A deux reprises, à un mois d'intervalle, l'AIEA (Agence Internationale de l'Energie Atomique) a réussi à mobiliser les médias internationaux sur les sujets brûlants des conséquences de Tchernobyl et de la paix dans le monde. L'AIEA affermit son pouvoir quasi dictatorial sur tout ce qui touche au domaine nucléaire y compris celui de la santé
- Le Prix
Nobel de la Paix
Le vendredi 7 octobre 2005 le prix Nobel de la Paix était
décerné à l'AIEA et à
son Directeur général Mohammed ElBaradei, "
pour leurs efforts en faveur de la non prolifération
des armes nucléaires dans le monde ".
Quelle non prolifération pour quelle paix ? Dans le passé
l'Inde et le Pakistan se sont dotés de l'arme nucléaire
grâce à leurs programmes nucléaires civils
supposés uniquement " pacifiques " dont l'AIEA
fait la promotion ! Quant au conflit actuel de l'AIEA avec l'Iran,
pourtant signataire du traité de non prolifération,
les tergiversations initiales ont été remplacées
par un discours musclé de l'Iran affirmant sa volonté
d'enrichir l'uranium dans son usine d'Ispahan démontrant
par là même l'inefficacité de ces " efforts
" de l'AIEA.
Concernant l'Iran, ce qui est craint en 2005 n'est-ce pas la réalisation
du vaste programme nucléaire des années 70 du Chah
d'Iran démarré grâce à l'Allemagne
(construction de 2 réacteurs nucléaires, l'un presque
terminé en 1979), à la France et ses contrats fabuleux
de 1974 : commandes non seulement de centrales (2 réacteurs
nucléaires), mais aussi fourniture d'équipements
pour créer un centre de recherches nucléaires, formation
de personnels spécialisés avec accords de coopération
industrielle pour tout le cycle du combustible (retraitement et
enrichissement de l'uranium) ? Rappelons que le financement de
la construction de notre usine Eurodif d'enrichissement
de l'uranium a été assuré en grande partie
par l'Iran. La France devait en échange fournir de l'uranium
enrichi. Ce pactole a capoté en 1979 après la révolution
islamique entraînant un contentieux financier entre l'Iran
et la France. Tous ces contrats du nucléa-ire " pacifique
" n'ont suscité aucune réser-ve de la part
de l'AIEA. Or des réacteurs nucléaires, dans un
pays gros producteur de pétrole et au potentiel immense
de gaz naturel, manifestement ce n'était pas pour produire
de l'électricité mais pour se doter de l'arme nucléaire.
Le programme nucléaire iranien a repris dès 1982.
Aujourd'hui en voulant enrichir l'uranium dans ses propres installations,
l'Iran signataire du TNP " respecte " le traité
de non prolifération, tout comme les non signataires Inde
et Pakistan avant l'annonce faite au monde entier en mai
1998 du succès de leurs tests souterrains d'armes nucléaires,
d'abord ceux de l'Inde puis en guise de réponse ceux du
Pakistan quinze jours plus tard...
- Le " Forum Tchernobyl " et son
bilan : Tchernobyl c'est fini.
A l'issue de discussions en 2001 avec
le premier ministre du Bélarus le Directeur général
de l'AIEA, Mohammed ElBarradei décide la création
d'une instance internationale le Forum Tchernobyl afin
de venir à bout des informations contradictoires qui sapent
la confiance de la population " il est utile d'établir
un forum commun sur les conséquences de Tchernobyl où
les organisations compétentes des Nations Unies et les
gouvernements des pays affectés puissent délivrer
un message unique et clair aux habitants de la région [contaminée]
et au public en général ". D'autre part
les efforts déployés par les trois pays les plus
touchés par Tchernobyl, Bélarus, Ukraine et Russie
et l'aide internationale humanitaire ne sont plus adéquats,
il faut mettre en uvre la nouvelle stratégie définie
par une mission des Nations Unies effectuée dans ces pays
en 2001 et publiée dans le rapport " Les conséquences
humaines de l'accident nucléaire de Tchernobyl. Une stratégie
de réhabilitation " visant, pour les régions
contaminées, à " la normalisation
de la situation des individus et des communautés concernant
le moyen et long terme " indiquant la nécessité
de s'attaquer aux contraintes imposées par la contamination
radioactive " d'une façon positive et novatrice
" [1].
Ce Forum Tchernobyl est officiellement institué
en février 2003 " afin d'établir
sans détours l'ensemble des données [sur les
conséquences de l'accident] basé sur les meilleures
analyses scientifiques et de stimuler une coopération internationale
plus efficace pour les actions futures qui puissent aider les
populations locales à reprendre le contrôle de leurs
moyens d'existence ". Ensemble pluridisciplinaire de
plus d'une centaine d'experts, un groupe d'experts " santé
", un groupe d'experts environnementaux, il est placé
sous l'égide de l'AIEA et comprend huit agences des Nations
Unies* et des représentants du Bélarus, d'Ukraine
et Russie.
Pour réaliser ces objectifs il faut, d'après les
comptes rendus des réunions du Forum, fournir des rapports
consensuels faisant autorité sur les effets sanitaires
attribuables à l'exposition aux radiations et les conséquences
environnementales induites par les rejets radioactifs (contamination
des aliments etc.) ; des avis et des programmes spéciaux,
faisant autorité, sur la façon d'aider les pays
et les individus " à se remettre " de l'accident
en poursuivant la réhabilitation en cours vers des conditions
de vie normales (optimiser les actions pour rendre utilisables
des terres contaminées, conseiller les médecins).
Raffiner l'évaluation scientifique sur les impacts à
long terme de l'accident tant sur la santé des habitants
que sur l'environnement, promouvoir un consensus sur ces sujets
et identifier les lacunes dans les recherches. Informer les décideurs,
le public et les médias des effets de l'accident.
- Lors de la dernière réunion du Forum en avril
2005 une conférence internationale est décidée
pour le 20ème anniversaire de l'accident, sur le thème
" Tchernobyl : Regards sur le passé pour aller de
l'avant " (Chernobyl : Looking Back to Go Forwards)
qui, au lieu d'avril 2006, s'est tenue les 6-7 septembre 2005
à Vienne dans les locaux de l'AIEA.
Le bilan définitif de la catastrophe est donné dans
un volumineux rapport "Le legs de Tchernobyl : impacts
sanitaires, environnementaux et socio-économiques ".
Les conclusions sont diffusées mondialement dans un long
communiqué de presse, commun AIEA/OMS/PNUD,*
sous le titre " Tchernobyl : l'ampleur réelle
de l'accident. 20 ans après, un rapport
d'institutions des Nations Unies donne des réponses définitives
et propose des moyens de reconstruire des vies ".
Il débute par : " Jusqu'à 4000 personnes
au total pourraient à terme décéder des suites
d'une radioexposition ".
Ce bilan a été répercuté par tous
les médias télé, radio, presse. Un exemple,
Le Figaro titre le mercredi 7 septembre " Nucléaire
La catastrophe de 1986 serait responsable de 4 000 morts par
cancer. L'ONU revoit à la baisse le bilan de Tchernobyl
".
Ce nombre comprend les décès déjà
survenus " la cinquantaine de membres des équipes
d'intervention décédés des suites du syndrome
d'irradiation aiguë, 9 enfants morts d'un cancer de la thyroïde
" et ceux survenus et à venir de " 3 940 décès
en tout dus à un cancer radioinduit ou à une leucémie
parmi les 200 000 membres des équipes d'intervention entre
1986 et 1987, les 116 000 personnes évacuées et
les 270 000 habitants des zones les plus contaminées (soit
600 000 personnes au total). Ce sont ces trois grandes cohortes
qui ont reçu des doses de rayonnement supérieures
parmi toutes les personnes exposées aux rayonnements à
la suite de l'accident de Tchernobyl ".
Le président de la conférence Burton Bennett** a déclaré : "
(...) Toutefois, d'une manière générale,
nous n'avons constaté aucune incidence négative
grave sur la santé du reste de la population des zones
avoisinantes, ni de contamination de grande ampleur qui constituerait
toujours une menace sérieuse pour la santé humaine,
à l'exception de quelques rares zones d'accès
restreint "
Ce qui ressort cyniquement de ce communiqué : il n'y aura
que 4000 morts dus à Tchernobyl. Parmi les 4000 enfants
atteints de cancers de la thyroïde il y a eu 9 morts les
autres sont guéris. D'une manière générale
les habitants et leurs enfants vont bien, pas d'effets héréditaires,
de malformations. Il y a eu trop d'habitants évacués
et relogés, l'évacuation a généré
des troubles psychologiques. Les problèmes sanitaires essentiels
ne sont pas dus aux radiations, ce sont des problèmes de
santé mentale. Les habitants sont stressés (ils
ont des idées fausses sur les risques), ils sont atteints
du syndrome de " victimes ", ce qui les rend timorés,
en même temps ils sont irresponsables (la consommation de
champignons, baies etc. très contaminés, "
l'abus de tabac et d'alcool, le vagabondage sexuel non protégé
"). Il faut qu'ils deviennent autonomes économiquement
et financent de petites entreprises. Il faut diminuer le nombre
d'habitants ayant droit à diverses indemnisations, en déclassant
toutes les zones considérées comme très peu
contaminées.
En somme, il est dit aux habitants que leurs mauvaises conditions
de vie ne sont pas dues aux radiations et à Tchernobyl
mais que c'est quasiment de leur faute et que, désormais,
il leur faut " "Vivre et travailler au pays" durablement
contaminé". C'est finalement ce type de "
développement durable " qui est mis en uvre au Bélarus
dans le programme CORE, exposé lors de la conférence
dans la session " La voie vers le futur ".
Il est curieux de comparer le rapport de 175
pages du groupe " Experts santé " de l'OMS au
communiqué de presse qui le caricature carrément
et pourtant il n'y a rien de bien révolutionnaire "
dans ce texte qui part du rapport de l'UNSCEAR 2000 pour le mettre
à jour et résulte d'un consensus entre participants
ce qui met le niveau d'accord " au plus petit commun dénominateur
" comme en arithmétique. Cependant, chaque partie
qui décrit un problème sanitaire se termine par
un paragraphe intitulé " Consensus " suivi
d'un paragraphe " Lacunes dans les connaissances "
qui n'est pas très détaillé (il y a des lacunes
dans ces " lacunes ") mais fournit néanmoins
quelques pistes de recherches.
De ces incertitudes, des problèmes non résolus,
il ne reste rien dans le communiqué de presse. La raison
paraît simple " il faut parler d'une seule voix
". Cette phrase a été répétée
trois fois dans le discours de clôture de Burton Bennett
! Il faut parler d'une seule voix, et la voix de son maître
c'est l'AIEA, le message unique et clair demandé
par M. ElBarradei. Nous n'avons pas eu connaissance de protestations
publiques à ce sujet.
Relayé par les médias le bilan
dérisoire de cet catastrophe nucléaire est une publicité
gratuite qui innocente l'industrie nucléaire au moment
où intervient une relance du nucléaire sur le plan
international.
Au lieu de dénoncer la contradiction inhérente aux
rôles de l'AIEA, dès sa création par les Nations
Unies en 1957, à la fois de promoteur du nucléaire
civil et de pseudo garde fou contre la prolifération résultant
pourtant du nucléaire civil, ce Nobel de la Paix, alors
que des survivants d'Hiroshima étaient candidats, a renforcé
l'emprise internationale de l'AIEA. Cet honneur rendu à
l'AIEA, juste après la médiatisation mondiale de
ses conclusions sur les conséquences sanitaires de l'accident
de Tchernobyl, revient à cautionner ses mensonges qui deviennent
paroles d'évangile. Ce qui, de surcroît, pourra servir
à bloquer toute étude qui viendrait contredire ses
conclusions.
