Où en est-on 19 ans après l'explosion du réacteur numéro 4 de Tchernobyl ?

Notre premier dossier dans la Gazette Nucléaire de novembre 1986 sous-estimait la situation sanitaire des populations qui vivent en zone contaminée. Il n'y a pas que les cancers mortels, la morbidité n'a fait qu'augmenter : il a été observé depuis 1986 une dégradation du système immunitaire, un dysfonctionnement de tous les systèmes régulateurs de l'organisme entraînant une augmentation de toutes les pathologies, en particulier chez les enfants, dont nous avons rendu compte dans le dossier de 1989. Cette dégradation est due à l'incorporation chronique de radionucléides. Il n'y a pas eu que les iodes radioactifs rejetés lors de l'accident mais de nombreux radionucléides, essentiellement les césium 137 et 134. Il y a aussi du strontium 90 et des particules chaudes.
Lors de la réunion publique organisée par les autorités biélorusses le 2 février 1989 au Palais de la Culture à Minsk (les cartes de contamination en césium 137 de la Biélorussie ont été montrées, avant même celles que publiera en mars la Pravda de Moscou) un kolkhozien s'est écrié " comment peut-on faire du pain " propre " avec du blé " sale " ! La population avait conscience que la nourriture " sale " était responsable des maux dont commençaient à souffrir les enfants (fatigue, saignements de nez, fragilité respiratoire, affections thyroïdiennes)

Mais 19 ans après, la population qui aurait dû être évacuée dès 1986, qui devait l'être dans les années 90 et ne l'a pas été, subit toujours une contamination chronique par l'intermédiaire de l'alimentation. Ceux qui étaient enfants en 1986 ont grandi, ils ont eu des enfants qui se nourrissent de produits contaminés. Il n'y a pas que les champignons, baies sauvages, gibier qui peuvent être très contaminés (les enregistrements radiamétriques de l'institut BELRAD montrent chez certains enfants une augmentation de la charge en césium 137 en automne, liée à la consommation des produits des forêts), le lait du secteur privé continue à dépasser les normes (normes qui sont bien plus basses actuellement, 110 Bq/litre en césium 137, que celles du lait qu'on fera boire à nos enfants si un accident nucléaire arrive chez nous).
Les travaux de Youri Bandajevsky et de ses élèves de l'institut de médecine de Gomel ont montré le rôle de l'incorporation du césium 137 dans toute une série de pathologies affectant les enfants (pathologies cardiaques, mais aussi opacités du cristallin, allergies, dysfonctionnements endocriniens etc.). Il n'est pas bon pour leur santé que la charge en césium 137 dépasse 20-30 Bq par kilo de poids de l'enfant. Déjà 70 Bq/kg c'est trop (d'après les modèles classiques de la CIPR les doses efficaces annuelles sont faibles, de l'ordre de 0,2 millisievert). Pourtant les enfants sont maladesCeci n'est pas conforme au dogme de l'innocuité des faibles doses de rayonnement. C'est bien pour cela que Youri Bandajevsky est gênant et qu'il a été emprisonné après une parodie de procès. Il est toujours en relégation alors qu'il aurait déjà dû être en liberté conditionnelle depuis janvier si la loi du Bélarus était respectée.

De tout cela nous sommes responsables car c'est aussi de notre faute si le nouveau programme d'évacuation élaboré en juillet-octobre 1989 par le soviet de Biélorussie (de " relogement " hors des zones contaminées) n'a pas été plus radical et n'a même pas été appliqué en totalité par la suite. Nous avons été incapables d'empêcher le Pr. Pellerin, en tant qu'expert OMS, d'apporter à Kiev et à Minsk son soutien aux autorités soviétiques avec tout le poids que confère l'OMS. Il a dénigré les scientifiques biélorusses et ukrainiens qui proposaient des doses-vie plus basses pour protéger la population. Mais cela aurait nécessité des évacuations énormes (près d'1 million d'habitants des trois Républiques, Ukraine, Biélorussie, Russie c'est ce qu'ont écrit à Gorbatchev les " responsables " soviétiques en radioprotection dans une lettre de septembre 1989 dont nous avons eu copie). Cela aurait montré le vrai visage du nucléaire civil et la réalité de l'ampleur d'une catastrophe nucléaire et cela était insupportable pour nos autorités y compris médicales : elles nieront jusqu'au bout les effets nocifs des faibles doses de rayonnement. De tergiversations en temporisations le temps a passé et l'URSS a implosé Si l'Ukraine a pu reloger la majorité des habitants des zones les plus contaminées il n'en a pas été de même au Bélarus où la proportion de sols contaminés à plus de 40 curies au km2 a été la plus élevée d'Europe. Rappelons que les villages de Tchoudiane et Malinovka situés à plus de 250 km au nord-est de Tchernobyl ont été contaminés en césium 137 à 140 curies au km2 (plus de 5 millions de becquerels au m2) et n'étaient pas évacués en 1989 !

