Le Monde (Débat),
7 février 2007:
Le monde, notre planète, montre des
signes de changement indéniables de ses cycles naturels,
qui par ailleurs façonnent le cadre de toutes les formes
de vie actuellement présentes sur la Terre. Ces changements
sont clairement perceptibles, mais restent pour le moment limités.
La question fondamentale est de déterminer s'il s'agit
de fluctuations rares, qui vont s'estomper, ou à l'inverse
des premiers signes d'un changement global et profond qui s'est
amorcé et va s'amplifier.
Dans le second cas, il y a vraiment de quoi s'inquiéter,
et l'on a donc raison de le faire. Mais pour canaliser cette inquiétude,
dans une posture qui permette de passer de la prise de conscience
à l'action concentrée et efficace, il est essentiel
de faire le bon diagnostic sur la cause du phénomène.
Est-ce le résultat direct de notre mode de vie ? Ou bien
est-ce le résultat avant-coureur d'un nouveau bouleversement
climatique tel que la Terre en a déjà connu, et
qui, à chaque fois, a entraîné la disparition
de dizaines de milliers d'espèces, et cela sans intervention
humaine ?
Si nous sommes responsables, nous pouvons agir, et notre avenir
est entre nos mains. Par une réduction drastique de nos
émissions de CO2, d'ici une quinzaine
d'années, les saisons seront revenues rythmer la vie sur
Terre. La grande messe scientifique du Groupe intergouvernemental
d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), mandatée
par l'ONU, qui s'est tenue au siège de l'Unesco à
Paris vient de canoniser la thèse de notre responsabilité.
Mais si ce diagnostic sur la cause du réchauffement était
erroné et qu'il est indépendant de nous, alors c'est
irréversible, et le choix actuel nous fourvoie dans une
impasse dramatique, qui aboutira à la disparition totale
de l'espèce humaine. Car, alors qu'il faudrait démultiplier
la recherche fondamentale et appliquée des moyens qui nous
permettraient de vivre indépendamment des conditions climatiques
(même au prix de risques écologiques et éthiques
accrus), toutes nos énergies et ressources se trouveraient
réduites et contrôlées.
Mais que dit la science ? Elle constate à la fois un réchauffement
avéré et une augmentation de la quantité
de CO2 dans l'atmosphère, un point
c'est tout. Vouloir relier les deux constatations dans une relation
de cause à effet, sous le prétexte qu'elles sont
corrélées dans le temps, n'a présentement
aucune base scientifique. Ce n'est qu'une supputation faite à
partir de modèles limités qui laisse une grande
place à la libre interprétation. En effet, lorsqu'il
s'agit d'inférer un résultat global à partir
d'une collection de données diverses, éparpillées,
et incomplètes, il est impossible d'en garantir l'interprétation.
C'est alors la culture ambiante qui va faire le gros de l'explication
en comblant les vides, par une harmonisation sémantique.
Il s'agit en fait d'une recherche de non-contradiction avec les
faits, plutôt que d'une explication unique, fondée
sur les faits. Une vérité « partielle »
se transforme ainsi en vérité « absolue ».
Et si l'on insiste tant sur le caractère consensuel du
choix actuel de la cause humaine, c'est bien que les données
scientifiques ne sont pas suffisantes pour faire un diagnostic
indiscutable. C'est ainsi que pour conjurer tout doute sur la
cause humaine, un éditorialiste à l'accent intelligent
demandait récemment: « Tout le monde peut-il
se tromper ? », sous-entendant « forcément
non ». Malheureusement, la réponse est oui,
tout le monde peut se tromper !
Il suffit de voir la fiabilité de nos modèles
météorologiques actuels, qui en plus se sont considérablement
améliorés ces dernières armées, dans
leurs prédictions à quelques jours, pour se poser
la question de ce qu'ils peuvent vraiment dire sur des échelles
de dizaines d'années. C'est pareil pour les modèles
climatiques. On est encore loin d'une science exacte.
Il faut rappeler que la
preuve scientifique n'a pas besoin de l'unanimité pour
exister, elle s'impose par sa simple existence. Et à l'inverse
l'unanimité, fût-elle des scientifiques, ne fait
pas la preuve scientifique. Il faut donc garder à l'esprit
que la science et les scientifiques, en tant que groupe social,
ne disent pas forcément toujours la même chose, en
particulier pour les nouvelles découvertes.
Lorsque Galilée a conclu que la Terre était ronde,
le consensus unanime était contre lui, s'accordant sur
la platitude de la Terre. Mais lui avait la démonstration
de sa conclusion. De façon similaire, à l'époque
nazie la théorie de la relativité fut rejetée,
estampillée comme une théorie juive dégénérée,
avec à l'appui une pétition de grands scientifiques
de l'époque, qui signaient du haut de leur autorité
établie. Einstein aurait alors dit que des milliers de
signatures n'étaient pas nécessaires pour invalider
sa théorie. Il suffirait d'un seul argument, mais scientifique.
Encore fallait-il qu'il existe. La difficulté avec la question
du réchauffement est que s'opposer à sa cause plébiscitée
peut être perçu comme un soutien à la pollution,
ce qui est évidemment faux.
Mais la lutte contre la pollution s'inscrit plus dans une démarche
de bien-être que dans un objectif de survie. On peut vivre
dans la pollution... et mourir jeune, l'espèce humaine
n'en est pas pour autant menacée. Donc, s'opposer aux conclusions
du GIEC ne veut pas dire, loin de là, soutenir la pollution
et les gros bénéfices des sociétés
polluantes.
Bien sûr, la solution de la responsabilité
humaine est très rassurante, car, si elle implique de gros
sacrifices, ils sont clairement identifiés. La cause naturelle
extérieure est beaucoup plus angoissante, car il n'est
pas garanti du tout que nous puissions y faire face. Et en plus
les marches à suivre ne sont pas clairement définissables.
Rappelons-nous. Tout au long de l'histoire, nos ancêtres
étaient persuadés que les forces de la nature obéissaient
aux dieux, et que c'étaient nos errements qui entraînaient
leurs courroux, qui se manifestaient alors par des dérèglements
naturels. Pendant très longtemps, on a cru pouvoir les
stopper par des sacrifices humains et animaux. La science nous
a appris que cela n'était pas fondé, et voilà
que cette vieille croyance archaïque resurgit avec une vitalité
retrouvée, et qui en plus s'appuie sur les scientifiques
au nom de la science.
Et, comme dans les temps anciens, les nouveaux prophètes
nous annoncent la fin du monde et, comme autrefois, la cause en
est nos errements, concrétisés par nos abus de consommation.
Et pour calmer la « nature », ils demandent
encore des sacrifices, heureusement non vivants, mais matériels.
Il faudrait renoncer à notre mode de vie, en y incluant
la recherche scientifique et les progrès technologiques,
assimilés dans cette mouvance à tous les maux écologiques.
Et, très opportunistes, les politiques sont de plus en
plus nombreux à souscrire à leurs desiderata, pour
canaliser ces peurs archaïques qui commencent à se
refaire jour, et ainsi renforcer leur pouvoir.
Mais, attention, lorsque les scientifiques et les politiques font
bloc, ça ne présage en général rien
de bon... pour les humains ; voir les précédents
historiques: nazisme, communisme, inquisition (les docteurs sont
des théologiens). En conclusion, lutter contre la pollution,
pourquoi pas ? Mais si le réchauffement est naturel, ce
n'est vraiment pas la priorité.
Serge Galam,
Physicien au CNRS, membre du Centre de recherche en épistémologie
appliquée (CREA) de l'Ecole polytechnique.