Dans Le Monde du 16 décembre
2004, un très long article est consacré au Concorde
et au crash du 25 juillet 2000 sous le titre " Concorde
: un défaut connu dès 1979 explique en partie la
catastrophe ".
Ce texte est intéressant car il est reconnu, 21 ans après,
qu'il y avait en 1979 des indications qui pouvaient expliquer
le crash où plus d'une centaine de personnes ont péri.
Ce genre d'indications, de défauts, peuvent être
qualifiés d'" événements précurseurs
". Cela signifie que lorsqu'il y a dans une entreprise un
événement anormal qui n'a pas de conséquences
immédiates ce n'est pas une raison pour le classer.
Ces événements, dits précurseurs, ont été
très bien caractérisés par Patrick Lagadec
dans sa thèse pour le doctorat d'Etat en science politique
soutenue à la même époque. Ce ne sont pas
les conséquences immédiates d'un incident
qui sont importantes dans une installation industrielle mais ce
qu'elles révèlent de ce qui se passe dans l'installation.
Quelles conséquences plus lointaines peut avoir un incident
révélateur d'un défaut, qu'il s'agisse d'une
erreur de conception, d'un dysfonctionnement de management, d'un
défaut dans un matériau etc. Il ne faut surtout
pas l'ignorer. Ainsi deux ans avant l'accident sur le réacteur
de Three Mile Island un incident mettant en cause des vannes de
décharge du pressuriseur avait eu lieu sur un réacteur
de la centrale de Davis Besse et aurait dû alerter les opérateurs
de TMI s'ils avaient été mis au courant par l'autorité
de sûreté américaine (NRC) ce qui ne fut pas
le cas.
Comment les nucléocrates ont-ils perçu ce genre
d'approche, tenir compte des événements précurseurs
qui peuvent jouer un rôle déterminant sur la sûreté
future ? Officiellement ils n'en tiennent pas compte. Ils ont
mis en place une échelle des dangers (échelle INES)
en cas " d'événements " nucléaires
qui ne tient compte que des conséquences immédiates.
En cas d'incident les autorités de sûreté
donnent le niveau de danger noté de 0 à 7. (7 c'est
Tchernobyl). Les journalistes sont ravis, inutile d'enquêter
pour comprendre l'origine de l'incident et des conséquences
possibles si d'autres incidents venaient à se greffer sur
celui-là. Par exemple, si des inspecteurs de la sûreté
nucléaire découvrent que des opérateurs dorment,
aucune conséquence, niveau 0 dans l'échelle des
accidents. Mais c'est un signe non négligeable de dysfonctionnement
de la gestion d'un réacteur qui peut s'emballer et conduire
à un désastre alors que les opérateurs dorment
! Si les journalistes enquêtaient sérieusement sur
les circonstances de tous les incidents cela pourrait mettre en
évidence des violations des règles de sûreté
et des dangers en perspective.
L'échelle de sûreté nucléaire est une
véritable escroquerie que les médias ont acceptée
sans problème. Elle ne correspond pas du tout à
une évaluation réelle de la sûreté.
(A notre connaissance seule la journaliste américaine de
Nucleonics Week l'a bien fait remarquer : cette échelle
INES est une échelle de communication, ce n'est pas une
échelle de sûreté).
Les médias, complices des autorités de sûreté
nucléaire pour éviter les " turbulences sociales
" que nos " responsables " redoutent. Et la communauté
scientifique, le corps médical, les associations, les syndicats,
qui ont accepté cette façon d'interpréter
les incidents " précurseurs " ? Responsables
mais non coupables en cas de désastre nucléaire
?