Pourquoi tant de " brèves " dans la Lettre de Stop Nogent relevant du harcèlement textuel, du poil à gratter, du grincement de dents ? C'est au travers de petites informations apparemment de peu d'importance qu'on trouve l'expression la plus représentative du modernisme. Les grands textes d'information sont rédigés par des experts en magouillage médiatique et sont souvent cohérents. Sauf que, généralement, ces magouilleurs ignorent totalement les problèmes soulevés par l'information qu'ils distillent. D'où, au détour d'une phrase, une stupidité qui fait sens. Le harcèlement textuel est une nécessité pour comprendre l'actualité et aussi ce qui nous attend.
R. B.
Dans Libération du 28 mars 2003
une brève figure sous le portrait de François Roussely,
le PDG d'EDF avec pour titre " François Roussely
poursuit les salariés d'EDF qui organisent des fuites
". Il venait d'annoncer à Europe 1 qu'il allait porter
plainte et prendre des sanctions contre " ceux qui organisent
des fuites et prennent la responsabilité de mettre en jeu
l'honorabilité de tous ceux qui travaillent dans
EDF ".
La fuite qui a mis en fureur Roussely n'avait rien de bien dramatique
car il ne s'agissait que de la révélation de quelques
" tours de passe-passe comptables ". Comment ce Roussely
(ou son successeur) se comporterait-il si des employés
d'EDF révélaient des violations de la sûreté
sur des réacteurs nucléaires, violations effectuées
pour éviter certains coûts. Monsieur Lacoste, le
haut patron de la sûreté nucléaire, n'a pas,
à notre connaissance, réagi aux propos rageurs de
Roussely alors qu'en 1995 il faisait un appel aux corbeaux (voir
la Lettre d'information 101/102 de février-mai 2004).
Agents d'EDF, méfiez-vous des promesses de Monsieur Lacoste,
si vous pensez qu'il serait important que vous fassiez des révélations
sur des comportements dangereux de la hiérarchie EDF sur
certains sites nucléaires...
Dernièrement l'argumentation en faveur
de l'EPR n'était pas pour produire de l'électricité
mais pour calmer les syndicalistes de la CGT.
Au départ la nécessité de construire un EPR
n'était pas due à des problèmes de production.
Il s'agissait d'avoir en fonctionnement cette merveille de la
technologie française pour inciter les pays à nous
en acheter et l'implication de l'EPR dans la production d'électricité
n'était pas évoquée.
Puis, Nicole Fontaine vint. La ministre de l'industrie fait une
apologie de l'EPR. Raffarin l'agrafe : pas question d'EPR en France.
Arrive le contrat avec la Finlande. Les travaux démarrant
en 2005 l'EPR produira de l'électricité en 2010.
AREVA obtient le contrat en garantissant des performances étonnantes
(plus de puissance, moins de déchets, plus d'efficacité,
plus de sûreté etc.) et un prix imbattable.
La stratégie d'AREVA est compréhensible : il est
moins coûteux de vendre à perte un réacteur
à la Finlande que de financer totalement en France un réacteur
qui ne sert à rien.
Puis, les élections arrivent. La gauche balaie la droite.
Raffarin réagit aussi rapidement pour mettre en piste l'EPR
qu'il avait réagi pour épingler Nicole Fontaine.
L'EPR au programme va perturber l'entente de la gauche. Les Verts
doivent être contre, les communistes sont évidemment
pour, et les socialistes qui sont officiellement " contre
EPR aujourd'hui " sont partagés moitié/moitié.
Qui va financer l'EPR alors qu'EDF a des difficultés financières
? Mais si Raffarin bouscule les procédures pour soutenir
l'EPR c'est qu 'il a en vue les élections européennes.
La procédure normale pour mettre en place la commande d'un
réacteur est très longue et le gouvernement ne fonctionne
que dans le court terme.
Il sera intéressant de suivre les conséquences politiques
de cet EPR. Remarquons que Cohn-Bendit a réussi à
unifier les programmes électoraux des écolos européens
pour les élections au Parlement européen : dans
le programme électoral des Verts européens aucune
place au nucléaire.
Les Verts français dans leur livre " Le nucléaire
et la lampe à pétrole " (L'Esprit frappeur
1998) ont dit " La prophétie apocalyptique, même
basée sur des réalités, ne fait pas projet
politique " (page 9).
