Cest le titre dun article du Parisien (non libéré) du 30 mars 1995 qui est toujours dactualité. Ce titre est dune stupidité grandiose. Que faut-il protéger : les centrales nucléaires ou la population ?
Ce problème de lerreur humaine dans les événements
possibles (et éventuellement particulièrement désastreux)
est intervenu sur la place publique il y a quelques années
et est devenu un sujet médiatique. Y aurait-il des erreurs
qui ne soient pas humaines ? Si une tuyauterie du circuit
primaire ou une cuve de réacteur ne se comporte pas comme
les experts lont prévu est-ce une erreur de la nature
ou une erreur humaine des concepteurs ? Lerreur est
par principe une activité humaine (il doit exister une
phrase latine à ce sujet mais ma culture primaire ne me
permet pas de la citer).
Lindividu est complètement évacué des
problématiques de la société nucléaire.
Au niveau technique lidéal serait de ne programmer
que des conduites parfaitement indépendantes des individus
(automatismes, intelligence artificielle etc.). Au niveau de la
radioprotection lindividu est totalement ignoré,
la gestion des situations catastrophiques ne peut être fondée
que sur des critères sociaux, sur des normes "socialement
acceptables". En clair : combien de morts la société
peut-elle accepter sans éclater ? Quimportent
les individus qui vont être les victimes. En fin de compte,
les individus ne sont pas protégés en tant quêtres
humains, en tant que réalité vivante, mais en tant
quunités dans un ensemble social relevant dune
statistique nationale soigneusement contrôlée par
le gouvernement (quil soit de gauche ou de droite).
Quel sens faut-il donner à "lerreur humaine"
?
Y a-t-il des erreurs non humaines ? Question stupide. Un acier
ne peut pas commettre derreur. Tout comportement "anormal"
(cest à dire non envisagé au départ)
dun matériel (ou dun matériau) quelconque
est une erreur humaine car ce matériel ne peut commettre
derreur.
Comment apposer le qualificatif d"erreur humaine"
au comportement anormal dun matériel ? Si ce matériel
a un comportement "anormal" cest parce que les
concepteurs nont pas pris en compte ce comportement qui
na rien danormal par rapport aux lois de la physique
et que le matériel est "tenu" de respecter. Qualifier
d"erreur humaine" le comportement "anormal"
dun matériel permet dévacuer les erreurs
humaines des concepteurs et des décideurs.
Ainsi, par définition, lerreur humaine ne peut être
quune erreur dun exécutant subalterne. Toute
erreur de conception dun décideur sera interprétée
comme un comportement anormal, imprévisible -au lieu dimprévu-
dun matériel. Le concept derreur humaine permet
ainsi de culpabiliser lexécutant et de maintenir
les concepteurs et les décideurs hors de la responsabilité.
En cas daccident grave due à une de ces "erreurs
humaines" cela permet de disposer dun bouc émissaire
particulièrement utile pour éviter des jacqueries
violentes contre les concepteurs et les décideurs.
Quelques exemples
1- Three Mile Island (TMI, mars 1979 aux USA). Juste
après laccident les opérateurs de service
ont été accusés derreur de gestion.
Il a pourtant fallu plus de 6 mois à une armée de
spécialistes qui disposaient dune puissance informatique
considérable pour reconstituer les séquences des
premières minutes de laccident. Les opérateurs
auraient dû réagir plus vite que tous ces ordinateurs
pilotés par cette cohorte dexperts !
Qui est responsable à Three Mile Island ? Les concepteurs
du réacteur nucléaire navaient pas prévu
(cest bien là une erreur humaine) une telle séquence
accidentelle et bien sûr ils navaient pas pu fournir
la procédure adéquate pour y faire face.
2- Tchernobyl. Si on accepte sans examen critique la
version soviétique (assez fantaisiste) sur le déroulement
de laccident on se trouve en présence dun branquignol
qui opère dans la salle de contrôle. Qui est, dans
ce contexte, le réel responsable ? Si les concepteurs et
les décideurs soviétiques sont conscients des conséquences
catastrophiques dun accident ils auraient dû exiger
des critères de sélection des opérateurs
afin déliminer les branquignols.
En fait, lerreur humaine a toujours pour origine le mauvais
fonctionnement dun matériel ou limprévision
dun phénomène physique et des procédures
de gestion en cas danomalie. Dans tous les cas lerreur
humaine doit être obligatoirement attribuée au sommet
de la hiérarchie qui contrôle la conception et les
décisions.
Conséquences pour lévaluation des risques
La modélisation du comportement est-elle possible, quil
sagisse du décideur à haut niveau ou du simple
exécutant dans une salle de commande ?
Il paraît évident que tout comportement trop exigeant
pour la sûreté conduit à rejeter des pièces
ou des procédures de contrôle. Cela représente
des coûts élevés, des retards dans les exécutions.
Ce genre de comportement intransigeant sera interprété
tout naturellement comme un comportement maladif qui doit être
sanctionné.
Que doit faire un employé (souvent en statut temporaire
sans garantie) soucieux du bien-être de sa famille conditionné
par son salaire et ses avancements éventuels, pour ajuster
son attitude à celle désirée par ses chefs,
dune exécution rapide et bon marché, surtout
si on la intoxiqué au préalable par le baratin
convenu de limpossibilité des dangers nucléaires.
Quant aux concepteurs ils utilisent bien évidemment le
biais que leur permet leur position hiérarchique. La conception
doit être bonne, les délais de réalisation
doivent être corrects, les budgets impeccables, etc. Inconsciemment
et en toute bonne conscience (la bonne conscience est toujours
présente chez les pires criminels) le chef en haut de la
hiérarchie occultera ses doutes. Si une catastrophe arrive
il ne peut que lattribuer à lexécutant.
Axiome de base de lénergie nucléaire
Lénergie nucléaire ne peut "fonctionner"
que si elle est dirigée par des gens peu scrupuleux ou
incompétents. Si un dirigeant scrupuleux et compétent
a conscience des dégâts catastrophiques que peut
occasionner sa décision (pouvant conduire à un accident
nucléaire), il exigera, avant de prendre une décision,
des garanties scientifiques, des mesures multiples, des expertises
minutieuses, etc. Le coût serait considérable et
les délais incompatibles avec une gestion industrielle
moderne. Il sera rapidement éjecté du système
ou il se mettra lui-même hors du circuit en se cantonnant
à des tâches subalternes dans des domaines à
faible risque.
En fait, pour le nucléaire (et toutes les industries à
très fort risque) la sélection des décideurs
et des concepteurs conduit à la sélection des plus
minables ou dindividus sans scrupules.
Alors que lindividu perd de plus en plus dimportance,
pourquoi réintroduit-on lindividu par lintermédiaire
de lerreur humaine ?
Lerreur humaine devient de plus en plus une nécessité
pour le pouvoir. La conception et la décision se concentrent
de plus en plus dans des groupes organisés de type mafieux.
Si les élus démocratiques, et les citoyens qui les
élisent, acceptent cette situation, ils doivent être
considérés comme faisant partie de ces mafieux et
comme co-responsables en cas de catastrophe.
Dans les pays totalitaires la situation était analogue
mais lerreur humaine nétait pas invoquée
en cas danomalie. Il sagissait alors pour les dirigeants
de "sabotage" sanctionné par le goulag. Lerreur
humaine des exécutants est, pour la société
libérale contemporaine, léquivalent de ce
que le sabotage et la conspiration représentaient pour
les sociétés totalitaires, une protection pour les
décideurs quand leurs décisions sont dramatiquement
catastrophiques.
Roger Belbéoch