[Certains des passages ou mots entre crochets sont des modifications
de l'article par Infonucléaire]
[...] Les 6 et 9 août 1945, les villes japonaises d'Hiroshima et de Nagasaki étaient littéralement "ramenées à l'âge de pierre" par l'explosion des premières - et seules - bombes atomiques jamais utilisées dans un conflit (voir Hiroshima et Nagasaki en Realvidéo 28 Kb). L'emploi d'armes aussi barbares était devenu indispensable - dit-on alors officiellement - pour arrêter la guerre et épargner des centaines de milliers de vies. Des documents récents démentent cependant cette thèse et révèlent que ces destructions, comme celle de Dresde le 13 février 1945, avaient pour objectif d'impressionner les Soviétiques, d'arrêter leur avance, et marquaient, en fait, le début de la guerre froide.
Le 7 mai 1945, lorsque le maréchal Jodl signa l'acte de capitulation de l'Allemagne nazie, son allié, le Japon impérial, n'était déjà plus que l'ombre de lui-même : son arme d'élite d'autrefois, l'aviation, ne comprenait plus qu'un petit nombre d'adolescents désespérés mais prodigieusement courageux, et dont la plupart étaient assignés à des missions kamikazes ; il ne restait pratiquement plus rien de la marine marchande et de la marine de guerre. Les défenses antiaériennes s'étaient effondrées : entre le 9 mars et le 15 juin, les bombardiers B-29 américains avaient effectué plus de sept mille sorties en subissant seulement des pertes mimimes.
Le 10 mars précédent, plus de cent vingt-cinq mille personnes avaient été tuées ou blessées lors d'un bombardement sur Tokyo. Un événement, seulement dépassé dans l'horreur par les trois raids des aviations anglo-canadienne et américaine sur Dresde, dans la nuit du 13 au 14 février 1945. Pour le patron de l'US Air Force, le général Curtis Le May, il s'agissait de "ramener le Japon à l'âge de pierre", métaphore qu'il répéterait sans cesse les années suivantes pour décrire la liquidation physique de dizaines de milliers de Coréens par ses chefs d'escadrilles.
Le Japon avait parfaitement compris ce que signifiait la dénonciation par l'URSS du pacte de non-agression signé entre les deux pays, et il n'avait pas oublié la défaite que le maréchal Joukov avait infligée à ses armées à la veille de la seconde guerre mondiale. Alors, pourquoi ce lancement d'une attaque nucléaire sur Hiroshima le 6 août 1945 ? Et, même en admettant le bien-fondé de la [destruction] imposée à cette ville, comment justifier la seconde démonstration de la capacité d'extermination effectuée trois jours plus tard à Nagasaki ?
Lire le Los Angeles Times du 7 août 1945.
Tout au long de sa présidence, Harry Truman affirma que les destructions d'Hiroshima et de Nagasaki avaient sauvé un quart de million de vies humaines (1), mais, après la fin de son mandat, il commença à jongler avec les chiffres. Les journalistes qui écrivirent les "Mémoires" du président citèrent, dans leur première version, le chiffre d'un demi-million de pertes (américaines et alliées), dont au moins trois cents mille morts. A la sortie du livre, en 1955, le total était passé à un demi-million de vies américaines sauvées et, en certaines occasions, Harry Truman alla jusqu'à parler d'un million (2).
Le chiffre mythique d'un demi-million avait bien pu apaiser la conscience de Truman ; mais, d'autres acteurs, non directement impliqués dans ce jeu, allaient l'utiliser à des fins beaucoup plus explicites. Winston Churchill avait ses propres raisons, liées aux perspectives de guerre froide, pour pratiquer l'escalade : Hiroshima et Nagasaki, selon lui, avaient sauvé un million deux cent mille [vies]. L'homologue britannique de Curtis Le May, le maréchal Sir Arthur Harris, surnommé bomber, confident de Churchill et exécutant de la destruction de Dresde, alla même jusqu'à parler de trois à six millions de pertes évitées (3).
Les doutes du général Eisenhower
TOUS les chercheurs sérieux savaient que les chiffres de Truman étaient fantaisistes, mais une étude des services secrets américains, découverte en 1988 dans les archives nationales des Etats-Unis, en apporte la confirmation (4). Ce document est certainement l'une des évaluations les plus étonnantes qui soient parues après la fin de la guerre. On y découvre que l'invasion de la principale île de l'archipel japonais, Honshu, avait été jugée superflue. L'empereur, observe le rapport, avait décidé, dès le 20 juin 1945, de cesser les hostilités. A partir du 11 juillet, des tentatives pour négocier la paix avaient été effectuées par le biais de messages à Sato, ambassadeur japonais en Union soviétique. Le 12 juillet, le prince Konoye avait été désigné comme émissaire pour demander à Moscou d'utiliser ses bons offices afin de mettre un terme à la guerre.
