet du tableau n° 32 des Maladies Professionnelles.
2. Les circonstances de l'accident
2.1. - Le déroulement des faits
Compte tenu des diverses informations recueillies dans les procès verbaux des victimes, des prévenus et des différents témoins ou parues dans la presse, un scénario des événements peut être décrit.
L'incident précurseur
Le 17 juillet 1991, un bac d'aluminium contenant des plaques de matière caoutchouteuse (durcissement sous irradiation) s'était bloqué sous le "scanner" dans lequel le faisceau d'électrons effectue son va-et-vient. L'énergie délivrée a enflammé la matière et la "fenêtre" en titane du scanner a été endommagée. Il a fallu l'importer des Etats-Unis ce qui a occasionné un retard de production.
Les causes de cet incident sont multiples : outre les défauts de conception du convoyeur, les plateaux de dimensions trop réduites avaient tendance à se mettre en travers. En cas de blocage sous le scanner, la faible épaisseur d'aluminium entraînait des déformations mécaniques du plateau sous l'action du faisceau d'électrons.
Cet événement a sensibilisé le conducteur de l'accélérateur - M. Biès Jean-Marc - qui a éteint l'incendie en pénétrant dans la salle d'irradiation muni d'un masque pour se protéger de l'acide fluorhydrique. Le risque incendie deviendra pour lui une préoccupation majeure.
C'est probablement lors de cette intervention que M. Biès a reçu un équivalent de dose qui n'a été révélé que le 30 août 1991, car ce n'est qu'après la suspicion d'accident de la mi-août 1991 que le médecin du travail a demandé au LCIE le dépouillement en urgence des films dosimètres de juillet puis celui d'août.
Lors du procès, M. Biès a précisé au juge qu'il a eu, pendant une semaine, des maux de tête et des malaises mais pas de lésions.
L'irradiation accidentelle grave de trois personnes
Le 13 août 1991, M. Leroy Daniel pénètre, par la sortie du convoyeur, dans la salle d'irradiation afin de rafistoler une gaine de ventilation en aluminium qui court à même le sol sous le convoyeur (D 303 et D 49). A l'aplomb du scanner, ce tube a pris des doses très importantes et il est fragilisé. Les tentatives de restauration, au moyen de ruban adhésif, effectuées par Leroy sont difficiles car la gaine cède même sous une légère pression des doigts.
Au bout d'un quart d'heure environ d'essais infructueux, le Chef d'Equipe, Biès Jean-Marc, envoie M. Nespola Giovanni (voir photo) pour aider son collègue (D 50). Il intervient à son tour, environ 1/4 d'heure. Compte tenu de la localisation du dommage de la gaine d'aluminium, Leroy et Nespola se situent de part et d'autre du scanner et passent à plusieurs reprises les mains, les avant-bras, la tête, le dos, sous le scanner. Etant accroupi, M. Leroy a eu également une exposition des jambes. M. Biès a dirigé une partie des opérations en prenant plusieurs positions par rapport au scanner. Il aide également ses deux collègues et passe, comme eux, les mains et avant-bras sous le scanner, ce qui lui occasionnera des brûlures radiologiques..
2.2. - L'origine de cette exposition accidentelle aux rayonnements ionisants. "Manque d'informations et mauvaises habitudes"
Pour un accélérateur, il existe deux conditions importantes à respecter en matière de sécurité. Elles consistent à :
- interdire la mise sous faisceau d'une salle d'irradiation tant que son évacuation n'est pas assurée,
- arrêter l'installation en cas d'intrusion d'une personne dans la salle où un faisceau de particules est émis.
Ces dispositions sont réalisées au moyen d'une "chaîne de sécurité" qui consiste en un ensemble de dispositifs (clés, "rondiers", arrêts d'urgence, "fins de course", etc.) que l'on va placer dans une position particulière suivant une séquence définie et dans un délai inférieur à un temps préalablement fixé, (afin d'éviter l'entrée incontrôlée d'une personne durant la phase d'évacuation).
Ainsi, à EBS, lorsque l'accélérateur doit être mis en marche, l'opérateur effectue un parcours obligé qui le conduit à activer un "rondier" qui témoigne de son passage, à fermer des portes munies de "fins de course" (switchs) ou d'un système optique, avant de pouvoir passer la clé de commande du pupitre de la position "off" (arrêt) à la position "control on" qui permet ensuite de passer sans contrainte de temps en phase active.
Le parcours doit s'effectuer en moins de trois minutes sous peine d'être repris à sa phase initiale.
L'accélérateur est ensuite placé sous tension en passant en position "Hight Voltage". Puis le faisceau est délivré en tournant la clé sur "Beam Current". Le courant s'établit progressivement jusqu'à la valeur choisie.
