Il existe depuis longtemps un mouvement antinucléaire sans que l'on sache très bien ce qu'il représente et quels en sont les fondements.
Première question : pourquoi faut-il
une action contre l'industrie nucléaire civile ?
Notre société industrielle est source de désastres
mais l'industrie nucléaire a initié dans le monde
industriel la possibilité de désastres exceptionnels.
Il est vrai que depuis quelques années l'industrie chimique
a fait d'énormes progrès concernant les conséquences
de ses accidents mais elle n'a pas encore atteint les possibilités
de l'industrie nucléaire. Un couplage nucléaire
- chimie pourrait prendre des proportions redoutables.
Deuxième question : en quoi l'industrie
nucléaire est-elle originale et justifie-t-elle une action
spécifique dans notre monde industriel ?
Au désastre nucléaire correspondent des problèmes
sanitaires dont l'importance n'a jamais été atteinte
par l'industrie chimique pourtant assez performante sur ce sujet.
Les accidents chimiques ont été suffisamment fréquents
pour qu'on les intègre dans la gestion sociale. Le désastre
nucléaire introduit des nouveautés, il contamine
une vaste surface de territoire et ses effets sanitaires les plus
profonds ne sont pas immédiats mais apparaissent après
quelques années (effets de morbidité très
variés -comme ceux qui sont observés dans les zones
étendues contaminées par Tchernobyl en Biélorussie,
en particulier chez les enfants) et concernent des millions de
personnes. Ces effets soulèvent des problèmes quasi
insolubles : il faudrait évacuer très très
rapidement un nombre énorme d'habitants, ce qui est matériellement
impossible. Concernant la contamination des sols et ses conséquences
sur les produits agricoles, impossible de déclarer hors
activité productive pendant des siècles une partie
importante du pays.
Cela suppose bien sûr une modification de notre démocratie.
Passant d'un simulacre bien accepté par les citoyens, il
sera nécessaire de mettre en place une organisation autoritaire.
Cela est clairement exprimé par les sociologues spécialistes
de la gestion post accidentelle : l'important est d'éviter
les turbulences sociales ce qui implique logiquement la maîtrise
des turbulents et en cas de désastre nucléaire nous
serons tous considérés comme des turbulents.
Troisième question : sur quoi doit
se fonder l'activité antinucléaire ?
Si l'on tient compte de l'ampleur d'un désastre nucléaire
possible sur une de nos centrales il paraît évident
que ce sont les conséquences de ce désastre qui
doivent fonder l'argumentation antinucléaire. L'accident
pouvant survenir à n'importe quel moment, c'est l'urgence
de la mise hors la loi de cette industrie qui doit être
la motivation première.
Quatrième question : peut-on se passer
très rapidement de notre énergie électronucléaire
?
La France est exceptionnelle dans le monde avec ses réacteurs
nucléaires fournissant près de 80% de l'électricité.
Mais EDF, organisme assez prudent, a gardé en réserve
des centrales thermiques classiques (essentiellement charbon et
fioul, peu de gaz). La mise en fonctionnement de 4 réacteurs
de 1450 MWe (Chooz et Civaux) qui, après plusieurs années
de cafouillage commencent à être producteurs, conduit
à une surcapacité encore plus élevée
et les nucléocrates d'EDF cherchent la façon la
plus efficace de mettre hors jeu ces centrales non nucléaires
qui sont peu utilisées, sauf en cas de demande électrique
importante comme en période de pointe hivernale. L'utilisation
à plein rendement de ces installations permettrait de mettre
à l'arrêt un bon paquet de réacteurs nucléaires.
Ne pas protester quand EDF commence à les démanteler
comme le font les antinucléaires BCBG c'est se rendre complices
des nucléocrates d'EDF.
Cinquième question : mais ces centrales électriques
à combustibles fossiles sont-elles moins dangereuses que
les centrales nucléaires ?
