Depuis plusieurs mois des interprétations fantaisistes
et qui travestissent complètement notre point de vue sur
l'urgence et la possibilité de sortie du nucléaire
circulent dans les milieux antinucléaires, qu'il s'agisse
de bulletins de comités de sites, de bulletins du Réseau
sortir du nucléaire, de revues, voire d'ouvrages retraçant
l'histoire du mouvement antinucléaire comme celui paru
récemment sur la lutte autour de Golfech.
Nous prenons l'opportunité de faire une mise au point sur
ce site web où l'on peut trouver le texte Sortir du nucléaire c'est possible, avant
la catastrophe. Redonnons ici la conclusion parue dans le
livre publié par les éditions L'esprit frappeur
(Paris, 1998) :
" Les désastres nucléaires ne sont pas
réservés aux pays de l'Est sinon pourquoi distribuer
de l'iode stable près des centrales nucléaires françaises ?
On peut sortir du nucléaire sans attendre la catastrophe
et ses conséquences dramatiques par l'arrêt des exportations
d'électricité, l'utilisation maximum de l'hydraulique
et de nos centrales électriques au fioul et charbon qu'EDF
s'apprête à démanteler pour rendre le nucléaire
irréversible. Mettre fin au danger nucléaire n'est
pas un problème technique mais politique qui dépend
de l'exigence de la population vis-à-vis de ses élus ".
On dit que l'histoire ne se répète pas mais
qu'elle bégaie. Ceux qui, en 1981, ont cru en l'arrivée
au pouvoir des socialistes ont subi à Paris les grenades
lacrymogènes qui ont dispersé la manifestation nationale
antinucléaire d'octobre 1981. Certes, la centrale de Plogoff
disparaît du programme nucléaire, (la lutte à Plogoff a été
particulièrement chaude s'apparentant à une guérilla)
mais l'extension de La Hague va se faire malgré les promesses
électorales et le démarrage de nouvelles centrales
a suivi.
L'arrivée de la gauche au pouvoir avec une ministre verte
au gouvernement nécessite obligatoirement des compromis
de la part des Verts. On a déjà vu ce qui s'est
passé en Allemagne alors que le mouvement antinucléaire
y est plus fort que chez nous. Il est plus que jamais nécessaire
d'analyser la situation telle qu'elle est et souligner et abandonner
les leurres qui font que les antinucléaires ne sont pas
crédibles. Cela a l'avantage de " fermer les
impasses " comme nous le reprochait une amie antinucléaire.
Mais " fermer les impasses " pour ouvrir une
véritable réflexion pouvant aboutir à une
prise de conscience nécessaire à la solution politique
nous paraît indispensable.
Redonnons ci-après un résumé de nos positions paru dans la Lettre d'information du comité Stop Nogent d'avril-juin 1998, (numéro 80) et qui a été diffusé lors de plusieurs réunions antinucléaires.
Pourquoi ?
Il est nécessaire de préciser
la raison fondamentale d'un engagement antinucléaire. Il
ne suffit pas de mentionner les " risques d'accidents majeurs
" en introduction. Il est nécessaire d'expliquer ce
que cela signifie pour notre santé, pour notre société,
pour nos descendants. C'est la gravité des conséquences
de ces accidents majeurs qui est déterminante pour le choix
d'un scénario de sortie.
Quand on examine les textes officiels des commissions internationales,
européennes et les préoccupations administratives
en France, on se rend compte assez rapidement de l'ampleur possible
des désastres nucléaires. Tous ces experts se penchent
sur le problème : comment gérer ces catastrophes
au mieux des intérêts économiques ? Ce ne
sont pas les conséquences sanitaires qui les préoccupent
mais le désastre économique et les réactions
populaires. Ils se demandent comment anesthésier l'opinion
publique qui risque fort de déclencher des " turbulences
sociales " (rendant la gestion plus difficile) et comment
maîtriser ces turbulences.
On est loin des risques industriels classiques qui finalement
se gèrent assez facilement par nos technocrates. Il est
paradoxal de constater que ceux qui redoutent le plus ces "
risques nucléaires majeurs " se trouvent pour la plupart
chez les " responsables " et très peu parmi les
antinucléaires à part quelques individus taxés
assez rapidement de paranoïaques.
