Le nombre indiqué par M. Donald J.
Bradley pour ces tirs d'activités pacifiques s'élève
à 156, confirmé par d'autres sources, répartis
selon le même auteur en :
- 124 explosions (avec 135 charges) dites « industrielles
souterraines ou d'essais de technologies de tirs à usage
pacifiques »,
- 32 explosions (avec 38 charges) dites « d'essais
de charges nucléaires industrielles pour des usages pacifiques »,
ce qui peut laisser également supposer qu'elles n'étaient
pas nécessairement souterraines.
La distinction délicate entre ces deux catégories
au sein de l'ensemble des tirs d'activités pacifiques ainsi
que des problèmes de traduction semblent être à
l'origine des décomptes différents que l'on rencontre
suivant les auteurs.
La localisation de ces explosions est extrêmement diversifiée
sur l'ensemble du territoire soviétique, la Sibérie
orientale en étant toutefois presque totalement exemptée,
de même que le Caucase, les pays baltes, le Tadjikistan
et le Turkménistan : la carte de l'ensemble des tirs
le montre clairement.
On compte approximativement la totalité
de ces tirs pour chacune des Républiques ayant composé
l'URSS :
- 114 en Russie (ex-RSFSR)
- 36 au Kazakhstan
- 3 en Ouzbékistan
- 2 en Ukraine
- 1 au Turkménistan
Aucune information n'a été publiée
concernant les quantités spécifiques de radioactivité
dégagées dans les réseaux d'eaux de surface
dues à ces différents types d'explosion ; la
plupart des essais furent souterrains, de puissance très
variable (de moins de 0,1 kt à 100 kt). Selon
le ou les objectifs du ou des tirs, la profondeur des tirs est
très variable : de quelques mètres jusqu'à
plus de mille mètres.
Les cinq tirs d'excavation (ou de cratère) pratiqués
à Semipalatinsk sont compris dans le décompte ci-dessus.
Selon M. Donald J. Bradley (page 512), citant M. Bulatov (1993)
les objectifs de ces tirs étaient les suivants :
« · expériences de formation de cratères
et de déplacement de terre (comme pour le canal des rivières
Pechora-Kam et le village d'Udachnyy à
Yakutia-Sakha, et la vallée de la rivière Chagan
dans l'oblast de Semipalatinsk),
· formation de cavités dans les mines de sel pour
stocker du pétrole et, si possible, des déchets
radioactifs liquides,
· augmentation de l'émission de gaz et contrôle
de l'écoulement de pétrole brut (comme à
Ust-Balyk dans l'oblast de Tyumen, au gisement de Grachevskiy
à Bashkortostan),
· tirs souterrains sous contrat du Ministère de
la géologie aux fins d'essais sismiques de la croûte
et du manteau terrestres (39 explosions),
·remise en état après des accidents et des
feux survenus dans des puits de pétrole jaillissants (quatre
explosions),
· destruction d'armes nucléaires tactiques de faible
puissance en les allumant sur des territoires isolés, y
compris ceux affectés à ce que l'on appelle les
«entreprises forestières commerciales militaires
»,
· développement du processus de destruction des
armes chimiques en utilisant des engins nucléaires. »
Les éléments suivants, présentés par
le même auteur citant lui-même entre autres des sources
russes, permettent de mieux saisir la diversité et l'importance
de ces tirs, ainsi qu'une partie de leurs conséquences :
« · 0blast de Murmansk - Trois explosions
nucléaires pacifiques furent mises en _uvre sur la péninsule
de Kola près de Kirovsk afin d'augmenter la production
de minerai d'apatite utilisé pour produire des phosphates.
De grandes crevasses et des amoncellements de graviers peuvent
encore être observés aujourd'hui à l'extérieur
de la mine. Des niveaux élevés de certains isotopes
ont été mesurés dans une rivière,
située juste en dessous de la mine, qui s'écoule
dans le Lac Imandra.
· 0blast d'Arkhangelsk (à l'exclusion du site d'essais
de Nouvelle-Zemble) - Plusieurs explosions nucléaires pacifiques
furent effectuées, certaines en lien avec des essais sismiques
de la croûte terrestre. Une explosion nucléaire pacifique
fut déclenchée dans la région autonome des
Nenets dans la partie nord de la région d'Arkhangelsk,
pour éteindre un feu d'éruption d'un puits de gaz
au champ de Kumzhinsokoye, ayant brûlé pendant plusieurs
années (Nilsen et Bohmer 1994) ; il ne le fut malheureusement
pas, tenu compte de la faible densité du sol tourbeux,
et l'explosion se produisit au-dessus du sol au lieu d'être
souterraine comme prévu. En conséquence, l'estuaire
de la rivière et une immense superficie de terrain sec
furent contaminés. Au lieu d'avoir un seul puits en feu,
six nouveaux foyers furent allumés et il ne fut pas possible
de les éteindre rapidement. (Uryadovyy Kuryer, 17 juillet
1992).
En 1971, 1,3 Ci de l37Cs au total se dégagea de
l'explosion souterraine Globus-1 de 2,3 kilotonnes, contaminant
2 600 km3. Le même type de dégagement se produisit
lors de l'explosion de Globus-2 dans l'oblast d'Arkhangelsk (Rapport
d'Etat russe 1994).
