Le Pr Viacheslav Konovalov, 11 mars 1996, Jitomir.

Porcs à deux têtes et autres monstres
(Voir la vidéo, régler à 13mn30)

Des animaux irradiés commencent à donner naissance à des mutants, affirme le Pr Konovalov. Ce biologiste ukrainien collectionne même certains spécimens dans un étrange musée.

C'était un poulain extrêmement bizarre, né avec huit pattes, peu après l'accident survenu à la centrale nucléaire de Tchernohyl, dans la région dc Jitomir. Il fut le premier mutant de Tchernobyl découvert par les scientifiques*. Lors du 38e congrès du Parti communiste [juillet 1990], une photo de l'animal a été montrée à Mikhaïl Gorbatchev, qui l'a repoussée en disant : "C'est une diablerie quelconque, un montage." Le poulain est devenu le premier spécimen du musée du Pr Viatcheslav Konovalov. Docteur en biologie, chercheur réputé de l'université d'Etat de Kiev, il a, mandaté par les services secrets, consacré vingt ans à l'étude des répercussions de la pollution radioactive et chimique sur les êtres vivants. En 1986, il renonce à son bel appartement de la capitale ukrainienne pour s'installer dans le foyer d'un institut agricole de province, à Jitomir où il fonde son musée. En bon généticien, il avait compris que c'était précisément dans cette région, la plus atteinte, qu'allaient se produire les mutations les plus spectaculaires.

C'est à la suite d'une visite au kolkhoze Lénine, de Naroditchi [à l'ouest de Tchernobyl], que Viatcheslav Konovalov a eu l'idée de constituer une collection des monstres de Tchernobyl. Dans cette exploitation, on avait vu naître, après l'accident, des veaux à deux têtes et des porcelets avec un pelage raide et gris, pareil à celui de certains chiens. Konovalov y trouva aussi une vache à quatre cornes, dont deux avaient poussé sur le front de la malheureuse bête, et un veau sans péritoine dont l'estomac était apparent. Il y vit des gorets aux groins déformés par des hernies, avec deux corps pour une tête, ou deux têtes pour un tronc, à six pieds, ou sans pattes du tout.

Ses premiers spécimens de musée, il les a trouvés dans des décharges - où les vétérinaires les y avaient jetés -, puis les a fait naturaliser ou mettre dans du formol. Aujourd'hui, les présidents et responsables sanitaires des exploitations locales, les médecins de district, lui servent de "pourvoyeurs". Dès qu'un être anormal vient au monde, ils l'en informent. Dans son musée, il a même (les foetus de cinq ou six mois, sans jambes, dont les visages présentent des malformations. Ce que sa collection révèle de plus terrible, c'est l'augmentation annuelle du nombre de mutants: alors qu'en 1986 il n'avait trouvé que deux spécimens, on ne cesse aujourd'hui de lui signaler de nouveaux cas. Les travaux de Viatcheslav Konovalov tendent à démontrer que des gènes cachés se manifestent sous l'effet des radiations. Les humains et animaux qu'il a étudiés souffrent d'une fragilité croissante des chromosomes, de troubles du métabolisme et d'affections du système nerveux central.

Son objectif est que "les gens prennent conscience du danger". En ville, on le qualifie d'oiseau de mauvais augure. Les habitants font un grand détour pour éviter son horrible musée, où ne viennent plus que des spécialistes, des chercheurs et des journalistes. On aurait pu espérer que des sommités scientifiques démentiraient les chiffres et les conclusions de Konovalov, mais la Commission nationale pour la protection de la population contre les radiations tient son musée et ses travaux en grande estime. M. Grodzinski, l'académicien qui préside la commission, a confirmé: "On observe actuellement, à la suite de la catastrophe, une dégradation du patrimoine génétique des humains et des animaux. L'homme dispose de systèmes qui s'opposent aux mutations, mais les radiations les endommagent. Les anomalies deviennent une réalité. Il se passe la même chose chez les végétaux. Dans un champ de blé que nous avons fait pousser près de Jitomir nous avons pu dénombrer, en deux ans, 2000 mutations." Ces dix dernières années, la fréquence des mutations chez les enfants a été multipliée par 2,5 et on constate des anomalies chez un nouveau né sur cinq dans la zone contaminée, et chez un sur six dans les régions ukrainiennes plus éloignées. Un tiers des enfants de Jitomir viennent au monde avec des affections psychiques. Les femmes des zones irradiées sont deux fois plus malades que les hommes, ce qui n'a jamais été observé auparavant. Chez les animaux, avant l'accident, à Jitomir on avait enregistré 83 cas de mutalion sur 8 000 vaches; aujourd'hui, on compte 180 cas.

Pour rendre sa collection plus impressionnante encore, le Pr Konovalov a décidé d'y faire figurer des spécimens vivants. Il a ainsi capturé, dans la zone d'exclusion, un coq aux pattes couvertes d'un pelage, et il a acheté des poules atteintes par les radiations. Il attend désormais la descendance anormale qui en naîtra : "Il est désormais impossible de réfuter l'existence de mutants vivants, comme cela avait été le cas pour le poulain à huit pattes."

*Une équipe de scientifiques américains a étudié en 1995 la faune proche de Tchernobyl. Ils n'ont pas trouvé trace d'animaux mutants on malformés. Mais des souris étudiées sur place portent dans leur ADN la trace d'une évolution "comparable à ce qu'elle serait normalement au bout de 10 millions d'années" (Le Monde diplomatique, avril 1996).

Lanina Sokolovskaïa,
IZVESTIA n°285, 18/24 avril 1996,
Moscou.

 


Photos ajoutées par Infonucléaire:

 

Poulin nouveau-né à huit sabots.