L'Inspecteur Général pour la
Sûreté Nucléaire a pour première mission
d'être le garant, tant vis-à-vis du Directeur général
que de l'opinion publique, d'une bonne prise en compte des préoccupations
de sûreté dans les installations nucléaires
d'EDF. C'est dans ce cadre que mon rapport annuel s'attache à
présenter une vue globale de la sûreté nucléaire
dans l'Entreprise à fin 1989.
J'avais écrit dans mon
rapport de l'année dernière que 1988 avait été
une bonne année pour la sûreté nucléaire
à EDF, en particulier en raison de l'absence d'incident
très significatif pour la sûreté. L'année
1989 en revanche a été marquée par quelques
incidents importants, sur lesquels je reviendrai plus loin, mais
aussi par une évolution très nette des relations
entre EDF et ses Autorités de Sûreté.
Je considère en fait que l'année 1989 a constitué
une année-charnière pour la sûreté
à EDF, car tant pour répondre à la demande
des Autorités du Sûreté, que pour atteindre
les objectifs que l'Entreprise s'est fixée elle-même
en matière de sûreté, EDF a défini
en 1989 un certain nombre d'orientations importantes qui devraient
influer dansl'avenir sur toutes ses actions liées à
la sûreté.
Ce rapport de synthèse comprendra
trois parties. Dans la première, je dresserai un panorama
d'ensemble de la situation telle que je la vois en cette fin d'année;
dans la deuxième, j'analyserai sous l'angle de la sûreté
les principaux événements survenus à EDF
au cours de l'année 1989; dans la troisième, je
proposerai des orientations pour l'avenir. Dans le rapport IGSN
proprement dit qui est joint en annexe, je passerai en revue les
différents thème retenus pour mon programme d'inspection
sûreté nucléaire 1989.
1-1. L'évolution de l'environnement
national
Les relations avec les Autorités
de Sûreté ont évolué de manière
très significative au cours de l'année 1989. On
ne peut pas parler à proprement parler de «rupture»,
car cette évolution était déjà amorcée
dans les années antérieures, mais 1989 a vu une
succession de prises de position de la part du Service Central
de Sûreté des Installations Nucléaires (SCSIN)
qui ont indiqué sa volonté de marquer son indépendance
vis-à-vis de l'exploitant nucléaire EDF, premier
responsable de la sûreté de ses installations, et
qui reflètent plus ou moins directement l'opinion des milieux
politiques vis-à-vis des questions de sûreté
et de protection de l'environnement, telle qu'elle s'est notamment
manifestée au cours du débat parlementaire de décembre
1989. La conférence de presse tenue à l'occasion
de la publication du rapport SCSIN 1988 a rendu publique cette
évolution, comme l'ont fait un certain nombre de documents
émis par le SCSIN, telle la publication de la «Charte
de la Sûreté Nucléaire» dans le Bulletin
SN d'avril 1989.
Il va de soi qu'EDF ne peut que suivre
les directives que lui donnent les Autorités de Sûreté,
et qu'en outre nous ne pouvons que nous féliciter de l'affirmation
publique de l'indépendance de ces Autorités. Je
considère pour ma part que l'indépendance de jugement
en matière de sûreté a toujours été
la règle depuis pratiquement les origines du programme
nucléaire français, quoi qu'aient pu en dire
certains critiques de ce programme.
Ce qui me paraît néanmoins
fondamental, c'est que cette indépendance s'est toujours
appuyée sur une analyse technique contradictoire, mais
approfondie des dossiers et il me paraîtrait dangereux qu'elle
puisse désormais se fonder d'abord sur des considérations
de nature sociopolitique. Une telle dérive conduirait à
un processus décisionnel qui se situerait en terme de conflit
de pouvoir, et non plus de recherche du meilleur compromis technique.
L'évolution de nos relations avec
le SCSIN me conduit donc à une mise en garde. On a tendance
parfois à mettre sur le seul compte de la qualité
des hommes et de l'organisation des entreprises le succès
du programme nucléaire français par rapport à
l'étranger. C'est trop vite oublier l'importance de
l'environnement favorable sur les plans politique, juridique et
réglementaire, il est généralement reconnu
qu'elle a une large part de responsabilité dans l'échec
du programme nucléaire américain, qui disposait
au départ d'une avance technologique considérable.
Il est instructif de noter que les «régulateurs»
américains ont souvent cru de bonne foi qu'en marquant
plus nettement leur pouvoir vis-à-vis de l'industrie nucléaire
américaine, notamment par un durcissement de leurs exigences,
ils rendaient service à cette industrie, et regagnaient
en meme temps la confiance du public. Ils se sont doublement trompés.
Or je crains que nous n'assistions
aujourd'hui à une tendance similaire en France, avec plus
d'une décennie de décalage. Il me paraît significatif
que les derniers mois aient vu se multiplier des propositions
de restructuration de l'organisation nationale de la sûreté
nucléaire, alors qu'aucun responsable ne met sérieusement
en cause le bien fondé technique des décisions
prises dans le passé, et que la seule préoccupation
réelle avancée porte sur la perception de ces questions
par l'opinion publique. Plusieurs initiatives locales, telle la
«contre-expertise» organisée par le Conseil
Général du Raut-Rhin à l'occasion de l'épreuve
décennale de Fessenheim, ressortissent à mon avis
au même courant, même si souvent les préoccupations
de protection vis-à-vis de la radioactivité l'emportent
sur les soucis strictement de sûreté.
En pratique, cette évolution
se traduit pour EDF par de nouvelles contraintes auxquelles l'Entreprise
doit faire face. Il est vraisemblable que ces contraintes iront
en se renforçant dans les années à venir,
et nous devons en tenir compte, si nous voulons que notre programme
nucléaire se poursuive dans des conditions acceptables.
Je pense que c'est avant tout sur les aspects techniques de sûreté
que nous devons faire porter notre effort.
En effet, notre préoccupation
essentielle doit être de maintenir en France un consensus
sur les réponses à apporter aux problèmes
techniques de sûreté qui se posent aujourd'hui, comme
sur ceux qui se poseront pendant toute la poursuite du programme.
Nous devons nous efforcer d'éviter tout dépérissement
du dialogue technique entre nos spécialistes et les
experts indépendants qui apportent leur soutien aux Autorités
de Sûreté. Ceci impose que nous leur ouvrions
tous nos dossiers, que nous respections à la lettre les
engagements pris auprès du SCSIN comme du Groupe Permanent,
notamment en ce qui concerne les délais d'études,
que nous réagissions rapidement sur les incidents, et que
nous nous efforcions d'anticiper les problèmes plutôt
que de les subir.
