A propos d'iode stable :
les autorités se préparent à l'accident


Les Plans Particuliers d'Intervention (PPI) sont en cours de révision, des Commissions Locales d'Information (CLI) réagissent mais la plupart s'apprêtent à recevoir la becquée préparée par les autorités. C'est dans ce contexte que nous résumons une circulaire récente en mettant nos commentaires entre crochets.

Une circulaire d'application immédiate
La circulaire DGS/SGCISN/DDSC
(1) numéro 2001/549 du 14 novembre 2001 est relative à la distribution préventive de comprimés d'iode stable et à la constitution de stocks de proximité. Le ministre de l'intérieur, le ministre délégué à la santé, le secrétaire général du comité interministériel de la sécurité nucléaire adressent cette circulaire à "Madame et Messieurs les Préfets des zones de défense et à Mesdames et Messieurs les Préfets des départements" sur laquelle figure "Date d'application : immédiate".
Le résumé indique "Cette circulaire complète les dispositions antérieures concernant la distribution préventive des comprimés d'iode. Elle précise les modalités d'une nouvelle distribution mise en uvre à la diligence des préfets dans le périmètre des Plans Particuliers d'Intervention autour des installations susceptibles de rejeter de l'iode en cas d'accident. Elle demande par ailleurs de planifier la constitution de stocks dans chaque département afin de prendre en compte la protection des enfants, des adolescents et des jeunes adultes vis à vis de l'iode radioactif au delà de la zone des PPI".
[Ainsi pour la première fois il est question de faire des stocks d'iode stable dans chaque département au-delà de la zone des PPI (qui concerne 5-10 km), afin de protéger, au sein de la population, des groupes critiques radiosensibles].

Distribution préventive
Elle doit être effectuée dans un périmètre d'environ 10 km afin de permettre une prise immédiate de comprimés à la demande du préfet. Il faut donc "Poursuivre la distribution préventive engagée en 2000 dans le périmètre défini par le Plan Particulier d'Intervention (PPI)". La circulaire rappelle que l'efficacité optimale est obtenue lorsque l'ingestion d'iode stable a lieu "juste avant ou peu de temps après l'inhalation de l'iode radioactif".
[Rappelons la Lettre d'information de Stop Nogent 1997
(2) dans laquelle nous précisions que l'efficacité maximale est obtenue si l'iode stable est ingéré 6 heures avant l'inhalation (et ingestion) des iodes radioactifs !
Dans une circulaire antérieure du 16 octobre 1989
(3) relative à l'information sur l'administration d'iode stable à la population en cas d'accident nucléaire, après avoir indiqué combien cela était peu probable sur nos réacteurs, le texte précisait "si, néanmoins, un tel accident devait survenir, ce ne serait qu'à la suite d'une succession d'événements étalés sur plusieurs heures ; les autorités auraient alors le temps nécessaire pour mettre en uvre les mesures de protection de la population". Cet accident était donc supposé être à déroulement lent. Or, depuis quelque temps déjà, des scénarios d'accidents à déroulement rapide sont étudiés, comme ceux qui résulteraient d'une explosion chimique par exemple une explosion hydrogène, ce qui rendrait problématique la possibilité de prise d'iode stable dans des conditions optimales].
La nouvelle circulaire du 14 novembre 2001 précise que "les enfants, les adolescents, les jeunes adultes et les femmes enceintes seront les principaux bénéficiaires d'une ingestion de comprimé en cas d'une exposition à l'iode radioactif". Il est donc demandé de faire vérifier par les services compétents que ces comprimés sont disponibles dans les écoles, crèches, garderies, centres de vacances, maternités avec une information adéquate des responsables de ces établissements.