· Oblast de Perm - En 1969, deux explosions nucléaires
souterraines, d'une puissance de 7,6 kilotonnes chacune, furent
dans le gisement pétrolier d'Osinskiy (oblast de Perm)
pour stimuler la production pétrolière. Cette tentative
fut appelée le projet Grifon. Une contamination au tritium
a été détectée dans l'eau et les produits
dérivés du pétrole à une distance
de 10 km de diamètre autour des puits (Rapport
d'état russe 1994). Les essais effectués sur le
gisement pétrolier d'Osinskiy en septembre 1969 augmentèrent
la production pétrolière de 0,5 million de tonnes,
entraînant un bénéfice de 4 millions de roubles,
cependant quelques années plus tard, de l'eau radioactive
commença à s'écouler des puits épuisés.
Une irradiation gamma élevée et 137Cs + 90Sr
furent détectés sur ces sites, et de petites rivières
proches des gisements contiennent des sédiments contaminés.
La terre contaminée a été enfouie, la construction
d'un site d'enfouissement spécifique étant planifiée
pour les vannes et la robinetterie (Bulatov 1993).
En plus des essais effectués au champ de pétrole
d'Osinskiy à une profondeur de 1 200 m, des essais furent
aussi réalisés au champ de pétrole de Gaeja
(deux en 1984, deux en 1987) à une profondeur de 2
000 m (Oborin et Mikchailov, octobre 1996 ; Minatom et MOD 1996).
Apparemment, des dégagements en surface se produisirent,
dus à des forages ultérieurs dans les champs de
pétrole ainsi qu'à la contamination d'eau souterraine
provenant de puits d'injection d'eau de décharge défectueux
(Bulatov 1993). Actuellement, on observe des niveaux d'activité
de rayonnements gamma en surface de 60 à 300 (µR/hr.
Des efforts sont faits actuellement pour développer des
microorganismes afin de nettoyer des zones en surface contaminées
par des emulsions de pétrole / d'eau (Oborin et Mikchailov,
octobre 1996).
Trois explosions nucléaires furent réalisées
le 23 mars 1971, dans le rayon (secteur) de Cherdyn près
de la réserve naturelle de Pechora-Ilych. Les explosifs
furent mis à feu dans des puits spéciaux légèrement
à l'écart à une profondeur de 130 m environ
(Bulatov 1993), à 20 km de la ville de Krasnovichersk,
à 300 km au nord-est de Perm (Nucleonics Week, 9 mai 1991).
L'objectif des trois explosions de 15 kilotonnes était
de créer la fondation du canal de dérivation de
Pechora-Kama. A la place, un lac fut formé et le cratère
révèle une irradiation s'élevant jusqu'à
2 500 µR/hr (Bulatov 1993). Le lac mesure 400 m de large
et 600 m de long et est signalé comme présentant
des doses de 1,5 rem/hr mesurées en surface et de
5 rem/hr à une profondeur de 12m (Nucleonics Week, 9 mai
1991). Les dimensions de la formation de retombées radioactives
étaient de 7 km de long et de 1, 5 km de large (Bulatov
1993).
· Bashkortostan - En 1965, un essai nucléaire souterrain
fut effectué sur le gisement pétrolier de Bashkortostan
(Bulatov 1993). Un explosif nucléaire aurait été
également utilisé pour stopper un feu incontrôlé
dans un puits de gaz près de Boukhara (Nucleonics Week,
9 mai 1991).
· Oblast d'Astrakhan - Nombreuses
explosions de faible puissance dans des dépôts salins
en forme de dômes.
· 0blast de Tyumen - Des explosions
nucléaires souterraines furent réalisées
dans cet oblast, dont cinq sur le gisement pétrolier de
Sredne-Balykskiy. L'une d'elles, dans le bassin de Yugana, s'est
accompagnée de la libération de radionucléides
en surface et provoqua une contamination à grande échelle
du territoire.
· Région de Krasnoyarsk -
Dix explosions souterraines environ y furent effectuées
; deux d'entre elles prés du lac Lama (qui alimente en
eau la ville de Norilsk et ses villes satellites de Taliakh et
Kayyerkan), et deux à une distance de 30 à 40 km
de Tura, capitale de l'Evenk. L'explosion près du village
de Yermakovo (près de la rivière Igarka) s'est accompagnée
de la libération de matières radioactives. Une autre
explosion a été signalée à l'embouchure
de la rivière Kataramba.
· Yakutia-Sakha - Une explosion directionnelle
souterraine fut effectuée en 1975, à 5-6 km au nord-est
de la ville d'Udachnyy et sous l'autorité des chantiers
locaux de traitement des minerais afin de former un remblai qui
remplacerait un barrage volumineux (on estimait que 3 000 à
5 000 mégatonnes de TNT seraient économisées).
