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La sûreté des réacteurs

Le fleuron français : la saga des fissures sur le palier n4

Il y a un peu plus d'un an, Christian Pierret secrétaire d'État à l'industrie et Edmond Alphandéry, alors président d'EDF, se sont rendus à la centrale nucléaire de Chooz. Durant la visite C. Pierret a tenu à féliciter EF " pour la conception et la mise en service de Chooz B, qui est, à ce jour, la centrale à eau sous pression la plus avancée au monde. Une véritable vitrine technologique que même les Américains nous envient " (La Vie électrique, 297, déc-janv. 1998). La centrale comprend deux réacteurs B1 et B2 de 1450 MW couplés au réseau en 1996 et 1997 (avec cinq ans de retard). Ce sont les tout nouveaux réacteurs du palier N4, avec celui de Civaux-1 couplé au réseau en décembre 1997 et Civaux-2 en instance de démarrage, retardé par les déboires de son jumeau au mois de mai dernier et de ceux des réacteurs de Chooz. Depuis les propos triomphalistes de C. Pierret la vitrine technologique de Chooz et Civaux s'est fissurée en même temps que les tuyauteries et cause bien des soucis. Si l'EPR, le réacteur européen du futur vanté par EDF et ses supporters est encore une version "améliorée" de ce palier N4 on n'est pas à l'abri de surprenantes surprises A l'intérieur de l'establishment nucléaire il y a sûrement des gens préoccupés par les "performances" annoncées par EDF. Il y en a peut-être même qui souhaiteraient une opposition plus radicale des antinucléaires pour les aider à stopper cette nouvelle aberration des technocrates.

Nous avons analysé l'incident survenu en mai dernier sur le circuit de refroidissement à l'arrêt (RRA) du réacteur Civaux-1 dû à la fissuration par fatigue thermique d'un coude situé à proximité d'un té de mélange eau chaude/eau froide (Lettre d'information du Comité Stop-Nogent nº80, avril-juin 1998; Gazette Nucléaire 167/168, août 1998). Nous avons insisté sur les erreurs de conception, les lacunes du contrôle qualité, sur le non-respect par EDF des consignes de conduite alors même que l'intégrité du circuit primaire était mise en défaut par l'incident. EDF, qui, selon son slogan " nous doit plus que la lumière ", devrait sans faute nous éclairer sur sa nouvelle conception de défense en profondeur

Les contrôles métallurgiques non-destructifs effectués sur les deux réacteurs B1 et B2 de Chooz ayant révélé le même phénomène de fatigue thermique, ces réacteurs ont été déchargés, B1 en juillet et B2 à la fin juin. Notre fleuron N4 était complètement en panne.

Que s'est-il passé depuis?

Passons rapidement sur le fait qu'EDF a menti en affirmant qu'il n'y avait pas eu de rejets radioactifs dans l'environnement puisqu'on a appris que, suite à des erreurs de manutention et de mesure d'activité, un rejet intempestif d'effluents radioactifs liquides a bel et bien été effectué dans la Vienne mais qu'il a été classé au niveau 0 de l'échelle INES. De faible volume a-t-on dit et d'activité nettement inférieure aux limites prescrites, le jour où avait lieu une sortie en canoë-kayak non loin du point de rejet des effluents. Passons sur le fait que la Commission Locale d'Information n'a pas été informée de ce délestage (Bulletin d'Information de Stop-Civaux, nov.-déc. 98, janv. 99).

Pour remédier à la situation, d'après nos sources trois sortes de modifications ont été apportées sur chacune des deux voies du circuit RRA du palier N4, concernant la conception du circuit, la fabrication des tuyauteries, l'exploitation du circuit RRA.


Conception

Un nouveau tracé a été conçu pour la portion de circuit RRA où le coude s'est fissuré après le té de mélange. La barre du T est désormais horizontale et comprend d'un côté l'arrivée d'eau chaude et de l'autre le mélange eau chaude/eau froide, l'eau froide arrivant dans la branche verticale. On a éloigné la zone de mélange de la première soudure qui raccorde le té au restant de la tuyauterie du circuit RRA en rallongeant d'une façon dissymétrique la portion de barre du T où s'effectue le mélange.


Fabrication

Un traitement interne (du type polissage) durcit l'acier sur la surface intérieure de cette portion du circuit pour le rendre moins susceptible au phénomène de faïençage thermique.


