Le Monde, 5/12/06:
Manger de la viande nuit à l'environnement.
C'est la conclusion à laquelle parvient l'Organisation
des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui
a rendu public, mercredi 29 novembre, un rapport consacré
à l'impact écologique de l'élevage. Celui-ci
est "un des premiers responsables des problèmes
d'environnement", affirme un des auteurs, Henning
Steinfeld.
Mesurée en équivalent CO2, la contribution de l'élevage au réchauffement
climatique est plus élevée que celle du secteur
des transports. L'activité est responsable de 65 % des
émissions d'hémioxyde d'azote, un gaz au potentiel
de réchauffement global 296 fois plus élevé
que celui du CO2,
essentiellement imputable au fumier. De plus, le bétail
produit 37 % des émissions de méthane liées
aux activités humaines. Ce gaz, produit par le système
digestif des ruminants, agit vingt-trois fois plus que le CO2 sur le réchauffement.
Les pâturages occupent 30 % des surfaces émergées,
alors que 33 % des terres arables sont utilisées pour produire
l'alimentation du bétail - et ces surfaces sont insuffisantes
pour répondre à la demande, ce qui entraîne
le défrichage de forêts. D'autres dégâts
sont énumérés : 20 % des pâturages
sont dégradés par une surexploitation entraînant
le tassement et l'érosion du sol ; l'activité compte
aussi "parmi les plus nuisibles pour les ressources en
eau".
La hausse du niveau de vie s'accompagne d'une consommation plus
importante de viande et de produits laitiers. La production mondiale
de viande devrait donc plus que doubler d'ici 2050, passant de
229 à 465 millions de tonnes. Les auteurs du rapport rappellent
que la viande constitue un apport en protéines primordial
pour les populations mal nourries et que l'élevage fait
vivre 1,3 milliard de personnes. "Il s'agit souvent de
la seule activité économique possible pour les populations
pauvres", écrivent-ils.
Diverses pistes sont proposées pour limiter les dégâts
de l'élevage, comme l'amélioration de l'alimentation
animale. La FAO suggère que, en outre, cet impact pourrait
être "fortement diminué" si "la
consommation excessive de produits animaux parmi les populations
riches baissait". Un Indien consomme en moyenne 5 kg
de viande par an, contre 123 kg pour un Américain.
Gaëlle Dupont
Science & Vie n°876, septembre 1990:
Aujourd'hui, lorsque l'on parle de l'effet de serre et des dangers que présenterait pour la planète un réchauffement de l'atmosphère, on pense surtout aux énormes quantités de gaz carbonique que l'homme relâche dans l'air, par ses cheminées d'usines, ses pots d'échappement, etc. Et l'on oublie complètement que les activités agricolescontribuent elles aussi à accroître ledit effet.
Avant tout, il convient de s'entendre :
le fameux "effet de serre" dont, depuis quelque temps,
on nous rebat les oreilles, est un phénomène tout
ce qu'il y a de plus naturel. Même si, sur notre planète,
il n'y avait aucune automobile, aucune usine, voire aucun être
humain, l'effet de serre existerait. Et ce serait tant mieux,
car, sans lui, il n'y aurait probablement pas de vie sur la Terre.
En effet, sous l'action des seuls rayons solaires, la température
du sol terrestre ne serait que de -18°C. Or, la température
moyenne à la surface du globe est de + 15°C. Cette
différence de plus de 30°C est due uniquement à
l'effet de serre, c'est-à-dire au fait que certaines molécules
présentes dans l'atmosphère piègent le rayonnement
infrarouge réémis par le sol (lorsque celui ci est
"chauffé" par le Soleil). Ces infrarouges piégés
réchauffent les basses couches de l'atmosphère,
qui, à leur tour, renvoient des infrarouges vers le sol.
Conséquence de ce va-et-vient: une sérieuse élévation
de la température terrestre, qui atteint un niveau propice
au développement de toutes les formes de vie.
Les principales molécules qui absorbent le rayonnement
infrarouge sont : la vapeur d'eau (H20), le gaz carbonique (C02), le méthane (CH4) et le protoxyde d'azote (N20). Elles sont toutes produites par des phénomènes
naturels, mais l'homme, par ses activités, en dégage
également et, de ce fait, en augmente régulièrement
la concentration. Ces émissions d'origine humaine perturbent
l'équilibre thermique de l'atmosphère et risquent,
à la longue, d'entraîner des changements climatiques
importants. C'est cela que l'on appelle aujourd'hui l'effet de
serre, à savoir la dérive anthropique (résultant
de l'action de l'homme) et néfaste d'un phénomène
parfaitement naturel et bénéfique.
Curieusement, dans le débat qui s'est
instauré sur un possible et dangereux réchauffement
de la Terre, l'attention semble s'être focalisée
sur les seules émissions de gaz carbonique. Si la température
de la planète risque, à brève échéance,
de monter de 3 ou 4 degrés, c'est essentiellement, nous
dit-on, parce que l'homme libère dans l'atmosphère
des quantités faramineuses de C02, en utilisant de manière toujours croissante
les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel),
en brûlant des forêts et des savanes pour créer
des terres cultivables, en transformant le calcaire et l'argile
en ciment, etc.
Ainsi, lors du XVe sommet des pays industrialisés, qui
s'est tenu le 9 juillet dernier à Houston (Texas), le communiqué
final recommandait une meilleure surveillance et une limitation
des rejets de gaz carbonique. Quelques jours auparavant, le Premier
ministre français se félicitait que « notre
pays, en raison du type d'énergie qu'il utilise (l'énergie
nucléaire), rejette dans l'atmosphère moins de gaz
carbonique générateur d'effet de serre que d'autres
pays ». Bref, tout
le mal vient du C02, et les centrales nucléaires,
parce qu'elles n'en relâchent pas, sont en passe de devenir
des centrales écologiques !
Pourtant, si l'on examine l'ensemble des émissions de gaz
à effet de serre et si l'on analyse leurs impacts respectifs
sur un éventuel réchauffement climatique, on ne
peut qu'être frappé par le rôle considérable
que joue, dans la modification de l'atmosphère, un secteur
d'activité étrangement passé sous silence :
l'agriculture. Cette discrétion s'explique sans doute par
les énormes enjeux économiques qui sont en cause,
surtout dans un pays comme la France qui compte beaucoup sur l'agroalimentaire
pour limiter le déficit de son commerce extérieur.
Et puis on ne veut peut être pas accabler ces pauvres agriculteurs,
déjà accusés de polluer avec leurs nitrates
les nappes phréatiques. Après l'eau, l'air, c'est
plus qu'il n'en faudrait pour qu'ils se sentent persécutés !
Cela dit, à faire de l'effet de serre un problème
purement énergétique ou, plus généralement,
industriel, on occulte une bonne partie de la réalité,
et qui n'est pas la moins préoccupante. Car, à côté
du CO2, il existe,
nous l'avons dit, d'autres gaz qui absorbent le rayonnement infrarouge,
et notamment le CH4
(le méthane) et le N20 (le protoxyde d'azote). Les estimations pour le présent
(1) attribuent approximativement 50% de l'aggravation de l'effet
de serre au gaz carbonique, 19 % au méthane et 4% au protoxyde
d'azote, le reste étant l'oeuvre de différents autres
gaz, dont les fameux chlorofluorocarbones (CFC), déjà
rendus responsables des "trous" dans la couche d'ozone.
Cela, nous insistons, c'est pour le présent, car, pour
l'avenir, les proportions risquent de changer. Pour les trois
raisons suivantes :
1° Les taux d'accroissement du CH4 et du N2O
dépassent celui du CO2. Les mesures effectuées depuis une dizaine
d'années montrent, par exemple, que la concentration en
méthane de l'atmosphère augmente d'environ 1 % par
an, ce qui est beaucoup plus rapide que pour le gaz carbonique.
2° Plus la concentration d'un gaz à effet de serre
augmente, plus l'absorption d'infrarouge par molécule de
ce gaz diminue. Ainsi, aujourd'hui, le pouvoir d'absorption de
la vapeur d'eau troposphérique est, pour ainsi dire, "saturé".
En d'autres termes, sa "fenêtre", c'est-à-dire
la plage de longueurs d'onde (dans l'infrarouge) qu'elle est capable
de piéger, est d'ores et déjà comblée.