Les conditions habituelles de travail, depuis la réduction à 4 bars de la pression du SF6 dans la cuve, étaient les suivantes:
Haute Tension = 1,7 million de volts Intensité = 16 mA
L'arrêt complet de l'appareil (retour en position "off" qui, seule, autorise à accéder en toute sécurité dans la salle d'irradiation) conduit à un arrêt programmé de l'installation d'une durée de 15 minutes. Aussi, afin d'éviter cette procédure pénalisante, l'habitude a été prise de placer la clé de commande en position "hight voltage" et de pénétrer dans l'irradiateur en passant par la sortie du convoyeur où un espace d'un mètre de haut environ était aménagé. Dans cette position, l'alimentation du filament de tungstène - source d'électrons - est coupée mais la haute tension accélératrice est maintenue.
Le courant qui traverse alors l'accélérateur est très faible. Il se dénomme courant "sombre" ou "résiduel" (ou également "effet de cathode froide"). Partant du débit de dose en fonctionnement normal, une réduction d'un facteur un million laisse encore subsister des débits de dose voisins de 0,1 gray par seconde (10 rads par seconde) débits encore énormes et devant interdire tout accès au local. Même s'il est évalué de manière grossière, le temps d'exposition de M. Leroy (voir photo) (30 minutes, soit 1 800 secondes) par exemple, montre que la dose "peau" de 40 sieverts (4 000 rems) accusée par son film dosimètre est explicable.
Une information sur les dangers des rayonnements ionisants et sur les risques d'exposition pouvant exister en dehors de la position "arrêt complet" ("off") aurait à coup sûr empêché que cet accident puisse survenir.
Les mauvaises habitudes et la faille
Pour pénétrer physiquement dans l'enceinte de l'irradiateur, il existe théoriquement trois possibilités : la grande porte blindée principale (munie de switchs incorporés dans la chaîne de sécurité), la porte métallique placée en bout de chicane du convoyeur (également munie de switchs), le dessus du convoyeur côté "sortie" (côté "entrée" le passage très étroit ne peut être franchi).
En ouvrant la grande porte ou la porte métallique qui jouxte la "sortie" du convoyeur (voir plan), la "chaîne de sécurité" est rompue et arrête, si ce n'est déjà fait, l'installation. Il est alors nécessaire d'attendre 15 minutes avant de pouvoir relancer la séquence de démarrage (temps nécessaire à l'évacuation de l'ozone produit par l'ionisation de l'air).
Seul, le dessus du convoyeur ne dispose pas de détecteur d'intrusion.
Aussi l'examen des divers procès-verbaux d'audition montre qu'il était habituel de placer la clé du pupitre de commande sur "hight voltage" et de pénétrer dans l'enceinte de l'irradiateur par la "sortie" du convoyeur:
M. Leroy : "Je n'ai jamais vu personne passer par cette porte. Tout le monde passait par l'orifice de sortie du convoyeur, y compris M. Muller" (D 303)
M. Nespola : "J'ai constaté que M. Muller était rentré deux ou trois fois à l'intérieur du bunker en passant par l'orifice de sortie du convoyeur... Je ne l'ai jamais vu emprunter la porte d'accès normal à l'installation." (D 206)
M. Bies : "Je maintiens que nous n'utilisions la porte munie de switchs qu'en cas de gros travaux ou lorsqu'il s'agissait d'une intervention importante. Dans les autres cas, moi-même, les autres ouvriers et M. Muller pénétrions dans l'installation par l'orifice de sortie du convoyeur". (D 196)
"L'entrée par cet orifice m'est toujours naturelle..."
"Le jour où M. Muller m'a embauché et qu'il m'a fait visiter l'usine, c'est d'ailleurs également par l'orifice de sortie du convoyeur qu'il m'a amené dans l'installation". (D 179).
Plusieurs autres travailleurs intérimaires ont confirmé cette version; seul, M. Muller conteste ce fait et déclare : "En ce qui me concerne, je ne suis jamais rentré par cet orifice, sauf avant le démarrage de l'installation quand nous n'avions pas la clé pour pénétrer par la porte". (D 181).
Notons, en fait, que la porte métallique, intégrée dans la chaîne de sécurité, n'était pas munie de verrou. Dans un premier temps, le seul moyen de la maintenir fermée fut une caisse à outils remplacée plus tard par... un balai. (D 206)
La rusticité des moyens utilisés, pour maintenir en position fermée, une porte dont les contacteurs sont incorporés dans la chaîne de sécurité de l'irradiateur est particulièrement surprenante.