Bella Belbéoch
Notes et références
*Outre l'AIEA : FAO Food and Agriculture
Organization, (organisation concernant l'alimentation et l'agriculture)
; OCHA, Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Office
pour la coordination des problèmes humanitaires) ; UNDP,
United Nations Development Programme (Programme des Nations Unies
pour le développement) ; UNEP, UN Environment Programme
(Programme des Nations Unies pour le Développement) ; UNSCEAR,
UN Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation (Comité
scientifique des Nations Unies sur les effets des radiations atomiques)
; WHO, World Health Organization (OMS, organisation mondiale de
la santé) ; World Bank, Banque mondiale.
**Burton Bennett
a assuré la direction du Forum et coordonné les
activités des groupes d'experts. Avant d'être retraité
il a présidé RERF (Radiation effects research foundation),
la fondation américano-japonaise responsable du suivi épidémiologique
des survivants des bombes-A. (Il est curieux que cet " éminent
spécialiste " ait indiqué, dans son discours
d'ouverture de la conférence que ce suivi a commencé
en 1947 alors qu'il n'a démarré qu'en 1950). Il
a fait partie de l'UNSCEAR, le comité scientifique des
Nations Unies sur les effets des radiations atomiques.
Le Prix Nobel de la Paix
Dominique Lorentz " Affaires atomiques ", les arènes,
2001
Herbert Krosney " Deadly Business. Legal deals and outlaw
weapons. The arming of Iran and Iraq, 1975 to the Present ",
1993. Four Walls Eight Windows, New York, London.
Tchernobyl
[1] - La mission de 2 mois de
6 experts (2 en écologie, 2 en économie, 2 en problèmes
sanitaires) a publié un rapport de 75 pages The Human
Consequences of the Chernobyl Nuclear Accident. A strategy for
Recovery. A Report commissioned by UNDP and UNICEF with the
support of UN-OCHA and WHO. 25 January 2002. www.undp.org/dpa/publications/Chernobyl.pdf
C'est un rapport ambigu. On y trouve cependant des précisions
très intéressantes. Il y a encore aujourd'hui de
150 000 à 200 000 habitants dans des zones contaminées
entre 15 et 40 Ci/km2 en Cs137 et pour certains résidents
les doses augmentent au lieu de diminuer parce que les terres
agricoles ne sont plus spécialement traitées. Des
affirmations qui n'ont pas dû plaire à nos experts
(paragraphe 1.35) au sujet des effets sanitaires des faibles doses
de rayonnement, " il n'y a pas de base directe qui permette
de déterminer les risques associés aux expositions
telles que celles résultant de l'accident de Tchernobyl
". Ou, (4.04) il ne faut pas rejeter ce que disent les médecins
locaux sur l'augmentation de certaines affections depuis l'accident
qu'ils croient liées à l'exposition au rayonnement
(comme les malformations à la naissance) sous prétexte
qu'il n'y a pas de preuve statistique, mais dans un autre paragraphe
(3.21) qui annule en fait le précédent on trouve
que des centaines de milliers d'habitants qui résident
dans des lieux qui auraient dû être légalement
évacués ne subissent pas de risques significatifs
pour la santé.
Quant aux recommandations pratiques de vie quotidienne elles traduisent
la négation d'effets sanitaires nocifs liés aux
radiations tout en admettant leur possible existence ! Par exemple
" Ce n'est aucunement pour minimiser le sérieux
de la situation concernant la santé, le bien être
ou le rôle joué par l'exposition aux radiations ionisantes.
Cependant il est clair que la priorité pour la santé
tant physique que mentale est d'améliorer les soins médicaux
fondamentaux, l'alimentation, les conditions de vie et simultanément
d'aider les gens concernés à en venir à s'accommoder
[to come to terms to] de vivre dans un environnement contaminé.
Avec l'amélioration du statut économique ceci est
la clé pour inverser le sens de la spirale descendante
de la santé et des conditions de vie " (paragraphe
1-32). L'essentiel des données concernant la santé
sera repris dans le rapport OMS.
http://www-ns.iaea.org/meetings/rw-summaries/chernobyl-conference-2005.html
http://www.iaea.org/NewsCenter/PressReleases/2005/prn200512.html
http://www.iaea.org/NewsCenter/Statements/2005/ebsp2005n008.html