Et un accroissement de la teneur en vapeur d'eau de l'atmosphère
n'entraînerait pratiquement aucune modification de l'équilibre
radiatif global dans l'infrarouge. En revanche, toute augmentation
d'un gaz dont la concentration est loin de la saturation a des
conséquences importantes sur le réchauffement de
l'atmosphère.
3° Bien que la concentration atmosphérique en méthane
et en protoxyde d'azote soit très inférieure à
la concentration en CO2,
la moindre augmentation de ces gaz retentit lourdement sur l'effet
de serre, car l'un et l'autre piègent beaucoup plus d'énergie
par molécule que le gaz carbonique.
L'IPCC (Intergovernmental
Panel on Climate Change, un collège international d'experts
chargé d'éclairer les gouvernements sur les mesures
à prendre en vue de prévenir un éventuel
réchauffement climatique) a calculé que, sur une
période de vingt ans, l'émission d'un kilogramme
de méthane ou de protoxyde d'azote avait, en matière
d'effet de serre, un impact respectivement 63 fois et 270 fois
plus important que l'émission d'un kilogramme de gaz carbonique. Ce qui signifie que le rôle de ces deux composés
pourrait à moyen terme devenir primordial - si, bien entendu,
la tendance actuelle d'augmentation de leurs concentrations se
maintenait. Or, précisément,
cette tendance n'est pas irréversible, et l'homme pourrait
la corriger dans la mesure où 65 % des émissions
de CH4 et 45% de celles de N20 relèvent
de sa responsabilité. Ce qui n'est pas le cas du CO2,
dont 5% seulement de la production sont imputables aux activités
humaines (l'essentiel provenant des océans, de la respiration
des végétaux, des volcans, etc.).
Venons en donc au fait : parmi les sources d'émissions
de méthane et de protoxyde d'azote, les activités
agricoles occupent une place capitale. Selon une étude
du ministère américain de l'Energie publiée
en 1988, près de la moitié du CH4 et 34% du N20
dégagés chaque année sont liés à
l'agriculture. Et d'abord à l'élevage.
LES BOEUFS RICHES POLLUENT PLUS QUE
LES PAUVRES...
...DU MOINS POUR L'INSTANT
Une vache laitière de
pays riche en élevage intensif produit en moyenne 90 kilogrammes
par an de méthane issu de la fermentation entérique
au cours de la digestion, contre quelque 35 kg pour un bovin de
pays en voie de développement qui glane dans la nature
ou les ordures de quoi survivre. Ovins et caprins sont également
producteurs de méthane entérique, mais leur contribution
est sans commune mesure avec celle des bovins, comme le montre
le graphique animé ci-dessus, qui compare entre elles les
populations de certains animaux domestiques et d'humains sur Terre
du point de vue de leur production de méthane entérique.
Mais la tendance est appelée à s'inverser dans les
années à venir, c'est le cheptel des pays en voie
de développement qui contribuera le plus à l'augmentation
de la concentration en méthane de l'atmosphère.
Pour deux raisons (carte ci-dessus) : d'une part, ces pays
se mettent de plus en plus à l'élevage intensif
et, parallèlement, leur troupeaux augmentent régulièrement ;
d'autre part, parce que les différentes mesures de contingentement
de la production laitière en Occident aboutissent à
une réduction du nombre de têtes et, à terme,
à une stabilisation de la production de CH4 entérique.
Les espèces animales produisent du méthane
de deux façons : d'une part, par leur digestion ;
d'autre part, par leurs déjections, ou plutôt par
la manière dont l'homme gère ces dernières.
C'est la fermentation de la nourriture ingérée par
les animaux qui est à l'origine du méthane "digestif".
La quantité produite dépend naturellement du gabarit
de la bête, de son mode d'alimentation (un animal nourri
avec des aliments composés ingère plus d'énergie
qu'un animal au pacage) et de la part de la digestion due à
l'action des microorganismes méthanogènes.
Chez les ruminants, dont le système digestif est formé
de plusieurs cavités successives où prolifèrent
des milliards de microorganismes, de 4 à 10% de l'énergie
brute ingérée est perdue sous forme de CH4. Chez les monogastriques,
comme le porc, la déperdition est moindre : entre
0,5 et 2% (2).
