Des animaux irradiés commencent à
donner naissance à des mutants, affirme le Pr Konovalov.
Ce biologiste ukrainien collectionne même certains spécimens
dans un étrange musée.
C'était un poulain extrêmement
bizarre, né avec huit pattes, peu après l'accident
survenu à la centrale nucléaire de Tchernohyl, dans
la région dc Jitomir. Il fut le premier mutant de Tchernobyl
découvert par les scientifiques*. Lors du 38e congrès
du Parti communiste [juillet 1990], une photo de l'animal a été
montrée à Mikhaïl Gorbatchev, qui l'a repoussée
en disant : "C'est une diablerie quelconque, un montage."
Le poulain est devenu le premier spécimen du musée
du Pr Viatcheslav Konovalov. Docteur en biologie, chercheur réputé
de l'université d'Etat de Kiev, il a, mandaté par
les services secrets, consacré vingt ans à l'étude
des répercussions de la pollution radioactive et chimique
sur les êtres vivants. En 1986, il renonce à son
bel appartement de la capitale ukrainienne pour s'installer dans
le foyer d'un institut agricole de province, à Jitomir
où il fonde son musée. En bon généticien,
il avait compris que c'était précisément
dans cette région, la plus atteinte, qu'allaient se produire
les mutations les plus spectaculaires.
C'est à la suite d'une visite au kolkhoze Lénine,
de Naroditchi [à l'ouest de Tchernobyl],
que Viatcheslav Konovalov a eu l'idée de constituer une
collection des monstres de Tchernobyl. Dans cette exploitation,
on avait vu naître, après l'accident, des veaux à
deux têtes et des porcelets avec un pelage raide et gris,
pareil à celui de certains chiens. Konovalov y trouva aussi
une vache à quatre cornes, dont deux avaient poussé
sur le front de la malheureuse bête, et un veau sans péritoine
dont l'estomac était apparent. Il y vit des gorets aux
groins déformés par des hernies, avec deux corps
pour une tête, ou deux têtes pour un tronc, à
six pieds, ou sans pattes du tout.
Ses premiers spécimens de musée, il les a trouvés
dans des décharges - où les vétérinaires
les y avaient jetés -, puis les a fait naturaliser ou mettre
dans du formol. Aujourd'hui, les présidents et responsables
sanitaires des exploitations locales, les médecins de district,
lui servent de "pourvoyeurs". Dès qu'un être
anormal vient au monde, ils l'en informent. Dans son musée,
il a même (les foetus de cinq ou six mois, sans jambes,
dont les visages présentent des malformations. Ce que sa
collection révèle de plus terrible, c'est l'augmentation
annuelle du nombre de mutants: alors qu'en 1986 il n'avait trouvé
que deux spécimens, on ne cesse aujourd'hui de lui signaler
de nouveaux cas. Les travaux de Viatcheslav Konovalov tendent
à démontrer que des gènes cachés se
manifestent sous l'effet des radiations. Les humains et animaux
qu'il a étudiés souffrent d'une fragilité
croissante des chromosomes, de troubles du métabolisme
et d'affections du système nerveux central.
Son objectif est que "les gens prennent conscience du
danger". En ville, on le qualifie d'oiseau de mauvais
augure. Les habitants font un grand détour pour éviter
son horrible musée, où ne viennent plus que des
spécialistes, des chercheurs et des journalistes. On aurait
pu espérer que des sommités scientifiques démentiraient
les chiffres et les conclusions de Konovalov, mais la Commission
nationale pour la protection de la population contre les radiations
tient son musée et ses travaux en grande estime. M. Grodzinski,
l'académicien qui préside la commission, a confirmé:
"On observe actuellement, à la suite de la catastrophe,
une dégradation du patrimoine génétique des
humains et des animaux. L'homme dispose de systèmes qui
s'opposent aux mutations, mais les radiations les endommagent.
Les anomalies deviennent une réalité. Il se passe
la même chose chez les végétaux. Dans un champ
de blé que nous avons fait pousser près de Jitomir
nous avons pu dénombrer, en deux ans, 2000 mutations."
Ces dix dernières années, la fréquence
des mutations chez les enfants a été multipliée
par 2,5 et on constate des anomalies chez un nouveau né
sur cinq dans la zone contaminée, et chez un sur six dans
les régions ukrainiennes plus éloignées.
Un tiers des enfants de Jitomir viennent au monde avec des affections
psychiques. Les femmes des zones irradiées sont deux fois
plus malades que les hommes, ce qui n'a jamais été
observé auparavant. Chez les animaux, avant l'accident,
à Jitomir on avait enregistré 83 cas de mutalion
sur 8 000 vaches; aujourd'hui, on compte 180 cas.
Pour rendre sa collection plus impressionnante encore, le Pr Konovalov
a décidé d'y faire figurer des spécimens
vivants. Il a ainsi capturé, dans la zone d'exclusion,
un coq aux pattes couvertes d'un pelage, et il a acheté
des poules atteintes par les radiations. Il attend désormais
la descendance anormale qui en naîtra : "Il est
désormais impossible de réfuter l'existence de mutants
vivants, comme cela avait été le cas pour le poulain
à huit pattes."
*Une équipe de scientifiques américains a étudié en 1995 la faune proche de Tchernobyl. Ils n'ont pas trouvé trace d'animaux mutants on malformés. Mais des souris étudiées sur place portent dans leur ADN la trace d'une évolution "comparable à ce qu'elle serait normalement au bout de 10 millions d'années" (Le Monde diplomatique, avril 1996).
Lanina Sokolovskaïa,
IZVESTIA n°285, 18/24 avril 1996,
Moscou.
Photos ajoutées par Infonucléaire:
Poulin nouveau-né à huit sabots.