Stocks de première proximité [en dehors de la zone couverte par le PPI, mais relativement proche de l'installation nucléaire]
Il est rappelé que le niveau d'intervention pour la prise d'iode stable a été fixé à une dose de 100 mSv (100 millisieverts) à la thyroïde par la circulaire interministérielle du 10 mars 2000.
"Cette mesure répond aux dernières recommandations prises en septembre 2001 au niveau international par l'Agence internationale de l'énergie atomique, (AIEA) en liaison avec l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui maintiennent le niveau d'intervention à 100 mSv à la thyroïde pour la prise de comprimés d'iode et indiquent qu'il peut être pris des mesures spécifiques supplémentaires pour les enfants et les adolescents. Dans ce cadre, le gouvernement a décidé de créer des stocks de première proximité en dehors de la zone couverte par le PPI afin d'être en mesure de pouvoir prescrire l'ingestion de ces comprimés pour des valeurs inférieures à 100 mSv notamment en direction des populations jeunes".

Les Préfets sont priés d'établir un plan de gestion des stocks de proximité faisant apparaître les lieux d'implantation retenus et les modalités de distribution à mettre en uvre en situation d'urgence.
Une annexe donne la liste de 70 départements concernés par les stocks de première proximité où un plan de gestion doit être établi. Sur chaque ligne figurent à la fois le département compris dans la zone de première proximité et la localisation de l'installation nucléaire susceptible de rejeter de l'iode radioactif en cas d'accident grave.
[Ainsi la ville de Paris, les départements de l'Essonne, Hauts de Seine, Val-de-Marne, Yvelines sont cités comme zones de première proximité et l'installation qui les menace c'est Saclay (Centre d'études nucléaires du CEA). La Seine-et-Marne est zone de première proximité concernée par les centrales nucléaires de Dampierre et Nogent-sur-Seine.
Curieusement, en Isère ne figure pas le centre d'études nucléaires de Grenoble, et La Hague ne figure pas parmi les installations nucléaires susceptibles de rejeter de l'iode radioactif.]

Réserves dans les autres départements
Six lignes sont consacrées aux réserves à réaliser outre les stocks de première proximité, "Afin de pouvoir répondre à toute demande de comprimés d'iode de la part de population éloignée du lieu de l'accident quel qu'en soit le lieu des réserves doivent être constituées dans les départements autres que ceux figurant en annexe. Un positionnement de ces réserves dans chaque département au niveau des grossistes-répartiteurs paraît approprié. ()".

[Remarques générales
-Rappelons la conclusion d'un article paru en 1994 du Pr. Martin Schlumberger
(4) de l'Institut Gustave Roussy "L'accident de Tchernobyl a montré que les populations vivant à plusieurs centaines de kilomètres de la centrale (région de Brest notamment) peuvent être fortement contaminées et développer dans les années qui suivent un cancer de la thyroïde. Ceci montre que les plans d'intervention doivent être établis au niveau d'un pays, voire d'un continent".
Ainsi ces 6 lignes dans la nouvelle circulaire concernant les "réserves dans les autres départements" sont une réponse bien maigre aux préoccupations réelles du Pr. Schlumberger. On ignore si des stocks sont prévus en agglomération parisienne en cas d'accident nucléaire à Nogent-sur-Seine, centrale située en amont de Paris.
-"Des valeurs inférieures à 100 mSv en direction des populations jeunes" voilà qui est bien vague comme niveau d'intervention. D'après les recommandations publiées par l'Organisation mondiale de la santé, (OMS)
(5) le niveau de référence pour mettre en uvre la prise d'iode stable est de 10 millisieverts à la thyroïde pour les nouveaux-nés, les nourrissons, les enfants et adolescents de moins de 18 ans, les femmes enceintes et allaitantes.
Il nous faut souligner que la dose à la thyroïde n'est pas le critère premier qui va décider si la prise d'iode stable doit avoir lieu ou non. En effet la dose à la thyroïde n'est pas une donnée directement mesurable, elle est déduite par de savants calculs à l'aide de modèles mathématiques. Les préfets maîtrisent-ils ces modèles ? C'est la contamination prévue de l'air en becquerels par m3, qui devrait être indiquée dans les directives officielles pour déclencher la contre-mesure sinon on reste dans l'arbitraire absolu de décideurs qui peuvent bien s'avérer irresponsables ! De même devraient être indiqués les niveaux de contamination de la nourriture.
Dit clairement : quel serait le niveau de contamination atmosphérique en iode radioactif qui serait considéré comme justifié par nos officiels pour donner lieu à prise d'iode stable en France ? La vieille circulaire du 16 octobre 1989 indiquait des niveaux d'intervention très élevés en iode : "Ainsi pour l'iode radioactif, le niveau à partir duquel l'administration d'iode stable est justifiée chez l'adulte est de 800 Bq/m3 d'air respiré si la durée prévisible de l'exposition ne dépasse pas dix jours. Si cette durée est plus courte, le niveau à prendre en compte peut être plus élevé et atteindre, par exemple, 8000 Bq/m3 pour une exposition de moins de vingt-quatre heures". Qu'en est-il aujourd'hui ? La circulaire ne le dit pas.
Rappelons qu'après l'épidémie de cancers thyroïdiens et autres pathologies thyroïdiennes chez les enfants au Bélarus, Ukraine et Russie, les experts ont "reconstruit" après coup, à la hausse, les doses thyroïdes des enfants.
-Il est important de connaître les effets secondaires et les contre-indications. L'OMS se fie à la prophylaxie faite en Pologne après Tchernobyl, un succès avec des effets secondaires minimes, qui aurait concerné 10 millions d'enfants, les nouveaux nés et 7 millions d'adultes.
Cependant il faut peut-être modérer cet enthousiasme car en Pologne il y a eu beaucoup d'avortements volontaires, probablement dans les zones les plus contaminées par le nuage ; on ignore donc quels auraient été les effets secondaires sur les nouveaux nés si les femmes enceintes avaient poursuivi leur grossesse à terme tout en ayant pris de l'iode stable. Ce point n'est pas abordé dans le rapport OMS ni d'ailleurs dans aucune publication. Pourtant "les seuls morts de Tchernobyl en Europe seront les avortements par milliers effectués en Pologne", tel a été l'argument utilisé par les responsables sanitaires français pour minimiser les effets sanitaires différés à plus long terme de la catastrophe. Cela a été dit notamment par le Dr Lafuma au cours de la réunion organisée pour le personnel CEA en juin 1986 par la direction du centre d'études nucléaires de Saclay. Si l'on se réfère à l'exposé du Dr Kubinyi, médecin de Cracovie, lors de la conférence internationale qui s'est tenue à Amsterdam
(6) en 1987, le nombre de naissances en Pologne qui était de 700000 en 1984 est tombé à 200000 l'année ayant suivi Tchernobyl. Le déficit inclurait avortements spontanés par action des rayonnements et avortements volontaires Logiquement, si cette information est vraie, on ne peut rien conclure quant aux effets secondaires de l'iode stable chez les nouveaux-nés dont les mères ont pris de l'iode stable pendant la grossesse.
-En Pologne c'est une dose unique d'iode stable qui a été distribuée. Il est clairement indiqué dans le rapport OMS que lors d'émissions radioactives importantes d'iode contaminant la nourriture, l'exposition à l'iode radioactif va durer pendant plus longtemps ce qui pourrait nécessiter la prise répétée d'iode stable. L'OMS précise que "les effets secondaires dus à des doses multiples seraient plus élevés, mais leur fréquence est inconnue (c'est moi qui souligne). Elle est probablement faible chez les enfants mais pourrait être significative chez les adultes surtout dans des régions où l'alimentation est carencée en iode".
Dans une lettre adressée récemment au journal français Radioprotection les auteurs
(7) précisent : "les données sur la prolongation de la protection de la thyroïde par l'iode stable chez l'enfant et le nouveau-né font à notre connaissance défaut. Ceci ne nous permet pas, par prudence, de recommander que ce protocole leur soit appliqué. Compte tenu du fait que les enfants constituent le groupe le plus "critique", cette question mériterait d'être approfondie par un comité d'experts". Voilà qui est clair : on ne sait rien sur les effets d'une prise prolongée d'iode stable sur les enfants et les nouveaux-nés.
Il est donc normal que l'OMS indique, en cas d'exposition prolongée aux iodes radioactifs : "L'exposition due à l'ingestion peut être réduite d'une façon considérable si des contre-mesures sont prises telles que ne pas laisser les bêtes dans des pâturages contaminés ou en instaurant un contrôle approprié des produits agricoles. Par rapport à des prises répétées d'iode stable de telles mesures seront plus faciles à mettre en uvre et plus efficaces à long terme pour réduire la dose collective".
-Enfin, sachant comment la situation a été gérée en France par les officiels, il n'est pas inutile de se demander à quelle date le nuage radioactif est arrivé réellement en Pologne et quand a été réellement distribué l'iode stable par rapport à l'arrivée du nuage. Il y a des désaccords entre officiels et médecins indépendants : dans un article de 1992 J. Jaskowski indique que l'iode stable n'a été distribué que 4-5 jours après
(8) l'arrivée du nuage.
Ce pays qui n'a jamais été considéré par les occidentaux pendant la gestion soviétique des pays de l'Est comme une "référence" rationnelle pour la gestion sociale
(9) est soudainement devenu une référence internationale pour la gestion de Tchernobyl !
-D'une façon générale il serait nécessaire de connaître les résultats des études sur les pathologies thyroïdiennes en Pologne et dans tous les pays européens. Mais comment s'assurer que ces études ne seront pas biaisées ?

