1) Un point sur le nucléaire civil
Le nucléaire représente un danger pour l'environnement et les populations au long d'un cycle qui va de la mine au stockage des déchets.
Réacteurs:
Fin 1996 le nombre total de réacteurs
dans le monde s'élève à 437 dont 56 en France,
51 au Japon et 109 aux États-Unis soit 50% du total. Chaque
réacteur en fonctionnement normal rejette des effluents
radioactifs:
- gazeux par une cheminée,
- liquides, dans la rivière ou la mer au bord de laquelle
il est construit,
- solides, conditionnés sur place et envoyés en
stockage sur des sites spécialisés.
Les gaz radioactifs rejetés sont principalement le xénon 133, le krypton 85, le carbone 14, de faibles quantités d'iode 131, 129 et du tritium.
Les effluents liquides, provenant du circuit primaire (4 500 M3 par an) et contenant essentiellement du tritium, de faible quantité de produits radioactifs provenant du circuit primaire (cobalt, nickel) sont stockés ou dilués avant rejet. Les effluents provenant du circuit secondaire important en volume (65 000 m3 par an) mais peu actifs sont rejetés en continu. Ils contiennent aussi des produits chimiques (nitrates, sulfates et phosphates).
Mines:
Les dangers liés aux mines en fonctionnement sont les rejets de radon, les émissions de poussière et les tas de stériles (où se trouve la chaîne radioactive des descendants de l'uranium dont le plus dangereux est le radium) ainsi que tous les produits chimiques (chaux, acide nitrique et sulfurique) qui servent au traitement du minerai.
La réhabilitation des sites de mines est un des problèmes qui préoccupent tous les pays fournisseurs (Canada, États-Unis, Australie, Afrique noire et France). Depuis le début des années 80 une partie de bras de fer est engagée avec les firmes pour obtenir la remise en état des mines après leur exploitation. Des lois sur la définition du déchet radioactif sont en cours d'élaboration. Selon les seuils retenus la santé publique sera respectée ou les firmes seront les gagnantes. Sans une mobilisation des populations on s'apercevra dans quelques dizaines d'années de la gravité du problème mais les produits radioactifs seront partis dans l'environnement et il sera trop tard!!
Retraitement:
Les usines de retraitement sont les centres de stockage des combustibles irradiés. Lors des opérations la totalité du tritium et du krypton est rejetée dans l'atmosphère. A ces rejets gazeux s'ajoutent des rejets liquides. La France possède la plus grande usine de retraitement du monde. Elle sert d'alibi à tous les pays (Allemagne, Suède, Japon, Suisse, Belgique, etc.) qui se sont payés des contrats de retraitement. Cette usine effectue chaque année plus de 400 rejets en mer contenant un cocktail varié de produits radioactifs et chimiques. Son démantèlement est à prévoir pour le 21ème siècle, inutile de préciser que personne ne l'a jamais prévu.
Stockage des déchets:
Il n'y a aucun site définitif au plan mondial et un problème général de définition des déchets. La France a seulement 2 sites de surface (près de la Hague et à Soulaines dans l'Aube) pour les déchets de faible activité et non contaminés par les émetteurs alpha. Le site Manche a été fermé mais sa contamination perdure et il ne sera pas rendu à l'environnement dans 300 ans comme prévu par le décret de 1984.
Les dangers de tout le cycle
En principe les rejets des différents sites sont calculés pour que la dose engagée population ne dépasse pas les normes admissibles (0,1 rem ou 0,01 Sievert par an dernière recommandation des instances internationales). Cependant il n'y a pas de bilan global fait pour chaque fleuve, chaque site marin. Il n'y a donc pas de vérification. Nul ne connaît l'impact réel d'un site nucléaire de même que l'impact d'un site chimique n'est pas davantage connu. Les quelques études menées à Sellafield (Angleterre) et Hanford (États-Unis) ont révélés des cancers en excès par rapport aux calculs théoriques (430 % de leucémies en excédent à Sellafield pour des doses relativement faibles)*.
En plus de ce danger systématique lié aux rejets des différentes installations en fonctionnement normal s'ajoute le risque d'accident.
Ce risque d'accident est présent à chaque étape du cycle. Il subit des réévaluations au fur et à mesure que l'on découvre de nouveaux problèmes. Certains restent sans solution comme les fissures des aciers et le vieillissement sous irradiation. Tchernobyl a, en outre, montré l'importance des acteurs humains (respect des procédures, mise en forme de ces procédures).
L'ensemble du parc est confronté à des défauts dit " génériques " c'est-à-dire affectant tous les réacteurs. Ces défauts ont été découverts à la fois sur le circuit primaire (couvercle de cuve, mécanismes de contrôle, générateur de vapeur) et sur le circuit secondaire (canalisation, alternateur). La sûreté des réacteurs et par conséquent la sécurité des populations est directement menacée par ces aciers défectueux.
La France est particulièrement fragile, d'une part elle est la deuxième puissance mondiale en nombre de réacteurs et en gigaWatts installés, d'autre part elle est la première en ce qui concerne la part du nucléaire dans sa production d'électricité. Il est donc impossible d'arrêter tous les réacteurs pour les réparer. Il faut donc éventuellement augmenter les tolérances et attendre que l'industrie puisse fournir les pièces de maintenance. On risque de le payer fort cher.
A partir de l'an 2000 il va s'ajouter le démantèlement des réacteurs et autres installations du cycle parvenus à la fin de leur vie. Le 21ème siècle devra résoudre le problème des déchets nucléaires. Comment les classer ? Comment protéger l'environnement et les populations de leurs effets ? Comment les emballer et les stocker ? Comment les surveiller ?
Quelques 440 réacteurs (dont une soixantaine en France) vont être à la base de milliards de tonnes de stériles, d'effluents liquides et gazeux. Aucune étude sérieuse n'est faite sur les effets de ces rejets. On a quelques enquêtes éparses mais aucune vue d'ensemble. Stockage des déchets et accidents sont les grands points d'interrogation du nucléaire : on devra les résoudre de toute façon que l'on arrête ou continue le nucléaire. L'incapacité évidente à dominer cette technologie et surtout ses effets sur l'environnement devrait conduire à son abandon.
En guise de conclusion
En France comme cela a été demandé en 1979, 1993, en 1995 (mais non obtenu) il faut obtenir, en 1997, une réflexion sur les besoins en énergie et sur les moyens de les satisfaire. Il nous reste à peine le temps de préparer l'an 2000 car 10 ans sont un minimum pour infléchir une voie industrielle (le programme de réacteurs actuels a été commencé en 1974, il y a tout juste 23 ans). Cependant on peut dès maintenant repartir sur le gaz et le charbon avec des méthodes non polluantes (lit fluidisé, désulfuration des combustibles, chaudière à haut rendement, etc.) et donc diversifier nos sources d'énergie.
C'est pourquoi la démarche suisse, ainsi que suédoise doit être appréciée à sa juste valeur, l'étude de la faisabilité du nucléaire ou de son remplacement par d'autres énergies. Tous les pays doivent se livrer à ce type de réflexion.
* F. Viel, dans son étude à la Hague, pointe aussi une augmentation de leucémies.
2) Les effets du nucléaire sur le vivant
TABLE DES EFFETS
Hiroshima et Nagasaki ont permis de préciser
l'échelle des effets en fonction de la dose.
Le
tableau (d'après H. Jammet dans Revue Générale
Nucléaire n°5 en 1977) résume l'évolution
pathologique à court terme pour différents niveaux
d'irradiation homogène de l'ensemble du corps. Si la dose
de rayonnement reçue est forte, un très grand nombre
de cellules sont endommagées et il en résulte des
troubles dont les symptômes dépendent de la dose
reçue:
- 30 à 100 rem: Fatigue, formule sanguine
altérée
- 100 à 250 rem: Troubles sanguins, troubles digestifs
- 250 à 400 rem: Vomissements, vertiges, formule sanguine
modifiée, destruction des barrières immunologiques
- 400 à 800 rem: Symptômes identiques mais plus intenses.
Mort de 50 % des irradiés.
- Supérieur à 800 rem: Mêmes symptômes
encore plus intenses, la mort est quasi inévitable pour
90 % des irradiés.
3) Les différentes unités de radioactivité
(Cet
encadré en vert ne provient pas de la Gazette Nucléaire)
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Gray 1Gy=1J/kg |
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Sievert 1Sv=1J/kg |
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Becquerel 1Bq=1 s-1 |
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4) Evolution des normes de radioprotection de la CIPR
Pour les travailleurs :
De 1934 à 1950: 46 rem/an,
1950: 15 rem/an,
1956: 5 rem/an,
1990: 2 rem/an (20 mSv/an).
Voir le règlement intérieur du CEA - Saclay en 1970 et les consignes générales de radioprotection du centre d'étude nucléaire de Saclay en 1974.
Pour la population :
1959: 0,5 rem/an (5 mSv/an),
1985: 0,1 rem/an (1 mSv/an).
[En bref, la CIPR aboutit aux limites maximales admissibles annuelles
de 5 rems pour les travailleurs et de 0,5 rem pour les individus
de la population. Cela
revient à considérer comme « admissibles »
pour une population de 50 millions de personnes, 3 125 morts par
cancers
radioinduits par an. Cette évaluation est faite à partir
du facteur de risque officiel. Une valeur 10 fois plus forte serait
plus vraisemblable.
Il pourrait y avoir un nombre de morts considérable
sans que cela soit perçu dans notre vie quotidienne. Comment
est-ce possible ?
Prenons un exemple: Imaginons que nous connaissions bien une centaine
de personnes. Pendant 10 ans, en moyenne, nous apprendrons une
dizaine de morts dont 2 par cancers parmi nos connaissances. Si
une catastrophe en France fait que sur les dix ans nous apprenons
la mort de 12 de nos amis dont 4 par cancers, pourrons-nous voir
une différence entre ces deux situations ? Et pourtant
cela représenterait pour la France plus d'un million de
morts par cancers supplémentaires. A une échelle
indiviquelle, nous ne pourrions pas percevoir la catastrophe.
A l'échelon national, statistiquement, il serait possible
de voir la différence, mais dans chaque pays les statistiques
nationales de mortalité sont sous la dépendance
étroite de l'Etat, elles vont devenir de plus en plus une
denrée hautement stratégique (pour l'URSS après
Tchernobyl, c'est déjà fait).
Si maintenant on imagine une catastrophe faisant 100 000 morts
par cancers répartis sur une dizaine d'années, il
sera très difficile de la mettre en évidence statistiquement
et pourtant les gens auront été tués par
le rayonnement.
L'impunité est quasiment garantie pour les coupables d'une
éventuelle catastrophe nucléaire. Les morts statistiques
sont bien des morts inoffensives... pour les coupables qui savent
bien qu'on ne pourra pas les prendre en flagrant délit.]
5) Effets cancérogènes à long terme
Si 1 million de personnes reçoivent 1 rem (10 millisievert), quel sera le nombre de cancers mortels radio-induits ? La réponse dépend de l'institution qui effectue l'estimation.
CIPR-26 (1977): 125 cancers mortels
UNSCEAR (1977): 75 à 175 cancers mortels
BEIR III (1980): 158 à 501 cancers mortels
MSK (1980): 6 000 cancers mortels
RERF (1987): 1740 cancers mortels
BEIR V (1990): 800 cancers mortels
CIPR-60 (1990): 500 cancers mortels
NRPB (1992): 1000 cancers mortels
CIPR: Commission Internationale de Protection Radiologique.
Lire : De la CIPR-26 à la CIPR-60 ; Les experts français reprochent à la CIPR d'adopter une attitude (trop) prudente ; La France fait retarder l'adoption de la CIPR-60 et l'analyse détaillée des nouvelles recommandations de la CIPR-60)
UNSCEAR: Comité scientifique des Nations Unies pour les effets des rayonnements atomiques.
BEIR: Comité de l'Académie des Sciences des Etats-Unis pour l'étude des effets biologiques du rayonnement ionisant.
RERF: Fondation arnéricano-japonaise pour l'étude du suivi des survivants japonais des bombes atomiques. (La valeur indiquée correspond aux résultats bruts, avant l'utilisation des coefficients de réduction).
MSK: Mancuso, Stewart et Kneale. Equipe de chercheurs ayant étudié la mortalité par cancers parmi les travailleurs de l'usine nucléaire américaine de Hanford. (la valeur indiquée est déduite de leur dose de doublement)
NRPB: National
Radiological Protection Board (Agence Nationale de Protection
Radiologique du Royaume-Uni). D'après le suivi de mortalité
effectué sur les travailleurs de l'industrie nucléaire
du Royaume-Uni.
