Non prise en compte d'incidents précurseurs, erreurs de conception, absence de pièces de rechange, incompétence de management, surmenage des équipes et rien dans les médias nationaux.
Lorsque nous avons édité le numéro
108 de la Lettre d'information du Comité Stop-Nogent
l'analyse de l'incident grave du 30 septembre 2005 ayant déclenché
un PUI (Plan d'Urgence Interne) n'était pas terminée.
Depuis, il y a eu d'autres incidents, la CLI (Commission Locale
d'information) s'est réunie le 7 décembre et la
CGT a donné une conférence de presse fin février.
Les nouveaux éléments qui sont apparus sont d'une
extrême gravité.
Lors de l'incident du 30 septembre sur la tranche 1 (non-fermeture
d'une purge du circuit secondaire en situation de redémarrage
avec inondation du local des armoires électriques ayant
entraîné des pertes de capteurs et en conséquence
le déclenchement intempestif d'automatismes dont l'arrêt
en urgence du réacteur et l'injection de sécurité),
l'analyse des causes met toute la responsabilité sur le
management. L'incident s'est produit lors du changement de quart,
alors que l'équipe sortante, débordée et
fatiguée après 9h30 de travail, devait passer les
consignes au quart suivant, tout en continuant à assurer
les opérations très complexes et délicates
imposées en situation de redémarrage.
Ainsi, dans un document EDF émanant du service «
sûreté-qualité » du site et transmis
par la CGT, on apprend que les conséquences potentielles
de l'incident « auraient pu remettre en cause un certain
nombre de lignes de défense prévues à la
conception et ceci pour un grand nombre d'arbres d'événements
étudiés dans les EPS » (études probabilistes de
sûreté). Si l'importance de la fuite n'était
que de 10 m3, provoquant des courts-circuits au niveau + 15 mètres,
une quantité d'eau supérieure aurait pu impacter
aussi les « tableaux source » au niveau + 8 mètres.
L'événement aurait pu être initiateur entre
autres, de rupture de tubes de générateur de vapeur
ou d'éjection de grappes de contrôle avec des moyens
de conduite indisponibles, l'indisponibilité de surveillance
de la moitié du coeur et de l'ébulliomètre
; et pendant 10 minutes, l'installation aurait été
totalement hors de contrôle.
Nogent-sur-Seine, armoire électrique et
sa protection contre les inondations, bâche en plastique
transparent sur le dessus et serpillières au pied.
On apprend aussi qu'une vérification de l'instrumentation
de contrôle commande des puisards du bâtiment-réacteur
et de celui des annexes nucléaires a été
réalisée pour la « première fois le
13 août 2005 ». Deux critères n'étaient
pas satisfaisants : mais l'équipe de travail appropriée
pour y remédier n'étant pas disponible, la réparation
a été reportée au prochain arrêt de
tranche. Il s'agissait en fait d'une inversion de câblage
!
Le syndicat CGT a aussi transmis des témoignages écrits
d'opérateurs qui prouvent que dans les conditions de travail
imposées, ils n'étaient pas en situation d'éviter
l'incident. Un autre travailleur témoigne que lors du déclenchement
du Plan d'urgence interne (PUI), le véhicule d'urgence
PUI/environnement n'était pas en état de fonctionner,
la batterie étant défectueuse. L'anomalie avait
pourtant été signalée à l'équipe
de management.
Dans la plupart des cas, le CHSCT (Comité hygiène
et sécurité et conditions de travail) avait déposé
des « droits d'alerte » et informé la direction
des situations défaillantes sans obtenir la prise en compte.
En consultant les rapports de l'autorité de sûreté
nucléaire et ceux de la DRIRE, on prend conscience de la
pauvreté de leurs textes, comme s'ils ne s'étaient
même pas donné la peine de lire les rapports des
techniciens d'EDF ou d'auditionner les opérateurs impliqués
dans les incidents. Ces gens-là sont soit totalement incompétents,
soit volontairement dissimulateurs des réalités
du manque flagrant de sûreté sur les sites nucléaires.
On peut prendre pour exemple quelques statistiques citées
lors de la conférence de presse de la CGT : pour le site
de Nogent il y a eu 135 incidents en 2005 dont 27 incidents significatifs...
le site de l'Autorité de Sûreté Nucléaire
(ASN) n'en référence que 4. Il est ainsi possible
de mesurer l'importance de la désinformation et de la dissimulation.
Autre exemple, lors de la réunion de la CLI du 7 décembre,
aucune information n'a été faite sur l'incident
détecté le 14 novembre : le réacteur 1, redémarré
le 10 octobre a fonctionné 32 jours avec une des deux voies
d'injection de sécurité (l'extincteur nucléaire
en cas d'urgence) en panne, suite à un mauvais branchement
après l'inondation de septembre. Une fois de plus, le circuit
n'avait pas été vérifié avant le redémarrage.
Lors de cette même CLI, il avait fallu faire le forcing
pour obtenir de la direction de la centrale qu'elle accepte de
livrer quelques informations sur l'éclatement le 22
novembre de la tuyauterie de refroidissement de l'alternateur
de la tranche 2. Trop stressé, un opérateur
a commis une erreur et envoyé dans cette tuyauterie prévue
pour fonctionner à une dizaine de bars une pression de
80 bars (voir photo).
Attentat ? non, salle des machines de la tranche 2 de Nogent-sur-Seine, après explosion de la tuyauterie GCA.
Autre dysfonctionnement, l'accident d'inondation
après rupture d'une tuyauterie sur la tranche 2 du 18 février
dernier (lire l'article suivant), avait été précédé
de signes précurseurs non pris en compte par le management
du site.
Certains ne vont présentement pas manquer de s'étonner
que la CGT, organisation totalement pronucléaire, en arrive
à « cracher dans la soupe » en déballant
publiquement des informations très graves sur les fréquents
manquements à la sûreté dans les centrales
nucléaires avec les conséquences possibles que l'on
imagine. Certains vont même prétendre que ce syndicat
aurait quelques « comptes à régler »
suite à la privatisation. Ils n'ont peut-être pas
tout à fait tort, c'est peut-être la goutte d'eau
qui a fait déborder le vase ; mais plus concrètement,
ces syndicalistes sont, de par leur attitude, leurs angoisses,
leurs convictions, sérieusement préoccupés
par la profonde détérioration de la sûreté
dans les installations nucléaires et dont la principale
cause est maintenant provoquée par le management où la productivité
et le rendement financier priment sur toutes autres considérations.
La direction de cette centrale s'enorgueillissait au début
des années 90 de produire 14 TWh net par an ; actuellement,
la production ne descend plus en dessous des 17 TWh. Chaque tranche
est arrêtée tous les 14 mois, alors que la gestion
avec du combustible enrichi à 4% d'uranium 235 par tiers
de coeur prévoyait au départ des cycles de combustible
de 18 mois.
Le cumul des infractions aux règles de sûreté
avec les altérations dues au vieillissement du matériel,
les anomalies génériques liées aux erreurs
de conception comme la non prise en compte des inondations internes,
entraîne des risques inadmissibles. La CGT faisant dans
la transparence, qui aurait pu le croire, il y a encore peu de
temps. Mais il semble que la désyndicalisation et l'altération
conséquente des conditions de travail ne laisse plus d'autre
choix que le déballage public des infractions graves de
leur employeur ; un acte professionnel grave qui peut justifier
le licenciement, voire des poursuites en justice pour violation
du secret professionnel.
Le syndicat profite quand même de l'occasion pour réclamer
la construction de nouveaux réacteurs, au prétexte
que les pertes de production induites par un respect minimum des
normes de sûreté pourraient placer le pays en situation
de pénurie d'électricité.
Jusqu'à la timide CFDT qui n'hésite pas à
avouer dans un tract du 2 mars, alors qu'elle « n'a pas
pour habitude de faire des déclarations publiques »,
qu'elle s'inquiète de la volonté de la direction
« de privilégier la production des mégawatts
au détriment de la sûreté et la sécurité
du personnel et des populations environnantes ».
Ces incidents sont rapportés sur le site Internet de
l'autorité de sûreté nucléaire, mais
de façon très minorée et sans aucune référence
à la responsabilité du management. Malgré
la gravité de la situation, il est scandaleux qu'aucun
média national ne s'en soit fait l'écho ; Libération
Champagne et L'Est Éclair ont publié
des articles plus descriptifs. L'un est diffusé à
8.000 exemplaires, l'autre à 30.000 et uniquement sur le
département de l'Aube. Aucun des deux n'est référencé
sur Internet. Lors de la conférence de presse de la CGT
de février, d'autres syndicalistes des centrales nucléaires
de la Loire et de celle de Chooz étaient venus soutenir
leurs collègues nogentais, arguant de faits similaires
sur leurs sites respectifs. L'Observateur de l'Aube du
15 mars 2006 sous le titre « Climat tendu à la
centrale » a indiqué les attaques discriminatoires
et diffamatoires complètement injustifiées visant
deux militants CGT.
De tout cela on ne trouvera aucun écho dans la presse nationale,
ni dans l'expression des partis politiques. Il est donc nécessaire
de conclure à une complicité tacite avec la direction
d'EDF. Dissimuler des problèmes graves de sûreté,
potentiellement initiateurs d'un accident catastrophique pour
ne pas altérer l'image de cette industrie, la productivité
et les valeurs en bourse des entreprises concernées est
significatif de la profonde dégradation des valeurs démocratiques
de la société.
Vers la fin des années 80, un début de transparence s'était manifesté
et les médias nationaux se faisaient partiellement l'écho
de nos révélations. Mais dès 1992, avec la
nomination d'un nouveau responsable de l'Autorité de Sûreté
Nucléaire et la mise en place de nouvelles méthodes
de management, la transparence commençait à s'estomper
et les médias se désintéressaient de nos
informations. Nous n'avons, nous-mêmes, pas assez pris en
considération le changement des méthodes de management.
Avec le temps, la recherche de productivité et sa réduction
des coûts à outrance devenait de plus en plus pressante
jusqu'à devenir à ce jour la plus grave des causes
d'incidents dans les installations nucléaires. Il faut
dire que la sûreté et la transparence ont un coût
; ainsi, au début des années 90, le coefficient
de production « kp » du parc nucléaire d'EDF
était devenu l'un des plus bas du monde avec un taux d'environ
66%. Ce coefficient de production est le rapport entre l'électricité
produite pendant l'année et la production fictive que l'on
pourrait obtenir si les installations fonctionnaient à
pleine puissance 24 heures par jour et 365 jours par an (soit
8760 heures).
Après la publication des rapports falsifiés sur
les conséquences sanitaires de Tchernobyl par l'ONU, l'OMS, l'UNSCEAR, l'AIEA,
les programmes Ethos et Core et le programme SAGE en cours
prévoyant l'alimentation des populations
avec de la nourriture contaminée en cas de catastrophe, nous assistons actuellement
à la mise en place d'une haute autorité de sûreté,
totalement irresponsable d'après ses statuts, mais qui
a l'avantage d'extraire totalement le Président de la République,
le gouvernement et les parlementaires de toutes responsabilités
en cas de catastrophe. Curieusement, « communication »
oblige, ceci nous est présenté comme une nouvelle
loi sur la transparence. C'est une confirmation de la loi de 68
qui impute, en cas de catastrophe nucléaire, une responsabilité
« limitée » au seul exploitant, protégeant
ainsi de toute culpabilité le constructeur, les prestataires
et sous-traitants, l'Autorité de sûreté et
ses experts, l'administration, les Drire, préfets, gouvernement
et parlementaires. La loi fut modifiée en 1990. Les principes
de 1968 furent intégralement maintenus, seuls les montants
de la responsabilité financière furent réajustés
: 600 millions de francs pour les exploitants nucléaires,
2,5 milliards de francs complémentaires pour l'Etat (cf
R. Belbéoch « L'énergie nucléaire et la démocratie
», Lettre d'information 93/94 juillet-octobre 2002).
20 ans après Tchernobyl, la catastrophe nucléaire
est maintenant une affaire parfaitement rodée.
Claude Boyer,
extrait de la lettre d'information n°109/110 du Comité
Stop Nogent-sur-Seine.
La CGT interpelle la population Le site web donne de nombreuses informations sur les récents incidents à Nogent et les alertes du CHSCT (Commission d'hygiène et sécurité et des conditions de travail) qui existe dans chaque entreprise. Et les médias nationaux n'ont pas rendu compte des nombreux incidents et des conditions de travail mettant en cause la sécurité et la sûreté dans les centrales nucléaires... |