On ne soulignera jamais assez que l'iode stable ne protège que des iodes radioactifs à condition d'être administré à temps. Il ne protège pas du strontium 90, des césiums 137 et 134, des transuraniens etc. Les travaux de Youri Bandajevsky montrent le rôle néfaste du césium 137 incorporé d'une façon chronique chez les enfants qui résident dans les zones contaminées du Bélarus
Les autorités nationales modifient les textes réglementaires pour la gestion des accidents nucléaires chez nous car pour les gestionnaires ces accidents sont possibles et il est nécessaire que les autorités
locales s'y préparent. A ces préoccupations faut-il répondre en exigeant radicalement une décision immédiate d'une sortie en douceur ? C'est pourtant ce que font les animateurs antinucléaires.

B. B. juin 2002


1) DGS le directeur général de la santé Pr. Lucien Abenhaim, SGCISN le secrétaire général du comité interministériel de la sécurité nucléaire Jacques Deschamps, DDSC le directeur de la défense et de la sécurité civiles Michel Sappin haut Fonctionnaire de Défense
2) Les comprimés d'iode, des tranquillisants contre l'angoisse nucléaire " Lettre d'information numéro 77, juillet-septembre 1997, Comité Stop Nogent-sur-Seine.
3) Circulaire DGS/PGE/1B n°1561 du 16 octobre 1989 (émanant de la Direction Générale de la santé, Sous-direction de la prévention générale et de l'environnement, Bureau 1B)
4) M. Schlumberger " les cancers de la thyroïde après Tchernobyl " Radioprotection (1994), vol.29, n°3, 397-404 cité dans la Lettre d'information numéro 77,juillet-septembre 1997, Comité Stop Nogent-sur-Seine.
5) Recommandations sur la prophylaxie par l'iode après les accidents nucléaires. Mise à jour 1999. Guidelines for Iodine Prophylaxis following Nuclear Accidents. Update 1999.
6) Radiation and Health Conference, Amsterdam, 21-25 mai 1987, conférence organisée par International Institute of Concern for Public Health (ICPH, Institut international de santé publique, dirigé par Rosalie Bertell)
7) P. Verger, J. Piéchowski " Maintien de la protection thyroïdienne par l'iode stable chez l'adulte en cas d'exposition prolongée ", Radioprotection vol. 35 ,2, (2000) 246-247.
8) The situation in Poland after the Chernobyl accident, Jerzy Jaskowski, (Gdansk), International Perspectives in Public Health, vol. 8, 1992. Cette revue est éditée par Rosalie Bertell, (ICPH) bio-statisticienne canadienne ayant mis en évidence le rôle nocif des faibles doses de rayonnement.
9) D'après les trois médecins polonais que nous avons rencontrés à Amsterdam la situation sanitaire était déplorable dans leur hôpital : pas d'eau distillée pour les dialyses, nécessité de donner en douce une bouteille de vodka pour obtenir les résultats d'analyse