Si l'accident nucléaire est du même type qu'un accident
industriel classique, il est clair qu'il faut y porter remède
mais il n'y a pas lieu de s'affoler et on a du temps pour trouver
la meilleure solution. Par contre si l'ampleur des catastrophes
possibles est hors mesure, alors il est suicidaire de chipoter
sur les moyens de s'en sortir : on est dans une urgence extrême.
Les déchets de l'industrie nucléaire posent un autre problème, celui des générations futures. Il est nécessaire à ce sujet d'abandonner quelques fantasmes bien réconfortants pour nous qui avons accepté sans grande résistance cette énergie productrice de ces déchets redoutables pendant des millénaires. Les déchets que nous avons produits sont là et aucune voie n'est en vue pour les éliminer, les anéantir. Il nous faut admettre que nous avons porté atteinte à nos descendants, que nous les chargeons d'un fardeau qu'ils n'ont pas voulu. Du point de vue sanitaire, la recherche d'un stockage à moindre mal est bien sûr absolument nécessaire, mais il y aura du mal, des " détriments " comme disent les experts. L'arrêt de la production de ces déchets semble alors une obligation morale. Cet arrêt implique l'arrêt de la production électronucléaire. Retarder cet arrêt pour satisfaire à des critères secondaires c'est accepter de menacer nos descendants par encore plus de déchets.
Il paraît indispensable de s'interroger pour savoir comment nous avons été amenés dans cette impasse immorale. Qui nous y a conduits ? Quels arguments avonsnous acceptés pour laisser les décideurs sociaux tranquilles ? Ceci serait très utile car de nouvelles menaces pointent, développées par le même type de décideurs, appuyées par les mêmes corps intermédiaires qui nous ont bernés avec le nucléaire.
Enfin, appuyer notre engagement antinucléaire par des arguments économiques, entrer en polémique avec EDF et ses nucléocrates sur le coût du kilowattheure ou sur le coût de l'uranium ne peut qu'affadir l'argument fondamental de la catastrophe nucléaire.
Quand ?
L'importance des conséquences d'accidents
graves possibles implique l'urgence de la sortie du nucléaire.
Le choix des moyens pour cette sortie et les délais correspondants
doivent être confrontés à l'ampleur des conséquences
de l'accident. Prendre en compte la nécessité pour
EDFd'amortir les investissements considérables effectués
pour développer son parc nucléaire et n'exiger la
mise à l'arrêt des réacteurs qu'après
les 25 ou 30 ans nécessaires c'est considérer que
ce serait un gaspillage financier de ne pas laisser les centrales
nucléaires rembourser leurs dettes. En somme ce serait
un gaspillage non justifié par les conséquences
sanitaires d'un accident nucléaire sur la population. Et
puis dans cette perspective de nécessité économique
pourraiton reprocher à EDF de faire fonctionner ses réacteurs
au delà de ces 25 - 30 ans (EDF veut faire fonctionner ses réacteurs
40 ans, voire plus) si cela s'avérait techniquement
possible ? L'électricité serait alors très
bon marché.
Certains partisans d'une telle sortie différée précisent
qu'en cas d'accident grave une sortie rapide serait possible.
La logique de cette conception est aberrante car elle conduirait
à souhaiter un accident rapidement pour sortir de l'impasse
nucléaire ! Là encore c'est négliger les
effets des accidents nucléaires, c'est les considérer
comme tout à fait acceptables.
Comment ?
En gros deux possibilités : utiliser
ce qui est disponible et opérationnel ou bien attendre
d'avoir des énergies propres en abondance.
Quelles sont les possibilités actuelles ? En dehors des
réacteurs nucléaires et des installations hydrauliques
la France possède une capacité de production électrique
importante à partir des combustibles fossiles (essentiellement
charbon et fioul, pratiquement pas de gaz).
En arrêtant les exportations d'électricité
et en tenant compte des économies réalisables si
l'on supprime l'autoconsommation nucléaire, on constate
que l'utilisation à plein rendement des installations thermiques
classiques à charbon et fioul conjointement à l'hydraulique
permettrait d'arrêter 70% du parc nucléaire français.
