Le 28 mars 1979 la centrale nucléaire
de Three Mile Island (TMI) est au niveau d'une " catastrophe
nationale ", d'après le journal Le Monde. Mais
Le Monde, la référence du sérieux
journalistique, titre son éditorial en première
page " Le pépin " :
" Cela devait arriver. Il n'est pas d'exemple qu'une source
d'énergie ait pu fonctionner impunément depuis qu'elle
existe. Les moulins à vent ont bien dû emporter quelques
têtes, le charbon a des milliers de victimes à son
passif et les barrages hydroélectriques ont parfois cédé
".
Ce jour là, la centrale de TMI était en pleine déroute.
Les opérateurs (et leurs chefs) ne comprenaient pas ce
qui se passait. Les autorités de sûreté et
le gouverneur de l'état de Pennsylvanie étaient
dans le brouillard : fallait-il ouvrir les vannes et relâcher
tous les gaz radioactifs dans l'atmosphère ? L'hydrogène
généré par le réacteur allait-il exploser
? (Il s'agissait d'une " bulle " d'hydrogène
dans le bâtiment réacteur dû à la réduction
de l'eau par le zirconium provenant de l'alliage des gaines rompues
qui entourent le combustible). Pour Le Monde ce n'était
qu'un incident normal dans la production d'énergie. Quant
à son analyse de cet événement assez impressionnant
elle n'avait rien à voir avec l'accident lui-même.
L'éditorial " Le pépin " précisait
: " Avec le nucléaire, il s'agit d'autre chose.
Née dans le creuset affreux d'Hiroshima la
force atomique continue d'être entourée du halo psychologique
le plus inquiétant. On a évacué depuis longtemps
la terreur des cadavres quotidiens de la route, mais celle des
radiations mystérieuses subsiste ". Rappelons
que le lendemain d'Hiroshima Le Monde ne signalait
rien d'affreux mais titrait simplement " Une révolution
scientifique "
En bref, Le Monde, la référence pour l'information
indépendante, nous dit :arrêtez de nous embêter
avec les dangers du rayonnement. [Ce mythe de l'indépendance
en a pris un sacré coup depuis la parution du livre de
Péan, mais en ce qui concerne le nucléaire il y
a belle lurette qu'on le sait].
Cependant un aspect particulièrement intéressant
est signalé : " Pour la première fois, les
ingénieurs chargés de la sécurité
vont pouvoir travailler non plus sur des fictions mais sur des
réalités et des progrès ne manqueront pas
de s'ensuivre ". En somme les catastrophes nucléaires
sont des sources d'enseignement et de progrès. Le rédacteur
de cet éditorial " Le pépin " a
dû être ravi du désastre de Tchernobyl qui
a pu apporter au progrès des informations particulièrement
importantes
TMI c'était en 1979, la France avait décidé
de se nucléariser au maximum en 1974. Il ne fallait pas
que TMI sème des doutes dans l'opinion. L'accident de TMI
a donné lieu, chez nous, à une commission d'enquête
du parlement. Cette commission de parlementaires a consacré
une journée à l'audition des associations, des syndicats.
J'ai été invité à
témoigner lors de cette audition et ce qui m'a intrigué
c'est qu'aucun parlementaire de la commission n'était là,
le travail était laissé à des fonctionnaires
! La rédaction de l'enquête parlementaire a été
bien sûr confiée à un personnage important,
le ministre André Giraud -polytechnicien, corps des mines,
comme quelques uns de ses " copains " dont Pierre Guillaumat
et Georges Besse. André Giraud avait mis en place en France
le nucléaire militaire et civil, il avait manipulé
la commission PEON (production d'électricité nucléaire
d'origine nucléaire). Ancien administrateur général
du CEA (commissariat à l'énergie atomique) puis
ministre de la recherche, puis ministre de l'industrie, puis ministre
des armées. C'est lui qui a contrôlé la rédaction
de cette commission d'enquête dite " parlementaire
".
Pour les informateurs -dits indépendants- du Monde,
les problèmes nucléaires, les catastrophes n'avaient
rien d'anormal, mais s'inscrivaient dans la foulée des
anomalies de la production d'énergie. Un signal "
fort " aux citoyens : ne vous inquiétez pas à
propos du nucléaire, il n'aura pas plus de bavures que
les moulins à vent. C'est dans cette conception des "
accidents énergétiques " que Le Monde
traitera le désastre de Tchernobyl quelques années
plus tard.
Roger Belbéoch, 19 février 2005