Depuis quelque temps les études socio-psycho-anthropologiques
sur les risques de notre société encombrent les
revues scientifiques et les médias. Elles attirent un bon
paquet de contrats d'études alors qu'il y a une vingtaine
d'années ces disciplines étaient considérées
comme mineures et un tel développement n'était pas
imaginé.
De quoi s'agit-il ? Il s'agit de la façon dont les "
responsables " politiques doivent envisager la gestion d'une
catastrophe majeure résultant d'un risque important. Pour
ces scientifiques des sciences dites " molles ", le
risque a surgi et les a propulsés en tête des sciences
" dures " en ce qui concerne les désastres de
la modernité, ceux advenus et ceux à venir (liste
non exhaustive : nucléaire et rayonnements, chimie, environnement,
amiante, vaches folles, sang contaminé, OGM etc.).
Les contrats d'études que les institutions distribuent
à ces scientifiques sont justifiés par les craintes
que les catastrophes pourraient déclencher ce qu'un expert
en désastres industriels a appelé des " turbulences
" sociales [1]. La principale préoccupation des "
responsables " ce n'est pas d'intervenir afin d'éviter
la survenue des désastres industriels mais d'essayer de
mettre en place des stratégies qui permettent de gérer
ces catastrophes une fois qu'elles ont eu lieu au coût minimum
et au calme maximum. Les socio-psycho se sont engouffrés
dans ce créneau et il pleut une manne de contrats d'études.
Par exemple il s'agit d'étudier les réactions d'une
population au voisinage d'une installation industrielle dangereuse
pour mettre en évidence ses angoisses et indiquer des voies
aux gestionnaires pour les calmer. Cela, en termes de risques,
c'est à dire avant le désastre.
Tchernobyl a donné à ces scientifiques
des sciences " molles " un tout autre débouché.
Comment des gens vivant dans des zones contaminées de l'ex-URSS
réagissent-ils aux dangers de la contamination radioactive
? Finies les manifestations de rue des années 88 et surtout
89 en Biélorussie. Tout paraît calmeRésignation
et/ou refoulement, négation des risques radiologiques ?
La préoccupation des dangers en termes de santé
ne fait pas partie des problèmes que nos autorités
gestionnaires essaient de résoudre. Ce qui se vit là-bas
au Bélarus (ex-Biélorussie) par les habitants contaminés
d'une façon chronique par les retombées de Tchernobyl,
leurs effets sanitaires délétères chez les
enfants elles " n'en ont rien à cirer ". Ce qui
les intéresse c'est comment elles devront intervenir chez
nous si un accident nucléaire se produisait sur un de nos
réacteurs. [Rappelons que désormais les contre-mesures
de la phase d'urgence ont été publiées en
France - c'est donc que l'accident est officiellement considéré
comme possible - avec main mise du militaire]. Comment magouiller
les informations pour éviter l'évacuation de centaines
de milliers d'habitants ou la fuite genre exode de 1940. L'intérêt
de programmes de type CORE -coopération pour la réhabilitation-
(des conditions de vie dans les territoires contaminés)
mis en place au Bélarus plus de 15 ans après l'explosion
du réacteur de Tchernobyl n'a rien à voir avec les
problèmes sanitaires auxquels est confrontée la
population vivant dans les zones contaminées. Les études
programmées n'ont rien à voir avec un désir
de protéger vraiment les habitants en leur apportant l'aide
médicale dont ils ont besoin. Si c'était le cas
le programme CORE intègrerait au minimum la distribution
de pectine aux enfants, pectine qui sert à éliminer
le césium radioactif incorporé. Mais aussi l'évacuation
éventuelle de zones toujours très contaminées,
seule réelle solution pour résoudre les problèmes
sanitaires des enfants contaminés en des lieux où
il y a en plus du strontium 90 et de l'américium 241 émetteur
alpha résultant de la désintégration du plutonium
241. Non, ce dont il s'agit pour les habiles promoteurs de tels
programmes (pas pour les naïfs exécutants) c'est de
rétablir un niveau de confiance de ces populations vis-à-vis
de leur environnement contaminé tout en leur donnant quelques
conseils pour éviter le pire et surtout calmer les habitants.
