Wladimir Tchertkoff : - Regrettez-vous votre choix dalors à
cause de ce problème familial ?
Galina Bandazhevsky : - De quel problème
parlez-vous ? Quand nous sommes venus habiter ici ?
W.T. : - Non, quand vous avez fait votre découverte
et vous avez freiné.
G.B. : -Je nai pas freiné. Nous en
avons parlé un jour et une nuit entiers pour décider.
Longtemps. Dabord à la maison, puis, pour ne pas
déranger les enfants, nous sommes sortis. Nous nous disputions
très fort.
W.T. : - Dehors?
G.B. : - Dehors sur le banc, jusquaux larmes.
Yuri Bandazhevsky : - En général toutes
nos décisions scientifiques étaient prises orageusement.
Sans doute, par ce quelle est une femme, elle pressentait
que cela ferait des ennuis pour la famille.
G.B. : - Il a décidé de participer
à une émission et ma dit: " Je dirai
tout. Comment nous avons découvert ces altérations :
la pathologie cardiaque causée par la radioactivité ".
Jai dit: " As-tu bien réfléchi? ",
" Oui, jai réfléchi. ". Et
quand cette émission est passée à la télévision,
je suis rentrée à la maison et jai pleuré.
La première fois quon la montrée au
Conseil Scientifique, ils ont tous applaudi : " Yuri
Ivanovitch, vous avez réussi ! ". Et moi je suis
rentrée en larmes. De nouveau la dispute. Et jai
dit: " je pense quaprès ce film on te mettra
les menottes. ". Et lui: " Quest-ce
que tu racontes ?! ".
A ce moment, le réalisateur a téléphoné,
il sappelle Subat: " Galina Sergueievna, félicitations,
le film a eu un grand succès, Yuri Yvanovitch a tout montré,
et si clairement, ce film aura une grande résonance dans
la population ! " Et moi je lui réponds :
" Vous savez, je me demande
", " Pourquoi
nêtes-vous pas contente ? ", " Si
on lui met des menottes, Galina Sergueievna restera seule. ".
Et lui : " Mais que dites vous ? Nous ne vous
abandonnerons jamais. Vous êtes une femme et vous vous faites
des idées. ". Jai répondu: " Bien,
le temps nous le dira. ". Et quand cest arrivé,
je suis restée seule
seule. Il y avait tout ces gens,
les élèves dont voici toutes les thèses,
les collaborateurs de lInstitut
Et quand je suis restée
seule, je suis entrée dans notre appartement vide, je ne
savais pas par où commencer. Où aller ? Chez
qui ? Ma première idée, qui sait pourquoi :
je dois aller au Ministère de la Santé, chez mon
ministre
au Ministère, pour y trouver conseil ;
que dois-je faire ?
Au Ministère on ma dit : " Vous êtes
venue trop tôt ; Et puis quavez-vous à
dire ? " Dans lantichambre du ministre :
" Je vous dit simplement : Bandazhevsky na
pas trempé dans la boue sa blouse blanche. Ne le jugez
pas trop vite, ensuite vous pourriez le regretter. "
Réponse: " Vous êtes venue trop tôt
pour en parler. Trop tôt. "
Après quoi Subat, le réalisateur, me téléphone
et me dit: " Jai appris ce qui sest passé,
mais je sais que votre téléphone est contrôlé,
je ne peux vous aider en aucune façon. " Simplement
il a dit ça davance pour parer à toute éventualité.
W.T. : - Cest ce quil a dit?
G.B. : - Oui
cest à dire quil
sest souvenu de notre conversation et a dit: " Je
ne peux pas vous aider. Si vous voulez je peux téléphoner
à une personne de la télévision russe. Je
lui téléphonerai, je lui donnerai votre numéro,
le reste vous regarde. Décidez ce que vous lui direz, comment
vous lui présenterez votre situation, vous allez pleurer
ou défendre quelque chose, mais moi
ne me mêlez
pas à cette affaire ! "
W.T. : - Au bout de combien de temps avez-vous pu
voir votre mari après être rentrée dans la
maison vide ?
G.B. : - Je lai vu la première fois
au
bout de 50 jours, après larrestation
50. Cétait
très officiel, je lai vu quand il était déjà
hospitalisé. Le juge dinstruction avait autorisé
officiellement lentrevue, 50 jours après larrestation.