3. Les conséquences de l'exposition accidentelle
3.1. - Les équivalents de doses reçus
Les films dosimètres réglementaires, portés par les trois personnes accidentées, n'ont fait l'objet d'un développement qu'après l'apparition, chez les trois accidentés, des premiers symptômes d'irradiation aiguë.
Les équivalents de dose mesurés se situent aux limites du noircissement total des films dosimètres utilisés habituellement. Aussi, les valeurs fournies par le LCIE (3) et reproduites dans le tableau ci-après ne sont que des approximations.
En outre, ces valeurs ne représentent pas les doses maximales subies, dans la mesure où, durant les périodes où MM. Leroy et Nespola ont passé la tête sous le scanner, le dosimètre (porté à la poitrine) n'était plus soumis au faisceau primaire des électrons accélérés.
Résultats dosimétriques des trois accidents d'EBS Forbach
Equivalents de dose exprimés en millisieverts et en (rem)
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Leroy Daniel (1) |
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Nespola Giovanni (2) |
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Biès Jean-Marc (3) |
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Nota:
1) Leroy Daniel - "Manutentionnaire" de Manpower - Contrat du 06/08/91 au 31/08/91 (film porté du 06/08/91 au 19/08/91)
2) Nespola Giovanni - "Manutentionnaire" de Manpower - Contrat du 01/08/91 au 09/08/91 renouvelé du 10 au 31/08/91 (film porté du 05/08/91 au 14/08/91)
3) Biès Jean-Marc - "Opérateur" de Manpower - Contrat du 29/06/91 au 02/08/91 avant son embauche à EBS
4) L'équivalent de dose de 9900 millisieverts (990 rems) attribué à Leroy en août 91 et figurant sur le relevé dosimétrique du LCIE correspond, en fait, à la valeur maximale qui peut être imprimée par le programme d'impression de résultats dosimétriques du laboratoire. La valeur de 40 000 millisieverts (4 000 rems) résulte d'une évaluation effectuée par référence à une source de strontium 90.
5) Les limites réglementaires d'équivalents de dose, définies par le décret du 02/10/86 sont :
- 500 millisieverts par an (50 rem/a) pour la peau
- 50 millisieverts par an (5 rem/a) pour l'organisme entier
3.2. - Effets des rayonnements et doses reçues
En cas d'irradiation par les électrons de 1,7 MeV du faisceau direct de tout ou partie de l'organisme, les dommages occasionnés dépasseront très largement la couche basale de l'épiderme, qui se trouve en moyenne à 7/100 de millimètre de la face externe de la peau, compte tenu du parcours maximal des particules égal à 0,8 cm.
De la dose reçue en "surface" dépendront les effets occasionnés à la peau et aux tissus qui en sont proches. De la dose reçue en "profondeur" dépendront les dommages subis par les tissus et organes situés à l'intérieur de l'organisme.
Les organes et tissus "externes"
L'équivalent de dose requis pour la chute des cheveux est de l'ordre de 4 sieverts (400 rems) environ, délivrés au niveau de la racine (3 à 5 mm de profondeur). La brûlure au 2e degré est atteinte entre 16 et 20 sieverts (1600 à 2000 rems) en exposition unique. La nécrose des tissus survient vers 25 sieverts (2500 rems).
Malgré une certaine imprécision, due notamment à la variabilité des réponses individuelles, les dommages ainsi occasionnés et leurs délais d'apparition permettent une "dosimétrie biologique".
Les brûlures ainsi que la perte des cheveux se manifestent généralement au bout de 2 à 3 semaines. Une apparition plus précoce témoigne d'une dose plus importante que la "dose seuil" à partir de laquelle le dommage se manifeste habituellement. La restauration s'effectue dans un délai de 3 à 6 mois avec des séquelles de gravité variable qui dépend notamment de l'atteinte du derme en profondeur.
Les ulcérations superficielles relèvent d'un traitement médical. Les ulcérations profondes et les nécroses relèvent d'une intervention et d'un traitement chirurgical.
Les organes et tissus "profonds"
Comme nous l'avons signalé, le parcours des électrons d'environ 1,7 MeV étant de l'ordre de 0,8 centimètre dans les tissus, les dommages occasionnés aux parties de l'organisme touchées par le faisceau direct, peuvent concerner des zones se trouvant entre les surfaces externes exposées et 0,8 cm de profondeur.
Par ailleurs, les électrons, en s'arrêtant dans la matière, produisent - avec un rendement qui se mesure en "pour mille" - des photons gamma dont l'énergie varie entre zéro et l'énergie maximale des électrons. C'est pour atténuer ce type de rayonnement relativement pénétrant que l'accélérateur est placé dans une casemate en béton dont les murs ont 1,8 m d'épaisseur.
