FAITS DIVERS ET SOCIETE |
JEAN-PAUL TAILLARDAS
Déléguée régionale d'EDF, Martine Griffon-Fouco reconnaît que la protection de la centrale nucléaire contre les inondations devra être revue
Les scientifiques pensaient avoir tout prévu. Tout, sauf, par
exemple, la tempête du siècle. Voilà comment un fleuron de la
technologie comme la centrale nucléaire du Blayais s'est retrouvé
les pieds dans l'eau, les réacteurs en berne, les systèmes de
sécurité hors service et àdeux doigts de la panne de courant.
Tout cela parce que l'eau a franchi des digues... infranchissables.
Déléguée régionale d'EDF, ancienne directrice de la centrale,
Martine Griffon-Fouco, qui affirme qu'à aucun moment il n'y a
eu danger, reconnaît qu'une erreur d'appréciation a été commise
lors de la définition des protections contre l'eau.
«SUD-OUEST ». - Comment l'eau a-t-elle pu aussi facilement franchir
la digue ?
MARTINE GRIFFON-FOUCO. - Un phénomène de l'ampleur de la tempête
du 27 décembre n'avait jamais été intégré. La centrale avait été
construite à4,50 m au-dessus du niveau de la mer. Des études entreprises
dans les années 80 ont amené àla construction de la digue de 5,20
mètres. Elle semblait suffisante àceux qui connaissaient l'estuaire.
Les marées de 1995-1996 ont montré qu'elle pourrait être insuffisante,
d'où la décision en 1998 de la rehausser de 50 centimètres.
«S.-O. ». - Pourquoi reporter ces travaux à2002 ?
M. G.-F. - Pour les regrouper avec la visite décennale de la centrale.
L'idée que l'eau franchisse la digue existante restait improbable.
D'ailleurs, elle n'aurait pas suffi : la nuit de la tempête, des
vagues passaient à1 mètre, 1,50 m au-dessus. Nous entreprenons
de nouvelles études tenant compte du cumul de grandes marées (120),
d'une crue millénale et du vent. Il faudra donc revoir les études.
Ne vaudrait-il pas mieux imaginer un brise- lames ? Il faudra
revoir l'étanchéité, prévoir des portes àl'épreuve de l'eau. L'événement
unique en France et dans le monde vécu àla centrale nous permettra
de progresser.
«S.-O. ». - Si l'on se trompe sur une question aussi banale qu'une
protection contre l'inondation, comment faire confiance au nucléaire
lui-même ?
M. G.-F. - On ne peut dire que le risque zéro n'existe pas. Dans
le cas de Blaye, c'est vrai que les éléments extérieurs n'ont
peut-être pas été suffisamment pris en compte. De là àtout remettre
en cause dans le nucléaire...
«S.-O. ». - EDF a donné l'impression de cacher quelque chose.
M. G.-F. - Beaucoup de communiqués de presse ont été diffusés.
Peut être trop. Et pas assez clairs. Nous avons parlé avec des
termes trop compliqués.
«S.-O. ». - Quel est le degré de risque qui a été atteint ? Est-
on passé, après examen, du niveau 1 au niveau 2, sur une échelle
qui en compte 7 ?
M. G.-F. - La première préoccupation a été de travailler dans
l'urgence. Le réexamen est venu après. Ce qui est important, c'est
que, contrairement àce qui est dit, la situation est restée normale.
Les trois réacteurs se sont arrêtés automatiquement. Un réacteur,
c'est comme un poêle qui chauffe. Pour l'éteindre, on plonge des
barres de cadmium qui, en deux secondes, réduisent sa puissance
de 100 % à7 %. Dans les deux heures qui suivent, elle tombe à1
%. Les systèmes de sécurité, ceux qui ont été inondés, n'interviennent
qu'en cas de surchauffe ou de surpression. Les deux réacteurs
étant arrêtés, le risque était infime. Pas question de risque
de fusion. L'inondation et l'arrêt des réacteurs sont deux choses
différentes. Le vrai problème est celui de l'étanchéité.
«S.-O. ». - Comment expliquez-vous cette crainte qui a saisi le
Blayais et au-delà ?
M. G.-F. - A titre personnel, je suis persuadé que l'incident
a été exploité par les Verts comme un contre-feu pour se refaire
une santé après la marée noire de l'« Erika ». Je n'ai pas peur
de le dire : on n'a pas le droit de jouer inutilement sur la peur
des gens.