Exploitation

La durée de fonctionnement du circuit RRA est limitée à 1200 heures sur 3 cycles. EDF doit faire des contrôles sur les parties pouvant présenter de la fatigue thermique. Une caméra surveille le circuit dans la partie qui a été remplacée par la nouvelle configuration. Des jauges de contraintes et des thermocouples ont été placés sur la peau externe de la tuyauterie dans la zone de mélange. (Il y aurait également un thermocouple implanté à l'intérieur de la paroi).

C'est dans ces conditions que la Direction de la Sûreté des Installations Nucléaires (DSIN) a autorisé EDF à faire fonctionner les réacteurs de Chooz pour un cycle d'un an et donc EDF a commencé à effectuer le rechargement en combustible bien que tous les paramètres thermo-hydrauliques de la nouvelle configuration n'aient pas, faute de temps, été étudiés. En somme les essais de qualification vont être faits sur les réacteurs en fonctionnement, ce qui revient à utiliser la centrale de Chooz comme un laboratoire de mise au point. Comme d'habitude un compromis batard entre coût et sûreté. Cela nous a paru inadmissible. Mais parole d'ingénieur, on nous a garanti qu'il n'y avait pas de risque à fonctionner de cette façon.

Cependant les contrôles métallurgiques ont continué depuis juillet sur le réacteur de Civaux-1 qui, lui, n'est pas encore rechargé depuis l'incident de mai dernier.

La DSIN a demandé à EDF de recenser sur le RRA de Civaux-1 toutes les zones sensibles susceptibles d'être des zones de mélange, bien que les écarts de température eau chaude/eau froide ne puissent être qu'inférieurs à ceux ayant provoqué la fissuration du coude observée en mai dernier, et de les contrôler. Les 5 et 6 décembre, patatras! EDF informe la DSIN que les contrôles complémentaires par ultrasons montrent des indications dans une zone de mélange d'un autre té, sur la ligne de débit nul de la pompe. Les tronçons correspondants ont donc été déposés pour être expertisés : il y a une fissuration de la paroi interne d'une soudure sur une longueur de 18 cm pour une tuyauterie de 10 cm de diamètre et elle affecte donc la soudure sur plus de la moitié de la circonférence. Ce serait du faïençage thermique comme pour le tronçon déposé au mois de mai dernier.

Et les réacteurs de Chooz? A cette date le chargement en combustible n'est pas complètement terminé mais est déjà réalisé aux 3/4. On effectue dare-dare des examens par ultrasons au voisinage du té de la ligne de débit nul : ils montrent des indications nombreuses en particulier sur le réacteur B1. Dilemme pour EDF : décharger le réacteur, changer les tronçons et recharger? Aux simples pékins que nous sommes cela paraîtrait la solution minimale à adopter tout en pensant qu'il est aberrant de faire fonctionner des gros bazars, de plus en plus gros et dangereux dont on ignore complètement comment ils se comportent d'un point de vue métallurgique. Ce qu'a admis D. Quéniart, un des responsables de l'Institut de Protection et Sûreté Nucléaire (IPSN) lors d'une réunion de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) du 8 décembre " personne a été capable de dire pourquoi au juste ça a craqué [le RRA de Civaux] " (Nucleonics Week, December 10, 1998). Mais ce n'est pas ainsi que raisonnent nos spécialistes. Pour eux il y a une autre alternative, c'est de ne pas décharger le réacteur, de faire marcher une seule voie du circuit RRA pendant que sur l'autre voie on découpe la mauvaise portion de circuit et on inverse pendant qu'on répare la deuxième. En somme on élimine volontairement la redondance.

Comment peut-on être amené à ce genre de "solution"? Et bien le déchargement puis le rechargement posent des problèmes à EDF. Non il ne s'agit pas seulement d'une perte de temps et bien sûr le temps c'est de l'argent et tous ces déboires sur notre "vitrine nationale" ça fait mauvais effet au niveau international. (Vous n'en trouverez aucune mention dans l'article consacré au palier N4 sur Internet par un rédacteur de Mechanical Engineering et EDF se fait ainsi de la publicité auprès de The American Society of Mechanical Engineers). Et si ça prend beaucoup de temps alors qu'on doit rester sur le circuit RRA, ce temps est pris sur le quota d'heures permis par la DSIN ce qui restreint l'utilisation ultérieure du circuit RRA.