Ainsi, en pénétrant dans la salle, même si l'intensité du faisceau était réduite, un intervenant peut recevoir, au niveau de l'organisme entier, une dose "gamma" relativement importante, même sans passer sous le "scanner". La dose reçue sera d'autant plus élevée que la personne sera proche de la source de production (parties métalliques du convoyeur et sol se trouvant à l'aplomb du scanner) et que le temps d'exposition sera important.
L'analyse du taux d'aberrations chromosomiques effectuée sur un prélèvement de sang permet de donner une valeur de la dose moyenne reçue par le corps entier, en profondeur.
Seule une reconstitution - non réalisée -, menée au moyen de "fantômes" (mannequins articulés constitués de squelette humain entouré de matière plastique équivalente aux tissus humains) aurait permis de déterminer la variation de la dose en profondeur, et, compte tenu du témoignage des accidentés, d'évaluer les fourchettes de dose les plus probables délivrées à divers tissus ou organes (cristallin de l'oeil, thyroïde, poumon, moelle rouge, etc.). Notons également qu'aucune cartographie des rayonnements dus au courant "sombre" n'a été effectuée et que cette absence totale de reconstitution dosimétrique est anormale et injustifiée.
Après arrêt de la source, la réduction du débit de dose des électrons conduit certes à une diminution proportionnelle du débit de dose dû aux photons, mais il est nécessaire de connaître le débit photonique résiduel en divers points de la casemate. Seule, une reconstitution aurait pu fournir des données, même approximatives, sur la dose délivrée aux organes des trois intervenants et sa distribution.
3.3 - Les atteintes sanitaires observées sur les accidentés
M. Biès Jean-Marc remarque, après le 15/08/91, une coloration anormale des deux mains et du front. Il pense à un "coup de soleil". Peu de temps après, il perd ses cheveux progressivement sur le haut du crâne. Il poursuit cependant son travail jusqu'au 28/08/91. Il constate alors la présence d'un phlyctène de la main droite (soulèvement de la peau sous laquelle se trouve un liquide translucide). Il se rend chez le médecin du travail. L'atteinte gagne ensuite les deux mains et avant-bras puis le thorax et le front.
Les brûlures radiologiques couvrent 12 à 14 % de la surface cutanée, mais elles n'ont pas nécessité d'autogreffe.
Il est hospitalisé le 09/09/91 pour un syndrome dépressif (D 40) dû au sentiment de culpabilité : "névrose post traumatique de type anxio-dépressif" devait préciser à la barre le Pr. Jean Guillebaud de l'hôpital Percy de Clamart : "C'était sérieux, et il était à la limite de la prostration".
De décembre 1991 à janvier 1992, les cheveux de M. Biès ont repoussé, mais l'atteinte psychique persistait encore à la date du procès où il a déclaré : "j'ai contacté une quarantaine d'employeurs, mais sans résultat. Je suis aux ASSEDIC et bientôt en fin de droit. J'ai le profil d'un chef d'équipe qui a envoyé deux de ses gars à la mort".
M. Nespola Giovanni a ressenti des démangeaisons au cuir chevelu dès la fin de son intervention qui a duré environ 1/4 d'heure. Rapidement, il perd ses cheveux puis est anormalement bronzé. Le 19/08/91 il est en arrêt de travail. Le 24/08, il est admis à l'hôpital des grands brûlés de Freyming-Merlebach avant d'être transféré, le 27/08 à l'hôpital militaire Percy de Clamart
"Les cloques descendaient dans le dos
et le long du tronc" devait-il déclarer lors du procès
à Sarreguemines. Il sort de l'hôpital le 04/11/91,
après avoir subi des greffes de peau. Les brûlures
radiologiques ont concerné 20 à 25 % de la surface
du corps et son bras droit lui fait encore mal : "J'ai subi
des greffes et j'ai du mal à lever le bras. Je prends beaucoup
de médicaments et je suis très nerveux. J'ai une
allergie au soleil et je dois porter des lunettes fumées
car j'ai des éblouissements à la lumière
avec mon oeil droit."
A la demande du Président du Tribunal, il ôte sa
casquette: les 2/3 du crâne sont chauves avec une large
tache brunâtre. Les cheveux n'ont repoussé que sur
la tempe gauche et la nuque. M. Nespola parle ensuite de ses troubles
du sommeil : "Je reste jusqu'à 2 heures du matin devant
la télé. Je repense à cela depuis toujours,
c'est plus fort que moi ! " Puis, désignant du doigt
les trois inculpés : "Je n'ai jamais revu ces gens
! rien de rien ! pas un mot d'excuses. Ils ne sont même
pas venus me voir. C'est dur!" Le Dr. Guillebaud précise:
"Nespola avait un érythème puis des brûlures
étendues et profondes. Il présente maintenant les
signes d'une névrose post-traumatique. Il faut désamorcer
cela très vite !"
