M. Jacques Bouchard
prend la défense du nucléaire dans un article au
titre très clair " Cesser les querelles inutiles
à propos du nucléaire " (Le Monde,
11 avril 2002) et répond à M. Hubert Reeves, qui,
dans "L'énergie nucléaire a-t-elle un avenir
?" (Le Monde 2 avril 2002) conclut que vraisemblablement
elle n'en a pas, contrairement aux énergies renouvelables
qui ont maintenant toutes leurs chances. Le recours aux énergies
renouvelables (et aussi aux économies d'énergie),
c'est le scénario du courant majoritaire des antinucléaires
pour une sortie différée du nucléaire,
à l'allemande. On pourrait penser que, Le Monde,
faisant équitablement son travail d'information a exprimé
ainsi les deux points de vue qui se partagent l'opinion française
aujourd'hui. Or il existe un point de vue antinucléaire
dissident, jamais exprimé dans Le Monde, pour une
sortie immédiate du nucléaire car l'accident
grave peut arriver demain.
Evidemment on imagine difficilement M. Bouchard, président
de la Société française d'énergie
nucléaire, de surcroît directeur au CEA, remettre
en cause l'électronucléaire français. Tout
de même, dans un article occupant près de trois colonnes,
à propos de l'opposition au nucléaire dire que "Tchernobyl
y est certainement pour une part", mettre en cause "l'absence
de perception sensorielle expliquant aussi une relation difficile
entre l'homme et la radioactivité" tout cela étant
psychologique. Et rien d'autre comme s'il accréditait le
discours officiel sur les conséquences de Tchernobyl en
ex-URSS en reprenant le rapport de l'UNSCEAR 2000 ? D'abord la
partie irréfutable, parmi ceux qui sont intervenus tout
au début sur le réacteur en détresse 30 morts,
un peu plus d'une centaine de cas de maladies des rayons chez
ces " liquidateurs ", environ 1800 cas de cancers de
la thyroïde chez les enfants et les adolescents, (cela devrait
se poursuivre dans les décennies à venir est-il
dit), ensuite l'insoutenable conclusion : "Pour la grande
majorité de la population il est improbable qu'elle soit
l'objet de conséquences sanitaires sérieuses qui
résulteraient d'une irradiation due à Tchernobyl".
Ce grossier mensonge n'a pas pris et les médecins, les
"responsables" toutes catégories qui tentent
de le propager sont considérés pour ce qu'ils sont
: des commis voyageurs du nucléaire. De prestigieux professeurs
ont nié tant de choses après Tchernobyl, tout d'abord
les malformations congénitales puis la détérioration
de la santé des enfants, nié aussi les cancers thyroïdiens
qu'ils ont été obligés d'admettre ensuite,
tout ce beau monde a menti et ment encore aujourd'hui en voulant
systématiquement ignorer l'état sanitaire des populations
obligées de vivre sur les territoires contaminés
de l'ex-URSS. Mais il n'y a plus de "rideau de fer",
les témoignages se succèdent (Nathalie Nougayrède
Le Monde, 20 mai 2000, Les enfants de Tchernobyl face
à "la mort invisible") et les citoyens, plus
sensés que ne le pensent les autorités, se rendent
bien compte que la nourriture provenant de sols contaminés
par la radioactivité (certes, du point de vue sensoriel
pour parler comme M. Bouchard, elle a la même apparence
que la nourriture "propre") rend les enfants du Bélarus
malades car ils incorporent les radioéléments nocifs
d'une façon chronique. Les experts disent que les doses
engagées sont trop faibles pour avoir un effet. Pourtant
les enfants des zones contaminées ne vont pas bien, des
nouveaux-nés meurent de malformations cardiaques, et c'est
l'un des mérites du Pr. Youri Bandazhevsky, condamné
par un tribunal militaire et actuellement emprisonné au
Bélarus, d'avoir montré le rôle du césium
137 dans l'émergence des pathologies chez les enfants (cardiopathies,
cataractes, troubles endocriniens, détérioration
de l'immunité etc.).