 

Les actions tentées en 1989-1990 pour contrer le rôle du Pr. Pellerin

Conférences, quelques interviews radio, articles dans les journaux comme Le Généraliste, Politis, séances de cinéma (documentaires de Chkliarevsky, Serguienko, rencontre avec Alla Yarochinskaya et le physicien Demidenko). Cela n'a pas déplacé des foules
Cependant, rappelons que cinq associations -GSIEN, CRIIRAD, BULLE BLEUE, ECOROPA, SAVOIR- se sont mises d'accord pour une action commune. Après avoir envoyé une lettre ouverte à M. Claude Evin alors ministre de la santé, pour demander si c'était au nom du gouvernement français que le Pr. Pellerin préconisait en Ukraine et Biélorussie des " dose-vie ", doses accumulées en 70 ans, de 2 à 3 fois 35 rem (2 à 3 fois 350 mSv*, plus de 1 sievert ! ) et si c'était cela qui nous serait appliqué en cas d'accident alors qu'elles contrevenaient à la législation française (à l'époque 5 mSv/an soit 350 mSv en 70 ans).
Nous signalions aussi que la CIPR avait, dès 1985 dans la déclaration de Paris, divisé par 5 la limite principale annuelle qui devenait 1 mSv/an. Nous avons organisé une conférence de presse le 9 avril 1990
Beaucoup de monde à la conférence de presse. Ont donné leur nom des journalistes de Droit international, Nucleonics Week, Agence de Presse Médicale, Le Parisien, RFI, Libération, Financial Times, Politis, AFP, Wise, Le Généraliste, Le Quotidien du médecin, Le Nouvel économiste. Il y a eu un écho journalistique les jours suivants (articles entre autres dans Libération, Le Parisien, L'Impatient, plusieurs articles dans Le Généraliste).
Pas de réponse du ministère. Une délégation s'est rendue en juin au ministère de la santé : Bulle Bleue, Stop-Nogent, GSIEN, ECOROPA, WISE. Le Dr. Girard, Directeur général de la santé nous a promis une " réponse en septembre ", réponse qui n'est jamais venue. Puis c'est le trou noir dans les médias, aucun journaliste n'a réagi à l'absence de réponse du ministère de la santé alors qu'il s'agissait d'un problème fondamental pour notre radioprotection.
La CIPR adopte en novembre 1992 les recommandations en cas " d'urgence radiologique ". Le Pr. Pellerin faisait partie du comité 4 qui a supervisé ces recommandations (publication CIPR 63, 1993).
Cela revient à adopter une dose-vie de 1 sievert, voire davantage si l'accident est très sévère, pour le relogement définitif. Le débit de dose mensuel justifiant ce relogement est de 10 mSv...
Ainsi, la mobilisation n'a pas été à la hauteur de l'enjeu. Mais ce sont nos enfants qui le paieront en cas d'accident
B. Belbéoch, mars 2005

* Rappelons que la nouvelle unité est le sievert (Sv) qui vaut 100 rem ; 1 rem = 0,01 Sv = 10 mSv

ARCHIVES
- Article de Libération du 10 avril 1990 " Litige sur le seuil de radioactivité acceptable. Des associations demandent des comptes sur la position de la France à propos des normes de radioprotection.

- Nous donnons ci-après un extrait du journal biélorusse Sovietskaya Bieloroussia qui figurait dans le dossier de presse remis aux participants de la conférence de presse du 9 avril 1990 avec sa photocopie en russe.

Libération du 10 avril 1990: