La concertation autour des sites industriels

C'est le titre d'un rapport de 85 pages d'avril 2001 ayant deux sous-titres " Retour d'expériences internationales " et " Participation des associations à la concertation en France " de Gilles Hériard-Dubreuil* et Serge Gadbois, de la société Mutadis Consultants.
Cette étude sous contrat a été réalisée pour le compte de l'Institut de Protection et de Sûreté Nucléaire, l'organisme clé du nucléaire français, appui technique de l'Autorité de Sûreté Nucléaire. Depuis, l'IPSN a été absorbé dans l'IRSN, Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, créé par la fusion de l'IPSN et de l'OPRI (Office de Protection contre les rayonnements ionisants qui avait remplacé le SCPRI du Pr. Pellerin). L'IRSN dépend de M. André Claude Lacoste qui coiffe désormais et la sûreté nucléaire et la radioprotection, en tant que directeur de la DGSNR, direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.

En quoi la concertation intéresse-t-elle l'IPSN ? Il s'agit, pour les consultants Mutadis, d'analyser l'origine des conflits sociaux qui peuvent naître autour des installations dangereuses, les sites nucléaires en particulier, afin de suggérer quelques stratégies pouvant calmer les " turbulences sociales " sans mettre en cause le site dangereux.
Une remarque préliminaire au sujet de l'expérience internationale :
" les réflexions internationales en matière de concertation autour des sites industriels sont généralement parties du constat que les démarches d'information des populations restent insuffisantes pour instaurer un climat de confiance autour des installations à risques. La participation est apparue comme un moyen efficace, malgré ses exigences en termes de coûts et de temps, pour inscrire durablement un projet industriel dans son environnement social et résoudre les problèmes posés par l'acceptabilité des risques associés à ce projet ".
Assez curieusement les premières phrases évoquent ainsi les problèmes qui se posent pour développer un " climat de confiance " autour d'installations à risques c'est à dire autour d'installations déjà présentes et qui inquiètent les gens, or ce qui suit concerne les problèmes d'acceptabilité d'un " projet industriel ", c'est à dire d'une installation non encore installée.
Cela veut dire que la " concertation " (c'est un terme beaucoup utilisé dans ce rapport mais qui n'est pas clairement défini et reste ambigu) doit s'instaurer dès le début, au stade du projet, si on ne veut pas avoir de gros problèmes quand celui-ci sera réalisé.
Une remarque intéressante concernant les associations :
" (...) les associations ont l'ambition de contribuer au fonctionnement "sûr" des installations, même si par ailleurs elles peuvent contester la justification de leur implantation et/ou de leur utilité ".
Cette appréciation des associations contestataires/concertantes est assez bien vue. Mais il est évident que pour une association accepter la " concertation " c'est abandonner dans les faits la contestation de l'installation car c'est finalement rassurer les gens sur la surveillance de la sûreté alors que la contestation implique que le niveau de sûreté quel qu'il soit ne peut garantir l'absence de catastrophe.
Mutadis juge l'approche des experts : " Dès lors qu'une activité était sûre pour les experts [scientifiques] il s'agissait de démontrer au public le caractère négligeable (donc acceptable) des risques associés ". Cette approche ne s'est pas avérée efficace car " les oppositions qu'ont pu rencontrer nombre de projets industriels ont montré les limites d'une approche strictement "scientifique" et ont renforcé le cercle vicieux d'une vision du monde partagée entre experts éclairés et profanes "irrationnels" ".
Apaiser les turbulences autour d'un site dangereux ne pourra pas se faire avec des arguments scientifiques, rationnels, car l'opposition de la population est hors de la rationalité. C'est là où Mutadis justifie l'argent du contrat IPSN en essayant de trouver des arguments non rationnels mais crédibles pour calmer la population angoissée.
Le credo Mutadis : la " concertation " doit se fonder sur la participation des associations. Cela implique évidemment que les associations soient reconnues comme ayant une certaine compétence. En gros c'est l'institutionnalisation des associations. Le pouvoir reconnaît leurs compétences à condition qu'elles participent à la concertation, ce qui suppose de renoncer au refus inconditionnel des installations dangereuses, de contribuer à calmer la population en l'assurant d'avoir le souci d'accroître la sûreté.
Mutadis donne une assez bonne définition de la " médiation " : " (...) Certaines associations, généralement de niveau départemental ou régional, considèrent que leur rôle dans la concertation est moins de représenter les citoyens auprès de l'exploitant ou des autorités publiques, que de servir de médiateur entre ces différents acteurs. Elles revendiquent une prise de recul sur les controverses liées à l'exploitation de sites industriels [il ne s'agit plus d'une concertation sur le projet car l'exploitation est en place] et proposent de mettre à profit leurs compétences environnementales [que les autorités leur attribuent] et leur connaissance du milieu associatif pour faciliter, voire accompagner le dialogue entre des industriels et des associations locales. Cette médiation peut amener une association à défendre une position différente des riverains, tout en coopérant avec eux ".
La conclusion " Quand cette fonction de "stretching" [de tension constante exercée par les associatifs, de mise à l'épreuve de l'exploitant] est considérée comme utile par les acteurs du système qui exercent un suivi du fonctionnement d'une installation, notamment par l'exploitant, les acteurs en présence peuvent se reconnaître mutuellement comme partenaires d'un même enjeu, à savoir l'amélioration des conditions d'insertion de l'installation dans son environnement ".
Finalement, la concertation ne concerne ni les conséquences sociales d'un accident possible sur l'installation, ni l'implication des citoyens pour qu'ils décident si ces conséquences sont acceptables. Il ne s'agit pour Mutadis que d'améliorer " l'insertion sociale de l'installation " indépendamment des conséquences possibles d'un accident grave. En somme la concertation ne serait qu'une espèce de chausse-pied destiné à forcer l'entrée des pieds dans des chaussures un peu étroites !

R. Belbéoch, avril 2004


*M. Gilles Hériard-Dubreuil est le directeur de la S.A Mutadis Consultants. Il a été coordinateur scientifique du projet ETHOS (voir l'article de la CRIIRAD) et est partenaire dans le programme CORE (Coopération pour la réhabilitation) visant à " réhabiliter " les conditions de vie dans les territoires contaminés du Bélarus.
Ce programme CORE pose d'énormes problèmes : que veut dire " réhabiliter " ? Les fondements du Projet ont été critiqués d'une façon percutante par Wladimir Tchertkoff. En effet la priorité n'est pas donnée aux problèmes sanitaires des habitants des zones contaminées. (Un exemple : Médecins du Monde, partenaire de CORE, veut s'occuper d'un groupe de femmes enceintes mais ne veut pas leur donner de pectine, " on " le leur a interdit. Cela a été rapporté à l'assemblée générale de l'association des enfants Tchernobyl-Bélarus par le Pr. Michel Fernex).
Le projet CORE n'est finalement que la tentative définitive " d'insertion sociale " de la catastrophe de Tchernobyl, afin que les habitants oublient que les enfants sont malades, que leurs petits-enfants seront malades, et en plus on essaiera de les convaincre que c'est de leur faute car ils n'auront pas suivi à la lettre les préceptes fournis par les agents de CORE.