En somme le but visé par la " réhabilitation
" des conditions de vie est d'arriver à ce que 20
ans après la catastrophe la situation soit normalisée
[2] ce qui nécessite une stratégie médiatique
pour calmer définitivement la population, celle de la servitude
volontaire. Pour éviter que les enfants aillent dans
les bois contaminés ils pourraient proposer de distribuer
des jeux vidéos qui scotcheraient les enfants devant la
télé !
Pour nos gestionnaires de l'accident futur il faut à tout
prix éviter les " turbulences " sociales et la
maîtrise des turbulents qui seraient autant d'indices d'une
société qui aurait abandonné son simulacre
de démocratie pour adopter un régime autoritaire.
Au Bélarus, le régime autoritaire de Loukachenko
est une aide précieuse pour la " normalisation ",
lui qui demande et favorise la réinstallation d'habitants
de l'ex-URSS dans des villages évacués.
Les sociologues, psychologues, anthropologues etc. qui se sont installés dans ce système sont très nombreux. Connaissant certains d'entre eux il est difficile de croire que seul l'attrait de contrats juteux motive leur activité. Bien sûr on ne peut exclure la tentation de mise en avant médiatique alors que ce type d'études était plutôt ignoré du public. On ne peut exclure non plus la croyance naïve que leur collaboration avec des institutions très impliquées dans la gestion sociale permette d'obtenir quelques avantages intéressants pour la société, en somme, de limiter les dégâts. En réalité ils ne se rendent pas compte que leur activité est plus qu'une collaboration mais un " concubinage " au sens d'Ulrich Beck [3].
La dénonciation des méfaits et/ou
de la perversité des activités menées dans
les différentes disciplines scientifiques a été
tentée au début des années 70, venant de
l'intérieur des laboratoires et institutions, qu'il s'agisse
des psychiatres, médecins, mathématiciens, physiciens
etc. Ont fleuri des groupes et des revues iconoclastes, entre
autres Tankonalasanté, Impascience, les Cahiers du laboratoire,
Cahiers pour la folie, les bulletins des différents "
groupes d'information. " GIS groupes d'information santé,
GIP groupe d'information prison, GIT groupes d'information travail
et certainement bien d'autres. Les activités des sciences
" dures " ont été analysées durement
par le groupe " Survivre et Vivre ", relations science
et militaire, relations science et société. Les
informaticiens se sont interrogés sur les effets négatifs
d'une pensée binaire oui/non sur la société
etc.
Il y aurait vraiment besoin d'analyser comment ces activités
scientifiques des sciences sociales qui fleurissent aujourd'hui
contribuent à escamoter les problèmes réels
des risques de notre modernité. Dénoncer le rôle
de ces disciplines dans la stratégie de gestion pré
et post-accidentelle des gérants pré et post-désastres
qui nous attendent, serait extrêmement utile pour prendre
conscience de ces désastres possibles et qui inquiètent
les gestionnaires, non par les conséquences dramatiques
pour la population mais pour la façon de gérer ces
désastres en " douceur ".
Ce travail de remise en cause, s'il était fait de l'intérieur
par les scientifiques eux-mêmes, serait particulièrement
percutant. Les socio-psycho-anthropologues, sous une couverture
de responsabilité scientifique, aident les gestionnaires
de notre société sur des critères strictement
économiques. Analyser ces rôles pervers de la sociologie
pourrait être un thème intéressant pour des
sociologues.
Roger Belbéoch, juin 2004
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[1] Patrick Lagadec " Stratégies de communication
en situation de crise " exposé présenté
au colloque international de recherche " Evaluer et maîtriser
les risques, la société face au risque majeur "
20, 21, 23 janvier 1985, Chantilly.
Extrait : " Dans ce contexte de haute turbulence, la
mise en relation -la communication- devient un facteur stratégique
de première importance. Communications internes aux organismes
concernés, communications entre organisations, communications
vers le public à travers les médias (ou par voie
directe dans les cas d'urgence extrême) : l'expérience
montre la nécessité de maîtriser ces multiples
lignes d'information ".
[2] La normalisation ne vise pas seulement la perception de
la situation par la population des zones contaminées, mais
aussi la perception que les étrangers (nous) ont de la
catastrophe pour éviter le refus de l'énergie nucléaire
dans les pays nucléarisés (la France en particulier).
[3] Ulrich Beck " La société du risque, sur
la voie d'une autre modernité " Ed. Aubier, 2001.