Un an après l'accident, la presse a
relaté des observations faites dans l'Etat de Pennsylvanie
où le réacteur accidenté était situé.
Le Monde du 23 février 1980 titrait un très
court article: « A proximité de la centrale de
Three Mile Island, une enquête est ouverte sur des enfants
atteints d'insuffisance thyroïdienne. » Ce journal,
citant des sources américaines, signalait « qu'un
nombre anormalement élevé d'enfants atteints d'hypothyroïdie
congénitale (13 au lieu de 3) sont nés dans des
régions voisines de Three Mile Island où s'est produit
le 28 mars 1979 un accident dans un réacteur nucléaire.
» Les autorités médicales américaines
affirmaient qu'il était plus que douteux qu'il puisse y
avoir une relation de cause à effet entre l'accident du
réacteur et ces cas d'hypothyroïdie, mais que l'enquête
suivrait son cours.
Afin de dédramatiser l'information, on signalait que ces
enfants étant soignés à temps ne développeraient
pas « les graves handicaps physiques et mentaux qu'implique
cette affection ».
Il ne semble pas que les journaux qui ont publié
cette information aient eu la curiosité de rechercher quelques
mois après si l'enquête officielle conduisait à
des conclusions mettant hors de cause l'iode radioactif rejeté
lors de l'accident.
L'information telle qu'elle était présentée
était loin d'être complète. Elle omettait
plusieurs points importants. En effet, les discussions après
l'accident ont essentiellement porté sur l'estimation des
incidences à long terme (10 à 20 ans) de cancers
produits par les éléments radioactifs relâchés
dans l'atmosphère. Peu d'attention a été
portée à des remarques faites par le Dr E. Sternglass,
du Département de Radiologie de l'Ecole de Médecine
de l'Université de Pittsburgh (USA). Juste après
l'accident, il signalait que l'iode radioactif rejeté devait
conduire après quelques mois à un accroissement
de mortalité infantile et de malformations congénitales
dues à un endommagement de la thyroïde des foetus.
Il tirait ces conclusions d'une extrapolation des études
qu'il effectuait depuis très longtemps sur les effets des
retombées radioactives dues aux explosions expérimentales
de bombes nucléaires.
En janvier 1980, Sternglass présentait, dans une conférence internationale, les résultats du dépouillement des statistiques de mortalité. Alors que, durant les mois d'été, la mortalité infantile diminue (de 14,1 à 12,5 pour mille en juillet 1979 pour l'ensemble des Etats-Unis), on observait en juillet 1979 une augmentation pour la Pennsylvanie (de 10,4 à 18,5 pour mille). Cette augmentation est encore plus importante au voisinage du site de l'accident.
Pour les quatre mois qui ont suivi l'accident, on observe 242 morts supplémentaires parmi les enfants nés en Pennsylvanie et 430 pour l'ensemble du Nord-Est des Etats-Unis, essentiellement dus à des déficiences respiratoires chez les enfants nés avec des insuffisances de développement.
Les cas d'hypothyroïdie ne seraient alors qu'une toute petite partie du problème. Il s'agirait d'enfants mal développés à la suite d'un mauvais fonctionnement de la thyroïde mais pas suffisamment pour aboutir à des insuffisances conduisant rapidement à la mort. Jusqu'à présent aucune autre cause n'a pu être trouvée malgré les efforts des experts médicaux officiels pour expliquer ces malformations et cette mortalité infantile. Si les hypothèses de Sternglass étaient confirmées, il faudrait s'attendre à plus long terme à des effets affectant un grand nombre d'enfants nés à la suite de l'accident mais plus légers que ceux conduisant rapidement à la mort ou à des malformations congénitales observables immédiatement à la naissance.
Les arguments de Sternglass sont très forts. Le rejet d'iode a été important: 1,4 Curies d'après l'administration américaine, 14 Curies d'après une commission privée enquêtant pour le compte de la Compagnie qui exploitait le réacteur. Ce rejet a eu lieu avant l'évacuation des femmes enceintes et des enfants en bas âge ordonnée par le gouverneur de l'Etat de Pennsylvanie. L'accroissement de mortalité est maximum au voisinage de Three Mile Island et se manifeste dans les régions qui étaient sous le vent au moment de l'accident. L'accroissement se produit en juillet et correspond à la contamination des foetus au cours du cinquième mois de leur développement, c'est-à-dire au moment où leur thyroïde commence à fonctionner.
Extrait de "PRATIQUES ou les cahiers de la médecine
utopique,
le risque nucléaire et la santé",
revue du syndicat de la médecine générale,
février-mars 1981.