Parmi ceux qui nient les effets sanitaires de Tchernobyl par action
chronique des faibles doses de rayonnements on trouve des responsables
en radioprotection et ce n'est pas étonnant. D'éminents
professeurs de médecine, employés par le CEA ou
membres du comité médical d'EDF, admettent difficilement
les effets nocifs des radiations ionisantes sur le personnel EDF
ou CEA et comme ils sont souvent chefs de services hospitaliers
ou directeurs d'instituts gros utilisateurs de rayonnement, admettent
difficilement les effets biologiques sur leurs propres personnels.
Tous ces personnages ont servi d'experts dans les commissions
internationales pour élaborer les normes de radioprotection
concernant non seulement les travailleurs mais aussi la population,
en symbiose avec le responsable français de la radioprotection,
le Pr. Pellerin, inamovible pilier pendant des lustres quel qu'ait
été le gouvernement de droite ou de gauche. Minimiser,
voire nier les effets biologiques des faibles doses de rayonnement,
ce parti-pris est une constante qui a accompagné le développement
du parc nucléaire. Cette absence de prise en compte des
effets nocifs des radiations a permis le développement
massif de l'électronucléaire français (sans
trop de vagues dans la population, malgré de violentes
contestations locales). C'est aussi la raison pour laquelle les
"autorités" françaises, sanitaires et
politiques, n'ont pas appliqué les recommandations européennes
visant à restreindre la consommation d'aliments contaminés
en 1986 après Tchernobyl et ont tergiversé, avec
l'aval de l'Académie des sciences, pour appliquer la directive
européenne de mai 1996 entérinant l'abaissement
des doses admissibles pour le public en situation normale (hors
accident). Ce sont les mêmes " responsables "
dont le Pr. Pellerin, qui ont usé de leur influence après
Tchernobyl pour élaborer au niveau international des "
normes " en cas de nouvel accident nucléaire, normes
trois fois plus élevées que celles qui
devaient régir quatre ans après Tchernobyl les évacuations
d'habitants de zones contaminées en URSS - évacuations
qui n'ont pas été effectuées. Ce sont ces
"normes" qui nous seraient appliquées en cas
d'accident chez nous
L'enthousiasme de M. Bouchard pour le nucléaire
qui rappelle les grandes envolées des années 70,
est un peu surprenant, même pour un directeur au CEA. Il
semble ignorer que les verres qui renferment les déchets
nucléaires, "très résistants à
toute agression externe" affirme-t-il, peuvent cristalliser
sous l'action du rayonnement et de la chaleur dégagée,
perdant ainsi leur étanchéité (cristallisation
de la silice amorphe mise en évidence par rayons X au CEA
à la fin des années 60). Cette lacune dans ses connaissances,
si elle existe aussi au niveau du vieillissement des aciers des
cuves et des circuits d'un réacteur, des fissures, fuites
et autres incidents résultant d'erreurs de conception répertoriées
dans les divers incidents affectant le fonctionnement de nos réacteurs
(comme la sous-estimation du risque d'inondation, du risque sismique,
des actes de malveillance) expliquerait-elle sa cécité
vis-à-vis des conséquences d'un accident nucléaire
majeur ? Alors quelle perspective si d'emblée M. Bouchard
ne tient pas compte de la possibilité d'un accident nucléaire
chez nous pourtant admis par les "officiels" comme le
montrent la distribution de pastilles d'iode au voisinage de nos
centrales et la mise à jour des PPI (plans particuliers
d'intervention) ?
En passant il dit : "L'énergie nucléaire
a sa place, probablement pour une part très supérieure
à sa place actuelle sur le plan mondial". Voilà
une prédiction bien téméraire et s'apparentant
à un vu pieux, en contradiction avec les prospectives de
l'Agence Internationale de l'énergie atomique (AIEA) dont
un des buts est pourtant de promouvoir l'énergie nucléaire.