Au total, 74 millions de tonnes de méthane sont "éructées"
chaque année dans l'atmosphère par les animaux d'élevage.
Les trois quarts environ (74 %)
de cette quantité sont imputables aux seuls bovins, de
8 à 9% aux moutons et aux buffles, le reste revenant aux
porcs, aux chevaux, aux mules, aux chameaux, aux ânes et
aux volailles.
En un siècle, la production totale de CH4 a été multipliée par 4,5 environ,
aussi bien du fait de la progression globale des troupeaux que
de l'augmentation des dégagements individuels. Exemple :
en 1890, un bovin relâchait en moyenne 35 kg de méthane
par an ; en 1983, il en exhalait 45 kg (3). Cela montre que
plus un animal est performant (en termes de production de viande
ou de lait), plus il émet de CH4 entérique.
Or, la tendance actuelle est à la recherche de performances
sans cesse améliorées et d'une production toujours
accrue. L'augmentation de la demande en protéines animales
est aujourd'hui mondiale, à cause, principalement, du changement
des régimes alimentaires en Asie. Et ce ne sont pas les
quelques mesures restrictives prises en Europe, tels les quotas
laitiers communautaires, qui changent grand chose à l'affaire
(voir courbes ci-dessus).
La gestion des déjections animales est elle aussi, avons-nous
dit, source de méthane. Le
paradoxe, c'est que ces dégagements nocifs pour l'atmosphère
résultent précisément d'une démarche
de protection de l'environnement. En effet, pour lutter contre
la pollution des eaux par les nitrates, on a incité les
propriétaires d'élevages intensifs (de porcs surtout)
à ne plus épandre leurs lisiers sur des surfaces
(terres ou prairies) par ailleurs amendées en azote minéral,
mais à les stocker le plus longtemps possible dans des
cuves étanches. Malheureusement, ces déjections
fermentent en anaérobiose (en l'absence d'air) et dégagent
d'autant plus de méthane que la durée du stockage
est plus longue (particulièrement l'été,
où la température ambiante renforce la production
de CH4).
A côté de l'élevage, d'autres
activités agricoles sont également créatrices
de gaz à effet de serre. Tel est le cas, notamment, de
la fertilisation azotée. L'application d'engrais minéraux,
outre son action sur les eaux (augmentation préoccupante
des taux de nitrates), est à l'origine d'une hausse importante
des émissions de protoxyde d'azote par les sols cultivés.
On estime ce supplément à environ 2,2 millions de
tonnes par an pour l'ensemble de la planète (4). Ces émissions
sont dues à la fois à des processus de nitrification
en conditions aérobies (nitrification de l'amonium, par
exemple) et de dénitrification en conditions anaérobies
(décomposition des nitrates).
La durée relativement courte du cycle d'émission
(33 jours en moyenne après l'application) et la complexité
des mécanismes en oeuvre donnent à penser qu'il
est quasiment impossible d'éviter ces pertes d'engrais
sous forme de N20,
même si l'on pratique une fertilisation raisonnée
et... raisonnable.
Le
méthane provenant de l'élevage
est issu, en bonne partie, de la fermentation digestive dans la
panse des bovins ; celui engendré par l'agriculture est
dû, pour beaucoup, à la culture intensive du riz.
Les rizières, enfin, relâchent à elles seules plus de 70 millions de tonnes de méthane par an (5). Dans leur cas, un double mécanisme entre en jeu : d'une part, la production de CH4 par le sol lui-même, à partir de la fermentation de la matière organique qu'il renferme ; d'autre part, le transport de ce CH4 depuis le sol jusqu'à l'atmosphère, transport qui depend largement des caractéristiques physiologiques du plant de riz (profondeur des racines, ramification des mêmes racines, etc.). Toutes les études montrent que les techniques de culture faisant appel à l'irrigation, à la fertilisation et aux phytosanitaires sont les plus méthanogènes. Or, ce sont justement celles ci qui continuent de progresser partout dans le monde.