Je sais que les Directions Opérationnelles partagent ce
point de vue, mais nous devons reconnaître que nous n'avons
pas toujours été sans reproches sur certains
points dans le passé. J'espère que notre interlocuteur
technique principal, l'IPSN, sortira renforcé des débats
en cours sur le CEA.
Il me paraît clair en outre que
nous devrions rendre plus visible auprès des milieux politiques
et de l'opinion publique le fait que toutes les décisions
techniques relatives à la sûreté des centrales
nucléaires font l'objet, après discussions, d'un
accord entre EDF et le SCSIN. L'opinion ne peut en effet que s'inquiéter
lorsqu'on lui dit que les Autorités de Sûreté
remettent en cause une décision d'EDF, premier responsable
de la sûreté des centrales, alors qu'il ne s'agit
que d'une question de présentation.
1-2. La situation technique
S'il ne m'apparaît pas que la sûreté
des centrales EDF ait été réellement mise
en cause en 1989, on doit constater que sont survenus au cours
de ces 12 mois des incidents d'exploitation qui méritent
d'être pris sérieusement en considération.
Nous avons subi en 1989 la conjonction de trois «courants»,
dont le dernier n'avait malheureusement pas été
anticipé, et à cette conjonction est venue se superposer
la découverte de deux erreurs dans la conduite des opérations
de maintenance, erreurs survenues en 1988 mais révélées
par les contrôles de 1989. C'est cette superposition qui
a fait de 1989 une année
«chaude» pour la sûreté à EDF.
Je préciserai tout d'abord ce
que je qualifie de «courants» dans les difficultés
rencontrées en exploitation. Le premier groupe d'incidents
résulte de ce que nous n'avons pas encore mis de l'ordre
dans une exploitation perturbée par le poids des modifications,
alors qu'elle est déjà difficile du seul fait de
la complexité de installations. Mes visites sur sites mettent
ainsi régulièrement en évidence les difficultés
rencontrées par l'exploitant pour tenir à jour ses
procédures de conduite et d'entretien, ce qui explique,
par exemple, l'anomalie dans les procédures qui auraient
dû être modifiées suite au chargement de combustible
MOX (oxyde mixte uranium-plutonium) à St Laurent B.
Cette anomalie, découverte par les inspecteurs du SCSIN,
a entraîné une lettre du Ministre au Directeur Général,
et le lancement d'une enquête, qui a mis en évidence
des défaillances de l'organisation, tout en confirmant
que la sûreté de la centrale n'a jamais été
vraiment en cause. Nul ne pourrait affirmer aujourd'hui que nous
ne découvrirons pas d'autres
anomalies similaires dans l'avenir.
Le deuxième type de problèmes est lié au
vieillissement des installations. L'usure des grappes de contrôle
des réacteurs 900 MW, plus rapide
que prévue, qui s'est manifestée
par un blocage à Gravelines, en est l'exemple le plus significatif.
Je pense que le SCSIN est d'accord avec EDF pour considérer
que le problème, une fois découvert, a été
correctement traité sur le plan technique, mais on doit
se demander s'il n'aurait pas pu être légèrement
anticipé, ne serait-ce que de quelques mois, par une analyse
plus rapide d'un incident précurseur à Dampierre.
Le troisième type de difficultés
est plus «dérangeant», dans la mesure où
il résulte de qualifications insuffisantes sur des modifications
de conception, ou de fabrication, sur des systèmes dont
on pouvait considérer, au stade actuel du programme REP,
qu'ils étaient éprouvés. Des difficultés
ont été ainsi rencontrées à Nogent,
tels l'erreur sur le logiciel de protection et le gonflement des
râteliers de stockage de combustible. Mais deux problèmes
génériques majeurs sur les tranches 1300 MW, touchant directement
la sûreté, marqueront sans conteste l'année
1989: ce sont les défauts de soudure inconel sur
les piquages pressuriseurs
(voir les
"solutions" de Framatomes), accompagnés
ou non de fuites, défauts imputables à une erreur
de conception, et surtout le nouveau type de déformation
observé sur les tubes des GV, assimilable à un phénomène
de «denting», analogue à celui constaté
aux USA il y a quelques années, suivi
de fissurations par corrosion sous contrainte, défaut dont
l'origine exacte fait encore l'objet de discussions. La réaction
de l'Entreprise a sans doute été à la hauteur
de l'ampleur des problèmes lorsqu'elle a pu être
correctement évaluée, et il est certain que des
mesures compensatrices, encore en cours de discussions avec les
Autorités de Sûreté, permettront de maintenir
un niveau de sûreté acceptable sur les tranches touchées
par ces défauts. Il n'en reste pas moins qu'une situation
entièrement «normale» ne pourra être
établie avant plusieurs années.
Il me faut maintenant parler des deux
erreurs de maintenance révélées au cours
de l'été. La première, détectée
à Dampierre en juillet, portait sur le maintien en place
pendant plus d'un an de deux fonds pleins rendant indisponible
un circuit de sauvegarde qui n'est nécessaire qu'en cas
d'accident de faible probabilité. La seconde, détectée
en août à Gravelines, mettait en cause le bon fonctionnement
des sécurités de surpression de circuit primaire
si elles avaient été sollicitées pendant
les 15 mois où a subsisté l'anomalie, et a été
considérée initialement comme potentiellement très
significative pour la sûreté puisqu'elle a été
classée au niveau 3 de l'échelle de gravité.
En fait l'analyse effectuée depuis montre, à mon
avis, qu'elle devrait aujourd'hui être «déclassée»
au niveau 2, car les sécurités étaient restées
opérationnelles. Quoiqu'il en soit, en dehors de leur retentissement
médiatique, tout à fait normal dès lors que
Gravelines constituait le premier niveau 3 enregistré dans
l'échelle depuis sa mise en service en avril 1988, ces
incidents ont appelé notre attention, et celle des Autorités
de Sûreté, sur la possibilité de disfonctionnements
graves du système d'assurance de qualité dans les
opérations d'entretien des matériels importants
pour la sûreté. Des décisions ont été
prises sans délai, et portées à la connaissance
des Autorités de Sûreté. Une réflexion
plus approfondie a été en outre engagée au
sein d'EDF; j'y reviendrai plus loin.
Il est incontestable que tous ces incidents
et difficultés ont contribué à l'évolution
de l'attitude des Autorités de Sûreté dans
leur contrôle de l'activité d'EDF, comme à
la propre réflexion EDF sur ses objectifs en matière
de niveau de sûreté d'exploitation. Ils ont plus
accompagné ces évolutions qu'ils n'en ont été
réellement la cause, car ils n'ont pas mis en évidence
une dégradation des conditions de sûreté en
exploitation. Tous les indicateurs dont nous disposons malgré
leurs imperfections, confirment que le niveau de sûreté
reste globalement bon. Les disfonctionnements observés
qui mettent en cause des aspects très divers de la sûreté,
conception, qualification des modificaions, qualité de
la maintenance, ressortissement à des types connus, et
des actions destinées à les éliminer, sont
en cours depuis plusieurs années.
L'année «chaude»
1989 nous a tous sensibilisé au fait qu'il fallait progresser
plus vite dans tous les domaines où nous travaillons déjà.
Sur le plan médiatique par ailleurs,
on peut juger que la politique de communication de l'Entreprise
a su faire face aux événements, et que l'image de
la sûreté de nos centrales n'en a pas été
trop «détériorée». Il est certain
cependant qu'elle n'en a pas été améliorée
non plus, et que cette amélioration reste nécessaire.
Pour conclure sur ce point, je considère
pour ma part qu'il n'y a aucune raison de dramatiser la situation
actuelle de la sûreté à EDF. Nous serions
dans une toute autre position si nous avions en sur une de nos
centrales un incident analogue à celui de Vandellos, en
Espagne, survenu en novembre sur la centrale jumelle de Saint
Laurent A2, et dont je parle plus en détail dans le
Chapitre 1 du rapport. A Vandellos en effet, bien que l'incident
n'ait eu aucune conséquence radiologique, à l'intérieur
comme à l'extérieur du site, une analyse de la séquence
accidentelle montre que les barrières de défense
avaient été sérieusement entamées.
Sur le plan de l'opinion publique en outre, l'impact a été
très négatif, sans commune mesure avec l'impact
de l'incident Gravelines par exemple, ce qui plaide sans doute
en faveur de l'échelle de gravité dans son utilisation
avec les médias.
Si l'expérience de 1989 ne doit
pas nous conduire à remettre en cause la politique nationale
de sûreté, je crois par contre qu'elle peut nous
aider à prendre tous une plus claire conscience de l'enjeu
de la sûreté, et à moduler nos orientations
en conséquence. C'est ce que je vais examiner maintenant.
1-3. Les objectifs de sûreté
d'EDF
Au début de ce rapport, j'ai parlé
d'année-charnière pour 1989. En fait, la politique
d'EDF en matière de sûreté est définie
depuis l'origine. La bonne exploitation du parc nucléaire
doit être une «grande ambition» pour l'Entreprise.
Ce parc doit être mis au service de l'économie nationale,
et la stratégie qui consiste à «tirer le maximum
de l'outil» exige d'abord une bonne sûreté,
car sinon l'image sera ruinée, immédiatement ou
à terme, et l'outil sera inutilisable. Il a toujours été clair que la «maîtrise
de l'exploitation» n'est pas synonyme de «progrès
sur la sûreté», et qu'au contraire, il pouvait
y avoir compétition entre gains de productivité
et amélioration de la sûreté. Je rappelle à titre d'exemple que le Directeur
Général, à l'occasion du Conseil d'Administration
de 1987 où fut présentée la politique de
sûreté de l'Entreprise, précisait qu'il n'avait
jamais été question de «faire la course aux
arrêts courts», dans un soi-disant souci de productivité,
mais que l'objectif était au contraire de privilégier
la qualité des opérations d'arrêt, indispensable
à une bonne sûreté du parc.
Dans la pratique cependant, il ne
faut pas sous-estimer la difficulté que représente
l'exploitation d'un parc nucléaire de plus de 50 unités,
dans des conditions satisfaisantes de sûreté et de
disponibilité, compte tenu de contraintes administratives
et budgétaires. Il ne faut pas être intoxiqué
par l'idée fausse que le programme nucléaire serait
arrêté, fausse parce qu'elle ne s'applique qu'au
programme d'engagemnt de nouvelles unités, et qu'elle oblitère
le fait que l'exploitation du parc constitue un «challenge»
de même ampleur, sinon même plus ambitieux, que celui
de la construction du parc, où, après tout, nous
venions derrière les Américains et quelques autres,
alors qu'ici nous sommes en tête du peloton.
C'est pourquoi, il est bon que l'expérience
d'exploitation du parc dans cette année 1989 ait permis
à tous de reprendre
conscience de la spécificité du nucléaire,
et de l'importance de l'enjeu que représente sa sûreté. Les financiers savent que c'est le caractère
nucléaire du parc de production EDF, et non notre valeur
intrinsèque en tant qu'Entreprise, qui nous met dans une
position avantageuse sur les marchés. Et il est très
clair pour eux qu'un incident sur une centrale nucléaire
serait susceptible de remettre en cause cette position, ce qui
ne sera jamais le cas d'un incident sur une centrale à
charbon (ou une "centrale" renouvelable quelle qu'elle
soit). Dès lors, on conçoit bien qu'une bonne
gestion technique du parc, et notamment la prévention d'incidents,
doit permettre d'éviter des pertes de productivité
qui peuvent être au plan financier sans commune mesure avec
les gains de productivité que l'on pourrait rechercher
par ailleurs. Dans les «stratégies de rupture»,
le risque d'accident, ou d'incident nucléaire, ne doit
pas être ignoré.
Dans la lettre qu'il a adressé
au Ministre le 23 août suite à l'incident Gravelines,
le Directeur Général l'a informé de sa décision
«d'engager une réflexion approfondie sur le niveau
de sûreté de nos centrales et sur la possibilité
de l'améliorer significativement par des actions visant
à réduire la fréquence des incidents».
Je pense que l'objectif est d'agir sur tous les incidents, car
il n'est pas bon de tolérer même des incidents
mineurs qui peuvent être à l'origine un jour d'erreurs
plus graves. Mais l'effort doit certainement se concentrer
sur trois types d'incidents:
- les incidents de niveau 3 dans l'échelle
de gravité, tel Gravelines. Depuis le début de l'exploitation
des REP, nous n'en avons eu que 2, le premier étant survenu
en 1984 sur Bugey. L'incident de Bugey était d'alleurs
à mon avis, potentiellement plus sérieux que Gravelines,
car il s'agissait d'une véritable séquence incidentelle,
laissant l'installation dans un état de sûreté
dégradé, et mettant en cause la conception comme
l'exploitation. Quoiqu'il en soit, 2 incidents en 5 ans, sur une
quarantaine de tranches en moyenne, donnent une fréquence
moyenne de l'ordre de 1% par tranche et par an. C'est peu, mais
il est certain que «secouer» l'opinion publique
avec un tel «presqu'accident» tous les deux ans n'est
pas la meilleure méthode pour améliorer l'image
de la sûreté nucléaire en France.
- les accidents, qui sans être
graves d'un point de vue radiologique, impliqueraient néanmoins
des contrôles dans l'environnement, et feraient certainement
l'objet d'une exploitation médiatique intense. Aujourd'hui,
c'est sans conteste le risque de rupture brutale d'un ou plusieurs
tubes de générateurs de Vapeur (RTGV)
qui est le plus préoccupant, compte tenu de l'état
des GV d'un grand nombre de tranches. La probabilité de
voir survenir un tel accident dans les quelques années
à venir (au-delà, on peut espérer avoir amélioré
significativemnt l'état des GV en service) n'est pas négligeable.
C'est pourquoi il est très important que les exploitants
soient bien préparés à faire face à
ce type d'accident, dont l'expérience étrangère
a montré que, bien conduit, il n'avait aucune conséquence
radiologique sur l'environnement, et pouvait donc rester au niveau
de gravité 3.
- enfin, les accidents graves, conduisant
à un risque radiologique suffisamment important pour que
les Pouvoirs Publics jugent nécessaire de déclencher
sur le site le Plan d'Urgence (PPI, Plan Particulier d'Intervention). Classés
au niveau de gravité 5, ces accidents ont une probabilité
d'occurrence de l'ordre de 1 sur 100.000 par an et par tranche.
Cette évaluation, extraite des résultats de l'EPS-1300,
étude probabiliste de sûreté menée
par EDF qui sera publiée au printemps 90, a tiré
profit des résultats d'expérience du parc, en particulier
sous l'angle «facteur humain», et peut donc
être jugée à priori cohérente avec
les résultats de cette expérience d'exploitation.
Elle n'en reste pas moins entachée d'une notable marge
d'incertitude. Il faut donc considérer que dans l'état
actuel de sûreté du parc EDF, la probabilité de voir survenir un tel accident
sur une des tranches du parc dans les 10 ans à venir peut
être de quelques pour cent.
Nous avons tous bien conscience des conséquences
que pourrait entraîner un tel accident. Même si les
rejets radioactifs externes restaient limités, ce qui est
le cas le plus probable, et ce qui réduirait les effets
hors-site à des interdictions de consommation d'eau
et de produits alimentaires, il faut s'attendre à une très
forte pression pour arrêter immédiatement toutes
les tranches nucléaires, au moins pour une période
d'examen. L'impact politique risque d'être amplifié
par les réactions internationales, surtout si l'accident
survient sur une centrale frontalière.
Il est donc bon qu'EDF se fixe comme
objectif de réduire significativement le risque de ce type
d'accident, mais il ne faut pas se cacher qu'atteindre un ordre
de grandeur d'une décade, ce qui paraît à
priori souhaitable, constituera une tâche difficile.
Le Directeur Général dans sa lettre du 23 août
déjà citée indiquait que «nous devons
pouvoir progresser, par une action sur les hommes, et par des
moyens supplémentaires donnés aux exploitants pour
mieux contrôler leurs actions et mieux anticiper les difficultés
à venir».
Je terminerai ce panorama d'ensemble
de la sûreté àEDF par deux réflexions.
La première porte sur l'attitude des responsables locaux
sur les sites nucléaires au regard des questions évoquées
dans ce rapport. J'ai pu constater au cours de mes visites une
prise de conscience généralisée de l'importance
de la sûreté comme enjeu pour l'avenir, de la nécessité
d'effectuer des progrès significatifs, et de la conviction
que ces progrès exigent la participation active de tons
les acteurs. Cela se traduit en particulier par une plus grande
ouverture et une plus grande transparence, qui sont à encourager.
Je considère que cette prise de conscience constitue un
fait très positif pour la politique de sûreté
qu'EDF entend mener.
Ma deuxième réflexion porte
sur l'environnement international. Que ce soit au sein de grands
organismes telle l'Agence Internationale de Vienne, ou dans
des instances politiques comme le Parlement Européen, la
tendance est à élever le niveau des objectifs de
sûreté, à renforcer les contrôles et
à exiger la transparence de l'information. Notre politique
doit prendre ces évolutions en compte.
2-1. La signification «sûreté»
des principaux événements
Dans le panorama de la première
partie, je n'ai présenté que des événements
négatifs pour la sûreté, et je reviendrai
d'ailleurs plus loin sur la signification de certains d'entre
eux, car leur analyse est riche d'enseignements. Mais il y a eu
aussi heureusement, dans l'exploitation de nos centrales en 1989,
des aspects très positifs pour la sûreté,
qu'il ne faudrait pas ignorer sous peine d'avoir une vue déformée
de la réalité. Je n'en citerai que quelques-uns
pour ne pas alourdir ce rapport de synthèse. Ils me paraissent
aussi représentatifs de la sûreté nucléaire
à EDF en 1989 que les incidents cités plus haut.
Le facteur de disponibilité des
tranches 900 MW hors arrêt annuel a été excellent
et me paraît représentatif des progrès effectués
depuis quelques années dans la conduite en fonctionnement
normal: réduction du nombre des arrêts automatiques,
diminution des fausses manoeuvres en essais périodiques,
etc. Bien que je ne dispose pas aujourd'hui de chiffres précis,
je ne suis pas certain qu'on constate un progrès analogue
dans le nombre des incidents survenus dans les périodes
de redémarrage des centrales après arrêt annuel.
On rencontre là un problème de qualité dans
l'exécution des opérations de maintenance qui sera
développé plus loin.
Toujours sur les tranches 900 MW, l'opération
«décennale Fessenheim» me paraît pouvoir
être considérée plutôt comme un succès
sous l'angle de la sûreté, malgré les quelques
difficultés rencontrées et l'allongement des délais
par rapport aux prévisions. EDF n'avait d'ailleurs pas
droit à l'erreur dans cette affaire, suivie de très
près par des Autorités de Sûreté qui
se devaient d'être plus impeccables que jamais en raison
de la surveillance mise en place par la Commission locale compétente.
Sur les tranches 1300 MW, dont j'ai signalé
les malheurs, il faut signaler la réussite de la mise en
oeuvre sur Penly des premières procédures de conduite
accidentelle faisant appel à «l'Approche Par Etats», APE. On
sait que ces procédures représentent un progrès
considérable pour la sûreté. Elles constituent
l'un des aboutissement du programme d'études lancé
par EDF à la lumière des enseignements de l'accident
de Three Mile Island. De nombreuses difficultés ont dû
être surmontées par les services responsables de
la DE et du SPT. Il faut à mon avis les féliciter
pour ce succès.
Enfin, dans un tout autre ordre d'idées,
je voudrais signaler un autre aboutissement, c'est celui de l'étude
probabiliste de sûreté (EPS- 1300) effectuée
par une équipe EDF inter-Directions depuis le début
86. Les résultats sont aujourd'hui acquis, même si
leur mise en forme définitive, et une demande d'examen
préalable par le Groupe Permanent, repoussent leur publication
au printemps 90. Ils confirment que la conception de nos tranches
est bonne, en référence aux standards internationaux,
et que les risques liés au «facteur humain»,
même s'ils sont importants en valeur relative par rapport
aux risques globaux, restent dans des limites acceptables.
Ce dernier résultat est important dans la mesure où
l'évaluation s'est appuyée très directement
sur les résultats de l'exploitation de la totalité
du parc nucléaire REP-EDF.
Il est en outre un aspect positif de
la sûreté qui reste caché, c'est celui lié
aux mesures prises pour améliorer la sûreté
qui ont permis d'éviter des événements fâcheux,
car il est en général impossible de le mettre concrètement
en évidence. L'accident survenu en 1989 sur la centrale
espagnole de Vandellos nous a permis cependant de confirmer a
posteriori tout l'intérêt pour la sûreté
des mesures prises il y a deux ans sur les tranches analogues
de St-Laurent A. En effet, la décision de déplacer
les circuits des échangeurs d'arrêt les aurait mis
à l'abri d'une inondation comme celle de Vandellos, et
nous aurait donc assuré une défense supplémentaire
contre un risque de perte de refroidissement du coeur, risque
qui est d'ailleûrs resté au niveau de la menace à
Vandellos.
Revenant maintenant aux incidents survenus
en 1989, pour en commenter la signification pour la sûreté,
je les regrouperai en trois catégories: conception des
installations, conduite de l'exploitation et entretien des équipements
importants pour la sûreté.
Je pense que nous devons être particulièrement
attentifs à tous les incidents qui trouvent partiellement
leur origine dans des défauts indépendants de l'exploitation
proprement dite, qu'il s'agisse d'erreurs de conception ou de
qualifications insuffisantes. Ils peuvent en effet placer des
exploitants dans des situations non prévues, où
une mauvaise interprétation peut conduire à des
actions aggravantes. Nous avons rencontré en 1989 plusieurs
«précurseurs» de ce type d'incidents:
- déterioration non prévue
des grappes de commande entraînant une possibilité
de blocage, c'est-à-dire le non-fonctionnement d'une sécurité
essentielle, le contrôle de la réactivité,
- défauts sur les piquages de
pressuriseurs des tranches, avec une possibilité d'éjection
du piquage, accident de brèche non isolable sur le circuit
primaire, initiateur majeur potentiel d'accident grave,
- fissurations circonférentielles
des tubes GV, qui accroissent la probabilité de ruptures
multiples, accident difficile à gérer qui aurait
un impact très négatif sur l'image de la sûreté
de nos centrales,
- erreurs dans la modification
d'un logiciel de sécurité, non décelée
par l'assurance de qualité, qui ouvre la porte à
des séquences non prises en compte dans la conception.
Il ne faut certes pas dramatiser, et
la conception des tranches REP est globalement bonne, je l'ai
indiqué plus haut. Cependant nous devons rester à
l'affût de tout événement qui peut indiquer
un risque de perte brutale d'un équipement important pour
la sûreté, ou encore de toutes les sources de cause
commune, tel l'incendie ou l'inondation, qui peuvent rendre indisponibles
des équipements redondants (voir l'incident Vandellos).
A un autre niveau, il faut aussi attacher une grande attention
au processus de modifications sur les installations, qui complique
considérablement la tâche des exploitants, et dont
l'expérience montre qu'il est à l'origine d'erreurs.
Il est encourageant que Fessenheim ait su mener à bien
une mise à niveau avec un nombre limité de difficultés.
Mais sur un plan général, le retour sur la conception
et la qualité de réalisation doit rester présent
à tous les esprits si nous voulons atteindre un meilleur
niveau de sûreté.
Même si aucun incident sérieux
dans une de nos centrales n'a trouvé en 1989 son origine
dans une erreur de conduite, c'est néanmoins toujours la
conduite qui reste responsable de la plus grande partie des erreurs
qui conduisent à des incidents, du simple fait que les erreurs de conduite ne sont pas facilement
récupérables en temps réel. Par ailleurs,
c'est une bonne préparation à la conduite en situation
accidentelle qui reste notre ultime défense pour les accidents
à faible probabilité, notamment à travers
la mise en oeuvre des procédures ultimes. C'est pourquoi
j 'ai souligné le succès de la mise en place de
l'approche par états. Je considère égaiement
comme très positif pour la sûreté le développement
des formations par «stages de mises en situation».
Le professionalisme de nos équipes de conduite doit
être plus que jamais considéré comme un impératif
pour la sûreté.
La maintenance a été à
la «une» de l'actuaiité durant l'été
89 avec les incidents Gravelines et Dampierre, qui ont
mis en évidence des insuffisances dans l'assurance de qualité
de certaines opérations d'entretien. La qualité
reste cependant d'un bon niveau, car il y a finalement peu d'erreurs
non corrigées, mais ces erreurs, même peu fréquentes,
peuvent avoir des conséquences graves, en introduisant
dans la centrale des modes communs, ou des défauts cachés
qui ne se révèlent qu'en situation incidentelle,
et peuvent alors en aggraver sérieusement le déroulement.
La décision de rendre systématique l'obligation
de requalification de tous les systèmes vitaux pour la
sûreté répond à ce souci. Le SPT a
pris conscience en outre qu'un effort important reste à
faire dans le domaine de la maintenance, y compris pour la formation,
comme delui qui a été fait dans les années
passées sur la conduite, si on veut progresser.
2-2. Les enseignements par grands thèmes
On trouvera dans le rapport annexe, notamment
dans le chapitre consacré à la sûreté
en exploitation, des commentaires sur les divers enseignements
qui ont été tirés de l'expérience
1989. Dans ce rapport de synthèse, je voudrais me limiter
à trois grands thèmes, qui ne sont pas neufs, mais
que les événements de l'année ont mis particulièrement
en lumière. Il s'agit des hommes, des organisations, et
des relations entre les uns et les autres.
Pour ce qui est des hommes, si tous s'accordent
pour dire qu'ils doivent constituer la plus grande richesse de
l'Entreprise, je pense qu'il nous faut reconnaître qu'ils
en sont aujourd'hui le point le plus critique, au moins sous l'angle
de la sûreté. Je ne veux pas ici mettre en cause
les exécutants; l'enquête effectuée après
l'incident de Gravelines a parfaitement montré que le problème
ne se posait pas à ce niveau. Par contre la qualité
des hommes, leurs comportements individuels et collectifs, leurs
pratiques de travail et pins généralement leur «culture»,
ne paraissent pas globalement adaptés à l'enjeu,
et ceci à tous les niveaux de responsabilité, et
en particulier à celui de la hiérarchie et des «managers».
Il serait faux de croire que le problème se limite au SPT;
la manière dont la DE a réagi aux difficultés
rencontrées cette année me paraît révélatrice
de mêmes comportements.
L'objectif fixé par le Directeur Général,
à savoir une amélioration significative du niveau
de sûreté de nos centrales, ne pourra à mon
avis avoir quelques chances d'être atteint que si des progrès
notables sont faits dans la qualité des hommes à
tous les niveaux, leur motivation, leur «Culture de
Sûreté»[2], progrès qui exigent
naturellement des progrès dans les organisations et les
relations de travail.
Lorsque j'essaye de résumer l'impact
des organisations actuelles sur la sûreté nucléaire,
c'est le mot «complexité» qui me paraît
le plus approprié. Sur les sites, cette complexité
est vécue comme un formalisme dont on ne saisit pas la
valeur et qui entrave la créativité et la prise
de responsabilité. Entre les sites et les Services Centraux
du SPT, c'est pour le moins une incompréhension certaine
de ce que les uns pourraient apporter aux autres. Entre la DE
et le SPT, c'est une difficulté à appréhender
les responsabilités respectives et le lieu où doivent
être prises les décisions. Je ne suis pas convaincu
que nos structures actuelles soient à la hauteur de l'enjeu
du parc nucléaire. Le métier nucléaire
est très spécifique, et crée entre toutes
les unités concernées un lien beaucoup plus fort
que les métiers qui ont structuré l'Entreprise dans
le passé.
Il y a en outre à mon avis un
problème de moyens, non pas global mais spécifique
à certains secteurs, qui se superpose à la complexité
des structures et conduit à des disfonctionnements des
organisations. Plusieurs enquêtes ont mis l'accent sur la
fonction «controle en temps réel». Pour ma
part, je prendrai un exemple très élémentaire:
l'étiquetage de matériels dans les centrales. Il
est reconnu comme très défectueux, et l'expérience
a démontré, s'il en était besoin, que cela
ne peut qu'aggraver les risques de confusion, qui constituent
une préoccupation sérieuse pour la sûreté.
Qui est responsable? Les Aménagements lorsqu'ils passent
la centrale à l'exploitant, ce dernier lorsqu'il remet
une tranche en service après arrêt, les études
qui n'ont pas prévu de supports corrects, la Direction
Générale qui ne donne pas des effectifs supplémentaires...?
Toute réflexion sur la sûreté ne devra pas
hésiter à remettre en cause les organisations en
place.
Le troisième thème, celui des relations entre hommes
et organisations peut lui aussi se résumer pour moi en
quelques mots: il faut se libérer de la pression du temps.
Les responsables opérationnels comme les exécutants
veulent pouvoir réfléchir «avant» l'opération.
La hiérarchie veut avoir le temps de suivre les opérations
sur le terrain, et d'être à l'écoute des exécutants.
Les fonctionnels veulent pouvoir réfléchir sur la
doctrine, et ne pas être encombrés par les consultations
en temps réel. Si on reprend la liste des incidents survenus
en 1989, on verra aisément que nombre d'entre eux, sinon
tous, auraient pu être évités si, à
un moment, ceux qui étaient concernés s'étaient
arrêtés, et avaient pris le temps de réfléchir.
C'est bien sûr une question d'organisation,
mais c'est plus que cela. Il faut qu'à tous les échelons
chacun sache ce dont il est responsable, et que les processus
décisionnels permettent de discerner entre l'important
et le secondaire. Concrètement sur un site, il faut que
la DE résolve les problème techniques qui peuvent
l'être et qu'ainsi les exploitants puissent concentrer leurs
efforts sur ce qui est de leur seule responsabilité. Il
faut en outre que les Services Centraux du SPT assistent les responsables
locaux grâce à leur compétence, et ne les
surchargent pas de demandes dont on ne peut localement saisir
l'intérêt.
Finalement, les enseignements généraux
que je retire personnellement de l'expérience d'exploitation
1989 sont très classiques. Ils portent sur des questions
qui doivent être bien traitées pour améliorer
l'efficacité d'une Entreprise quelle qu'elle soit. J'y
ajouterai qu'il faut dans notre cas que la sûreté
soit effectivement mise au premier plan, non seulement dans les
mots, mais aussi dans les esprits.
2-3. Réflexions complémentaires
Parmi les tâches qui prennent du
temps aux responsables alors qu'ils n'en saisissent pas toujours
l'utilité, je crois qu'on peut inclure certaines des actions
conduites en réponse à des demandes de l'Administration
et de Autorités de Sûreté. Ce n'est pas nouveau,
mais la charge correspondante s'accroît continuellement.
Je ne me dissimule pas qu'il peut y avoir dans certains cas des
effets négatifs pour la sûreté lorsque l'exploitant
n'est pas capable de discerner dans les demandes de l'Administration
ce qui est réellement important pour la sûreté.
J'ai en mémoire les premiers moments de la séquence
TMI, où l'exploitant était surtout
préoccupé par une instruction NRC sur les pertes
de bulle au pressuriseur, et ne pensait pas à son inventaireen
eau dans le circuit primaire.
Je crois néanmoins qu'il n'y a
qu'une manière raisonnable de faire face à ce qui
me paraît être une réelle difficulté
sur les sites. Nous devons anticiper les demandes de l'Administration,
identifier les problèmes avant elle, et nous montrer toujours
les plus soucieux de la sûreté lorsque le problème
est réel. Je pense par exemple aux fissurations de tubes
GV. Pour les problèmes qui nous paraissent mineurs,
il ne faut pas entamer une bataille, qui sera toujours coûteuse
et dommageable pour nos relations avec l'Amdinîstration.
Il faut obtempérer localement, et reprendre la question
en temps différé sur un plan générique.
Pour que les discussions techniques puissent alors se dérouler
dans une atmosphère de confiance, il faut très largement
ouvrir nos dossiers aux experts de l'Administration, au stade
le plus précoce possible. Par ailleurs, sur le plan formel,
comme je l'ai déjà demandé[3], il
faudrait apporter à chaque responsable un soutien juridico-administratif
qui lui permette d'être impeccable en matière de
dossiers règlementaires et de délais.
Je voudrais enfin qu'on garde présent
à l'esprit que le fossé qui sépare toujours
la réalité de la sûreté nucléaire
et la perception qu'en ont les élus et le public est potentiellement
une source de sérieuses difficultés. J'ai déjà
dit que l'affirmation d'indépendance du SCSIN, par des
critiques dures de la manière dont EDF exploite ses centrales,
a surtout conduit le public à perdre la confiance qu'il
avait dans l'exploitant nucléaire. L'utilisation de l'échelle
de gravité comme instrument de pression du SCSIN sur EDF
me paraît un grave détournement d'un outil qui ne
sera un bon vecteur médiatique que s'il s'appuie sur la
vérité des faits et de la technique.
3-1. La politique de sûreté
EDF
Comme indiqué plus haut, la réflexion
lancée par le Directeur Général dans sa lettre
du 23 août sur l'amélioration du niveau de sûreté
de nos centrales, va orienter toutes les actions de l'Entreprise
en 1990. Un premier document a été préparé
par le SPT pour la fin 1989, et un programme d'actions détaillé
doit être transmis aux Autorités de Sûreté
à la fin du mois de juin 1990. Dans un entretien que j'ai
eu avec le Chef du SCSIN en novembre, j'ai compris que son intention
était de faire examiner les propositions EDF par ses soutiens
techniques habituels, et en particulier par le Groupe Permanent,
l'objectif étant d'aboutir à une lettre-directive
sur la sûreté d'exploitation qui jouerait un peu
le même rôle que celui joué en son temps par
la lettre ministérielle sur les options de conception du palier
1300 MW. Ceci renforce l'importance de la réflexion
en cours, puisqu'elle débouchera in fine non seulement
sur des actions de la seule responsabilité d'EDF, ayant
pour but d'améliorer le niveau de sûreté de
nos centrales, mais également sur un texte para-réglementaire,
que l'évolution actuelle du contexte réglementaire
évoquée en début de ce rapport nous incite
à considérer comme risquant d'ête déterminant
pour l'exploitation future du parc nucléaire EDF. Je suggère
de créer un Comité Sûreté interne de
haut niveau.
Sa première tâche serait
de suivre la progression de la réflexion entreprise conformément
à la décision du Directeur Général,
et de l'approuver formellement avant transmission au Directeur
Général pour envoi aux Autorités de Sûreté
en juin 90. Plus généralement, en me référant
à ce qui a été mis en place par exemple chez
les exploitants américains, je pense que ce «Comité
Sûreté», ou mieux, ce «Comité
de Revue de Sûreté», devrait donner systématiquement
son aval à toutes les actions déterminantes pour
la sûreté conduites par les Directions Opérationnelles,
des désaccords éventuels étant tranchés
par le Directeur Général, et initier éventuellement
des revues internes de sûreté.
3-2. L'évaluation du niveau de sûreté de nos
installations
Lorsqu'on se fixe des objectifs, il faut
également disposer d'un instrument de mesure. Il me paraîtrait
nécessaire qu'EDF se dote d'un outil performant lui permettant
d'évaluer en permanence le niveau de sûreté
de ses installations, en fonction de l'expérience d'exploitation,
et notamment des incidents, dont on cherchera à évaluer
objectivement la gravité. Cet outil comporterait une évaluation
probabiliste en temps réel de la sûreté de
chaque installation, construite à partir de l'acquis de
l'EPS et intégrant de façon vivante le retour d'expérience.
C'est une tâche importante. Il aura fallu quatre ans pour
aboutir sur l'EPS, et sa transformation en outil opérationnel
convivial peut demander un délai comparable, sous réserve
que les Directions Opérationnelles y consacrent un effort
du même ordre. Un tel outil, qui devrait être aussi
disponible pour les Autorités de Sûreté et
leurs soutiens techniques, permettrait de fonder le nécessaire
dialogue technique sur des évaluations concrètes
de l'importance relative de tel ou tel problème, et même
de sa contribution au risque global en valeur absolue. Ainsi d'une
part on répondrait à cette exigence fondamentale
de la sûreté, qui est de discriminer l'essentiel
de l'accessoire, mais aussi on pourrait débarrasser le
dialogue technique de certains effets pervers actuels, tel que
la prise en compte systématique du jugement d'expert le
plus pessimiste.
3-3. Une culture de sûreté
intégrée dans le Projet d'Entreprise
Vu l'importance du rôle joué
par les hommes et leur motivation dans l'obtention d'un niveau
de sûreté élevé, il me paraîtrait
souhaitable de mettre en place des mécanismes visant à
encourager l'établissement d'une Culture de Sûreté
dans toute les unités d'EDF qui sont concernées,
de près ou de loin, par la sûreté nucléaire,
et à en surveiller les progrès. Cela implique certainement
des directives venant d'en haut, mais aussi une politique de communication
interne qui en assure la visibilité et la crédibilité
à tous les échelons inférieurs, car tous
doivent être convaincus que ce n'est pas un concept vide
de sens. Ces directives pourraient encourager certains types d'actions,
et instaurer au niveau global de l'Entreprise un système
de reconnaissance des progrès accomplis.
Mais une véritable Culture de
Sûreté ne s'impose pas d'en haut, elle doit être
créée à la base, et il faut que chaque responsable
d'unité discute avec ses collaborateurs comment cette Culture
doit s'implanter concrètement dans l'activité de
l'unité. Je considère en outre que ce concept ne
se limite pas aux exploitants des centrales, mais qu'il est valable,
avec les adaptations nécessaires, aux acteurs de la sûreté
d'autres Directions Opérationnelles, telles la DE et la
DER, qui doivent trouver elles-mêmes les exigences qui leurs
sont propres.
Pierre TANGUY,
8 janvier 1990.
1. La question
des Indicateurs de Sûreté est traitée au Chapitre
1 du Rapport.
2. Une fiche sur le thème «Culture de Sûreté»
figure dans le rapport joint.
3. IGSN 89-0611.
Parmi les incidents marquants survenus en 1989, aucun n'a eu de conséquences effectives, compte tenu des systèmes de sûreté existants et des lignes de défense successives. Ils mettent néanmoins en lumière des points faibles potentiels, concernant soit des anomalies de comportement de matériels, soit les pratiques d'exploitation, auxquels il faut remédier et dont tous les enseignements doivent être tirés dans le cadre du retour d'expérience.
I. Evolution d'ensemble - Incidents significatifs
Après avoir connu une hausse continue
de 1985 à 1987, le nombre total d'incidents significatifs
du parlier REP 900 a décru de 30% en 1988.
Sur l'ensemble de la période 1985-1988,
le nombre total d'incidents significatifs par tranche-an du REP
900 a décru de 9 à 7,9.
La mise en place des spécifications
techniques en arrêt à froid en 1986, et la meilleure
détection des incidents ne s'accompagnant pas de transitoire
(avec la création des MSQ notamment) ont certainement contribué,
pour une bonne part, à la hausse constatée de 1985
à 1987; de telle sorte que la décroissance d'ensemble
sur la période 85-88 peut être considérée
comme représentative d'un réel progrès en
matière de qualité.
Sur le palier REP 1300, le nombre d'incidents
significatifs a connu également une forte baisse (12,7
par tranche-an en 1986 à 8,9 en 89).
Les six premiers mois de 1989 révèlent
une quasi stabilité du nombre d'incidents.
Sur certains postes on peut noter des
évolutions particulières:
Les arrêts d'urgence
Le nombre d'arrêts d'urgence sur
les deux paliers REP 900 et 1300 montre une baisse constante depuis
1985 pour atteindre respectivement 2,5 et 3,4 par an et par réacteur.
Les incidents liés à une défaillance
humaine
Leur nombre est resté stable sur
la période 85-88 sur le REP 900 (4 par tranche et par an)
et a fortement décru sur le REP 1300, passant de 10 par
tranche et par an en 85 à 4 en 88.
Les incidents de non respect des spécifications
techniques
Après avoir connu une forte hausse
en 85 et 87, le nombre d'incidents de non respect des spécifications
techniques a décru en 1988.
Les incidents en arrêt de tranche
Leur nombre est notablement plus élevé
que la valeur moyenne (3 à 4 fois plus), ce qui est en
rapport avec le volume des activités impliquées
lors d'un arrêt de tranche.
Une analyse par origine et par cause
révèle les aspects suivants:
· La conduite et les automatismes
sont à l'origine de la grande majorité des incidents
significatifs et une part plus faible est liée à
la maintenance. Ceci est probablement dû au fait que les
interventions de maintenance sont généralement suivies
d'une requalification, et d'une remise en service, qui permettent
de détecter les anomalies éventuelles avant restitution
du matériel et avant qu'il ne soit requis pour la sûreté.
· Les défauts de préparation
des activités (conduite, automatismes ainsi que, dans une
moindre mesure, maintenance) et leur planification, constituent
une part importante des incidents rencontrés.
II. Les thèmes forts qui émergent
des incidents marquants en 1989
Les incidents considérés
comme marquants et classés dans l'échelle de gravité
représentent environ 1,5 incident par tranche et par an.
On dénombre 80 incidents classés dont 4 en niveau
2 et 1 au niveau 3.
Concernant les principales avaries de
matériels, il faut citer (niveau 2):
· Le blocage d'une grappe de commande
lors d'une manoeuvre d'arrêt de Gravelines 4, dû à
la rupture d'un crayon absorbant. Un important programme de contrôles
et de remplacement des grappes a été entrepris sur
les tranches 900 MW.
· Les défauts constatés
sur les piquages d'instrumentation des pressuriseurs des tranches
de 1300 MW, qui nécessitent la mise en oeuvre de mesures
palliatives et de procédés de réparation
particuliers.
· Les déformations constatées
à la base des tubes des générateurs de vapeur
des tranches 1300 MW, dues à la présence de boues
et de particules métalliques.
Des contrôles approfondis sont
effectués por obturer les tubes affectés et le nettoyage
des plaques tubulaires, mis en oeuvre à Nogent, sera généralisé.
Ces anomalies illustrent l'importance et le cout des mesures palliatives
àmettre en oeuvre face à des défauts de nature
générique.
Les incidents mettant en cause les pratiques
d'exploitation représentent la majeure partie de autres
incidents marquants.
Ils portent essentiellement sur les thèmes
suivants:
· planification des interventions
sur des voies redondantes et risques de modes communs; état
de tranche inadapté
· organisation des interfaces
et communication entre la conduite et la maintenance, les essais
· propreté-qualité
· confusion de tranche
· confusion de matériels:
erreurs de bouchage de tubes de GV, erreurs de goujon
· remise en configuration après
intervention: lignage des circuits ou des matériels - étiquetage
- dispositifs et moyens provisoires (bridage soupape)
· intervention sur les automatismes:
controbloc - strapp - bornes à couteau - inversion de filerie
· incendie: présence de
déchets ou de solvants
· incidents liés aux modifications:
mise à jour de documents
· qualité des approvisionnements
· défauts d'analyse de
sûreté.
Concernant les incidents liés
à la qualité de la maintenance à proprement
parler, on note qu'il en émerge relativement peu parmi
les incidents marquants mais que leur impact vis-à-vis
de la sûreté est important lorsqu'il n'y a pas de
procédure de récupération en fin d'intervention.
Les effets de ces incidents peuvent alors perdurer pendant un
cycle de fontionnement. Trois incidents particulièrement
significatifs doivent être cités:
· Blocage en mauvaise position
d'une vanne RIS à Dampierre (1988);
· Le décalage de la pression
d'ouverture des soupapes du circuit primaire à Gravelines
(niveau 3);
· L'indisponibilité partielle
du circuit de ventilation de l'enceinte à Dampierre, mettant
en cause l'efficacité de la recombinaison d'hydrogène
en cas de brèche du circuit primaire (niveau 2).
Ces deux incidents ont révélé
deux caractéristiques communes aggravantes:
· ils résultent chacun
d'une intervention menée simultanément sur des voies
redondantes et ont créé un mode commun de défaillance;
· ils n'étaient suivi d'aucune
requalification ou vérification complémentaire avant
redémarrage.
Les enseignements tirés de ces
deux incidents concernent en particulier la gestion des dispositifs
provisoires d'intervention, la systématisation des essais
de requalifcation et de procédure de vérification
avant redémarrage.
Une réflexion approfondie est
en cours sur l'organisation et l'adaptation de moyens, en particulier
dans le domaine de la maintenance, afin d'améliorer nos
pratiques pour en faire autant de lignes de défense et
pallier les risques d'erreur par la prévention et l'anticipation.
Des mesures concrètes seront définies pour l'année
1990.
Des actions sont également nécessaires
pour développer une culture de sûreté permettant
d'en saisir les aspects essentiels et pour clarifier les règles
de sûreté et qualité afin d'adapter le niveau
des exigences de qualité des activités à
leur importance pour la sûreté.
III. Conclusion
L'évolution
du nombre des incidents significatifs, notamment dans certains
domaines spécifiques tels que les arrêts d'urgence,
associée à un contexte général de
transparence accrue, montre une tendance globale vers une amélioration
de la sûreté et de la qualité en exploitation.
Ce bilan global positif ne doit pas être
occulté par les événements marquants survenus,
dont il y a lieu par ailleurs de tirer tous les enseignements.
Parmi ces événements, certains
révèlent soit des problèmes matériels
génériques, soit des domaines sensibles dans nos
pratiques d'exploitation, notamment en matière d'organisation,
de planification, d'interfaces et de communication, et de vérification
qualité après intervention.
Les enseignements à tirer portent
donc d'une part sur la gestion du parc face à des problèmes
génériques importants, et d'autre part, sur l'adaptation
de nos organisations, méthodes et moyens, pour mieux maîtriser
la sûreté et prendre en compte le facteur humain
dans nos pratiques quotidiennes d'exploitation. Ils portent aussi
sur la clarification de nos règles de sûreté
et qualité, en les simplifiant là où c'est
possible et en les renforçant là où c'est
nécessaire, pour obtenir une meilleure adaptation entre
le niveau des exigences et l'importance pour la sûreté.
Cette démarche d'amélioration
passe par un développement de la culture de sûreté
et une adhésion de chacun, en tant qu'acteur et partie
prenante dans la sûreté en exploitation.
Extrait de La Gazette Nucléaire n°100.