Dix-neuf ans après l'explosion du réacteur
n°4 de Tchernobyl la situation sanitaire des habitants du
Bélarus (ex-Biélorussie) est toujours préoccupante
car ils sont exposés à une irradiation interne chronique
par la nourriture produite sur les terres contaminées.
Depuis le début des années 90 c'est la période
physique du césium 137 (30 ans) qui pilote la diminution
du niveau de césium des terres, ce n'est plus la migration
verticale dans les sols. Et il y a aussi des radioéléments
dont on parle peu, du strontium 90 et des particules chaudes (celles
renfermant le plutonium 239 et 240). Ces radionucléides,
contrairement à ce qui a été proclamé
après 1986, ne sont pas seulement confinés dans
la zone interdite des 30 km mais on les trouve aussi assez loin
de Tchernobyl, le long des rivières Soj, Beced et Ipout.
On parle peu de l'américium 241, émetteur alpha
dont la teneur augmente régulièrement car il provient
de la désintégration du plutonium 241 (période
14 ans) libéré en quantité dans les rejets.
D'un côté on veut nous convaincre que cette contamination
chronique est inoffensive car elle correspond à des doses
trop faibles pour avoir un effet biologique nocif (la notion de
l'existence d'un seuil en dessous duquel il n'y aurait pas d'effets
est à la base des croyances de nos académiciens),
et de l'autre côté qu'il faut apprendre à
vivre avec. Mais est-ce vivre ?
Tous les habitants de ces zones contaminées
auraient dû être évacués vers des zones
" propres " ce qui aurait limité les problèmes
de santé des enfants nés après Tchernobyl.
Pourquoi n'ont-ils pas été évacués
en 1986 ou relogés à partir de 1989 ? C'est pour
répondre à cette question qu'il est important de
rappeler quelques faits car nous sommes impliqués dans
ce bilan désastreux post-Tchernobyl.
Le texte qui suit donne les dates essentielles de l'après-Tchernobyl. Il a été affiché lors du 2ème Colloque international sur les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl dont le thème était " Santé et information, des incertitudes aux interventions dans les régions contaminées par Tchernobyl " organisé par le centre universitaire d'écologie humaine et des sciences de l'environnement (CUEH) et le laboratoire de didactique et d'épistémologie des sciences (LDES) de l'université de Genève qui s'est tenu à Genève, 13-14 novembre 1997. Il résume un certain nombre de dossiers publiés dans La Gazette Nucléaire. [Les quelques ajouts apportés à l'original sont mis entre crochets].
L'article de 14 pages correspondant à ce résumé figure dans Radioprotection et Droit nucléaire, sous la direction d'Ivo Rens et Joel Jakubec, Ed. Georg, 1998, Collection Stratégies énergétiques, Biosphère & Société, pages 247-261 qu'on peut trouver sur le site internet http://www.unige.ch/sebes
Août 1986
: 30 000 à 40 000 morts par cancers radioinduits dans les
70 ans à venir pour 75 millions d'habitants de la partie
européenne de l'URSS, d'après le rapport soviétique
à l'Agence internationale de l'énergie atomique
(AIEA) à Vienne. C'est surestimé disent
les experts occidentaux. L'AIEA bloque ce rapport.
1986-1988 Les soviétiques font leur autocritique
exigée par les occidentaux en divisant par 9 la dose collective
et donc les effets sanitaires à long terme (cancers et
effets génétiques).
On constate la dégradation de l'état sanitaire dans
les zones contaminées. " Radiophobie " disent
en chur experts soviétiques et occidentaux.
Fin 1988 Les experts soviétiques élaborent
les principes de " gestion du long terme " par le critère
de " dose-vie ". Si la dose-vie calculée sur
70 ans de vie est inférieure à 35 rem [350 millisievert*,
elle comprend les doses déjà reçues depuis
1986] la vie est " sûre ", on supprime tous les
contrôles de nourriture et l'arrivage d'aliments "
propres " [non contaminés]. Si elle est supérieure
à 35 rem il faut être " déplacé
" (évacué) hors de la zone contaminée.