Face à ce constat inquiétant,
existe-t-il des remèdes ? Oui, et dans tous les domaines
que nous avons évoqués. En matière de fermentation
digestive, par exemple, la quantité d'aliments servie et
la composition des rations ont une influence certaine sur le CH4 éructé par le
bétail. Ainsi, il a été démontré
que, à digestibilité identique, des rations moins
fibreuses réduisaient la production de méthane d'environ
10% (2), De même, l'introduction de certains additifs alimentaires
peuvent abaisser sensiblement la méthanogenèse.
En ce qui concerne la gestion des déjections, deux solutions
sont possibles la couverture des fosses à lisier ou, mieux
encore, l'utilisation du lisier dans des digesteurs (ou fermenteurs)
pour la production de biogaz combustible. Il faudrait, dans cette
dernière hypothèse, redynamiser le programme qui
avait été lancé en France au lendemain du
choc pétrolier de 1973, et qui, depuis lors, s'est progressivement
essoufflé (sur les soixante installations étudiées
par l'Agence française pour la maîtrise de l'énergie,
à peine une dizaine font encore l'objet d'un suivi).
Pour ce qui est de la fertilisation azotée, nous avons
vu qu'il était pratiquement impossible d'empêcher
les émissions de protoxyde d'azote. Pourtant deux recommandations
peuvent être faites : 1° éviter autant que
possible l'installation de cultures dans des zones naturellement
très dénitrifiantes (sols très humides, ou
soumis à de grandes variations de température) ;
2° bien choisir le type d'engrais et son mode d'application,
puisque ces deux facteurs influent sur la quantité de N20 produite.
Enfin, dans le domaine de la riziculture, différentes pistes
peuvent être explorées. Il serait intéressant,
par exemple, d'expérimenter des variétés
rustiques moins gourmandes en eau. Par ailleurs, il conviendrait
de reconsidérer l'usage des désherbants, car la
présence de mauvaises herbes dans les rizières peut
entraîner une diminution de la production de méthane
par le sol.
Mais cet éventail - sommaire - de solutions* ne saurait
suffire s'il n'est accompagné d'une profonde révision
des politiques agricoles à l'échelle internationale.
Ce n'est en effet que dans le cadre d'une réorganisation
mondiale du marché des produits alimentaires que l'on pourra
lutter utilement contre les émissions de gaz à effet
de serre. A l'heure actuelle, les orientations de ce marché
vont toutes dans le mauvais sens, c'est-à-dire qu'elles
participent au réchauffement de la planète. C'est
le cas, entre autres, de :
- l'homogénéisation de la demande, par alignement
progressif des goûts alimentaires du monde entier sur ceux
des classes moyennes des pays industrialisés (exemple :
l'augmentation, déjà mentionnée, de la demande
en protéines animales dans les pays asiatiques) ;
- la recherche du coût économique minimal, encore
exacerbée par la concurrence farouche entre producteurs,
et qui se traduit le plus souvent par une progression des cultures
émettrices de méthane (cf. l'avancée du riz
irrigué en Asie, sa percée en Afrique au détriment
du mil et du sorgho, etc.).
Ces tendances paraissent si bien installées que les prévisions
plus qu'inquiétantes de l'IPCC (6) concernant l'augmentation
des émissions de méthane et de protoxyde d'azote
(entre 35 et 65% pour le CH4 d'ici à 2025 ; entre 70 et 110% pour le
N20) pourraient
même être sous évaluées ! D'autant
que, dans de nombreux pays en voie de développement, on
continue de subventionner les engrais, particulièrement
en riziculture.
Alors, que faire ? Idéalement, il faudrait à
la fois encourager les systèmes de production les moins
émetteurs de N20
et de CH4, et maintenir
une certaine différenciation des régimes alimentaires
à travers le monde. Ces mesures permettraient non seulement
de préserver l'équilibre thermique de la Terre,
mais aussi de limiter le dépeuplement continu que connaissent
les campagnes africaines et sud-américaines.
EFFET DE SERRE : LA PART
HUMAINE
Dans la troposphère, couche
atmosphérique de 20 km d'épaisseur au contact du
sol, les gaz à effet de serre, qui piègent la chaleur
due à l'énergie solaire incidente (H20, C02, CH4, N20 et
CFC et leurs substituts), sont présents à des concentrations
relativement importantes, même s'ils sont à l'état
de traces (0,11 % du volume total). De ce fait, les apports dus
à l'activité humaine, en dépit de leurs quantités,
ont une incidence plutôt marginale en termes d'effet de
serre (c'est, en gros, comme si l'on ajoutait de la peinture noire
à un tableau déjà passablement saturé
en noir).
