Vers la fin des années 80 et le début
des années 90, l'autorité de sûreté
nucléaire de l'époque, le SCSIN, Service Central
de Sûreté des Installations Nucléaires (le
zin-zin pour les initiés), poursuivait sabre au clair les
incartades, indélicatesses, inobservations des règles
de sûreté et autres défauts de conceptions.
Ce service était dirigé par Michel Lavérie,
lequel veillait consciencieusement au respect de l'éthique
et à la communication publique des aléas dans les
installations. Quand les antinucléaires restaient silencieux,
parce que l'information ne leur était pas parvenue, "
on " veillait discrètement à ce que l'information
nous soit transmise, afin de faire pression et d'obtenir des "politiques"
l'autorité nécessaire au rétablissement des
règles de sûreté à EDF ou Cogéma.
L'autorité de sûreté était ainsi "associée"
aux antinucléaires, ce qui a peut-être permis d'éviter
catastrophe ou accidents significatifs. Les politiciens de l'époque
nous parlaient vaguement de transparence. Le directeur de la sûreté
d'EDF lui-même, Pierre Tanguy, pourtant archi-pronucléaire,
n'hésitait pas à monter au créneau pour dire
bien fort que le risque d'accident grave dans les 20 ans à
venir était significatif. Mais en 92, le patron de la sûreté
nucléaire ayant signifié son profond désaccord
au redémarrage de Superphénix, il fut promptement
viré (muté) par le ministre de l'Industrie DSK,
au moment où son service devenait Direction de la sûreté
des installations nucléaires (DSIN). André-Claude
Lacoste, son remplaçant, en service depuis 10 ans et nouvellement
promu patron de la toute nouvelle Direction générale
de sûreté et de la radioprotection nucléaire
(DGRSN), organe de tutelle de l'IRSN (fusion de l'OPRI et de l'IPSN),
ne semble pas avoir eu la "carrure" nécessaire
face à la toute puissance du lobby nucléaire. Dès
lors, " on " se fit plus discret, jusqu'à devenir
aujourd'hui silencieux. Plus les politiciens nous parlaient de
transparence, plus elle s'amenuisait, et les exploitant de passer
gaillardement au-dessus des avis de l'autorité de sûreté.
Le personnel d'EDF reçut des lettres d'avertissements,
l'informant que la transmission d'informations sur les aléas
serait à l'avenir considérée comme divulgation
du secret industriel et assimilé à une faute lourde.
" On " était prié de se taire, à
EDF ou ailleurs ! L'Idéologie libérale aidant, il
devient évident qu'on ne peut pas assurer à la fois
le maintien des règles de sûreté et le développement
international, tout en maintenant des coûts de production
compétitifs. L'autorité de sûreté est
donc priée de se faire discrète et de sous évaluer
les risques en harmonie avec les impératifs économiques
des exploitants. Dans ces conditions, il devient incongru de faire
dans la transparence. Le Comité Stop-Nogent a critiqué
de nombreuses fois dans cette présente publication, le
manque d'autorité de ladite autorité ; aujourd'hui
le problème est plus conséquent, c'est de complaisance
et de dissimulation dont il s'agit. La catastrophe ou l'accident
grave futur ne sont plus "possibles" ou "probables",
il sont "certains". L'incident de niveau 2 du réacteur
n° 2 de Flamanville en janvier dernier est à lui seul
très révélateur : perte presque totale des
circuits de sauvegardes, y compris du troisième groupe
électrogène d'ultime secours, perte partielle de
refroidissement avec détérioration d'un joint et
d'un axe de pompe par surchauffe. Il y a dix ans pareil incident
aurait imposé une remise en cause de la conception de l'électronique
et de la formation du personnel avant redémarrage, puis
l'inspection de l'ensemble du parc des réacteurs 1300 MW
pour vérifier le caractère générique
de l'incident. Rien de tout cela pour Flamanville ; on change
les composants endommagés et on redémarre, point
barre, circulez y'a rien à voir. La DGRSN est donc devenue
une illusion d'autorité de sûreté au même
titre que ces agences de contrôle mises en place par les
entreprises pour établir des certificats de conformité
de complaisance. L'autorité de sûreté est
concrètement incompétente et inopérante donc
nuisible, il importe de la remplacer dans l'urgence par ce qui
existait il y a dix ans, avant que cette ignoble connivence entre
exploitants et organisme de contrôle n'implique une catastrophe,
et de virer son directeur qui porte une lourde responsabilité
dans l'établissement de l'insécurité nucléaire
et cette parodie de transparence. C'est quand même lui aussi
qui a autorisé EDF à augmenter l'enrichissement
du combustible, réduire les durées d'arrêts
de tranche pour maintenance et rechargement, augmenter la durée
de chaque cycle, donc accepté la réduction de la
maintenance au profit de la productivité à EDF et
au détriment de la sécurité.