EDF a développé depuis des années des centrales
dites "à charbon propre" beaucoup moins polluantes
que les vieilles installations. Les produits polluants restent
majoritairement dans les cendres, seul le gaz carbonique (gaz
à effet de serre) est rejeté. Arrive alors l'effet
de serre au secours des arguments pronucléaires. Or, la
production mondiale d'électricité nucléaire
ne représente qu'environ 6% de la production totale d'énergie
primaire et la production électronucléaire française
environ 1%. Si l'effet de serre est aussi redoutable qu'on le
dit la part de ce 1% ne changerait pas grand chose à l'effet
de serre. C'est un faux argument.
Sixième question : la mise hors la
loi des réacteurs nucléaires est-elle possible rapidement
?
Oui, par l'arrêt des exportations, l'utilisation maximale
de l'hydraulique et des centrales thermiques classiques, par l'arrêt
de l'autoconsommation des installations nucléaires comme
Eurodif, Melox, La Hague on peut arrêter dès aujourd'hui
70% du nucléaire français.
Cette mise à l'arrêt n'est pas un problème
de faisabilité industrielle mais un problème politique.
Ceux qui ont renoncé à exiger la mise à l'arrêt
immédiat de nos réacteurs en se réfugiant
derrière la formulation d'une décision rapide de
sortie différée, l'ont fait pour des raisons politiques.
Leur alliance avec des politiciens "antinucléaires"
qui ne pouvaient faire carrière qu'en s'alliant à
des partis pro-nucléaires leur ont imposé cette
stratégie stupide.
Comment faire admettre à la population que le nucléaire
est suprêmement dangereux si on n'exige sa suppression que
dans 20 ans ou 40 ans pour les derniers couplés au réseau
? L'argumentation de ces antinucléaires ne fait que rassurer
les citoyens en leur faisant croire que le nucléaire finalement
n'est pas si dangereux que ça puisqu'on l'accepte encore
pendant des dizaines d'années. En fin de compte cette argumentation
notamment celle du "Réseau Sortir du nucléaire"
est la meilleure que puisse trouver le lobby pro-nucléaire.
Certains antinucléaires (Greenpeace en particulier) ont
une argumentation assez curieuse : sortons dans 10, 20 ans, mais
en cas de catastrophe nucléaire nous pourrions sortir rapidement,
disent-ils. Or si l'on peut sortir rapidement après une
catastrophe c'est qu'on peut sortir avant ! En plus cet argument
ne tient pas debout car après une catastrophe on ne peut
plus sortir du tout. Peut-on gérer la situation post-catastrophe
sans électricité ?
Septième question : et les énergies
renouvelables dans tout cela ?
En 1973 lorsque le gouvernement a publié le programme électronucléaire,
les antinucléaires ne voulaient pas de cette énergie.
Il n'était pas question pour eux d'argumenter sur le type
d'énergie qu'il fallait développer. Pas d'énergie
nucléaire signifiait continuer à utiliser les combustibles
fossiles. Ainsi, si le mouvement antinucléaire avait été
victorieux nous aurions des centrales thermiques classiques à
la place des centrales nucléaires. C'est ce qui est arrivé
au Danemark, le champion écolo du non-nucléaire.
Ceux qui diabolisent le charbon et le fioul pour la production
d'électricité devraient se réjouir de l'échec
du mouvement antinucléaire des années 70 !
Quand on regarde les chiffres concernant la production d'électricité
en Europe on s'aperçoit que la production électrique
de l'ensemble (fossile+nucléaire) représente l'essentiel
de la production. Le choix est alors évident : pas de nucléaire
comme le champion écolo danois avec un record pour les
énergies fossiles ou pas de fossiles comme la France avec
son record nucléaire.
Au Danemark, s'il est exact que la production d'électricité
par les combustibles fossiles (thermique classique) baisse régulièrement
depuis 1996 il faut remarquer que jusqu'en 1999 le Danemark était
gros exportateur d'électricité et pour la
première fois en l'an 2000 le Danemark a importé
de l'électricité. En 2001 le solde export-import
n'est que légèrement positif.