Dans la stratosphère (de 20 à 50 km), en
revanche, tout ajout de notre part risque de prendre des proportions
considérables, et donc immédiatement perceptibles,
dans la mesure où ces gaz sont très peu présents
à cette altitude. C'est le cas, essentiellement, de la
vapeur d'eau (H20) et du dioxyde de carbone (C02) qui ne manqueront pas
d'être relâchés par les transports aériens
supersoniques de haute altitude, qui seront assurés par
les successeurs de Concorde actuellement à l'étude
chez plusieurs constructeurs.
Reste à déterminer les méthodes
qui pourraient conduire à ces objectifs. Instaurer des
quotas de production ne peut être qu'une solution à
court terme, réservée uniquement aux pays qui se
situent au dessus du seuil d'autosuffisance alimentaire. De plus,
sa mise en pratique demeure hypothétique, car il n'existe
pas d'autorité mondiale capable d'imposer de telles restrictions.
La principale motivation des agriculteurs étant le prix
des produits, c'est vraisemblablement à ce niveau qu'une
action peut être entreprise. Il faudrait, par exemple, garantir
des revenus intéressants aux agriculteurs qui accepteront
d'intégrer des contraintes "effet de serre" dans
leurs modes de production.
Mais si une telle mesure est concevable aux Etats-Unis ou dans
d'autres pays développés, comme ceux de la Communauté
européenne, elle est beaucoup plus difficilement applicable
dans les pays en voie de développement, dont les productions
sont en grande partie exportées et donc soumises aux lois
du marché international.
C'est, par conséquent, tout le système mondial des
échanges agro-alimentaires qu'il convient de réviser
si l'on veut promouvoir une agriculture plus écologique,
qui ne soit plus tributaire des impératifs de la concurrence.
Une concertation internationale est urgente, car ce sont les pays
en voie de développement qui vont être responsables
de la majeure partie des émissions de méthane et
de protoxyde d'azote d'ici à la fin du siècle.
Ce rapide survol des rapports entre l'agriculture et l'effet de
serre (7) montre que des enjeux cruciaux pour l'avenir de la planète
sont totalement négligés par ceux qui ont mission
de gouverner, et donc de prévoir. Pourtant les mots d'"écologie"
et d'"environnement" fleurissent sur toutes les lèvres.
Alors, faudra-t-il attendre que le processus en cours devienne
irréversible pour qu'enfin un débat public s'instaure
sur ce brûlant sujet ?
Patrice Miran
(1) Etablies par une commission d'enquête du Bundestag
(le parlement de la RFA) sur l'environnement, en 1988.
(2) Extrait du livre du Pr Chalupa, un des experts de I'IPCC :
Digestive Physiology and Metabolism in Ruminants, 1979,
éd. MJP, Londres.
(3) Extrait de l'article de Crutzen, Aselman et Seiler, "Methane
Production by Domestic Animals. Wild Animals, other Herbivorous
Fauna and Humans", publié dans la revue Tell Us
n°38 B. pp. 271 284, 1983.
(4) Extrait de l'article de Slemr, Conrad et Seiler, "Nitrous
Oxyde Emissions from Fertilized and Unfertilized Soils",
publié dans le Journal of Atmospheric Chemistry n°
1. pp. 199-169, 1984.
(5) Extrait de l'article de Holzapfel, Conrad. Pschorn et Seiler.
"Effect of Vegetation on the Emission of Methane from Submerged
Paddy Soil", publié dans la revue Plant and Soil
n°92, pp. 223-233, 1986.
(6) Avancées lors de la réunion à Washington,
en décembre 1989, du Workshop on Greenhouse Gas Emissions
from Agricultural Systems. IPCC-RSWG. Subgroup on Agriculture,
Forestry and other Human Activities.
(7) Pour en savoir plus, contacter : "Bulle bleue",
12 rues Francis de Pressensé. 75014 Paris, tél.
(1) 45 45 48 76.
* [voir la "solution" des miroirs]