Il ne faut pas s'étonner de l'absence de possibilité
des désastres nucléaires " même basée
sur des réalités " dans les programmes
des Verts. Il ne faut pas introduire la réalité
dans les " projets politiques " (n'est-ce pas
plutôt " projets politicards " qu'il faudrait
dire ! )
L'INRA, Institut national de recherche agronomique,
est en principe un institut scientifique. On apprend dans Le
Figaro du 19 mai 2004 qu'un dénommé Pierre-Benoît
Joly travaille à l'INRA en tant que " directeur de
recherche ". Ce personnage est sociologue.
L'INRA a peut-être embauché aussi quelques psychologues
? Dans notre modernité la science doit être pluridisciplinaire,
elle nécessite l'intervention des magouilleurs psycho-sociologues
pour établir sa crédibilité !
Dans le n°137 de mars 2004 de la revue
Contrôle, organe de l'autorité de sûreté
nucléaire on trouve, à la fin d'un texte de André-Claude
Lacoste, le grand maître de cette autorité (et de
la radioprotection) cette remarque :
" Le gouvernement qui avait acté le principe des
créations de 225 emplois dont 150 postes d'inspecteurs
de la radioprotection, a initié un mouvement en ce sens
qui s'est traduit par la création, pour cette action prioritaire,
de 22 postes en 2003 et à nouveau 22 postes en 2004 ".
A-C Lacoste semble tout à fait satisfait de ces créations
de postes " d'action prioritaire ". En priorité
pour la sûreté nucléaire il demandait 75 emplois
+ 150 postes d'inspecteurs. le gouvernement à ce jour a
fourni 44 postes. Reste donc, pour assurer la sûreté
nucléaire, 106 postes à créer et 75 emplois.
A cette allure le minimum requis pour la sûreté sera
atteint dans 8 ans. Mais avec le vieillissement des réacteurs
peut-être faudra-t-il encore plus de postes.
Le déficit de l'état, une garantie pour la tranquillité
d'EDF.
Dans Le Monde du 12 novembre 2003 (page 11)
on trouve l'annonce d'un colloque organisé par " La
Société des lecteurs du Monde et le Laboratoire
d'économétrie de l'Ecole Polytechnique " sur
le thème " Risques, crises, ruptures ", le 6
décembre 2003 de 8h15 à 17.
Les risques indiqués sont : " Intempéries exceptionnelles,
vache folle, anthrax, SRAS, pannes de courant historiques [souligné
par moi], terrorisme ".
Ainsi, concernant les risques électriques ce qui inquiète " la société des lecteurs du Monde ", ce sont les " pannes de courant ". Les catastrophes sur nos réacteurs nucléaires ne seraient inquiétantes que si elles induisaient des " pannes de courant ". Curieuse vision des risques de la modernité !
Dans le précédent numéro
de la Lettre d'information nous avons mentionné
un article assez stupide du Monde du 24 mars 2004 nous
informant que " L'uranium, à la sortie de la mine,
n'est pas radioactif ".
Dans nos poubelles nous avons trouvé un article du Monde
du 22 mai 2002 du même genre.
Sous la rubrique " Aujourd'hui Sciences ", ce numéro
du Monde nous révélait une découverte
assez extraordinaire. A propos de l'utilisation de réacteurs
nucléaires pour la propulsion des vaisseaux spatiaux on
pouvait lire : " tant que le réacteur n'a pas démarré,
il n'est pas radioactif ". Ainsi, l'uranium ou le plutonium
des réacteurs ne seraient pas radioactifs avant le démarrage
des réacteurs. Becquerel a dû réagir dans
sa tombe quand il a découvert qu'en 2002 on affirmait que
l'uranium n'était pas radioactif.
Cette nouvelle sensationnelle que nous révèle Le
Monde sous la signature de Pierre Barthélémy
est une citation de " Richard Heidmann, ancien directeur
de l'orientation et de l'évaluation de la recherche et
de la technologie à la Snecma ", un véritable
expert !
En cas d'accidents sur le vaisseau spatial équipé
d'un réacteur nucléaire, les retombées radioactives
contamineraient la terre. Le fameux expert de la Snecma, valorisé
par le journal d'information Le Monde, propose de ne faire
fonctionner le réacteur dans le vaisseau, seulement lorsque
celui-ci est suffisamment loin de la terre. Si le vaisseau explose
au décollage aucun problème de contamination ! L'uranium
et le plutonium n'ayant pas été " activés
" ne sont " pas radioactifs ", donc aucun danger.
Ecrire de pareilles stupidités d'un expert, certainement
bien rémunéré à la Snecma, sans aucun
commentaire, montre le niveau d'ignorance du journaliste signataire
et de la rédaction du journal. Cette ignorance pour un
journaliste du Monde est peut-être une garantie pour
la stabilité de son emploi. Une attitude critique serait
peut-être dangereuse !