Les scientifiques biélorusses et ukrainiens exigent des
doses-vie plus basses, plus protectrices pour la population. Le
pouvoir central fait appel à l'OMS.
1989 : l'OMS Les experts de l'OMS [notre Pr. Pellerin,
le canadien Waight, l'argentin Beninson] appuient les décisions
de non-évacuation des habitants des zones contaminées
en dénigrant les scientifiques biélorusses et ukrainiens.
Ils déclarent même que le critère (35 rem)
du pouvoir central est trop strict. Eux préconiseraient
des doses-vie 2 à 3 fois plus élevées (juin
1989) [soit une dose-vie de 1 sievert !] Des responsables de la
radioprotection soviétique font appel à Gorbatchev
pour soutenir les 35 rem : si on appliquait la dose-vie préconisée
par les scientifiques biélorusses [7 rem soit 70 mSv] et
ukrainiens il faudrait " déplacer "
jusqu'à un million d'habitants
(lettre de 92 spécialistes du 14 septembre 1989 à
M. Gorbatchev). Demande d'assistance à l'AIEA en octobre
1989 qui démarre le " Projet international Tchernobyl
".
Mai 1991 Le " Projet International Tchernobyl "
(AIEA, OMS, CCE, UNSCEAR, FAO etc.) donne ses conclusions : Tchernobyl
n'a eu aucune conséquence sanitaire à part des troubles
psychiques dus à des contre-mesures excessives du pouvoir
central (évacuations, contrôle de la nourriture etc.).
En somme Tchernobyl est un non-accident.
Or l'état sanitaire constaté localement par les
médecins s'aggrave, en particulier chez les enfants.
Été 1991, implosion de l'URSS et constitution
des Républiques indépendantes
Septembre 1992 : des scientifiques occidentaux [dont Keith
Baverstock, OMS] confirment l'augmentation énorme du nombre
de cancers thyroïdiens observés (et opérés)
par les spécialistes biélorusses. Malgré
les réticences il n'est plus possible de nier les problèmes
thyroïdiens des enfants en Belarus (ex-Biélorussie),
les régions les plus touchées sont celles qui ont
été les plus contaminées par les iodes radioactifs
rejetés après l'explosion du réacteur. Le
nombre de cancers de la thyroïde est aussi en augmentation
chez les enfants en Ukraine et en Russie.
Aujourd'hui [en 1997] ce sont les adolescents et les jeunes
adultes qui sont touchés par ces cancers thyroïdiens.
L'augmentation des malformations congénitales observée
en Biélorussie est plus élevée dans les zones
les plus contaminées. Il en est de même pour les
mutations génétiques minisatellites. On observe
une diminution des défenses immunitaires et la morbidité
augmente.
Ceux qui vivent aujourd'hui en zone contaminée continuent
à incorporer césium 137, strontium 90 et les particules
" chaudes " de plutonium. La nourriture produite sur
les terres contaminées continue à être "
démocratiquement " répartie partout.
On doit considérer que les cancers
précoces de la thyroïde affectant les enfants et dus
à l'incorporation des iodes radioactifs sont des "
bio-indicateurs " de la contamination subie par les populations.
Ces effets n'étaient pas prévus par les experts.
Est-ce parce que les doses d'iodes ont été plus
importantes que prévu ? Parce que l'effet cancérigène
est plus important que prévu ? Mais les habitants qui ont
été irradiés par le nuage ont incorporé,
outre les iodes radioactifs, tout un cocktail de radioéléments.
Ceci devrait, à long terme, engendrer des cancers plus
nombreux que ce qui était prévu en 1986. Quant à
la morbidité elle ne fait qu'augmenter
Les occidentaux partagent avec les autorités soviétiques,
qu'il s'agisse de Moscou ou des autorités locales, la responsabilité
des dégâts sanitaires de la population car ils ont
soutenu le pouvoir central pour diminuer le nombre des habitants
à évacuer en adoptant des contre-mesures insuffisantes
basées uniquement sur des critères économiques.
Et chez nous il en serait de même en cas d'accident nucléaire
majeur.
Bella Belbéoch
(GSIEN, Groupement de Scientifiques pour l'Information sur l'Energie
Nucléaire, ORSAY, France)