Mercredi 6/02/2002
Le gouvernement a présenté hier, au Conseil dEtat,
le projet de création dune Direction Générale
de la Sûreté Nucléaire et de la Radioprotection
(DGSNR) et dun Institut de Radioprotection et de Sûreté
Nucléaire (IRSN), rassemblant lInstitut de Protection
et de Sûreté Nucléaire (IPSN) et lOffice
de Protection contre les Rayonnements Ionisants (OPRI).
DGSNR : le ministère de lIndustrie
sempare de la radioprotection
La radioprotection, cest-à-dire la protection
contre les dangers des rayonnements ionisants - quils soient
générés par lindustrie nucléaire,
la radioactivité naturelle ou lexposition médicale...
- était placée, jusquà présent,
sous la tutelle du ministère de la Santé,
pour la protection du public, et du ministère
du Travail, pour le contrôle de lexposition
professionnelle.
La DGSNR qui traitera désormais les dossiers de radioprotection
fonctionnera sous une triple tutelle : celle de lEnvironnement,
celle de la Santé mais aussi celle du ministère
de lEconomie, des Finances et de lIndustrie.
Le ministère du Travail est parvenu à conserver,
de haute lutte, la protection des travailleurs mais le ministère
de la Santé a dû abandonner celle du public.
Il naura, dans le nouveau dispositif, quune tutelle
partagée avec lEnvironnement et, surtout,
avec le très puissant ministère de lEconomie,
des Finances et de lIndustrie. Etant donné le
poids respectif de ces ministères, il est difficile dêtre
optimiste sur le devenir de la radioprotection. Une suspicion
légitime pèsera sur toutes les décisions
que la DGSNR sera amenée à prendre car les conflits
dintérêt entre le développement
du nucléaire et la protection du public sont vraiment trop
importants.
Le seul domaine laissé à lentière appréciation
du ministère de la Santé est le problème
du radon, un gaz radioactif naturel,
certes préoccupant, mais peu susceptible de gêner
le lobby nucléaire. LIndustrie a, par contre,
obtenu un droit dingérence sur tous les dossiers
de santé impliquant le fonctionnement de lindustrie
nucléaire, en situation normale (gestion
des déchets, des rejets de polluants dans lenvironnement...)
comme en situation accidentelle (niveau de contamination
" acceptable " des aliments, indemnisation des malades,
des producteurs, etc.).
Faute de moyens, de volonté politique et du fait dun
passif jamais apuré, la radioprotection na jamais
été en France, pays pourtant fortement nucléarisé
(ou sans doute à cause de cela), une priorité et
a même longtemps fonctionné en marge des prescriptions
réglementaires. La création dune structure
de radioprotection à la hauteur des enjeux (et notamment
des questions posées par la catastrophe de Tchernobyl)
nécessitait une réforme de grande ampleur,
avec le développement, au sein du ministère de
la Santé, dun bureau de radioprotection doté
de moyens humains et de capacités dexpertise appropriés.
Cette structure aurait dû fonctionner en liaison avec le
ministère du Travail, pour ce qui concerne les travailleurs,
et le ministère de lEnvironnement, pour le contrôle
des pollutions.
IRSN : une vocation industrielle et commerciale
pour les experts en santé publique
Le statut choisi pour lInstitut de Radioprotection et de
Sûreté Nucléaire, qui doit devenir lexpert
attitré de la DGSNR, est un EPIC, cest-à-dire
un Etablissement Public à vocation Industrielle et
Commerciale. Travailler dans lindustrie ou le commerce
est parfaitement honorable mais est-ce dans cette logique
que doivent sinscrire les missions dexpertise en santé
publique ?
La CRIIRAD a pointé du doigt, à de nombreuses reprises,
les dysfonctionnements induits par la confusion des genres. LIPSN
intervient ainsi, tantôt comme expert dEtat sur des
dossiers réglementaires et décisions de radioprotection,
tantôt comme prestataire de service pour les exploitants
du nucléaire. Dans la gestion des dossiers dautorisation
de rejets radioactifs des centrales nucléaires, lIPSN
rédige, financé par EDF, le dossier dimpact
radiologique, puis procède à son expertise, dans
le cadre dune procédure réglementaire, sur
financement de la DSIN !
Tout aussi inquiétant, le placement de lIRSN sous
la quintuple tutelle des ministère de lIndustrie,
de la Recherche, de lEnvironnement, de la Santé
et de la Défense. Là encore, le ministère
de la Santé perd la tutelle quil exerçait
spécifiquement sur lOPRI (conjointement avec le ministère
du Travail pour lexposition professionnelle). Comment
construire, dans un tel contexte, une véritable culture
de santé publique ?