Derrière une banderole il y avait des
syndicalistes. La banderole disait :" Construisons des centrales
propres, à charbon, fuel, gaz ". Quand j'ai vu cette
banderole j'ai cru que le comité Stop Nogent s'était
infiltré dans la manifMais non, c'était une banderole
de syndicalistes de la SNET (société nationale d'électricité
et de thermique, dont il a été question dans la
Lettre de Stop Nogent 99/100, décembre 2003). Evidemment
ce n'était pas les plus bruyants, la " bruyance "
étant devenue dans les manifestations un signe de représentation
de notre société du spectacle ! Malheureusement
je n'ai pas vu de banderoles contre la mise sous cocon et la mise
à l'arrêt des centrales à charbon existantes
qui, en fonctionnant au maximum de leur capacité, pourraient
remplacer un bon paquet de réacteurs nucléaires.
Dans la manif de janvier du Rézo la banderole de Stop Nogent
sur l'arrêt du nucléaire avec les centrales à
charbon, fuel et gaz existantes a attiré parfois la réprobation
vive de certains manifestants. Dans la manif d'EDF, les manifestants
sous la banderole de la SNET ne semblent pas avoir été
agressés par les autres manifestants !
Le 14 décembre 1995 s'est tenue, sous
l'égide de la Société française de
radioprotection, une journée d'étude ayant pour
titre " Optimisation de la Radioprotection et valeur monétaire
de l'homme-sievert " (participer à une telle journée
coûtait cher, 1150 francs).
" L'ouverture " de cette journée avait été
confiée à un expert en la matière, J. LOCHARD
du CEPN (Centre d'étude sur l'Evaluation de la Protection
Nucléaire, voir la Lettre d'information 101/102,
février-mai 2004, l'article " Des structures écrans
au service du nucléaire "). Le thème de
l'ouverture était " Le rôle de la valeur
monétaire de l'homme-sievert dans la démarche d'optimisation
de la radioprotection ".
L'homme-sievert est l'unité qui mesure le niveau d'irradiation
d'une population suite à une exposition aux rayonnements,
ce qui est le cas après un accident nucléaire. Cette
irradiation va causer dans la population des " détriments
" (c'est le terme habituellement utilisé par les experts)
comme par exemple des cancers. Protéger les futurs irradiés
coûte de l'argent et il ne faut pas faire de dépenses
inutiles, il faut optimiser. Si le coût d'une protection
efficace (l'évacuation des territoires contaminés)
est plus élevé que le prix que l'on a attribué
aux cancers radioinduits (il faut estimer le prix d'une vie),
ce serait un vrai gaspillage de protéger ces gens.
J. LOCHARD a beaucoup travaillé sur ce thème pour
établir d'une façon " scientifique " le
prix de notre vie, de notre mort.
Il y a une dizaine d'années le " détriment
" lié à l'homme-sievert consistait essentiellement
à dénombrer les cancers radioinduits à venir.
Mais l'épidémie inattendue des cancers thyroïdiens
des enfants en Ukraine, Russie et surtout au Bélarus, a
d'abord été niée. On a escamoté les
autres affections thyroïdiennes, les problèmes nouveaux
qui apparaissent chez les habitants contaminés d'une façon
chronique par le césium radioactif, la dégradation
de la santé des enfants au Bélarus avec des pathologies
cardiaques dans les zones contaminées par Tchernobyl.
Un expert scientifique doit évidemment être à
l'affût des nouveautés. C'est peut-être pourquoi
M. LOCHARD patrouille depuis quelque temps au Bélarus dans
les zones contaminées sous la couverture (et le fric) du
programme CORE. Il est certainement impatient de compléter
ses études " scientifiques " sur le " coût
monétaire de l'homme-sievert " en évaluant
" scientifiquement " le " prix " de ces curs
d'enfants contaminés qui brutalement se mettent à
se comporter comme des curs de vieillards cardiaques. Ces curs
valent-ils cher pour M. LOCHARD ? A-t-il fait l'évaluation
correspondante du prix des curs d'enfants français qui
seraient contaminés par un accident nucléaire chez
nous ? Valent-ils plus ou moins cher que les curs d'enfants du
Bélarus ?
Les visites que M. LOCHARD multiplie au Bélarus lui permettront
peut-être d'apporter des réponses à nos questions.
Ramener la vie à une quantité de fric est particulièrement
obscène. Mais c'est bien dans les valeurs de notre société
et les fondements de la modernité.
R. B.