Le ministre de l'intérieur, Monsieur
Sarkozy, a été aussitôt surnommé Speedy
("le rapide"), dans les commissariats de police, ce
qui fait très shérif hollywoodien. Ces shérifs
on peut les classer en deux groupes, ceux très motivés
par la défense de leurs administrés et qui sont
harcelés par leurs supérieurs aux ordres des puissants,
mais il y a aussi les shérifs corrompus que d'honnêtes
hors la loi réussissent à maîtriser. Speedy
n'entre probablement pas dans ces deux catégories.
Il a, c'est certain, le souci de la sûreté de la
population mais il n'est pas harcelé par ses chefs. Il
rêvait probablement depuis longtemps de bouleverser la tradition
administrative qui, toujours, se déclare prête à
faire quelque chose lorsqu'une installation industrielle tue des
gens mais qui en fait se contente d'exiger des responsables politiques
de verser en public quelques larmes. Rien à voir avec l'ambition
de Speedy pour qui c'est : la sûreté avant tout et
tolérance zéro !
Il aimerait, nous a-t-on dit, mettre en place une police nouvelle
et efficace pour contrôler ces industriels qui ne s'inquiètent
pas des problèmes de sûreté et qui ne pensent
qu'aux bénéfices. D'après certains de ses
amis il aurait été profondément perturbé
par les dégâts de l'amiante, plus d'une centaine
de milliers de morts à attendre dans les cinquante ans
à venir, alors qu'on savait, il y a plus de trente ans
déjà que l'amiante était redoutable. Cela
n'a pas empêché les industriels de faire leur beurre
avec ce produit dangereux et les responsables de l'Etat de les
laisser faire. Il a, paraît-il, été étonné
et scandalisé d'apprendre que les chimistes de TotalFina
n'ont découvert les propriétés explosives
du nitrate d'ammonium (surtout lorsqu'on le mélange avec
des tas d'autres produits) qu'après l'explosion d'AZF à
Toulouse alors que les livres de chimie classent ce nitrate parmi
les explosifs.
Aussi, pour avancer dans la voie de la sûreté en
priorité et de la tolérance zéro il aurait
même avancé quelques pistes :
1) En cas d'accident grave dans une installation industrielle,
le directeur et les ingénieurs responsables sont immédiatement
mis en examen,
2) si les règles de sûreté n'ont pas été
respectées par l'industriel, la procédure de flagrant
délit sera utilisée,
3) si les organismes de contrôle de la sûreté
ont eu connaissance de violation de règles de sûreté
ils seront poursuivis en justice pour complicité,
4) si ces organismes ont alerté leurs supérieurs
hiérarchiques (préfets, ministères etc.)
ceux-ci seront poursuivis pour complicité avec aggravation
de responsabilité compte tenu du pouvoir conféré
par leur statut
5) si leurs ministres de tutelle sont intervenus pour empêcher
l'application de sanctions contre les industriels coupables, ces
ministres seront immédiatement exclus du gouvernement et
poursuivis en justice.
6) Concernant les violations des règles de sûreté
dans les installations nucléaires, les peines seront accrues
car les conséquences peuvent être plus dramatiques
que dans les autres activités industrielles.
7) Les responsables des contrôles de sûreté
industrielle pourront se faire accompagner par des forces de police
pour intervenir immédiatement en cas de violation des règles
de sûreté.
8) Une refonte complète de la réglementation de
la sûreté des installations industrielles (en particulier
d'une façon urgente pour les installations nucléaires)
doit être faite. Jusqu'à présent ce sont les
industriels, les exploitants des installations qui fixent ces
normes de sûreté et qui ont la responsabilité
d'effectuer les mesures permettant de vérifier si les normes
sont respectées. Cela est inadmissible aurait dit Speedy.
Qu'en est-il de la sûreté ? Les Toulousains le savent
: une explosion un peu plus forte à l'AZF de TotalFina
et tout le stock de phosgène de l'installation SNPE du
voisinage était libéré dans l'atmosphère
en tuant une bonne partie des Toulousains et en envoyant les autres
remplir les hôpitaux. Où est la sûreté
pour ceux qui vont mourir de l'amiante ? Et les travailleurs du
nucléaire qui finiront leur carrière avec un douloureux
cancer. Toutes ces victimes des radiations dont peu pourtant osent
réclamer mais que sécurité sociale et justice
envoient promener en toute bonne conscience. Et les mineurs d'uranium
que les syndicats ne soutiennent pas lors d'une exigence de reconnaissance
en maladie professionnelle. Et ces Touaregs que Cogéma
et CEA ont condamnés à une mort quasi certaine dans
les mines d'uranium du Niger. On peut allonger la liste, les travailleurs
des industries à risque - chimiques et autres - font partie
des "dégâts du progrès" et les habitants
au voisinage des usines malsaines font aussi partie des victimes.
Speedy est prudent, voulant être efficace il commence en
douceur : faire la chasse à l'école buissonnière,
remplir les couloirs du métro et les bus de vigiles musclés,
poursuivre les SDF et les types paumés, virer les Africains
(mais pas tous sinon il y aurait de graves problèmes dans
certaines industries et il faut penser à tous ces "intervenants"
qu'il faudra mobiliser s'il y a un désastre nucléaire,
ceux-là on les expulsera après, pour qu'ils meurent
tranquillement chez eux, il faut être humain !)
Ira-t-il plus loin ? Osera-t-il briser la tranquillité
des industriels ? Ne plus garantir l'impunité des responsables
administratifs (les préfets en particulier) qui ferment
les yeux alors que la sûreté n'est manifestement
pas assurée ou qui donnent sans réserves des dérogations
injustifiées légalement et tout se passe bien. Pourquoi
créer de l'angoisse chez les futures victimes bien avant
que les maladies ne les frappent.
Speedy nous donne des indices. Il intervient dans une réunion
à Bagneux en salle publique. Laquelle ? La salle Léo
Ferré ! Une de ses prochaines interventions publiques se
fera peut-être dans un lycée Jacques Prévert
? Est-ce un signe de son blues devant l'impossibilité qu'il
a très rapidement perçue d'assurer vraiment la sûreté
de la population et d'en être réduit à mettre
en place des leurres ?
Ce blues supposé de Speedy n'est qu'un fantasme. Ses apparitions
médiatiques montrent un individu sans soucis, sans remords.
Il n'a pas compris le slogan des années 80 "société
nucléaire, société policière".
A cette époque cela paraissait évident, la sûreté
des populations dans une société nucléarisée
(et la France est en tête) impose des contrôles policiers
efficaces. Sur ce plan Speedy est totalement inefficace, mais
ce n'est peut-être pas de sa faute. La société
dans son ensemble, angoissée par l'avenir qui l'attend,
se contente de leurres.
La classification hollywoodienne des shérifs ne colle pas,
il faut créer une troisième catégorie : des
shérifs non corrompus et qui veulent sincèrement
protéger les puissants pour le "bien" de la société,
pour éviter les "turbulences sociales" quelles
que soient les conséquences dramatiques pour les individus
lambda même si cela concerne des milliers de personnes.
Ces conséquences dramatiques il suffira de les classer
parmi les bavures.
C'est nous qui avons le blues, surtout pas Speedy !