Le rapport secret conclut explicitement que c'est la décision de l'Union soviétique, prise le 8 août, d'envahir la Mandchourie occupée par les Japonais, et non pas les bombardements d'Hiroshima (6 août) et de Nagasaki (9 août), qui constitua le facteur décisif menant à la fin des hostilités : "Les recherches montrent que [au sein du cabinet japonais] il fut peu question de l'usage de la bombe atomique par les Etats-Unis lors des discussions menant à la décision d'arrêter les combats [15 août 1945]. Le lancement de la bombe fut le prétexte invoqué par tous les dirigeants, mais la chaîne des événements mentionnés plus haut donne à penser, de manière quasi certaine, que les Japonais auraient capitulé après l'entrée en guerre de l'URSS." La lecture des événements du 6 et du 9 août doit donc moins se faire en termes de fin des hostilités en Asie et dans le Pacifique qu'en termes de début de la guerre froide.
Le secrétaire d'Etat James Byrnes - qui, au Sénat, avait été le mentor de Truman avant que ce dernier n'accède à la présidence après la mort de Roosevelt le 12 avril 1945 - ne le cachait d'ailleurs pas. Leo Szilard, qui l'avait rencontré le 28 mai rapporte ainsi que "Byrnes ne prétendait pas qu'il était nécessaire d'utiliser la bombe contre les villes japonaises pour gagner la guerre. Son idée était que la possession et l'usage de la bombe rendraient la Russie plus contrôlable". Le mot-clé n'est ni "compromis" ni "négociation" mais "contrôlable". Ce que Truman confirma lui-même : "Byrnes m'avait déjà dit [en avril 1945] qu'à son avis la bombe nous permettrait de dicter nos conditions à la fin de la guerre."
La [destruction] d'Hiroshima et de Nagasaki servit donc de prélude et de prétexte à un déploiement mondial de la puissance économique et diplomatique américaine. Après l'explosion, couronnée de succès, de la première bombe atomique, le 16 juillet 1945, dans les sables du désert du Nouveau-Mexique, Truman avait décidé d'exclure l'URSS de tout rôle significatif dans l'occupation et le contrôle du Japon. Le même personnage, alors sénateur, répondant à Roosevelt qui plaidait pour un prêt-bail à une URSS en proie aux pires difficultés, s'était exclamé : "Si nous voyons que l'Allemagne est en train de gagner la guerre, il faudrait que nous aidions la Russie, et si la Russie est sur le point de l'emporter, il faudrait que nous aidions l'Allemagne, pour qu'ils s'entretuent le plus possible."
L'arme [de destruction] massive ne fit pas l'unanimité au sein du petit noyau des décideurs. A son grand honneur, le général Dwight Eisenhower nota dans ses Mémoires, lorsqu'il fut informé de son usage imminent par le ministre de la guerre, Henry Stimson : "Je lui fis part de la gravité de mes doutes. D'abord sur la base de ma conviction que le Japon était déjà battu, et donc que l'utilisation de la bombe était complètement inutile. Ensuite, parce que je pensais que notre pays devait éviter de choquer l'opinion mondiale en utilisant une arme qui, à mon avis, n'était plus indispensable pour sauver des vies américaines." De la même manière, le chef d'état-major, l'amiral William Leahy, un partisan du New Deal, écrivit : "Les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L'usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n'a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon." Les Etats-Unis, poursuivit-il, "en tant que premier pays à utiliser cette bombe ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du Haut Moyen Age" (5). En revanche, lorsqu'il fut informé de l'holocauste de Nagasaki, en revenant de la conférence de Potsdam, à bord du croiseur Augusta, Truman fit part de sa jubilation au commandant du bâtiment : "C'est la plus grande chose de l'histoire."
La revendication et la justification de [ces destruction] par le trio Byrnes-Truman-Stimson, que les médias répercutèrent dans les heures et les semaines qui suivirent, furent extrêmement payantes. Un petit mensonge avait été métamorphosé avec succès en un gros mensonge qui allait être presque universellement accepté et rendu moralement acceptable à l'opinion américaine et aux autres. C'est encore largement le cas.
Pourtant, même aux pires moments de la guerre froide, à la fin des années 40, des voix s'élevèrent pour le remettre en cause. L'une des premières contributions d'envergure fut celle du physicien britannique Patrick M. Blackett, de l'université de Londres, qui écrivit que "la bombe fut la première opération d'importance dans la guerre froide diplomatique" (6). Ce travail, et la publication, dans les années 50 et 60, de documents privés et d'archives américaines déclassées, constituèrent les bases de la monographie fondamentale de Gar Alperowitz (7).
Churchill reçut la nouvelle de la destruction des deux villes japonaises avec joie, en la parant de justifications mensongères. Il faut dire que c'était lui en personne - et non pas Sir Arthur Harris, chef du Bomber Command (la flotte aérienne de bombardement britannique), transformé plus tard en bouc émissaire - qui donna l'ordre de détruire Dresde, ville sans défense et dépourvue d'objectifs militaires. Pour reprendre les propos de Harris : "L'attaque de Dresde fut, à l'époque, considérée comme une nécessité militaire par des personnages plus importants que moi." On compta plus de cent vingt mille victimes. Ce raid exterminatoire n'avait rien à voir avec une aide apportée à "nos braves alliés soviétiques" - pour reprendre la formule familière du temps de guerre - d'autant que leurs troupes n'étaient plus, ce jour-là, qu'à 130 kilomètres de l'ancienne capitale des rois de Saxe. Il s'agissait plutôt d'une démonstration de force à l'égard de cet allié.
Novembre 1945, vue aérienne du coeur de la ville d'Hiroshima. Voir le documentaire officiel US: "Tale of two cities", War Department, Army-Navy 1946.
Au premier coup d'oeil, les photographies aériennes prises par les Mosquito de la RAF montrèrent que la destruction de la ville de Dresde n'avait aucune justification militaire. C'est seulement après le raid que les équipages des bombardiers s'en rendirent compte. Dans la grande vision churchillienne, Dresde et Hiroshima n'étaient qu'un élément de la stratégie plus globale de la guerre froide en train de naître. On aura une idée de l'état d'esprit du premier ministre britannique à la lecture du journal de lord Alanbrooke à la date du 22 juillet 1945 : selon Churchill, "nous avions désormais entre les mains quelque chose qui rétablirait l'équilibre avec les Russes. Le secret de cet explosif et la capacité de l'utiliser modifieraient complètement l'équilibre diplomatique qui était à la dérive depuis la défaite de l'Allemagne". Et lord Alanbrooke d'ajouter laconiquement : "Churchill se voyait déjà en mesure d'éliminer tous les centres industriels soviétiques et toutes les zones à forte concentration de population. Il s'était immédiatement peint une magnifique image de lui-même comme unique détenteur de ces bombes, capable de les lancer où il le voulait, donc devenu tout-puissant et en mesure de dicter ses volontés à Staline" (8).
Les années de guerre n'avaient pas changé la façon de voir de Churchill, mais seulement sa tactique et sa rhétorique. Profondément enracinée dans son esprit demeurait l'idée que "le bolchévisme n'est pas une politique, mais une maladie". C'est pourquoi on n'aurait pu rêver d'un meilleur tandem que Truman et Churchill pour le développement stratégique de la guerre froide. Le soir du 10 février 1946, ils se réunirent à la Maison Blanche pour discuter du discours que l'homme au cigare allait prononcer, le 5 mai suivant, à Fulton dans le Missouri, et dans lequel il lancerait l'expression de "rideau de fer". Non seulement ce manifeste de Fulton, qui formalisait le déclenchement de la guerre froide, fut couvert de louanges par Truman et son entourage, - particulièrement dans ses passages antisoviétiques où il préconisait une suprématie atomique américaine - mais on peut dire que ses ingrédients étaient une création anglo-américaine. Churchill discuta le contenu de son intervention en détail avec Truman le 10 février, avec Byrnes et le financier Bernard Baruch le 17 (9).
La diplomatie atomique de Truman, désormais couplée avec la base économique massive de la puissance américaine, ne se cristallisa pas seulement dans la doctrine Truman mais aussi dans l'incontrôlable course aux armements qui en constitua la séquelle, ainsi que dans les guerres coloniales contre les peuples luttant pour leur indépendance.
Nul besoin de sanctifier les exterminations d'Hiroshima-Nagasaki (ou, à cet égard, de Dresde) et de les élever à la hauteur d'événements mystiques. Elles constituèrent la synthèse d'une situation où des décisions vitales sont prises par un tout petit groupe d'individus, disposant d'énormes pouvoirs et agissant sur la base de prémisses erronées. Mais, de ces tragédies, il nous faut tirer des enseignements, toujours aussi pertinents, quarante-cinq ans après : compte tenu de la formidable complexité des relations internationales et de la capacité d'annihilation des armes nucléaires, nous n'avons pas d'autre choix que ceux de la souplesse, du compromis et de la négociation.