W.T. : - Vous avez frappé à beaucoup
de portes ?
G.B. : Jai frappé à beaucoup
dadresses
Lune des premières, cétait
la radio de Gomel . Ils mont dit: " Il vaut mieux
que vous ne veniez pas nous voir. Nous ne voulons rien savoir.
Vous nous compromettez ; nous avons tous besoin de travailler ! ".
Après je suis allée au Ministère de la Santé
Jai tout essayé.
Y.B. : -Elle est allée partout.
G.B. : -Partout toutes les portes étaient
fermées. Et un seul mot: " Le temps le dira. "
Un grand merci à cet homme (elle se tourne vers Nesterenko),
à cet homme qui le premier na pas eu peur, alors
que plus que quiconque il devait avoir peur dans cette situation.
Il fut mon soutien, tout le temps. Quand javais besoin dun
conseil, jallais à Minsk, chez lui. Il ma aussi
aidée économiquement : " Galina,
sil te plaît, achète quelque chose pour les
enfants. Ils me font de la peine. " .Il sortait largent
de sa poche: " Prends, achète quelque chose. "
Quand à tous les autres, je ne leur demandais pas de laide
matérielle, " aidez moi à lui envoyer un colis
en prison ".Je voulais simplement que les gens croient
en lui. Que ces mêmes élèves avec lesquels
il a travaillé pendant dix ans ,sacrifiant sa famille.
Pendant dix ans, de 7 heures du matin jusquà minuit
De 7 heures à minuit, il a fait un travail énorme.
Les jours fériés? Je lui proposais: " Allons
quelque part? ". Non, même pas les jours fériés,
ni les jours de fête. Toujours : travail, travail,
travail
et voilà le résultat du travail.
G.B. : Quand nous avons découvert quil
y avait une corrélation entre les atteintes cardiaques
et lincorporation de césium radioactif, nous avons
vécu un conflit familial, un conflit violent, parce que
je refusais daccepter ces altérations. Cétait
une découverte, nous découvrions quelque chose de
nouveau,quelque chose qui nétait pas connu auparavant.
Et lui ma dit : " Non, cest vraiment
comme cela. Et nous allons rédiger ensemble ta thèse "
- car il est directeur de thèses - " justement
sur cette corrélation. ".
W.T. : - Quest-ce que vous refusiez daccepter?
G.B. : - Vous savez
je refusais
javais
peur. Javais peur de cette découverte.
W.T. : - Pourquoi ?
G.B. : -Dabord, sans doute, par ce que cétait
nouveau. Parce que
W.T. : - Mais cest un succès pour un
scientifique !
G.B. : - Oui, cest un succès, mais
chez nous, on na jamais fait une telle publicité
aux radiations.
Y.B. : - On nen parlait pas.
G.B. : -Oui on ne parlait pas des effets de la radioactivité
chez les enfants. Les commissions, les contrôles -je le
vois chez moi en pédiatrie- viennent de différents
pays et demandent : " Y a-t-il chez vous une pathologie
des radiations ? ". Tout le monde répond
toujours : " Oui, la glande thyroïde ".
W.T. : - Cest tout?
G.B. : - Cest tout.
Quand je suis arrivée ici, à Gomel, je me suis mise
aussitôt à ausculter des enfants, des grands enfants.
Les arythmies étaient tellement sévères,
que certains enfants devaient recourir à une stabilisation
médicamenteuse du rythme, aller à Minsk pour corriger
ces troubles du rythme par des traitements. Ce qui, autrefois,
était réservé aux adultes, à présent
ce sont nos enfants qui en avaient besoin. Lorsquà
Grodno, un enfant présentait une altération du rythme,
cétait considéré comme quelque chose
dextraordinaire
Comme un phénomène exceptionnellement
grave, qui nécessitait immédiatement un correction,
un traitement, etc. Ici, à Gomel, cette pathologie somatique,
exceptionnellement grave, on la rencontrait de plus en plus souvent.
Je rentrais du travail avec Yuri et nous nous mettions à
discuter. Il a dit : " Examinons les petits enfants
en bonne santé, ceux qui vont au jardin denfants ".
Nous avons commencé à examiner les nourrissons des
crèches de Gomel et nous avons enregistré leurs
électrocardiogrammes (ECG). Puis à Zhlomi, Svetlogorsk,
la ville de Vetka. Nous avons découvert que les enfants
sains, en bonne santé -plus de 60 %- présentent
des altérations du tracé de lECG. Les ECG
enregistrent des pathologies. Et quand nous avons inscrit, à
coté de ces données, les quantités de radiations
gamma mesurées dans lorganisme, cest à
dire émises par le césium137, et que nous les avons
comparées avec ces ECG, nous avons constaté cette
constante remarquable : les enfants ayant une concentration
élevée de césium, -et nous considérons
déjà comme élevée un taux supérieur
à 20 Bq/kg, - présentent une altération
de la conduction, une altération de la conduction cardiaque,
qui se manifeste par des blocs : le bloc partiel de la branche
droite du faisceau de His, les blocs auriculo-ventriculaires.
Chez certains enfants les troubles de la conduction pouvaient
se combiner avec des troubles de la repolarisation du muscle cardiaque.
En fait, plus la concentration en césium était élevée,
plus graves ou complexes étaient ces altérations
révélées par les ECG.
W.T. : - Et vous avez vu le danger politique quentraînerait
cette révélation ?
G.B. : -Oui. Vous savez, dabord, jai
eu peur
Oui ! jai eu peur pour ma famille. Je
navais pas peur pour moi. Car le directeur de recherche,
cétait lui. Je lui ai dit: " écoutes,
et si tout à coup quelque chose nest pas exact ?
Si nous nous étions trompés quelque part ?
Car nous présentons notre découverte au monde entier. "
Il a répondu : " nous ne pouvons pas nous tromper,
car nous nous basons sur une telle quantité délectrocardiogrammes
"
Y.B. : -Il faut dire que Galina S. nétait
pas la seule à étudier le cur. Il y avait
toute une série de thèses et de travaux dautres
chercheurs de ma Faculté, à lInstitut, et,
comme je lai indiqué dans mon dernier livre, les
examens anatomo-pathologiques et la recherche animale.
W.T. : - Pour vous, cétait certain ?
Y.B. : - Oui, une certitude scientifique basée
sur tous ces travaux. Mais pour la première fois, en ce
qui concerne le cur, la pathologie liée à
lincorporation du césium radioactf, cest avec
elle que nous lavons étudiée, sur la base
de ses résultats après lexamen des enfants.
Nous prenions par exemple, une pile délectrocardiogrammes
(Y.
sort une pile) - voilà comment ils se présentent
- et nous écrivions, sur chacun dentre-eux, la concentration
des radionucléides contenus dans lorganisme
On sonne ?
G.B. : - Ce nest rien, ce sont les enfants
Y.B. : - Comme cela, vous voyez ? 29 Bq/kg,
34
Ensuite nous les avons classés, en fonction des paramètres,
ce qui donne ce résultat : le graphique traduit les
résultats actuels
Nous lavons réalisé
à partir des données de tout le Bélarus,
il ne sagit pas seulement de Gomel, de Grodno, il y a aussi
Minsk, des lieux différents, un échantillonnage
énorme. Nous avons pu montrer quentre 0 et 5 becquerels
par kilo de poids - plus ou moins, en tenant compte des marges
derreur de linstrument - un peu plus de 80 %
des enfants ne présentent aucune altération de lélectrocardiogramme.
Quand il ny a pas de césium, nous pouvons garantir
à 85 %, une évolution plus ou moins normale,
une croissance normale. Mais si le césium saccumule,
le pourcentage denfants sains diminue proportionnellement
suivant ces paramètres
denfants sains. Et si
lon mesure plus de 70 becquerels par kilo de poids
de cet élément radioactif, on peut prévoir
seulement 10 % de curs plus ou moins normaux.
W.T. : - Cest une corrélation constante?
Y.B. : - Oui, basée sur toutes nos données.
Ce nest pas un hasard si je dis quil sagit de
plus quune dépendance, cest presque une loi
scientifique. Une dépendance est un rapprochement entre
plusieurs tendances. Dépendance proportionnelle entre la
dose et les altérations. Cela a été montré
auparavant. Alors que maintenant, quelle que soit la donnée
que jintroduis, je vois quentre cette quantité
et cette autre, -nous pouvons prendre nimporte quel groupe
des altérations que nous observons, nous les introduisons
ici (il montre son graphique),- et cest conforme à
ce paramètre. Ceci est déjà un élément
dune loi, vu la constance des symptômes dans cette
corrélation. Jaimerais ajouter ceci : la même
chose peut être observée en examinant les systèmes
métaboliques, - activités enzymatiques, - non seulement
dans le cur, mais aussi dans le cerveau, et dans les autres
organes. Mais malheureusement
je nai pas
Nous
ne possédons pas en ce moment les moyens pour démontrer
cela. Oui ! Nous navons pas les instruments. Cela demande
un travail énorme. Je souligne que ce nest quun
début. Bien que jai ici les thèses de mes
élèves : ces deux piles (il montre deux piles
de cahiers), fruits de leurs recherches, pas toutes, mais la plus
grande partie. Elles contiennent des données sur le cur,
sur dautres organes internes
G.B. :
par rapport au césium.
Y.B. : - Tout ce que nous avons pu réaliser,
durant ces années, est contenu dans ces thèses.
Elles ont une valeur énorme pour moi. Même plus que
les livres, parce que chaque thèse repose sur du concret,
un matériel unique, vérifié. Cest dun
très haut niveau.
W.T. : - Vous êtes donc arrivés à
étudier dautres organes ?
Y.B. : - Oui.
W.T. : -Vous parlez du cur. Vous dites " malheureusement "
Y.B. : -
nous ne pouvons pas continuer. Cela
coûte très cher. Par exemple létude
du système immunitaire. Ces études nécessitent
des appareils spéciaux, très coûteux. Ensuite
létude des enzymes
celle du système
endocrinien, des enzymes du foie, des reins, qui peut nécessiter
des biopsies. Et je ne parle même pas du système
nerveux central
Ces études ne sont que des ébauches.
Sans aucun doute ! Chaque domaine peut ouvrir une immense
voie de recherche, qui peut livrer linformation au monde.
Je suis loin de penser
- la science est illimitée
dans sa recherche - je suis loin de penser que nous pouvons affirmer
avoir tout découvert. Cela nous permettrait dapporter
une grande aide à la population.
Mais en ce qui concerne le cur, vu que la mort cardiaque
est très fréquente, nous voyons ce quil en
est vraiment.
W.T. : - Vous rendiez vous compte du fait que vous
refusiez une vérité scientifique ?
G.B. : - Oui.
W.T. : - Vous préfériez ne pas la
découvrir
G.B. : - Oui
, oui
, oui.
W.T. : - Pour vous protéger en quelque sorte ?
G.B. : - Oui
W.T. : - Comment cela sest-il terminé?
G.B. : -Je lui ai dit : " il faut
laisser tomber tout ça ". Et lui ma dit :
" alors tu nes pas un médecin, tu peux mettre
ton diplôme sur la table, et sortir pour balayer la cour "
(rires).Et, vous savez, cela ma fait très mal dentendre
cela, car jai tellement rêvé de devenir médecin !
Il ma fallu trois ans pour minscrire à lInstitut
de médecine. Cétait difficile. Et quand il
a dit ça, jai pensé : " non ",
(elle rit) et ce travail est devenu ma thèse de doctorat.
Dautres problèmes ont commencé, ma thèse
était pratiquement rédigée. Elle était
déjà reliée, et nous avons commencé
à la présenter à nos scientifiques de Bélarus.
Au conseil dadmission des thèses de Grodno. A Minsk
aussi, il y a des conseils. Savez-vous ce quils nous ont
dit ? " Ce travail nest pas mauvais
,
mais changez un peu le titre. Il ne faut pas écrire :
" en corrélation avec le césium radioactif ".
Ecrivez simplement : " Etat fonctionnel du système
cardio-vasculaire des enfants qui vivent dans les territoires
contaminés par des radionucléides. "
Y.B. : - " Et ne mentionnez pas les doses ".
G.B. : - " Eliminez les doses et écrivez
simplement que ces petits enfants présentent des altérations.
Si vous le soumettez sous la forme actuelle, personne ne peut
vous garantir que vous pourrez soutenir votre thèse. "
W.T. : - Sans explication ?
G.B. : - Oui. Sans explication.
Y.B. : -Je nexclus pas que ce comportement
dérive chez nous de la volonté de ne pas révéler
- car on écrit actuellement beaucoup de travaux de biologie
médicale - de ne pas révéler justement ça.
Ce problème. Ne pas laisser sortir cette publication, surtout
maintenant, en dehors de la République.
Je suis opposé aux textes purement descriptifs. Quand on
décrit seulement, ce nest pas de la science, cest
un rapport statistique, du journalisme. La Science cest
quand on établit des corrélations. Quels que soient
les paramètres, on doit suivre une logique.
W.T. : - Rechercher les causes ?
Y.B. : - Un lien de cause à effet, vous avez
raison. Cest là, la découverte ! On peut
recenser des paramètres, mais leur combinaison et létablissement
de leur corrélation, voilà qui est de la science.
Elle est dautant plus valable quil y a davantage de
corrélations.
W.T. : - Ils veulent cacher Tchernobyl ?
Y.B. : - Je pense que oui. Certainement.
G.B. : -Jai été triste pour
notre pays.
Quand nous avons présenté ce travail, jétais
intervenue à un congrès auquel assistaient des Japonais.
Quand ils ont entendu mon exposé, ils se sont immédiatement
intéressés. Ils sont venus voir Yuri et lui ont
demandé : " Pourriez-vous répondre à
quelques questions, 5 minutes dinterview, et nous montrer
vos graphiques qui illustrent ce texte ? ". Ils
ont posé une question très intéressante :
" Vous montrez quil y a des altérations
des électrocardiogrammes, et en plus, que sur du matériel
expérimental vous observez la destruction des cellules
cardiaques Nêtes-vous pas allé plus loin ?
A quel niveau cette cellule dégénère-t-elle ?
Au niveau des mitochondries? ", etc. Ils avaient, probablement
aussi, des recherches en cours, ou des hypothèses, et notre
travail a servi de stimulant pour le développement ultérieur
de leur réflexion. En tout cas, il a suscité un
grand intérêt chez ces scientifiques japonais.
Y.B. : - Ils ont filmé.
W.T. : - Ils ont filmé et interviewé ?
G.B. : - Oui.
W.T. : - Vous leur avez montré vos documents ?
G.B. : - Oui.
Y.B. : - Ils ont travaillé avec nous
,
avec Galina
, dans ma Faculté pendant deux jours sans
interruption.
W.T. : - Que faisaient-ils exactement?
Y.B. : - Ils filmaient sans arrêt. Tout le
déroulement de lexpérimentation, toute sa
logique.
Jai considéré que
- à lépoque
nous avions bien sûr moins de résultats. Depuis,
grâce à Dieu, nous sommes allés plus, loin.
Mais cette logique ils lont enregistrée dans tous
les détails. Cest lune des principales chaînes
scientifiques de la TV japonaise. Lémission était
annoncée pour un horaire de grande écoute, sur le
thème de Tchernobyl.
W.T. : - Lémission a eu lieu ?
Y.B. : - Je ne sais pas
W.T. : - Vous ont-ils promis une cassette?
Y.B. : - Personne ne ma rien promis.
W.T. : - Vous ne lavez pas exigé ?
Y.B. : - Je leur ai simplement demandé :
" On vous a autorisé ? " " Oui. "
Ils les ont autorisés à filmer -" autorités
locales? "
" Oui. "
W.T. : -Mais vous, personnellement, vous leur avez
livré vos découvertes !
Y.B. : - Je leur ai demandés mais ils ont
répondu " non ".
W.T. : - Non quoi ?
Y.B. : - Quen ce moment ils ne pensent pas
nous donner le matériel, mais que plus tard ils nous lenverront.
G.B. : -Ils devaient le monter
W.T. : - Cétait ?
Y.B. : - En 1996.
Nesterenko : - Ils continuent de le monter !
W.T. : - Quatre ans ! Ils vous ont floués.
Y.B. : - Comprenez-moi bien : à lépoque,
il était très important pour moi que les gens le
sachent, cétait toute ma vie jusquau jour de
mon arrestation. Peu importe qui le dira, Bandazhevsky, Bandazhevskaia,
Siderov ou Petrov. Nos enfants sont en train de mourir !..
Nous pouvons aussi faire de la statistique. Je peux prendre des
données, et analyser rétrospectivement ce qui sest
passé quelque part, autrefois. Et dire " ça
nous servira plus tard ". Mais notre recherche aujourdhui
est plus importante. Elle nous montre comment continuer à
vivre aujourdhui, dès aujourdhui. Cette science
est utile aujourdhui, et peut-être aussi demain
pour beaucoup dautres peuples.
Je nai pas voulu jouer à ce jeu. Jai considéré
que javais affaire à des personnes honnêtes.
Jétais totalement indifférent à la
forme que ça prendrait. Nous avons travaillé avec
eux du matin au soir, pendant deux jours
G.B. : - Nous leur avons fait cadeau de notre découverte
Y.B. : - Découverte ou pas découverte
G.B. : - Cétait une nouveauté
ce que tu leur as montrés.
W.T. : - Vous leur avez aussi donné des documents
écrits ?
G.B. : - Non. Ils ont filmé tout ce quil
a montré.
W.T. : - Ils nont pas emporté des écrits ?
Y.B. : - Non.
G.B. : -Ils ont filmé des photos.
Y.B. : - Nous leur avons montré des photos.
A lépoque il ny avait pas encore des photos
comme celles-ci. (B. montre des photos) Celles-ci sont déjà
des photos très intéressantes, que jai déjà
montrées à des symposiums, au Parlement. Ces cavités
dans le tissu des reins, ces " glaçons fondus ".
(Y. montre des vides autour de certains amas cellulaires), les
voilà les " glaçons fondus ". Voilà
la structure normale du néphron qui saltère
déjà. Cest une expérimentation sur
le rat. Ici, il sagit de tissu humain, avec un début
datrophie. Cela, cest le cur dun enfant,
qui présente dénormes cavités
G.B. : - Enfant mort.
Y.B. : - Cest un enfant mort.
On voit ces mêmes hémorragies interstitielles, dans
les espaces intra-musculaires chez les adultes.
W.T. : - On ne devrait pas voir ces espèces
de branches ?
Y.B. : - Bien sûr que non, il sagit
de lacunes !.. Voici laspect dun syndrome hémorragique
généralisé. Troubles de la coagulation sanguine,
de lhémostase. Hémorragie dans la médullo
et la cortico-surrénale chez lenfant. Et ainsi de
suite. Vous voyez encore des " glaçons fondus ".
Des cas différents. Nous les avons photographiés
et exposés sur de grands panneaux à lInstitut.
Tout cela est illustré en images pour les étudiants,
pour quils le voient et le connaissent.
W.T. : - A-t-on enlevé cela? Lorientation
didactique de lInstitut a-t-elle été changée ?
Y.B. : - Ils ont changé lorientation,
mais ils nont pas tout enlevé. Ils nont pas
tout détruit
Lordre a été donné
G.B. : - A propos de lorientation didactique,
quand Yuri était en prison, - ici à Gomel - on a
effectué un grand contrôle à lInstitut.
Ils contrôlaient dans tous les domaines, y compris le domaine
scientifique. Et la première conclusion de la commission
fût que " le programme ne correspondait pas au
programme dune Ecole Supérieure ". (Ici
il manque quelques secondes de la vidéo effacées
par erreur)
et que manque une thématique de base,
bien orientée, globale, qui corresponde au niveau dune
Ecole Supérieure. Il ny avait, bien sûr, personne
pour le défendre (elle montre son mari) et quand je me
suis levée, jai dit cette phrase : " Chers
collègues, vous êtes présents ici en grand
nombre. Vous habitez tous dans ces territoires, vous y vivez,
vous avez tous des enfants, vous élevez ces enfants, et
vous aurez des petits enfants. En quoi donc la thématique
de lInstitut ne vous convenait-elle pas ? Alors quelle
étudiait et indiquait comment survivre dans ces conditions. "
Ils ont répondu: " Galina Serguéievna,
vous avez sans doute mal compris
mal compris, pourquoi la
thématique nest pas satisfaisante
simplement "
- cest le nouveau recteur qui a parlé, - " simplement
il faut une approche plus large, plus ample. La thématique
était trop étroite. Je considère quelle
nest pas du niveau dune Ecole Supérieure ".
Voilà lexplication qui a été donnée.
" Quant à vos récriminations, aux remarques
que vous faites par rapport à vos enfants, à nos
petits enfants
gardez-les pour vous. "
W.T. : - Des récriminations selon eux ?
G.B. : - Jai dit : " Je regarde
peut-être du côté des enfants, parce que je
suis pédiatre. En premier lieu je défends lenfance,
ce qui concerne les enfants, et lavenir de notre pays. Le
premier souci doit être : que laisserez-vous à
ces enfants ? ".
Mais chez nous on pense différemment. Le thème quon
finance le mieux
- car notre thème na pas été
financé
W.T. : - Justement, comment avez-vous fait ?
G.B. : - Vous savez comment ? Nous nous sommes
" enrichis ", cest ce que la police
veut faire croire.
Y.B. : - Il ne faut pas parler de ça
G.B. : - Non, quon lenregistre à
mon compte. Nous nous serions " enrichis ",
ici à Gomel. En quoi ? Le fait que nous soyons venus
dune zone propre ? Que nous ayons amené ici
la famille ? Le fait que lEtat nous ait donné
cet appartement plus ou moins suffisant ? Où est notre
richesse ? Le fait que nous souffrons de maladies chroniques ?
Opération de la thyroide
W.T. : - Vous même?
G.B. : - Oui. Et une autre opération également
pour une tumeur gynécologique. (Dans un rire) : voilà
toute la richesse que nous avons accumulée en dix ans !
Dautres disaient comme ça : " Il faut
obtenir une bonne bourse, choisir un bon thème, qui sera
financé, même sil est nul. Mais comme cest
bien payé, nous allons y travailler. " Voilà
lorientation actuelle de notre institut : de bons financements.
Le nouveau recteur - je ne veux en dire aucun mal, cest
peut-être un très brave homme, - mais il dit " Nous
allons créer maintenant une banque de services
une
banque de données. Nous les mettrons dans lordinateur,
et elles pourront servir à quelquun ".
Je dis : " comment cela ? ". " Eh
bien, Galina Sergueievna, vous irez examiner une population denfants ".
Je dis : " Jirai bien volontiers, la région
de Vietka nous est assignée. Jirai, mais dabord,
donnez-moi les appareils pour les examiner. Je nai rien.
Je nai pas dordinateur, pas même de papier pour
les électrocardiogrammes. " " Eh bien,
vous trouverez peut-être quelques commanditaires, et sinon,
simplement à loreille vous écouterez les enfants ".
Mais cest justement ainsi que nous travaillons ici ! Nous
navons pour travailler que nos mains et le stéthoscope.
Nous ne nous étions pas concertés avec le professeur
Nesterenko, quand nous avons examiné la même région
placée sous contrôle rigoureux
Lui est allé
mesurer le césium dans lécole de Svietilovotchi,
et nous, nous sommes allés ausculter les enfants. Mais
à cause du manque de papier pour les électrocardiogrammes,
nous avons sélectionné les enfants : nous écoutions
lenfant, quand le cur était mauvais à
loreille, sil y avait des bruits , nous le notions.
Quand ça allait plus ou moins bien, nous ne le notions
pas. Et quand nous avons reporté sur nos fiches, les doses
du professeur Nesterenko, il est apparu que nous avions choisi
les enfants avec des doses très élevées.
Ceux qui en avait peu avaient été écartés,
et les doses élevées correspondaient aux 30 électrocardiogrammes
que nous avions enregistrés. Et maintenant nous convoquons
ces enfants pour un examen médical. Ce qui est très
bien, étant donné que la pathologie cardiaque, -
je le répète, - domine le tableau clinique. Le cur
des enfants est malade : il est assourdi. Les deux temps du cur
ne sont pas distincts, on entend des bruits. Ces fortes doses,
ces altérations
Que pouvons-nous faire ? Constater
et diagnostiquer la cardiopathie fonctionnelle. Nous définissons
encore ces altérations comme fonctionnelles, mais comment
aider ces enfants pour quelles ne deviennent pas organiques ?
Ce problème ninquiète personne.