En effet, dans un document publié en juillet 2000 (Energy,
Electricity and Nuclear Power Estimates for the Period up to 2020)
l'AIEA indique que la part du nucléaire dans la production
électrique mondiale qui a été de 16% en 1999
se situerait, en 2020, entre 9,5 et 12%. Par rapport à
l'énergie primaire consommée mondiale l'électricité
nucléaire qui n'a représenté que 5,4% en
1999 tomberait entre 3,6 et 4,8% en 2020. Voilà "une
part très supérieure à sa place actuelle"
qui diminue au cours du temps ! (Pour certains pays demandeurs
de réacteurs nucléaires, le nucléaire civil
est vu comme une avancée vers la technologie militaire,
le nucléaire civil servant d'alibi). Pourquoi M. Bouchard
veut-il nous enfermer dans le nucléaire ?
La France est le seul pays au monde qui dépende autant
du nucléaire pour sa production d'électricité,
76,3% pour l'année 2000. Indépendance nationale,
dit-on, alors que la dernière mine d'uranium a fermé
en Limousin et que notre approvisionnement vient du Canada et
d'Afrique (à moins que, sans le savoir, nous ayons récupéré
des colonies ?) En l'an 2000 aux USA 20% de l'électricité
est nucléaire, nos voisins du Royaume-Uni en sont à
23% et l'Allemagne à 30,1%. Le cas de l'Allemagne est intéressant
car 51% de sa production électrique vient du charbon (houille
25,4%, lignite 25,9%). Le reste se distribue entre gaz (8,5%),
hydraulique (4,3%), fioul (0,5%) énergies renouvelables
(5,3% dont seulement 1,6% d'éolien alors que l'Allemagne
est donnée en exemple car elle est en tête désormais
en Europe pour l'éolien). L'accord passé entre le
gouvernement allemand et les exploitants nucléaires prévoit
une sortie différée du nucléaire en
2021 après 32 ans de fonctionnement des réacteurs
(en réalité 33 ans pour ceux couplés au réseau
en 1988) mais le gouvernement s'est engagé à ce
que l'exploitation soit "sans entraves" ce qui en clair
signifie ne pas être trop strict vis-à-vis du respect
des normes de sûreté qui impliquerait des arrêts
plus ou moins prolongés des réacteurs et serait
coûteux pour les exploitants. Cette clause de l'accord peut
être lourde de conséquences et semble être
ignorée de ceux qui, chez nous, souhaitent une sortie du
nucléaire "à l'allemande".
Retenons qu'en Allemagne plus de 50% de l'électricité
est produite par les centrales thermiques à charbon pour
une puissance installée de 52,5 GW et il est certain qu'elles
ne vont pas être détruites mais modernisées
! En France au 31 décembre 2000 la puissance thermique
classique installée totale était de 26,7 GW avec
une part EDF de 17,6 GW (essentiellement charbon et fioul). Les
turbines à gaz sont en augmentation dans le secteur privé
mais leur contribution à la production électrique
est encore faible. Et qu'a décidé EDF au sujet du
thermique classique ? On le savait mais un compte-rendu intersyndical
d'une réunion de la Commission nationale Equipement d'EDF
du 6 juin 2001 le confirme, "pas de projet porteur pour l'avenir
: préparer l'évolution du parc à l'horizon
2005/2010, c'est à dire sa disparition et sa casse".
Voilà qui est clair. Par contre "Se développer
à l'international (Asie, Moyen-Orient, Amérique
latine)" (La Gazette Nucléaire 195/196,
février 2002). Ainsi les techniques "charbon propre"
mises au point en France seront exportées mais la nouvelle
centrale à lit fluidisé circulant (LFC) qui devait
être mise en service à Gardanne à côté
de la première, est dans les oubliettes et il n'est pas
question d'améliorer notre parc thermique mais de le "casser"
dans l'indifférence générale. C'est simple,
notre parc nucléaire est surdimensionné, nous sommes
en surproduction et EDF n'aura quasiment plus besoin du thermique
classique pour assurer les pointes de consommation, l'hydraulique
suffira. (Nous avons une puissance hydraulique installée
de 25 MW contre 8,9 MW en Allemagne). Ceci est très grave
car cette "casse" est le signe qu'EDF fera tout pour
rendre le nucléaire irréversible. EDF, d'après
le même rapport, désire commencer la construction
du nouveau réacteur européen EPR (European pressurized
reactor) en 2006. Contrairement à ce que pensent certains
écologistes s'il y avait un accident nucléaire majeur
chez nous on serait obligé de rester dans le nucléaire
car il faut de l'électricité pour gérer un
accident.
