Toute la radioactivité accumulée
sur le site de Tchernobyl commence à contaminer les nappes
souterraines. Pour stopper la contamination de la rivière
Pripyat des travaux importants ont été réalisés
dès mai 1986: construction de digues et d'un mur souterrain
pour empêcher les eaux provenant de la zone proche du réacteur
d'atteindre la rivière. Plus d'une centaine de barrages
de filtrage ont été construits sur l'ensemble des
rivières pour éviter la migration des radionucléides
vers le lac réservoir de Kiev. Le résultat est un
échec car, pendant les crues, les sédiments contaminés
passent par-dessus les barrages et se redéposent en aval.
Certains barrages ont dû être détruits car
ils perturbaient trop fortement le niveau des eaux des rivières.
Le Pripyat est pratiquement perdu et tous les cours d'eau de la
région transportent des limons contaminés vers le
Dniepr et donc vers la mer Noire via le réservoir de Kiev.
Ces informations alarmantes furent données par le directeur
du laboratoire agricole de Polésie A. Volkov* et
publiées dans les Izvestia du 26 mars 1990 mais restèrent
sans écho.
Désormais la contamination du bassin hydrographique fait
partie des préoccupations du gouvernement ukrainien. Le
ministre des Affaires de Tchernobyl a exprimé récemment
ses inquiétudes concernant la contamination possible des
nappes phréatiques par les quelques 800 dépôts
sauvages situés à proximité du réacteur.
En avril-mai 1986, il fallait parer au plus pressé et on
s'est débarrassé sans précautions spéciales
de toutes sortes de matériaux radioactifs qui rendaient
impossible l'approche du réacteur en détresse. « C'est
un problème sérieux » dit le ministre(1).
Mais d'après Jaurès Medvedev le lessivage du site
par les eaux de pluie a déjà contaminé
les eaux souterraines(2). Le ministre admet
que les eaux du Dniepr qui alimentent en eau potable plus de 32
millions de personnes en Ukraine « ont été
considérablement contaminées(1) ».
Ainsi, la mer Noire où se jette le Dniepr n'a guère
de chance d'échapper à la contamination.
Depuis l'indépendance, il ne semble pas que le gouvernement
ukrainien ait réclamé auprès de Moscou les
données concernant la contamination de l'eau « potable »
de Kiev pendant les semaines qui ont suivi la catastrophe. Pourtant
il est certain que la contamination a été notable.
Elle a touché une zone urbaine de 3 millions d'habitants
et est une des composantes majeures pour établir le bilan
de l'excès de mortalité à long terme par
cancers de cette population. Le contentieux entre l'Ukraine et
la Russie est lourd mais assez étrangement Tchernobyl ne
fait pas partie du contentieux officiel entre les deux pays. Ceci
n'est paradoxal qu'en apparence. Débattre publiquement
de ce genre de problème avec les gens concernés
déclencherait des « turbulences »,
et la maîtrise des turbulents est une nécessité
de la gestion des accidents majeurs(3).
Tchernobyl bouleverse bien des concepts : c'est le cadavre
qui dévore son sarcophage, les digues sont bâties
en sous-sol pour protéger les rivières, et maintenant
c'est à l'extérieur de l'« abri »
que les gens espèrent être protégés !
Extrait de Tchernobyl une catastrophe
Bella et Roger Belbéoch,
Edition Allia, 1993.
1. Nucleonics Week, 7 mai 1992.
2. Zh. Medvedev, Nuclear Engineering International,
avril 1991.
3. « Dans ce contexte de haute turbulence, la mise
en relation - la communication - devient un facteur stratégique
de première importance. Communications internes aux organismes
concernés, communications entre organisations, communications
vers le public à travers les médias (ou par voie
directe dans les cas d'urgence extrême) : l'expérience
montre la nécessité de maîtriser ces multiples
lignes d'information », Patrick Lagadec, (Laboratoire
d'économétrie de l'École Polytechnique),
« Stratégie de communication en situation de
crise », Annales des Mines, oct.-nov. 1986. (Remarque :
« maîtriser » signifie « se
rendre maître de ».)
* "Je connaissais cette zone, la plaine de Polessié, bien avant, parce que pendant de nombreuses années j'ai étudié à des fins économiques les effets écologiques de l'industrialisation et de l'assainissement dans le bassin de la rivière Pripiat, où l'accident s'est produit. Je savais que c'était une région très vulnérable, car il y a beaucoup de marécages, énormément d'eaux souterraines et d'eau de surface et une grande mobilité hydrométrique dans toute la région. En outre, ce bassin est étroitement lié au bassin méridional, où vivent 40 millions de personnes, jusqu'à la mer Noire, le long des barrages en cascade des centrales électriques du Dniepr. Et naturellement il peut y avoir ici une très grande mobilité de la contamination, parce que l'eau est abondante. Aujourd'hui, les eaux du Pripiat et du Soje, des affluents du Dniepr - Nesvitch, Ipout, Bessiad, Braguinka, Kolpita, Pokot - charrient le limon radioactif vers le Dniepr. La retenue d'eau de Kiev devient progressivement une "bombe à retardement". L'eau est propre, mais tout le limon "brille"; 60 million de tonnes de limon..."
A. Volkov,
extrait du livre: "Le
Crime de Tchernobyl - Le goulag nucléaire" de
Wladimir Tchertkoff.