Leffacement programmé du ministère en charge
de la santé des populations pose, en outre, avec acuité
le problème de la représentation de la France
dans les instances internationales où sélaborent
les normes de radioprotection. Ces décisions qui conditionnent
notre niveau de protection (ou plutôt le niveau de risque
jugé acceptable) sont prises par des experts qui ne paraissent
avoir de compte à rendre à personne et certainement
pas au ministre de la Santé.
La France est ainsi représentée à la Commission
Internationale de Protection Radiologique (au comité 4)
par un expert de lIPSN. Cette instance a décidé
quen cas daccident, les familles habitant sur des
zones contaminées ne seront pas relogées tant que
la dose ne dépassera pas 15 à 20 mSv/an alors
que le risque maximum tolérable en situation normale est
de 1 mSv/an. Si lon considère, par exemple,
les 2 millions de Bélarus vivant en zone contaminée
par les retombées de Tchernobyl, ce risque " acceptable
" correspond à environ 200000 cancers radio-induits
(dont 100000 cancers mortels). Des niveaux de risque que les
citoyens trouveraient inacceptables... si toutefois on les en
informait.
Appels à mobilisation
Rien nest jamais définitif. Si les citoyens sont
décidés à se battre pour la prise en compte
de leur santé, le rapport de force peut sinverser.
La CRIIRAD lance ce jour :
un appel à mobilisation de toutes les associations qui
uvrent en matière de protection de la santé,
de lenvironnement ou des droits des consommateurs.
Tous ces secteurs sont concernés car les domaines qui intéressent
la radioprotection sont multiples : quantité de polluants
quune installation nucléaire est autorisée
à rejeter dans lenvironnement ; niveau de contamination
toléré dans les aliments en cas daccident
; obligation (ou pas) détiqueter les produits contenant
des substances radioactives ; niveau de contamination admissible
pour la remise dun site pollué dans le domaine public
; fixation des normes et donc du niveau de risque cancérigène
et génétique que lon juge " acceptable
" , décision de protéger les enfants moins,
de la même façon ou plus que les adultes, etc.
Une pétition nationale demandant le maintien de la
protection sanitaire des personnes sous la seule responsabilité
du ministère de la Santé ainsi que des garanties
sur la consultation régulière des citoyens sur toutes
les décisions qui concernent leur protection contre les
rayonnements ionisants, en particulier en cas daccident.
Un texte destiné aux candidats aux élections
présidentielles et législatives, leur demandant
de sengager à placer la radioprotection hors de
toute emprise du lobby nucléaire et à mettre
en place un système de consultation du public sur toutes
les décisions de radioprotection.
1986 - 2002 : linégal combat
entre la Santé et lIndustrie.
Grâce aux perquisitions lancées par Madame le Juge
Berthella-Geffroy, la CRIIRAD a pu
obtenir le compte-rendu manuscrit dune réunion de
crise qui sest tenue au ministère de lIntérieur,
le 16 mai 1986, en pleine gestion des retombées de laccident
de Tchernobyl. Ce document indique que le ministre de
lIndustrie, Monsieur MADELIN, est lautorité
politique qui décide de linformation diffusée
aux français et que le ministère de lIndustrie
élabore les instructions qui sont ensuite transmises au
secrétaire dEtat à la Santé ! ! ! Chacun
a pu constater les conséquences de ces choix : la "
qualité " des informations qui ont alors été
diffusées et " lintérêt "
porté à la protection de la population, en particulier
aux enfants.
Le projet de placement de la radioprotection sous tutelle du puissant
ministère de lEconomie, des Finances et de lIndustrie
vient ainsi faire écho, plus de 15 ans après les
faits, aux graves dysfonctionnements de 1986. A lheure où
une plainte est déposée en justice, où des
malades sinterrogent sur la responsabilité de Tchernobyl
dans lorigine de leur pathologie, où lon reconnaît
enfin les véritables niveaux de contamination et limportance
des doses reçues par les groupes critiques, les Français
méritent mieux que le projet qui est soumis au Conseil
dEtat.
Alors quau niveau international, il semble aujourdhui
possible denvisager une rupture du traité qui
lie, depuis 1959, lOrganisation Mondiale de la Santé
(OMS) à lAgence Internationale de lEnergie
Nucléaire (AIEA), organisme statutairement pro-nucléaire,
il est regrettable que la France sengage dans un processus
de subordination de la protection sanitaire des Français
aux intérêts de lindustrie nucléaire.
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Date de renvoi : au plus tôt (dans tous les cas avant
le 30 juin 2002)