En 1997 nous avons publié un scénario de
sortie immédiate du nucléaire en utilisant au maximum
le parc thermique classique existant, l'hydraulique, en
supprimant les exportations. L'ordre de grandeur était
une possibilité d'arrêt immédiat
de 70% du nucléaire, ce qui nous amènerait
au stade actuel de l'Allemagne. Ce scénario a été
ignoré ou dénigré car le charbon est diabolisé,
effet de serre oblige. Pourtant EDF va se développer à
l'international et exporter les techniques "charbon propre"
LFC et autres, ce qui est normal car les ressources mondiales
en charbon dépassent de loin toutes les autres ressources
fossiles et c'est bien de cette façon que les pays d'Asie
vont se développer, entre autres la Chine aux gisements
importants. Aux USA les antinucléaires qui proposent une
sortie différée du nucléaire envisagent,
en transition, d'utiliser les centrales à charbon pendant
plus de 40 ans (Institute for Energy and Environmental Research,
nov. 2001). Pourquoi chez nous laisserait-on EDF les "casser"
?
L'effet de serre joue ici le rôle d'un leurre. Pour un sujet
scientifique aussi complexe que l'effet de serre et de son influence
sur le climat, aux multiples paramètres globaux et locaux
qui ne sont peut-être même pas tous dénombrés
ou dont l'importance relative n'est peut-être pas celle
que l'on croit et qui sont difficiles à modéliser,
il est suspect d'un point de vue scientifique de voir que le consensus
s'est cristallisé sur une seule cause pour le réchauffement
climatique supposé et qui ferait monter le niveau des mers,
à savoir l'augmentation de la concentration de gaz carbonique
dans l'atmosphère. Quelle aubaine pour le lobby nucléaire
! Pourtant il y a d'autres gaz à effet de serre, le méthane
-produit par l'élevage et l'agriculture intensifs- les
oxydes d'azote, l'ozone, la vapeur d'eau, les CFC. De plus dans
le réchauffement climatique d'autres facteurs interviennent
aux effets mal connus. Yves Lenoir cite " les aérosols
naturels et artificiels, la perturbation anthropique du cycle
de l'eau, la réduction du flux de rayons cosmiques engendrée
par l'augmentation du champ magnétique solaire, les modifications
du couvert végétal (Climat de panique, Ed.
Favre, 2001).
Pour l'année 1999, dans le décompte AIEA de l'énergie
primaire consommée mondiale, 66% des énergies fossiles
émettrices de gaz carbonique ont servi au transport, chauffage,
industrie pétrochimique etc. et seulement 21,7% à
la production électrique. L'électronucléaire
français a représenté 0,9% de l'énergie
primaire consommée mondiale. Ainsi avec l'hydraulique,
en supprimant les exportations d'électricité et
l'autoconsommation du nucléaire, le scénario d'arrêt
immédiat de 70% du nucléaire par le recours aux
centrales existantes à charbon, fioul et gaz représentant
0,6% de l'énergie primaire mondiale aurait un impact négligeable
sur le phénomène planétaire de l'effet de
serre même avec l'hypothèse simpliste et erronée
d'un réchauffement dû uniquement au gaz carbonique.
EDF veut nous engluer dans le nucléaire. Envisager de casser
notre parc thermique classique est suicidaire car ce parc nous
permet de sortir d'urgence du nucléaire. C'est avant
l'accident nucléaire qu'il faut agir, quand le désastre
est là il n'y a plus qu'à subir...