Frédéric F. Clairmont,
Le Monde Diplomatique, août 1990.
Notes :
(1) Voir les archives publiques de la présidence Public
Papers of the Presidents : Harry S.
Truman, Government Printing Office, Washington DC, 1965.
(2) Harry S. Truman, Mémoires, Years of Decision, vol.
1, Doubleday, New-York, 1955.
(3) Dudley Saward, Bomber Harris :
The Authorized Biography, Cassell, Londres, 1984.
(4) Voir The New York Times, 4 août 1989. L'étude,
découverte dans un dossier du ministère de la guerre,
sur "Les conversations américano-britanniques",
avait été élaborée au début
de 1946 par les spécialistes du renseignement de la division
des opérations, qui constituait alors l'échelon
suprême de la planification dans l'armée de terre.
(5) William D. Leahy, I Was There, McGraw Hill, New-York, 1956.
(6) Patrick M. Blackett, Fear, War and the Bomb :
Military and Political Consequences of Atomic Energy, Turnstile
Press, Londres, 1948.
(7) Gar Alperowitz, Atomic Diplomacy :
Hiroshima and Potsdam : The Use of
the Atomic Bomb and the American Confrontation with the Soviet
Power, Secker and Warburg, Londres, 1965.
(8) Ibid.
(9) Voir Fraser Harbutt, The Iron Curtain :
Churchill, America and the Origins of the Cold War, Oxford University
Press, 1986.
A voir :
Le documentaire de 1 heure en Realvideo 33Kb sur le bombardement atomique "Rain of ruin" qui bien qu'entièrement aligné sur les thèses officielles américaines (millier de vies américaines sauvées, refus du Japon de se rendre etc.) est très instructif sur la préparation et les infrastructures mises en place pour arriver aux bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki.
Nonfiction.fr,
1/12/07:
(Photos des journaux rajoutées par Infonucléaire)
Paul Tibbets, le pilote américain qui largua la bombe atomique sur Hiroshima en août 1945, est mort le 1er novembre, à l'âge de 92 ans.
Le 6 août 1945, alors jeune lieutenant-colonel de l'US Air Force, il était aux commandes du bombardier SuperFortress B-29 "Enola Gay" qui a largué, hors tests, la première bombe atomique de l'histoire de l'humanité. Paul Tibbets n'avait que 30 ans lorsqu'il décolla aux commandes du SuperFortress B-29 d'une base américaine dans les Iles Mariannes avec ses 11 membres d'équipage. Le bombardier avait été baptisé "Enola Gay", le prénom de la mère de Paul Tibbets.
Le premier test nucléaire s'était déroulé avec succès moins d'un mois plus tôt, le 16 juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique. Dès lors tout va aller vite. Le 24 juillet, le président Harry Truman approuve la décision de mener une campagne de bombardements atomiques contre le Japon jusqu'à sa capitulation. Le 31 juillet, Truman donne l'ordre de bombarder Hiroshima "dès que le temps le permet".
Les scientifiques avaient prévenu Paul Tibbets : l'avion devra voler à 31.000 pieds (9.448 mètres) et la bombe explosera à quelque 600 mètres d'altitude. Quarante-trois secondes s'écouleront entre le moment où "Little Boy" (le surnom de la bombe) quittera les soutes de l'appareil et la déflagration. Si l'équipage veut survivre, il devra s'être éloigné de quelque 12,8 km au cours de cette poignée de secondes.
Les douze hommes triés sur le volet qui grimpent à bord de l'Enola Gay, à 02H45 le 6 août 1945, sont équipés d'un parachute, d'un pistolet et d'un gilet de protection. Au commandant de bord, le médecin de la base remet une petite boîte contenant douze pilules de cyanure. Puis le chapelain fait une prière, on prend des photos. L'Enola Gay décolle.
Lorsque l'avion arrive au-dessus d'Hiroshima, le temps est dégagé et l'équipage voit distinctement la côte et les bateaux ancrés dans le port, puis le pont qui constitue l'objectif. Il est 08H15 à Hiroshima lorsque la bombe est larguée. Tibbets bascule immédiatement son avion dans un virage sur l'aile droite à 155 degrés. Seul Bob Caron, qui se tient à la place du mitrailleur de queue, est capable d'apercevoir la gigantesque boule de feu et de prendre des photos. L'avion est rattrapé par l'onde de choc, qui le secoue modérément. Puis tous voient le "champignon géant de couleur pourpre".
Paul Tibbets se retourne vers l'équipage: "Les gars, vous venez juste de larguer la première bombe atomique."
Le souffle, le feu et le rayonnement ont tué 140.000 personnes. Beaucoup d'autres ont été marqués et blessés à vie. La plupart des victimes de la bombe étaient des femmes, des enfants, des personnes âgées et des civils pas impliqués dans la guerre. On compte aussi parmi les vicitimes des prisonniers de guerre américains et alliés, ainsi que des milliers de Coréens contraints au travail forcé.
"Si Dante s'était trouvé avec nous dans l'avion, il aurait été terrifié", a raconté des années plus tard Paul Tibbets. "La ville que nous avions vu si clairement dans la lumière du jour était maintenant recouverte d'une horrible salissure. Tout avait disparu sous cette effrayante couverture de fumée et de feu."
De retour au sol, c'est l'enthousiasme général. Tibbets reçoit la Distinguished Service Cross.
Reçu bien plus tard à la Maison Blanche, Truman lui dira: "Ne perdez pas le sommeil parce que vous avez planifié et rempli cette mission. C'était ma décision. Vous n'aviez pas le choix."
Tibbets s'est glorifié tout au long de son existence de n'avoir jamais perdu le sommeil. Il est allé jusqu'à reconstituer le bombardement d'Hiroshima en 1976, lors une fête aérienne au Texas. Il a expliqué, avec constance, que la destruction d'Hiroshima, puis celle de Nagasaki, trois jours plus tard, étaient absolument nécessaires pour provoquer la reddition des Japonais et éviter ainsi une reconquête sanglante du Japon, île par île.
[Lire l'interview de Paul Tibbets dans Paris Match n°856 du 4 septembre 1965, à comparer au "cas" de Claude Eatherly le pilote de l'avion de reconnaissance d'Hiroshima.]
Tibbets a consacré une partie de sa vie a dénoncer les "révisionnistes" qui remettaient en cause la necessité et la moralité du bombardement des villes japonaises. Tibbets faisait valoir que cette décision cruciale avait alors recueilli un large consensus parmi les responsables militaires. À tort.
Le choix de larguer la bombe nucléaire sur Hiroshima ne faisait pas l'unanimité
Deux historiens, Leo Maley III et Uday Mohan, reviennent dans History News Network sur le débat qui a précédé la décision du Président Truman.
Ils rappellent que six parmi les sept généraux et amiraux les plus gradés ("wartime five-star officers") étaient réservés ou hostiles à l'usage de l'arme nucléaire.
L'amiral William Leahy, chef d'état-major particulier du Président Truman y était hostile. Il rapportera, en 1950, dans ses mémoires que "les Japonais étaient déjà battus et prêts à capituler. L'usage de cette arme barbare à Hiroshima et à Nagasaki n'a apporté aucune contribution matérielle à notre combat contre le Japon. En étant le premier pays à utiliser cette bombe, les États-Unis ont adopté des normes éthiques semblables à celles des barbares du Haut Moyen Âge. Je n'avais pas été formé à faire la guerre de cette manière. Les guerres ne peuvent pas être gagnées en détruisant les femmes et les enfants."
Le Général Eisenhower alors Commandant en chef des forces alliées en Europe s'opposa à l'utilisation de la bombe lors d'une réunion en juillet 1945 avec le Secrétaire de la guerre, Henry Stimson : "Je lui ai dit que j'étais contre pour deux raisons. D'abord, les Japonais étaient prêts à se rendre et il n'était pas nécessaire de les frapper avec cette chose terrible. En second lieu, je détestais voir notre pays être le premier à utiliser une telle arme."
L'amiral William "Bull" Halsey, commandant de la troisième flotte, qui avait conduit l'offensive américaine contre les "Home Islands" japonaises dans les derniers mois de la guerre, déclara publiquement en 1946 que "la première bombe atomique était une expérience inutile."
"Ce n'est qu'en contestant et en résistant à la vision confortable de l'Histoire que les Américains pourront se confronter, de manière honnête et critique, à l'un des épisodes les plus dérangeants de leur passé" concluent Leo Maley III et Uday Mohan.
Leo Maley III a enseigné à Massachusetts-Amherst University et au College Park de l'Université du Maryland. Uday Mohan est directeur de la recherche a l'institut d'études Nucléaires de l'American University.
Leo Maley III et Uday Mohan,
"Not
Everyone Wanted to Bomb Hiroshima",
History News Network.