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DU BON USAGE DES ANTINUCLÉAIRES!


L
es opposants au lobby atomiste ont longtemps étés considéré par les autorités, la presse, les partis politiques et la population, comme les derniers des arriérés, des sectaires anti-progrès, voire, des naïfs manipulés par de quelconques puissances étrangères ou occultes. Même après l'accident de Tchernobyl, événement vecteur de doute, l'image de marque des antinucléaires n'avait pas progressé pour autant. Les antinucléaires, plus particulièrement les écologistes, se sont trop souvent cantonnés à un "c'est dangereux, ça pollue et ça coûte cher, les énergies renouvelables à la place" qui n'avait rien de convaincant; et leur incompétence exprimée lors de débats, dans leurs tracts ou leur presse, nous a souvent porté plus préjudice qu'assistance.

Agir contre le nucléaire n'est pas chose facile : il est préférable d'acquérir quelques notions de technologie (physique nucléaire, thermodynamique, mécanique générale, mécanique des fluides, électricité, hydrologie, météorologie), mais aussi des connaissances en radioprotection, économie, implications sociales, stratégies énergétiques, etc. Certains d'entre nous, bien que n'ayant pas suivi d'études poussées, sont parvenus à acquérir suffisamment de connaissances pour affronter les spécialistes, question de motivation; il est même un ancien cancre, doté de son seul certificat d'études primaires, qui se permet d'emm... les experts sur leur propre terrain. Le plus difficile, lorsque l'on possède ces éléments et que l'on est confronté à l'événement (incident, pollution chimique ou radioactive, désinformation des populations sur l'effet de serre ou les énergies renouvelables) est de les communiquer au public ou à la presse de façon compréhensible. La complexité rebute, et le monde du nucléaire est, en apparence, très complexe.

Nogent-sur-Seine, 1987 : le Comité Stop-Nogent manifeste dans les rues, pour la première fois depuis Tchernobyl; la population affirme son profond mépris en fermant portes et volets sur notre passage.

Une nuit de 1988, une soupape de surpression du circuit secondaire d'une des tranches s'ouvre, libérant dans l'atmosphère de la vapeur d'eau à 70 bars. Ce n'était qu'un banal incident sans risque, mais le bruit était effrayant, spectaculaire. L'hostilité des riverains à notre égard disparaît; la présidente de la Commission locale d'information (CLI) tente vainement de nous interdire l'accès de la réunion.

Juin 1989, des prélèvements de mousses aquatiques, que nous avions prélevé en Seine à l'aval de la centrale et fait analyser par le laboratoire de la CRII-RAD, révèlent une contamination significative de la rivière. La presse régionale, nationale, les chaînes de télévision, s'emparent de l'affaire à grand bruit. Non seulement nous venions de remettre en cause (une fois de plus) la fiabilité de l'autorité en charge de la surveillance radiologique, mais aussi, et de par l'abondance de l'isotope 58 du cobalt rejeté dans l'environnement, nous avions mis en évidence un important problème de corrosion dans le circuit primaire de l'installation. Le préfet de l'Aube, après nous avoir transmis un rapport semi-confidentiel que nous refusait l'exploitant, invitait Stop-Nogent à débattre contradictoirement face à la presse. Suite à cet incident, le réacteur restera 10 mois à l'arrêt; et l'Autorité de sûreté de contraindre EDF au contrôle préventif de l'ensemble des réacteurs de la même génération (6 réacteurs sur les 20 du palier 1300 MWe étaient concernés et en cours d'altération). Le débat sur les erreurs de conception, le vieillissement prématuré des installations et la réévaluation du risque d'accident était lancé.

Stop-Nogent venait ainsi de passer du stade de groupuscule ignare anti-progrès au rang d'honorable association de citoyens contestataires, emm... certes, mais utiles. Et le comité (ou certains de ses membres à titre individuel) d'être invité à intervenir, ici dans un débat, là dans une audition parlementaire ou devant une commission de la Mairie de Paris (première reconnaissance implicite de la menace que la centrale de Nogent-sur-Seine constitue pour la capitale), ailleurs sur une décharge radioactive ou un site contaminé. Nous sommes même invités à participer officiellement à la Commission locale d'information, avec poste au comité de pilotage (obligation de réserve à l'appui), offre que nous déclinerons. Certains nous classifient ainsi dans le rôle de contre-expert, ce que nous ne sommes pas et refusons d'assumer.

D'autres ont profité de cette image de plus-value médiatique du contestataire, pour gravir les échelons à l'occasion de campagnes électorales, ou être promus à une quelconque direction d'Agence ou d'Institut. Ils sont allés jusqu'à s'enorgueillir d'une supposée victoire contre Superphénix, alors qu'il ne s'agissait, en terme diplomatique, que d'une sortie "honorable" de la filière, plus facile à digérer que l'aveu cuisant d'un échec technologique, scientifique, énergétique et économique. Ces pratiques opportunistes ne sont ni dans notre mentalité, ni dans nos convictions, ni dans nos ambitions. Des journalistes, qui par ailleurs ne ratent pas une occasion de nous dénigrer, ont recopié, presque mot pour mot, des articles que nous avons publié dans de précédents numéros de notre publication, en s'en attribuant la paternité, alors qu'ils n'avaient ni la compétence, ni la connaissance pour les rédiger. La métamorphose des cloportes à l'évidence.

D'ardents défenseurs du nucléaire, par ailleurs totalement convaincus de l'inéluctabilité d'un accident majeur, bottent en touche des balles foireuses, avec l'espoir que nous les ferons rebondir médiatiquement, obligeant ainsi les politiciens à intervenir en direction des exploitants, afin de les contraindre à un meilleur respect des normes de sûreté.

Les riverains des centrales nucléaires, et bien au-delà, totalement inintéressés par un débat sur le nucléaire, qu'il soit organisé par les "anti" ou les "pro", préfèrent vivre bien au chaud de leurs petites préoccupations quotidiennes. Mais ils n'ont plus confiance ni en EDF, ni dans les institutions chargées de la surveillance, ni dans les politiciens chargés de contrôler les organismes contrôleurs et l'exploitant. Choisir entre le risque de voisinage et la manne financière déversée par EDF c'est compliqué! Leur manque de motivation les placera, lors de l'inéluctable catastrophe à venir, devant leur co-responsabilité de l'événement, et des conséquences qu'ils pourront alors subir, eux et leur progéniture. Dans le passé, quand quelque chose ne tournait pas rond à la centrale de Nogent et que l'exploitant ou les autorités dissimulaient l'événement, les riverains, voire les champenois et les franciliens, ont pu lire dans la presse, ou voir à la télé, Stop-Nogent monter au créneau; donc, si nous nous taisons, c'est interprété comme une absence de problème à la centrale de Nogent. De fait, le Comité Stop-Nogent rassure ainsi les populations, et leur ôte le peu de désir qu'ils leur restait de s'intéresser à la question.

Devant ces comportements irrationnellement humains, il nous vient parfois l'envie de mettre la clé sous la porte; et ce serait déjà chose faite si nous n'avions pas les idées claires et précises sur la probabilité d'un accident majeur et les conséquences qui s'en suivront. Après un quart de siècle d'offensive nucléariste, les promoteurs de l'atome énergétique sont aujourd'hui contraints, face à l'opinion publique, à une stratégie défensive. Dans ce contexte, une catastrophe se traduirait par une régression conséquente des processus économiques, sociaux, sanitaires et démocratiques. Et nous ne sommes vraiment plus très nombreux pour y faire face; d'ailleurs, l'avons-nous été un jour.

Et puis il y a tous ces intégristes à l'idéologie scientiste, adorateurs du dieu Atome, prêts à brûler vifs les hérétiques que nous sommes; et puis il y a tous ces politiciens véreux, prêts à dire n'importe quoi un jour, et son contraire le lendemain; et puis il y a tous ces arrivistes, élus ou promus grâce à l'activisme antinucléaire, et qui nous promettent de prendre AUJOURD'HUI la décision de sortir de l'atome dans 30 OU 40 ANS; et puis il y a tous ceux, arithmétiquement défaillants, qui nous garantissent de sortir du nucléaire un jour, avec des énergies renouvelables. On ne peut décidément pas laisser dire ces gens-là.

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