La Recherche publie, dans son n°301 de septembre 1997, un article relativement bien documenté de Ghislain de Marsily (1) sur le stockage des déchets nucléaires retraités de haute et moyenne activité. L'auteur y démontre qu'aucun conteneur n'est en mesure de maintenir en parfaite étanchéité de tels déchets au-delà de quelques siècles. Le problème est de taille, car à l'horizon de leur durée de vie, de l'ordre du million d'année pour certains, quel que soit le site d'enfouissement profond (argile, roche dure ou sel), et du fait de l'irréversibilité du procédé, les radioéléments migreront dans les roches puis l'environnement et empoisonneront l'existence des espèces et populations qui succéderont à notre ère nucléaire. L'auteur précise aussi qu'il ne saurait être question de stocker en surface bien que cette méthode permette en principe la réversibilité. En effet, nul n'a besoin d'être spécialiste pour comprendre qu'une bombinette artisanale de type Hiroshima larguée sur La Hague apporterait une pollution d'un bon millier de fois l'équivalent de Tchernobyl. Et notre expert de démontrer que l'enfouissement sous une couche d'argile de 100 mètres d'épaisseur au fond des océans offrirait une garantie de moindre dispersion du poison. Cette solution étant déjà reconnue totalement immorale au niveau planétaire, cela nous permet de mieux placer l'enfouissement profond au rang des procédés les plus inacceptables dans l'échelle des valeurs morales pour résoudre ce problème.
Devant l'impasse du stockage définitif des déchets retraités le non retraitement des combustibles, associé à un stockage réversible et dispersé, peut paraître comme un moindre mal. C'est d'ailleurs la solution adoptée par la plupart des pays nucléarisés, et, stupéfaction, par la France. Incroyable non! Pourtant les chiffres sont là : sur 12000 tonnes de combustibles irradiés dans les réacteurs d'EDF, 2500 seulement ont été retraitées, à peine un peu plus d'une sur cinq. Vu le coût du retraitement et les problèmes liés à la réutilisation du plutonium, l'électricien français préfère laisser ses combustibles en l'état, stockés provisoirement dans les piscines des réacteurs ou celles de la Cogéma. À ce jour, La Hague a donc servi principalement à aider les électriciens étrangers à remettre à plus tard leurs problèmes de déchets.
L'orientation générale du mouvement, y compris pour la France (qui ne dit mot sur cette question), consisterait donc à stocker dans des châteaux ad hoc, conçus pour ne pas diffuser les rayonnements, tout en permettant à la chaleur de s'évacuer. Là, deux variantes : stockage en surface ou à faible profondeur, réversible, dans des enceintes ordinaires avec des conteneurs de top niveau, ou stockage dans des enceintes de top niveau mais avec des châteaux de technologie moins évoluée. Durée d'efficacité prévue de ces procédés : un siècle dans le premier cas, la moitié dans le second. Une troisième variante existe sur le marché, le stockage à sec dans des composants borés. En l'absence d'eau, les composants se dégraderaient moins, ce qui permettrait aux conteneurs de garantir une étanchéité plus longue d'un siècle ou deux. Quoi qu'il en soit, ces solutions ne sont que provisoires, et nos successeurs devront reprendre nos déchets pour les reconditionner tous les siècles environ, pendant des milliers de siècles; solution moralement inacceptable, d'autant plus que d'ici là, les réserves d'uranium seront largement épuisées.
Nos experts français ont cru un temps détenir la solution : la réutilisation des combustibles triés dans des réacteurs à neutrons rapides censés mieux brûler le plutonium et autres transuraniens qui se forment dans les réacteurs, et, en prime, fertiliser l'uranium 238 pour en faire des atomes fissiles, multipliant ainsi les réserves de ce métal par 60. Tel était le rôle de Superphénix, champion des champions, preuve évidente de la nette supériorité de la France dans ce domaine. En 11 ans il aura fonctionné moins d'un an d'équivalent pleine puissance et consommé globalement plus d'énergie qu'il n'en a produit. Déclassé par décret, après enquête d'utilité publique "bidon", du rang de présérie industrielle en laboratoire de recherche, tâche qu'il était par ailleurs incapable d'assumer, il aura coûté quelques 60 milliards de francs, chiffre officiel de la Cour des comptes. Cependant, comme précisé par les auteurs, cette somme ne tient pas compte des frais d'études, évalués d'après Rouvillois (2) en 1988 à 27 milliards, à réévaluer en francs de 97. Pas de prise en compte non plus des indemnités versées aux communes riveraines en compensation de la taxe professionnelle défaillante; et les 30 milliards, coût à vue de nez du futur démantèlement. Pire, les promoteurs de Superphénix n'ont pas été capables de reconnaître l'échec de ce projet. C'est compréhensible car il n'est pas agréable de se déjuger publiquement en prenant une décision de déclassement pour raison technique. Il a fallut attendre l'arrivée d'une ministre Verte au gouvernement pour prendre une décision politique, ce qui va permettre aux co-actionnaires de la Nersa de réclamer contractuellement les lourdes indemnités d'usage en pareil cas. Échec scientifique et technologique total, mais aussi gouffre financier sans précédent dans ce genre d'aventure.
Croyez vous qu'ils aient compris la leçon? Et bien non! Les v'là ti pas repartis, bille en tête, dans le projet Capra, et de nous garantir que d'ici un demi-siècle ça sera au point. En couplant du point de vue combustible 7 réacteurs à eau pressurisée avec deux autres chargés en Mox et un Capra, ils osent nous affirmer cette fois qu'ils vont être capable de brûler la presque totalité du plutonium et des actinides mineurs, de transformer les déchets en combustibles. Mieux, grâce au retraitement poussé et à la séparation isotopique poussée, ils espèrent réintroduire dans Capra les produits de fission à vie longue (3), pour leur faire ingurgiter des neutrons supplémentaires afin de les rendre stables. In-croy-able!!!!!!! Les études sur la "transmutation" ont été réalisées de longue date. Tout physicien à peu près informé sait que la section efficace de capture d'un neutron par un noyau instable de produit de fission ou d'activation est dérisoire ; en conséquence une infime partie de telles substances réintroduites dans un rapide redeviendrait stable. La transmutation est, certes, une réalité physique, mais son utilisation à échelle industrielle se heurte à un obstacle fondamental et rhédibitoire. Les nucléaristes qui prétendent le contraire sont au mieux des rêveurs optimistes impénitents, mais plus vraisemblablement des crapules. Quand les politiciens, voire certains antinucléaires, nous font l'apologie de la transmutation, ces gens-là sont dangereusement naïfs. Certes, on peut comprendre leurs sentiments de culpabilité. Ils appartiennent, tout comme nous, à une société qui a produit, produit et produira encore l'inadmissible, des déchets qui empoisonneront les sociétés futures pour au moins un million d'années, et pour lesquels il n'existe aucune solution. Certes, ils rêvent, ils affabulent, ils inventent des procédés à cent lieues des lois fondamentales de la physique pour échapper à l'oppression de leur sentiment de culpabilité. C'est leur affaire si ça les soulage. Mais diffuser publiquement ce genre de propagande, faire croire aux autres qu'une solution est possible, crédibiliser les thèses nucléaristes, est un comportement totalement opposé aux idéaux qu'ils prétendent défendre.
Ce n'est pas tout, dans le genre délire il y pire. On avait déjà eu droit au programme spatial pour envoyer les déchets dans le soleil, à l'introduction dans les plaques plongeantes des zones de subduction au fond des océans, au stockage dans les calottes polaires pour mieux refroidir, dans les déserts pour mieux éloigner des populations (dommage qu'il n'y ait pas de zone de subduction dans le désert mongol et qu'il ne soit pas recouvert d'un glacier!). Mais la perle du genre est sortie voici un an : la spallation, encore appelé le Rubbiatron du nom de son gourou italo-français, ou encore projet Bowman outre-Atlantique. Dans une cuve de réacteur de 600 MW (thermique ou électrique, ce n'est pas précisé), remplie de plomb fondu choisi pour sa faible capacité à réagir aux neutrons, circulent dans des gaines les matières fissiles, dans d'autres des matières fertiles, dans d'autres encore des produits de fission ou d'activation à transmuter, tous à l'état de sels fondus. Dans la cuve, plonge le canon d'un accélérateur qui bombarde le plomb de protons, lequel crache des neutrons sur les gaines de produits fissiles-fertiles-produits de fission. Même que la réaction est sous-critique et ne risque pas de s'emballer, garanti dans le texte. L'évacuation de la chaleur est passive, pas de pompe (quand on sait que dans un réacteur de 1300 MW circulent 25 m3 d'eau par seconde pour évacuer l'énergie). Les produits en sel fondu circulent de l'intérieur de la cuve vers l'extérieur. En ligne sur le circuit, une chaîne de séparation chimique avancée pratiquant une séparation parfaite de tous les éléments (on arrive difficilement à séparer le plutonium de l'américium aujourd'hui). Mieux encore, en ligne sur tout ceci, une chaîne de séparation isotopique avancée pour ne pas réintroduire d'éléments stables dans le circuit et réinjecter chaque sel dans les bonnes gaines; oui - oui, une chaîne par élément! Un super "La Hague" doublé d'un super "Eurodif" par réacteur et le tout miniaturisé. Incroyable! Il n'est pas précisé si l'installation produirait plus d'énergie qu'elle n'en consomme ou inversement, ni quel pourrait être son prix. Mais on nous affirme que ce procédé nous approvisionnera en électricité pendant "cent mille ans" (100000 ans). Absolument incroyable. Les scénaristes d'"X-files - aux frontières du réel" après une nuit entière à fumer des pétards n'auraient pas pu trouver plus délirant.
1) Directeur du laboratoire de géologie appliquée
de l'Université Paris VI, membre de la commission nationale
d'évaluation de la recherche sur la gestion des déchets
radioactifs à haute activité et vie longue.
2) Ancien patron de la SNCF et futur patron du CEA à l'époque
des faits. (Le
rapport qui dérange - Guillaume, Pellat et Rouvillois, 1989)
3) Sélénium 79 : 70000 ans, Zirconium 93 : 1,5 million
d'années, Technétium 99 : 210000 ans, Palladium
107 : 6,5 millions d'années, Antimoine 126 : 100000 ans,
Iode 129 : 15,7 millions d'années, Césium 135 :
2 millions d'années (période = réduction
d'activité de moitié, puis la moitié de ce
qui reste la période suivante, etc.).
Lettre d'information du Comité
Stop
Nogent-sur-Seine n°77,
juillet/septembre 1997.