Huitième question : comment l'antinucléaire
doit-il s'introduire dans la critique de notre société
?
L'activité industrielle de la société, la
façon dont elle s'exerce, méritent notre attention.
Faut-il faire de ces problèmes une priorité ? Faut-il
exiger un changement de société pour qu'on arrête
le nucléaire ?
La catastrophe nucléaire est assez novatrice car elle implique
une "gestion" à très long terme, gestion
qui nécessite l'accord (volontaire ou imposé) des
individus impliqués. La catastrophe nucléaire n'a
pas seulement des conséquences sanitaires mais aussi des
conséquences sociales. Elle précipite notre société
dans la servitude. Le simulacre de démocratie qui permet
à notre société d'être "acceptable"
ne peut continuer telle quelle pour gérer les suites d'un
désastre nucléaire.
Le problème que pose l'énergie nucléaire
ou, plutôt, l'opposition à cette industrie, n'est
pas de nécessiter un bouleversement de notre vie. Il ne
s'agit plus de transformer la société mais d'éviter
qu'après la catastrophe toute tentative de changement social
s'avère impossible.
Question aux "antinucléaires" :
Faut-il sortir le plus vite possible de l'électronucléaire
ou faut-il attendre 20-40 ans que nos réacteurs soient
en fin de vie ?
La mise en place, il y a quelques années, du Réseau
Sortir du Nucléaire pose un problème important.
Que signifie pour cette organisation "sortir" du nucléaire
? Il s'agit en clair d'une décision immédiate d'une
sortie différée. Comment veut-on que les citoyens
comprennent cette stratégie :
1) le nucléaire est particulièrement dangereux
et il faut l'arrêter.
2) Mais pas question de le faire avec les moyens disponibles
que l'on peut utiliser dès aujourd'hui, il faut attendre.
Ce qui signifie qu'il faut accepter le risque de désastre
nucléaire.
Pourquoi ? Les citoyens qui ont une certaine expérience
des magouilles politiques comprennent assez vite : nous voulons
sortir du nucléaire mais nous voulons appuyer le parti
politique écolo qui ne peut survivre, s'il s'agit d'avoir
des élus à tous les niveaux, qu'en s'alliant à
la gauche particulièrement pronucléaire. Ainsi les
"anti" et les "pro" nucléaires peuvent
s'entendre s'il ne s'agit pas d'exiger une sortie rapide.
Refuser une sortie immédiate du nucléaire avec les
installations à combustibles fossiles c'est aussi une façon
de se plier à une idéologie écologiste selon
laquelle notre société pourrait continuer, sans
grande perturbation, à consommer comme nous le faisons
mais avec des énergies douces. Ces écolos "antinucléaires"
se placent dans une perspective à long terme d'une modification
de notre société. Ils ignorent les problèmes
réels qui se posent et qui nous obligent à nous
positionner dans une perspective à court terme de survie
qui évidemment est un élément fondamental
de la vie à plus long terme
Dire que le nucléaire est dangereux et qu'il faudra attendre
20 à 40 ans pour en finir est complètement irrationnel.
Si d'après ces antinucléaires on peut attendre 20
ou 40 ans avant de se débarrasser des réacteurs
c'est que le danger qu'ils font courir n'est pas si grave que
cela. Alors si le danger n'est pas aussi grave que certains "paranoïaques
incompétents" le disent, pourquoi exiger un non renouvellement
du parc nucléaire ? Si les réacteurs ne sont pas
suffisamment dangereux pour exiger leur arrêt le plus rapidement
possible, pourquoi demander que ces réacteurs ne soient
pas remplacés en fin de vie ?
Le Réseau Sortir du Nucléaire a une politique tout
à fait irrationnelle et finalement rationnellement pronucléaire.
Roger Belbéoch