Pour exemple, ci-après la réponse de AC. Lacoste
au courrier que j'avais adressé à la DSIN fin juin
2001 (déjà publiée dans un précédent
bulletin et dans la Gazette Nucléaire, en copie page suivante
pour rappel).
Nul besoin d'être expert pour comprendre que l'important
de la question était de savoir quel est le débit
d'eau autorisé dans le circuit primaire, et l'amplification
des turbulences qui engendrent des vibrations dans toute la structure
métallurgique du circuit primaire, des crayons de combustible
aux tubes en " U " des générateurs de
vapeur en passant par les tuyauteries et soudures de tuyauteries,
afin d'évaluer les fatigues métallurgiques et les
risques de ruptures qui en découlent. A cette question
de la plus haute importance, le patron de la DGRSN évite
soigneusement de répondre. A propos de la dégradation
des gaines de combustible, il se contente de répondre qu'elles
"résident dans la présence de corps migrants
ou dans une usure prématurée". Quelle est
l'origine de cette usure prématurée ? L'information
n'est probablement pas "communicable" sans risquer de
porter un sérieux préjudice à l'exploitant.
Lorsqu'il me répond sur la puissance du réacteur
"qu'il s'agit de la puissance thermique [] et non
de la puissance électrique", il considère
que je suis un idiot qui ne comprend pas le rendement thermodynamique
et qui ne sais pas faire la différence entre les deux là,
c'est pousser le bouchon un peu loin. Ces textes officiels prévoient
une puissance électrique "d'environ 1300 MW"
pour une puissance thermique nominale de 4114 MW, que cette puissance
de fonctionnement sera fixée par le ministre lors de l'approbation.
Où est le courrier d'approbation du ministre ? Où
est le rapport de la DSIN au ministre ? Quelle est la véritable
puissance de fonctionnement autorisée actuellement ?
Est-ce utile de lui reposer la question si c'est pour avoir en
réponse des non-réponses et des âneries ?
" si l'exploitant parvient à améliorer
ses rendements, rien ne l'empêche de dépasser la
puissance électrique théorique" m'écrit-il.
Mais comment améliorer la thermodynamique sur une installation
existante ? Deux possibilités : augmenter la source chaude,
c'est à dire la température de fonctionnement du
réacteur, au risque de dégrader fortement par corrosion
les composants en alliage 600 ; ou d'améliorer la qualité
de la source froide, c'est à dire prélever plus
des 2m3/s en rivière pour compenser l'évaporation
des aéroréfrigérants et assurer la purge
du circuit ; ce qui revient à rejeter de la pollution thermique
en rivière. Est-ce le pourquoi des 11m3/s autorisés
l'an dernier par la DSIN pour le site de Belleville ?
Claude Boyer
Le Directeur général
DGSNR/SD2/N° 0325 / 2002 Paris, le 8 avril 2002
Comite Stop - Nogent-sur-Seine
Monsieur Claude Boyer
Objet : Fonctionnement des réacteurs a eau sous pression de 1300 MWe
P.J. : Extrait du rapport annuel 2001 de l'Autorité de sûreté nucléaire
Monsieur,
Vous avez fait part à l'Autorité de sûreté
nucléaire de diverses interrogations relatives aux conditions
de fonctionnement des réacteurs nucléaires de type
" 1300 MWe ", et tout particulièrement de ceux
de la centrale de Nogent-sur-Seine.
Je vous prie de trouver ci-après les réponses que
ces interrogations appellent de la part de l'Autorité de
sûreté nucléaire.
La puissance de l'installation est encadrée au travers
du décret d'autorisation de création, ainsi que
du rapport de sûreté et des règles générales
d'exploitation, ces deux derniers documents étant approuvés
par les pouvoirs pub1ics lors de la mise en service de l'installation.
II y a lieu de préciser que, du point de vue de la sûreté,
lorsqu'il est question de la puissance d'un réacteur, il
s'agit de la puissance thermique (appelée puissance nominale),
et non de la puissance électrique, cette demière
étant conditionnée par les divers rendements de
l'installation, et pouvant donc évoluer sans que pour autant
la sûreté en soit affectée. En d'autres termes,
si l'exploitant parvient à améliorer ses rendements,
rien ne l'empêche de dépasser la puissance électrique
théorique de 1300 MWe.
S'agissant de la puissance thermique, les règles générales
d'exploitation précisent que " tout fonctionnement
à une puissance thermique du cur supérieure a 100%
de la puissance nominale est interdit ". A cet égard,
l'ensemble des réacteurs du parc électronucléaire
français est pourvu de systèmes de protection fonctionnant
en permanence et déclenchant automatiquement l'arrêt
du réacteur lors de transitoires provoquant une augmentation
anormale de la puissance.
L'augmentation des taux de combustion des combustibles nucléaires
que vous évoquez a effectivement son impact sur la sûreté
générale des installations. Avant l'autorisation
par l'Autorité de sûreté nucléaire
de la mise en uvre de toute nouvelle gestion du combustible, cet
impact est étudié à la fois en terme de comportement
en cas d'accident et en terme de comportement en exploitation
du fait d'une présence plus longue de combustible dans
le cur. Vous trouverez en annexe un extrait du rapport annuel
2001 de l'Autorité de sûreté nucléaire
relatif aux évolutions de la gestion du combustible en
réacteur et faisant le point sur le sujet.
Les variations de puissance induites par l'exploitation en "
suivi de charge " ont un impact potentiel sur le combustible
qui a nécessité la définition de spécifications
techniques d'exploitation appropriées concernant en particulier
les durées et taux de variation admissibles à différents
niveaux de puissance nominale. Cela étant, les raisons
essentie1les des défauts observés sur les gaines
de combustible résident dans la présence de corps
migrants dans le circuit primaire, ou dans une usure prématurée.
En cas de présence de défauts, les variations de
charge peuvent provoquer des rejets depuis la gaine du combustible
vers le circuit primaire, ce qui conduit à limiter les
conditions d'exploitation du réacteur.
Enfin, je vous demande de bien vouloir excuser le délai
d'envoi de cette réponse et vous invite, pour le cas ou
vous auriez des questions portant spécifiquement sur la
centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine, à vous adresser
à la Direction régionale de l'industrie, de la recherche
et de l'environnement de Champagne-Ardennes, chargée de
l'inspection de l'installation. Je vous prie de croire, Monsieur,
en l'assurance de mes salutations les meilleures.
Le Directeur général de la Sûreté Nucléaire
et de la Radioprotection,
André-Claude LACOSTE
Lettre à la Direction de la Sûreté
des Installations Nucléaire (24 juin 2001)
déjà publiée dans un précédent
bulletin et dans " La Gazette nucléaire "
Monsieur Jérôme GOELLNER
Directeur adjoint de l'ASN.
Monsieur,
J'apprends par un communiqué de presse
de STOP-GOLFECH que la radioactivité du circuit primaire
du réacteur 1 de Golfech aurait augmenté depuis
le 2è trimestre 99 d'un facteur important (de 2 MBq à
1,6 GBq pour l'iode 131, de quelques dizaines à 14 GBq
pour les gaz rares).
Cette variation est à l'évidence due à une
dégradation des gaines de combustible, reste à savoir
s'il s'agit du cas détecté à Nogent en août
2000 (contrôle défectueux des gaines par Cézus),
ou du cas de Cattenom détecté en mars de cette année
sur le réacteur 3. Dans ce cas, d'où viennent ces
phénomènes vibratoires ?
J'ai tenté pendant plusieurs années d'obtenir de
Michèle Rousseau un état de la puissance de fonctionnement
des réacteurs 1300 MWe. Ces réacteurs ont été
construits pour produire à puissance nominale 1270 MWe
(version rivière avec aéroréfrigérants),
et les courbes de production de la centrale de Nogent font apparaître
un fonctionnement le plus souvent à 1330 MWe net.
En 1989, suite au problème de corrosion sous tension de
l'alliage Inconel 600 décelé à Nogent, la
température primaire est passée de 328°C à
322°C, provoquant, d'après un rapport préliminaire
du SCSIN au CSSIN (février 89) une perte de rendement de
1% par degré perdu.
Ceci laisse supposer une augmentation du flux neutronique et de
la puissance thermique ; ce qui impose une augmentation du débit
des pompes primaires pour ne pas augmenter la température
au-delà des 320°C.
Augmenter le débit des pompes primaires augmente aussi
les turbulences hydrauliques, donc les vibrations dans l'ensemble
du circuit primaire, la cuve, les tuyauteries, mais aussi plus
particulièrement les éléments les plus fins,
crayons de combustibles, tubes en " U " des générateurs
de vapeur.
L'Autorité de sûreté a t-elle accordé
à l'exploitant une autorisation d'augmentation de la puissance
?
Les dépôts qui se sont formés à l'intérieur
des tuyauteries primaires augmentent-ils les turbulences ?
Les modifications de combustible de 3,1% à 4% d'U235 ainsi
que l'augmentation de taux de combustion ont-ils un impact sur
les gaines de combustible ?
Enfin, les variations de puissance en suivi de réseau ne
sont-elles pas plus importantes aujourd'hui qu'il y a une décennie
? Et quel est alors l'impact sur le vieillissement métallurgique
du primaire et les gaines de combustible ?
Je vous remercie de bien vouloir satisfaire ma curiosité.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de ma considération
la meilleure.
Pour le Comité Stop-Nogent-Sur-Seine
Claude Boyer
[24 juin 2001 par e-mail, 4 juillet par fax]