Le recours aux combustibles fossiles n'est certes pas une solution
idéale mais c'est la seule disponible à très
court terme. EDF a mis au point, pour l'exportation, des centrales
à " charbon propre " qui rejettent peu de polluants,
(le gaz carbonique qui contribue à l'effet de serre est
bien sûr inévitable, mais cette surproduction est
négligeable par rapport aux autres composantes, entre autres
les transports et l'agriculture). Les installations françaises
ne sont pas toutes équipées des derniers perfectionnements.
Cependant il faut comparer la pollution qui résulterait
de leur fonctionnement intensif avec la pollution du cycle nucléaire
de la mine d'uranium au stockage des déchets. Il faut surtout
faire la comparaison avec les conséquences sanitaires des
catastrophes nucléaires possibles. Bien sûr si l'on
considère ces conséquences comme anodines, alors
charbon et fioul ne sont guère acceptables. Dans ce cas
le nucléaire se trouverait parfaitement justifié
et l'existence d'une mouvance antinucléaire devient incompréhensible.
L'utilisation de turbines à gaz serait bien sûr plus
satisfaisante mais hélas il n'y en a guère en France.
C'est là, probablement, la voie possible la plus rapide
pour remplacer les 30% des réacteurs que l'on ne peut pas
supprimer par le recours à nos centrales thermiques à
charbon et à fioul.
Quand certains préconisent de remplacer le nucléaire
par des économies d'énergie et les énergies
renouvelables (vent, soleil), ils restent très vagues sur
les estimations quantitatives en kilowattheures. Seul semble important
le coût, qui, grâce aux progrès de la technologie,
devrait diminuer. La pensée unique économique règne
en maîtresse et non l'aptitude de ces technologies à
remplacer les gigawatts nucléaires. Même en escomptant
un très grand gain d'efficacité de ces installations
d'énergies renouvelables on serait encore très loin
du bilan de l'électricité consommée en France
et quelques économies d'énergie à faire d'urgence
ne changent guère le bilan. C'est une réduction
considérable de notre consommation d'électricité
qui serait nécessaire.
Insistons sur le fait que bien sûr nous ne sommes pas opposés
à l'utilisation des énergies renouvelables partout
où c'est possible. Ce que nous contestons c'est l'affirmation
qu'elles peuvent être une alternative à un remplacement
rapide du nucléaire. De même des économies
d'énergie ne peuvent qu'être bénéfiques.
Mais pour sortir rapidement du risque nucléaire nous n'avons
guère le choix et la solution existe : il faut recourir
aux énergies fossiles. Les nucléocrates d'EDF ont
bien perçu cette menace car ils mettent en place une politique
de démantèlement systématique des installations
thermiques au charbon et au fioul et cela dans l'indifférence
générale. Si cette politique aboutit, la sortie
rapide du nucléaire deviendra techniquement problématique
et il faudra compter parmi les responsables de cette situation
tous ceux, parmi les écologistes, qui diabolisent le charbon.
Bella et Roger Belbéoch, juin 1999.
Nota:
En 1998 EDF a démantelé 500 MW de centrales thermiques
classiques dont la centrale à charbon de Pont-sur-Sambre
de 250 MW. Aucune modernisation n'est envisagée comme celle
consistant à remplacer les chaudières à charbon
par des chaudières à lit fluidisé circulant
alors qu'on exporte et qu'on vise à exporter ces installations
(voir l'accord récent franco-ukrainien). Rappelons qu'EDF
vise à supprimer en tout 7600 MW pour ne garder que 10
GW (10000 MW) de thermique classique.
Laisser croire que l'énergie éolienne peut remplacer
l'électronucléaire est particulièrement irresponsable.
Le Danemark, pays ayant progressé le plus rapidement dans
le développement de cette énergie renouvelable,
produit son électricité avec une proportion de 74,2%
à partir de centrales à charbon (données
EDF 1998) et est le 1er pays émetteur de gaz carbonique
par habitant en Europe. Encore une fois cela ne veut pas dire
que nous sommes opposés au développement des énergies
renouvelables. Ce que nous dénonçons c'est l'escroquerie
de laisser croire qu'elles peuvent permettre une sortie rapide
du nucléaire en laissant EDF démanteler notre parc
thermique classique à fioul et charbon sans pour autant
développer les centrales à gaz quasiment inexistantes
en France pour l'instant.