M. Leroy Daniel est la victime la plus gravement touchée. C'était un solide gaillard de 80 kg qui n'en pèse plus que 60 aujourd'hui. Il a été hospitalisé le 27/08/91 à l'hôpital Percy et n'en est sorti la première fois que le 07/08/92.
Arrivé à Percy, il était brûlé à 25 % au 2e et 3e degré. Puis, précise le Dr. Guillebaud : "Les brûlures se sont étendues progressivement sans que l'on puisse prévoir où elles allaient se manifester. Il a fallu attendre jusqu'au 22/10/91 pour tenter la première autogreffe, car on craignait de prélever une zone lésée."
M. Leroy était placé, les 6 premiers mois, en chambre stérile. Les pansements et les bains, effectués tous les 3 jours, nécessitaient une anesthésie totale de deux heures. Ensuite, les soins étaient entrepris au moyen d'une anesthésie locale afin de réduire les risques.
Nous apprenons également qu'il est resté 6 semaines dans le coma : "J'étais mort artificiellement, pendant 6 semaines" devait-il confirmer personnellement au Président du Tribunal.
La surface corporelle a été brûlée à 60 %.
Les brûlures touchaient la tête, le tronc, les épaules, la jambe gauche de bas en haut, la cuisse droite, les deux bras.
Son état s'est à nouveau aggravé depuis le 21/03/93 et il a, pour l'instant, perdu l'usage de ses jambes. Le bras droit est également très atteint, tandis que les doigts sont recroquevillés du fait de la sclérose des tendons et des muscles. Il a subi au total 13 greffes et l'on observe encore, une vingtaine de mois après l'irradiation, des rejets de greffe qui témoignent d'une atteinte des tissus profonds.
"Aujourd'hui encore, je sens comme une brûlure, comme si j'avais du feu dans les jambes ou que l'on me pique avec des aiguilles. Je ne peux plus marcher. J'ai des agrafes de partout sur les cuisses."
M. Leroy est totalement chauve et le quart supérieur du pavillon des oreilles a été brûlé. Il est à nouveau en chambre stérile.
La dosimétrie biologique a montré, lors de son hospitalisation en août 1991, une chute des plaquettes et une augmentation du taux d'aberrations chromosomiques, mais, selon le Dr. Guillebaud, ces signes s'observent également chez les grands brûlés thermiques.
Daniel Leroy est incontestablement très sévèrement atteint par des doses délivrées à une partie très importante de l'organisme, et notamment les bras et les jambes, et des manifestations de rejets tardifs de tissus profonds ne peuvent être exclues aujourd'hui.
C'est probablement sa constitution robuste au moment de l'accident qui lui doit d'être en vie aujourd'hui.
4. La réglementation pour la protection des travailleurs
4.1. - Dispositions prévues mais non respectées
Les exploitants de ce type d'installation sont principalement concernés par le décret du 2 octobre 1986 relatif à la protection des travailleurs contre les dangers des rayonnements ionisants.
Il est certain que plusieurs dispositions importantes prévues par ce texte n'ont pas été respectées par la Société EBS. Il s'agit là d'une somme caricaturale de manquements aux dispositions réglementaires. L'Inspection du Travail a d'ailleurs relevé au total 27 délits. En se limitant aux dispositions principales, il faut souligner :
- la violation de l'article 4 qui exige que les matériels, les procédés et l'organisation du travail soient conçus pour réduire les doses individuelles et collectives aussi bas que possible en dessous des limites réglementaires.
- la déclaration à l'Inspecteur du Travail de ce générateur électrique de rayonnements ionisants (art. 15 -1er §) qui la transmet au Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI) avec les informations qui l'accompagnent, n'a pas été faite.
- l'absence de désignation par l'employeur d'une personne compétente, laquelle doit avoir préalablement suivi avec succès une formation à la radioprotection (art. 17).
L'avocat de la Société EBS a confirmé qu'il n'avait pas été désigné de "personne compétente". Ceci est un point clé. En effet, c'est à cette personne qu'il revient, entre autres :
- de procéder à l'analyse périodique des postes de travail exposés,
- de veiller au respect des mesures de protection contre les rayonnements ionisants,
- de recenser les situations ou les modes de travail susceptibles de conduire à des expositions exceptionnelles ou accidentelles des travailleurs,
- de participer à la formation à la sécurité des travailleurs exposés.
- les signalisations appropriées (prévues par l'article 24) destinées à informer les travailleurs des risques d'irradiation lorsque la machine fonctionne, sont rédigées en langue anglaise (d'après les photographies publiées par "Le Républicain Lorrain": "Irradiation Area when Flashing").
- l'absence de formation et d'information des intervenants. En effet, l'employeur est tenu d'organiser la formation à la radioprotection des travailleurs exposés et doit remettre une notice écrite à tout travailleur affecté ou appelé à pénétrer occasionnellement dans la zone contrôlée (art. 19).
Cette notice doit l'informer :
- des dangers présentés par l'exposition aux rayonnements ionisants et ceux présentés par son poste de travail,
- des moyens mis en oeuvre pour s'en prémunir,
- des méthodes de travail offrant les meilleures garanties de sécurité,
- le débit d'équivalent de dose auquel s'exposeront les travailleurs doit être calculé et vérifié avant l'exécution de travaux sur les générateurs électriques de rayonnements ionisants (art. 27)
- le contrôle avant la première mise en service de l'accélérateur (art. 29) n'a pas été réalisé
- les travailleurs affectés auprès de l'accélérateur, et classés en catégorie B, ont bien reçu un dosimètre individuel (comme le prévoit l'article 24 - § 11) mais n'ont pas eu la "fiche d'aptitude", délivrée par le Médecin du Travail (art. 36), qui est nécessaire pour être affecté à des travaux les exposant aux rayonnements ionisants. L'examen médical réglementaire, effectué le 20 août 1991 pour MM. Leroy et Nespola a été postérieur à l'accident.
En outre, compte tenu du fait que les rayonnements ionisants produits par l'accélérateur d'électrons sont susceptibles d'induire des maladies professionnelles (qui figurent au Tableau N° 6), l'employeur devait, conformément aux dispositions du Code de la Sécurité Sociale (art. L. 461-4), en faire la déclaration à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie-CPAM - et à l'Inspecteur du Travail. Cette déclaration doit être faite avant le commencement des travaux (art. R 461 - 4 du CSS). Cette disposition n'a pas été respectée.
Les dispositions relatives au travail temporaire ont également fait l'objet d'une violation importante, dans la mesure où les travaux comportant l'exposition au fluor gazeux et à l'acide fluorhydrique figurent sur la liste des travaux interdits aux travailleurs intérimaires (arrêté du 08/10/1990)
Le fait que de tels manquements graves à la législation existante puissent se produire, montre la nécessité de mettre en place des dispositions complémentaires.
4.2. - Dispositions supplémentaires possibles
Outre la déclaration que le détenteur d'un générateur électrique de rayonnements ionisants doit faire à l'inspecteur du Travail (art. 15), il serait utile de prévoir, par exemple, que ceux qui vendent un appareil neuf, ou cèdent (à titre gratuit ou onéreux) un appareil usagé, lors d'une liquidation judiciaire, fassent également une déclaration séparée à l'inspecteur du Travail. Il serait également souhaitable de prévoir des dispositions particulières, pour ceux des appareils et leurs installations qui constituent des ensembles à "hauts risques" (même potentiels).
Par exemple, on pourrait, dans le décret du 2 octobre 1986 prévoir des dispositions particulières aux générateurs électriques de rayonnements utilisés en tant qu'irradiateurs industriels. Elles viendraient s'ajouter aux dispositions particulières prévues pour d'autres sources de rayonnements (comme les générateurs de rayonnements X, les sources scellées ou les sources non scellées).
On pourrait, de surcroît, traiter de manière plus spécifique ces irradiateurs dans l'arrêté du 1er juin 1990 définissant les méthodes de contrôle.
1. Cotes du dossier du Tribunal Correctionnel de Sarreguemines
(19 au 22 avril 1993).
2. Ouverture, le 4 avril 1991, d'une procédure de redressement
judiciaire par le Tribunal de Grande Instance de Sarreguemines,
et liquidation judiciaire décidée le 31 mai 1991.
3. LCIE = Laboratoire Central des Industries Electriques. Le LCIE
est un laboratoire agréé par le Ministère
du Travail pour effectuer la dosimétrie réglementaire
des travailleurs exposés aux rayonnements ionisants.