6) LES FAIBLES DOSES: Tentative de Bilan
Les effets des radiations ionisantes ont été connus dés leur découverte en 1895. En effet Becquerel et les Curie ont présenté des symptômes de brûlures parce qu'ils manipulaient sans précaution des produits radioactifs.
Ce n'est qu'avec une forte irradiation qu'il y a des effets immédiats pour la santé, allant de la brûlure à la mort par destruction des tissus fragiles : sang, cerveau.
Les effets des fortes doses sont donc assez bien connus. Cependant fortes ou faibles nos sens ne savent pas détecter les rayonnement ionisants. La réaction des organismes vivants est également très différente suivant les individus. Les enfants sont un groupe à haut risque ainsi que les femmes en état de procréer.
Des études récentes ont confirmé que les foetus sont très sensibles dans les premières semaines et que des doses de l'ordre de 0,005 Sv peuvent entraîner des retards mentaux.
Les effets des faibles doses sont encore à l'étude. Cependant les données accumulées vont toujours dans le sens d'un effet et ont conduit à la réduction de la dose admissible. Cette notion repose sur l'idée qu'il y a un seuil à partir duquel les rayonnements ne sont plus nocifs. En fait il est admis maintenant que toute dose a un effet sur la matière vivante. On peut regretter et surtout déplorer que des enquêtes sur les populations autour des sites ne soient pas menées, plus de 20 ans après le grand démarrage du nucléaire. (Le registre Hague a juste 3 ans !).
Les pathologies des enfants de Tchernobyl ont confirmé l'extrême sensibilité de cette catégorie de la population à la contamination par l'iode et le césium, les deux principaux radioéléments échappés du réacteur accidenté.
Dans le cas d'une irradiation globale de l'ordre de 0,15 Gy (3 fois supérieure à la dose maximale 0,05 Gy) on observe des effets irréversibles sur le sperme. Il semblerait que les faibles doses (moins de 0,05 Gy) puissent être aussi à l'origine de stérilité ou de fragilité chez les foetus. Les enquêtes autour de Sellafield indiqueraient que l'exposition à ces faibles doses de radioactivité chez le père induise une sensibilité accrue aux cancers chez les enfants. Il sera toujours difficile de mettre en évidence les effets des faibles doses (temps d'apparition des effets très long, impossibilité de distinguer les cancers). Cependant nous vivons en atmosphère radioactive depuis toujours et cette radioactivité contribue certainement au taux de cancers dit "naturels". Le taux de radioactivité ajoutée croit depuis les années 50 avec le nombre croissant de centres nucléaires. On peut noter que chaque enquête donne un léger excès de cancers (même si les erreurs sont grandes) ce qui doit inciter à la plus grande prudence : il faut limiter les rejets au maximum, les éviter complètement si possible.
La mise en place d'enquêtes de morbidité (c'est-à-dire d'état de santé des populations) doit être faite le plus vite possible pour suivre les effets des radiations et des autres pollutions. Actuellement il n'y a pas de connaissance suffisante car, non seulement on ne fait pas un recensement des maladies mais encore les certificats de décès n'indiquent pas la cause de la mort.
Toutes les études menées sur les conséquences de Tchernobyl obligent à revoir les modèles et font toucher du doigt des effets mal connus: fragilité accrue, apparition précoce de tumeurs.
Tchernobyl met en évidence le principal danger du nucléaire: la gestion de cohortes d'êtres humains soumis à des faibles doses de radioactivité. Cette gestion est quasi impossible et par conséquent le suivi sera mauvais. On a pu mettre en évidence des groupes à risque, bébés, adolescents. Mais il ne s'agit que d'études fragmentaires et incomplètes. Il est à craindre que les conséquences de cet accident soient plus catastrophiques que toutes les prédictions.
On est certain que les radiations ont un effet sur la matière vivante encore faut-il avoir les moyens de l'étudier pour prévenir des effets néfastes. La prévention peut aller jusqu'à renoncer à recourir à une technique dont les risques potentiels sont trop graves pour l'espèce humaine. L'être humain vit en atmosphère radioactive mais la partie ajoutée est-elle supportable ? Il semble que la réponse soit non.
Monique Sené, Gazette Nucléaire n°159/160, juillet 1997.