Les difficultés liées au déchargement puis au rechargement du cur proviennent de ce que les assemblages combustibles sont très déformés. D'après l'article de Nucleonics Week déjà cité une source indique " () les assemblages sont tellement courbés que cela prend jusqu'à trois heures pour remettre un assemblage dans le cur et une autre opération de déchargement-rechargement pourrait poser des problèmes sévères ". (Il y a 205 assemblages pour un cur du palier N4 au lieu de 193 pour les réacteurs de 1300 MW. Il y en aura encore plus dans l'EPR ce super-fleuron auquel Pierret tient si fort). La courbure des assemblages serait due à la longueur des crayons combinée à un manque de rigidité des structures-guides. Des ruptures de crayons de combustible peuvent en résulter. Cela s'est déjà produit à Chooz. (Et cela vient de se produire à Cruas, un crayon endommagé a entraîné des rejets dans le bâtiment réacteur et a conduit, avec retard, à une évacuation du personnel. Pas de contamination significative du personnel a-t-on dit comme d'habitude).

Des analyses probabilistes auraient été effectuées par le DES (Département d'études de sûreté) de l'IPSN pour savoir quelle était la meilleure solution entre décharger puis réparer ou bien réparer sans décharger. Des analyses de risques. Quels risques? Sur ce point nous n'avons pas pu avoir d'informations. Nous aimerions pourtant connaître les bases sur lesquelles se font de telles analyses. Et ce qu'il en est résulté.

EDF a perdu son pari en rechargeant précipitamment les réacteurs de Chooz avant d'avoir l'expertise complète de Civaux-1.

Qu'en est-il du circuit primaire? S'il y a eu des changements de conception dans les tuyauteries par rapport aux réacteurs du palier 1300 MW ça risque d'être aussi génial que pour le circuit RRA. On n'a pas fini de voir les problèmes s'accumuler.

Remarquons qu'il n'y a aucun renseignement sur Magnuc à propos de Chooz depuis la mise à jour du 18 décembre 1998 où, curieusement il est indiqué l'arrêt du réacteur B1 depuis le 21 juin et son déchargement terminé depuis le 17 juillet, l'arrêt du réacteur B2 depuis le 7 juin et le déchargement terminé depuis le 29 juin pour intervention sur le circuit RRA mais il n'y a pas un mot sur le rechargement de B1 (autorisé le 17 novembre) ni sur celui de Chooz B2. (Est-il chargé ou non?). Ce sont des informations très transparentes!

Ajoutons qu'EDF s'attendait à avoir des problèmes sur les plus vieux réacteurs du palier 900 MW mais pas sur ces tout nouveaux réacteurs du palier N4. Remarquons cependant qu'il n'était pas prévu que ces derniers restent si longtemps en situation d'attente sur le circuit RRA : pauvre Chooz B1 qui a eu des ennuis de turbine et donc une période d'essais très longue et qu'il a fallu approvisionner avec la turbine de Civaux-2 et pauvre Civaux-1 qui a dû fonctionner avec son RRA pendant 3 mois à cause d'un problème d'alternateur.

Et la mise en évidence des défauts métallurgiques ne connaît pas de répit. Aux dernières nouvelles le circuit de l'alimentation de secours des générateurs de vapeur sur le réacteur Chooz B1 serait affecté par de la fatigue thermique. Là encore il y a eu innovation du palier N4 avec remplacement, dans une partie du circuit, d'un tuyau unique par deux tuyaux. Hélas, l'"amélioration" entraînerait de la fatigue thermique dans le tronçon commun où eau chaude et eau froide se mélangent.

Décidément la mise au point des joujoux d'EDF laisse à désirer. Suspense à suivre!

Nota : Lors de la mise à l'arrêt d'un réacteur, en conditions normales ou incidentelles, il est nécessaire d'évacuer la chaleur du circuit primaire et la puissance résiduelle du combustible, puis de maintenir l'eau primaire à basse température pendant la durée de l'arrêt. En effet après l'arrêt de la réaction en chaîne le cur continue à produire de la chaleur. Cette puissance résiduelle due à la seule radioactivité du cur pourrait suffire à endommager, voire à faire fondre le combustible, dégageant une grande quantité de produits radioactifs. Rappelons qu'au départ l'eau est sous pression (155 bars) et à haute température, voisine de 320ºC. Le refroidissement est d'abord assuré dans un premier temps par les générateurs de vapeur, puis quand pression et température se sont abaissées (environ 28 bars et 180 ºC) par le circuit de refroidissement à l'arrêt RRA. On voit que sur le palier N4 non seulement le circuit RRA a été défaillant mais aussi le circuit auxiliaire d'alimentation de secours des générateurs de vapeur, les deux circuits étant indispensables pour assurer la sûreté lors de la mise à l'arrêt du réacteur.

Bella Belbéoch, 20 février 1999.
(Publié dans la Gazette Nucléaire 171/172, février 1999).

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