Références
(D 40): Rapport du docteur JULIEN Robert, Médecin légiste,
chirurgien expert près la Cour d'Appel de Metz (27/09/92)
(D 49): Procès verbal d'audition de M. Leroy Daniel (à
l'hôpital militaire Percy) - 06/11 /91
(D 50): Procès verbal d'audition de M. Nespola Giovanni
(à l'hôpital militaire Percy) - 06/11/91
(D 111) : Traduction du rapport de 57 pages rédigées
par M. Fontaine, ingénieur américain de la Société
"Hight Voltage" qui a installé l'accélérateur
"SAMSON" pour la Société Ionest
(D 117): Procès verbal d'audition de M. Letournel Eric
- 18/09/91
(D 119): Procès verbal d'audition de M. Bach Julien - 08/10/91
(D 152): Procès verbal d'audition de M. Thommet Eric -
11/91
(D 156): Procès verbal d'audition de M. Ohl Michel - 02/12/91
(D 179): Procès verbal d'audition de M. Biès Jean-Marc
- 21/01/92
(D 181) Procès verbal d'interrogatoire de M. Muller Patrick
- 13/02/92
(D 194) Procès verbal d'interrogatoire de M. Magnen Philippe
-12/03/92
(D 196): Procès verbal d'audition de M. Biès Jean-Marc
- 13/03/92
(D 206) : Procès verbal d'audition de M. Nespola Giovanni
- 12/05/92
(D 303): Procès verbal d'audition de M. Leroy Daniel (à
l'hôpital de Thionville) - 17/09/92
Chronologie des événements
- Janvier 1989 - M. MULLER apprend qu'un accélérateur
d'occasion est disponible chez "Vivirad".
- 20 janvier 1989 - Une société anonyme Ionest S.A.
est créée.
- 22 février 1989 - Achat de l'accélérateur
et de sa cuve - Vivirad signale les problèmes de non-conformité
de la cuve avec la réglementation française.
- 3 avril 1989 - La Direction Départementale de l'Equipement
émet un avis défavorable à propos de la démarche
de "permis de construire".
- L'Inspection du Travail, consultée en mai 1989, refuse
- puis accepte en août 1989, sous réserve de l'application
des textes réglementaires en radioprotection.
- Septembre 1989 - Installation de la machine.
- 20 février 1990 - Réception officielle.
- 8 octobre 1990 - Le PDG de Ionest cède ses parts.
- 27 décembre 1990 - L'Apave alsacienne signale l'absence
totale (électrique + pression) de conformité à
la réglementation.
- 11 mars 1991 Procès-verbal de la Drire.
- 31 mai 1991 - Liquidation judiciaire.
- Juin 1991 - M. Magnen achète le bâtiment, l'accélérateur
et le convoyeur. "Electron Beam Service" - EBS - est
créée.
- Juillet 1991 - Début de traitement de téflon.
- 17 juillet 1991- Incendie - première exposition de M.
Biès aux rayonnements.
- Mi-août 1991 - C'est l'accident grave
Le Canard enchainé, 28 avril 1993:
Irradier,
ça ne coûte pas cher
Le Monde, 24
avril 1993 :
Accélérateurs à risques
Le Monde, 24
avril 1993 :
La leçon de Forbach
Le Monde, 23
avril 1993 :
Les cicatrices des « irradiés de
Forbach » (en Pdf)
Libération,
20 avril 1993 :
Irradiés de Forbach: Procès d'une
sécuritée bafouée (en
Pdf)
Le 29 juin 1993, M. Deiss, Premier Juge, Président du Tribunal Correctionnel de Sarreguemines a donné lecture du seul dispositif de son délibéré car le jugement comporte 60 pages et aurait nécessité deux heures pour son entière lecture.
Nous regroupons ici ses principales décisions.
I. Sur l'action publique
La culpabilité est tout d'abord analysée du point de vue :
- de l'inobservation des règlements: inobservation de plusieurs dispositions du décret du 2 octobre 1986 (*) sur la protection des travailleurs contre les rayonnements ionisants ;
- inobservation de la loi du 12 juillet 1990 sur l'adaptation du régime des contrats précaires et de l'arrêté du 8 octobre 1990 pris en application de la loi (liste des travaux pour lesquels il ne peut être fait appel aux salariés sous contrat de travail à durée déterminée et aux salariés des entreprises de travail temporaire).
- des fautes de négligence, d'imprudence, de maladresse.
De cette analyse, il ressort les dispositions suivantes : Muller et Magnen sont déclarés coupables : du délit d'emploi irrégulier de main-d'oeuvre intérimaire;
- du délit d'emploi dangereux de main-d'oeuvre intérimaire;
- du délit de coups et blessures involontaires par négligence, maladresse et inobservation des règlements.
- Muller coupable du délit de violation des règles de sécurité en matière de travail;
- Magnen coupable du délit de violation des prescriptions de l'article 4 du décret 86-1103 du 02.10.86;
- Roche coupable du délit de coups et blessures involontaires par négligence.
- Muller Patrick à 1 an de prison avec 6 mois de sursis et 20 000 F d'amende;
- Magnen Philippe à 1 an de prison avec sursis et 20000F d'amende;
- Roche Michel à 6 mois de prison avec sursis et 20000 F d'amende.