Le résultat fut la formation d'une dépression qu'il
a fallu combler. Après une explosion dans la même
région (50 km d'Aykhal) en 1978 (l'explosion Kristall à
une profondeur de 100 m), le nuage de rejets aurait parcouru des
milliers de kilomètres. A Tayga, l'irradiation dans la
forêt morte dépasse 750 µR/hr et un site d'enfouissement
nucléaire doit y être maintenu. Une explosion près
de Tas-Yuryakh créa un site de stockage de pétrole
souterrain de 10 000 m3. Le territoire
du bassin Vilyuy de Yakutiae a été officiellement
désigné comme zone de désastre écologique.
Parmi les causes, une série d'essais nucléaires
souterrains est retenue.
Plusieurs explosions ont eu lieu dans cette
région à des fins d'exploration sismique profonde
de la croûte terrestre (Bulatov 1993) :
- Gorizont-4 : août 1975, 130 km au
sud-ouest du village de Tiksi avec une profondeur d'explosion
de 500 m.
- Kraton 3 : août 1978, 50 km au sud
d'Aykhal, à une profondeur de 600 m, entre les rivières
Lena et Illioui (Bulatov 1993 ; Nucleonics Week, 7 novembre
1991) explosion accompagnée de la libération accidentelle
de produits de fission dans l'atmosphère et de la formation
d'une zone de contamination de 0,450 km2.
Les plus forts niveaux de taux de dose d'irradiation au rayonnement
gamma s'élevèrent à 214 µR/hr en 1993
(Rapport d'état russe 1994).
- Kimberlit-4 : août 1979, 170 km
au nord-est d'Olekminsk avec une profondeur d'explosion de 1 000
m.
· Trans-Baykal - La population locale
fut relogée à la suite du tir de Rift-3 (explosions
à une profondeur de 860 m et d'une puissance déclarée
de 10 kilotonnes environ) près du village de Barakhan,
à 50 km au nord-est du centre du rayon (secteur) d'Osa.
· Kazakhstan - (...) Dans l'oblast de Guryev, on procéda à 25 explosions nucléaires souterraines de faible puissance (5 - 15 kilotonnes) dans les strates de sel de 1980 à 1984, et à 16 essais entre 1968 et 1974 dans le secteur d'Azgir. La contamination sur les lieux des essais nucléaires souterrains dans le rayon (secteur) de Baygaminsky, région de Mangyshlak (trois essais à une profondeur de 400 à 740 m laissèrent d'énormes cratères), et dans l'oblast de Chimkent (rayorts de Suzakskiy et de Kyzylkum) est en cours d'étude. Dans l'oblast de Chimkent, des concentrations anormales de 90Sr et de l37Cs furent détectées dans 39 puits souterrains, fournissant la preuve de la contamination des eaux souterraines (Bulatov 1993). Suite aux essais réalisés dans les gisements de sel d'Azgir, neuf cavités durables de 1,2 millions de m3 furent formées, et un essai entraîna la formation d'un cratère effondré de 500 m de diamètre et allant jusqu'à 18 m de profondeur. Quelques gaz radioactifs se dégagèrent pendant ces essais. Actuellement, cinq des cavités sont remplies d'eau salée provenant d'une zone aquifère voisine, et la cavité répondant le mieux aux exigences requises pour la formation d'installations de stockage est actuellement utilisée pour stocker la terre contaminée provenant des opérations menées sur le site de Bolshoi Azgir. Le tableau ci-après fournit des détails sur les essais effectués et la radioactivité dégagée à Bolshoi Azgir (Krivokhatskiy et coll. 1993).
D'autres applications des explosions nucléaires
ont été réalisées ou envisagées.
Ainsi, pour décharger des déchets industriels toxiques
dans la cavité ou les « crevasses allongées »,
jusqu'à 200 mètres à partir de la cheminée,
créées par l'explosion d'un dispositif de 10 à
20 kt. Selon M. Donald J. Bradley (op. cit. page 517) :
« Ce concept a déjà été
démontré par deux explosions réalisées
à titre d'essai -il y a plus de 15 ans - (l'une d'elle
de toute évidence dans des strates remplies d'eau hautement
minéralisée). Plus de 20 millions de m3
de déchets liquides comprenant 1000 tonnes de « résidus »
solides furent refoulés dans l'une de ces cavités
sur une période de 13 ans. Plus de 150 000 m3
de déchets toxiques qui comprenaient une grande quantité
de particules en suspension et de « substances résineuses »
furent refoulés dans l'autre cavité sur une période
de cinq ans ».
Le même auteur indique qu'une société « International
Cletek Corporation », qui aurait été
créée en décembre 1990, a tenté à
l'époque « de mettre sur le marché
des dispositifs thermonucléaires de tirs souterrains pour
la destruction de déchets chimiques et industriels ».
Malgré la fermeture du site d'essais de Semipalatinsk par
M. Michael Gorbatchev et M. Nursultan Nazerbaïev, puis celui
de Nouvelle Zemble par M. Boris Eltsine (1991), ce projet semble
avoir été poussé pendant quelques années
encore, notamment pour l'élimination de combustibles de
réacteurs endommagés de sous-marins nucléaires
qui ne sont plus susceptibles d'être retraités.
Extrait du Rapport n° 3571,
de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques.