Lincident qui sest produit
le 2 avril 2001 lors du rechargement du réacteur n°4
de la centrale de Dampierre-en-Burly est tout sauf anodin. EDF
la dabord reclassé au niveau 1 sur léchelle
INES (Magnuc du 18 avril) puis reclassé au niveau 2 le
1er octobre. La Note dinformation du 2 octobre de lAutorité
de sûreté nucléaire (ASN) titre : "Reclassement
au niveau 2 de lincident survenu le 02 avril 2001 sur la
centrale de Dampierre - Mauvais positionnement dassemblages
combustibles dans la cuve du réacteur durant les opérations
de chargement".
Rappelons quil sagit dun réacteur de
900 MW dont 70% des assemblages combustibles sont en oxyde duranium
enrichi (UOX) et 30% des assemblages sont en combustible MOX,
mélange doxyde duranium appauvri et doxyde
de plutonium (1). Le mot plutonium est absent de la
Note du 2 octobre et absent des articles de presse relatant lincident.
Or cest bien la présence de plutonium dans ce combustible
qui rend le pilotage du réacteur très délicat,
et, fait nouveau, pose problème même avant le
démarrage du réacteur ! Pour ce type de combustible,
le point important est que la teneur en plutonium dans chaque
assemblage varie en fonction de la position de lassemblage
dans le cur.
La Note ASN indique : "Le plan de chargement, qui
définit précisément la position de chaque
assemblage combustible dans la cuve, est calculé avant
lengagement des opérations de rechargement. Il est
défini de manière à homogénéiser
la distribution de puissance du cur du réacteur".
Ainsi pour un fonctionnement correct du réacteur avec
une maîtrise de la neutronique il est impératif que
soit respectée la composition de chaque assemblage correspondant
à une position donnée dans le cur. Or au cours
du chargement (Magnuc 18 avril) on sest aperçu lors
de la mise en place du 135ème assemblage que 113 dentre
eux avaient été décalés dune
place : "incident dû à une erreur humaine
ponctuelle et à une lacune dans le système de contrôle
du rechargement". Dans la Note ANS du 2 octobre sont relevés
"plusieurs dysfonctionnements en matière dorganisation", "insuffisances
en matière du contrôle du bon déroulement
des opérations de déchargement et chargement"
comme la révélée linspection
par lAutorité de sûreté du 13 juin,
"insuffisances (
) de lergonomie des matériels
et des postes de travail inadaptée au caractère
sensible de cette phase dexploitation, la réalisation
de certaines activités par des personnes non habilitées,
(
)" [cest moi qui souligne].
La Note précise quà la demande de lAutorité
de sûreté EDF a entrepris des calculs pour dautres
configurations plus pénalisantes que celles du 2 avril.
Les premiers résultats ont montré que ces configurations
pourraient provoquer un début de réaction
nucléaire dans la cuve du réacteur [ ! ] Mais,
est-il dit, avec des "conséquences dosimétriques
qui seraient restées limitées pour les
opérateurs" [cest moi qui souligne].
Fait aggravant, les instruments de mesure existants nauraient
pas permis de détecter la montée en puissance et
donc dalerter les opérateurs avant la divergence
La Note ne précise pas ce qui pourrait advenir après
ce "début" de réaction. Le déroulement
logique, un accident de criticité et sans détecteurs ?
(Un "petit" Tokai-Mura en somme ?)
On peut se poser dautres questions : il a fallu près
de 6 mois pour que les calculs dEDF montrent que des configurations
inadéquates pouvaient conduire à une divergence. Ces
calculs nont donc pas été faits avant quon
décide de les charger en MOX nos 900 MW ? Nos décideurs
sont-ils si incompétents quils nont pas
prévu que des positionnements pouvaient être incorrects
? Etaient-ils si sûrs de linfaillibilité du
marquage des assemblages et de leur manutention ? Sans prévoir
des moyens de détection ?
Cet incident est grave car il témoigne non seulement dun
manque manifeste dorganisation et de culture de sûreté
à EDF mais il témoigne surtout dun manque
dimagination des concepteurs sur les défaillances
possibles générées par lemploi du combustible
MOX dans des réacteurs prévus surtout pour du combustible
oxyde duranium.
Ces insuffisances ne sont pas propres à Dampierre mais
concernent toutes les centrales EDF chargées en MOX !
Rappelons quil y a actuellement 20 réacteurs 900
MW chargés en MOX et que 8 autres sont prévus. La
Note précise que lAutorité de sûreté
nucléaire demande à EDF "(
) de renforcer
lorganisation et la surveillance de cette phase délicate
de lexploitation dun réacteur nucléaire afin
den assurer une parfaite maîtrise. Pour cela des premières
mesures compensatoires ont été mises en place sur
lensemble des réacteurs et lASN imposera au
besoin à EDF des moyens de protection supplémentaires
vis-à-vis de ce risque après avoir reçu lavis
de son appui technique lIPSN". Le ton est grave,
espérons que ce ne sera pas comme pour les enceintes de
confinement fuyardes où cest le premier ministre
qui a tranché et où la décision prise la
été au détriment des impératifs de
sécurité.
Un autre point à souligner. Cet incident qui na eu
aucune conséquence radiologique et dont on pourrait négliger
limportance (il a dabord été classé
au niveau 0 par EDF) est en réalité un signe de
dysfonctionnement de la gestion et devrait être considéré
comme un événement précurseur de dysfonctionnements
beaucoup plus graves. Léchelle INES qui classe les
incidents en fonction de leurs conséquences immédiates
ne tient pas compte de la gravité potentielle dévénements
apparemment anodins mais importants pour la sûreté.
B. B
(1) Monique Sené, Dossiers MOX, Gazette Nucléaire 155/156 janv. 1997 et 163/164 janv. 1998