On notera que, dans son délibéré, le Président a précisé le sens juridique qu'il donne aux mots "négligence" et "imprudence":
a) négligence:
"Constitue une négligence le fait
pour une personne normalement diligente, attentionnée,
prudente et désireuse d'entreprendre de ne pas se documenter,
se renseigner, se former et perfectionner ses connaissances tant
à l'égard de l'acte qu'elle envisage d'entreprendre
que de ses éventuelles conséquences sur elle-même,
soit à l'égard des tiers.
Attendu que constitue également une négligence
fautive le comportement d'un professionnel qui, en présence
de plusieurs moyens technologiques possibles ne met pas en
oeuvre le plus approprié et le plus fiable ou cautionne
des moyens empiriques."
b) imprudence:
"Est constitutif d'une imprudence le comportement qui consiste pour une personne normalement diligente de ne pas prévoir les conséquences dommageables de l'acte qu'elle accomplit, de ne pas envisager qu'elles peuvent se produire, de ne pas prendre les précautions nécessaires pour les empêcher de survenir."
II Sur la responsabilité civile de la société
anonyme EBS
La S.A. EBS est déclarée civilement responsable de MM. Magnen et Muller. Elle est condamnée à garantir le paiement des amendes, des frais de publication et d'affichage, des droits fixes de procédure, des indemnités civiles à la charge de Magnen et Muller.
III. Sur les actions civiles
En ce qui concerne Daniel Leroy et Jean-Marc Biès
- condamne Roche à leur payer 1 franc à titre de dommage et intérêts et donne acte des réserves de Leroy quant à son préjudice moral futur.
En ce qui concerne Giovanni Nespola, Daniel Leroy et Jean-Marc Biès :
- condamne Magnen, Muller et Roche solidairement à leur payer 25 000 F HT au titre des frais irrépétibles de justice ainsi qu'aux entiers dépens de l'action civile.
En ce qui concerne Jules Leroy (père de Daniel) et Elisabeth Leroy (mère) :
- condamne Muller, Magnen et Roche à payer solidairement à chacun d'eux: 182 101 F à titre de dommages et intérêts ;
- donne acte de leurs réserves quant à leur préjudice matériel futur ;
- condamne Muller, Magnen et Roche à payer solidairement à chacun d'eux 5 000 F HT au titre des frais irrépétibles de justice.
En ce qui concerne la CGT-FO:
- déclare le syndicat recevable dans sa constitution de partie civile contre Magnen et Muller et la S.A. EBS et condamne solidairement ces personnes à payer:
- 1 franc au titre des dommages et intérêts
- 25 000 F HT au titre des frais irrépétibles de justice.
En ce qui concerne l'Union Locale Interprofessionnelle CFDT et la Fédération des Services CFDT:
- déclare les syndicats recevables dans leur constitution de partie civile contre Magnen, Muller et la S.A. EBS et condamne solidairement ces personnes à payer à chacun des syndicats :
- 1 franc au titre des dommages et intérêts
- 12 500 F HT au titre des frais irrépétibles de justice
- aux entiers dépens de justice.
- autorise la publication du présent jugement à l'initiative des syndicats CFDT dans deux journaux de diffusion régionale et un journal de diffusion nationale. Le coût maximal est fixé pour chaque syndicat à 30 000 F mis à la charge de Magnen, Muller et la S.A. EBS.
En ce qui concerne la CGT :
- déclare le syndicat recevable dans sa constitution de partie civile contre Magnen et Muller et condamne solidairement ces personnes à payer:
- 1 franc à titre de dommages et intérêts
- 25 000 F HT au titre des frais irrépétibles de justice
- autorise la publication du présent jugement à l'initiative de la CGT dans deux journaux de diffusion régionale Alsace - Lorraine et un journal de diffusion nationale. Le coût maximal est fixé à 30 000 F.
En ce qui concerne l'Union Départementale CGT de la Moselle et le Syndicat des Entreprises de Travail Intérimaire CGT:
- déclare les syndicats recevables dans leur constitution de partie civile à l'égard de Magnen et Muller;
- condamne Magnen et Muller à verser à chacun des syndicats :
- 1 franc à titre de dommages et intérêts
- 12 500 F au titre des frais irrépétibles de justice.
En ce qui concerne la CPAM de Sarreguemines:
- déclare que le présent jugement lui est opposable.
Les trois personnes condamnées ont interjeté appel dans les 10 jours qui ont suivi le délibéré du 29 juin 1993.
* Une importance toute particulière a été apportée au non respect de l'article 4 qui prévoit que "les matériels, les procédés et l'organisation du travail doivent être conçus de telle sorte que les expositions professionnelles soient maintenues aussi bas qu'il est raisonnablement possible en dessous des limites prescrites par le présent décret".
Gazette Nucléaire n°133/134, mars 1994.