Brise-glaces nucléaires

Extrait Gazette Nucléaire n°302, mai 2024:

En Russie, plusieurs brise-glaces disposent d'une propulsion nucléaire, chaque navire étant équipé de deux SMR à eau sous pression. Dérivés de la même technologie, les russes ont également eu une idée de barge (flottante) avec deux SMR installés sur l'Akademik Lomonosov en Sibérie. [...]

Dans les années 1950, comme les USA, l'URSS s'est lancée dans la propulsion nucléaire pour équiper des sous-marins mais également un bâtiment civil capable de naviguer dans l'arctique avec plusieurs mois d'autonomie. L'Institut français des relations internationales nous l'explique :

« Simultanément à la réalisation de réacteurs pour des sous-marins, l'URSS développa un réacteur pour équiper un brise-glace, le Lénin [Cf. photo ci-contre]. Introduit en septembre 1959, il fut à la fois le premier navire de surface et le premier navire civil au monde à être équipé d'une propulsion atomique. Le Lenin était doté de trois REP OK-150 de 90 MWth environ, tous trois situés dans un même compartiment. Ces réacteurs furent également l'objet de deux accidents graves, l'un conduisant à une fusion partielle d'un coeur suite à une erreur humaine entraînant une fuite du réfrigérant primaire (1965), l'autre étant la conséquence des dommages engendrés sur la protection neutronique et sur l'un des réacteurs pour localiser une fuite primaire (1967). À la suite de ce dernier accident, l'ensemble du compartiment réacteurs fut remplacé en 1970 avec deux nouveaux réacteurs de seconde génération, OK-900, de 159 MWth chacun.[...]

Le brise-glace Lenin fut suivi d'une série de six brise-glace de classe Arktika, d'une puissance de 159 MWth, puis par la série des brise-glace classe Taymyr pourvus d'une nouvelle génération de réacteurs, KLT-40 de 171 MWth, comme le fut l'unique cargo conçu en URSS, le Sevmorput » [IFRI n°66, novembre 2023]. Le KLT-40 est un petit REP traditionnel avec quatre générateurs de vapeur raccordés à la cuve.


Brise-glaces Lénine (motherhouse.ru)

Si cet été une croisière vous tente sur un brise-glaces équipé d'une propulsion nucléaire, c'est possible. Mais attention, prévoyez de faire chauffer la Carte bleue. Le tour opérateur Baïkal Nature propose une « croisière au pôle nord » de « 13 jours » à bord du « 50 ans de Victoire » avec des « prix à partir de 29 690 Euros» [baikalnature.fr].

Pour la nouvelle classe de brise-glaces nucléaires (classe Arktika II), la Russie a en projet de développer un réacteur intégrant les générateurs de vapeur dans la cuve. Nom de code : RITM-200M. « La série RITM adopte un coeur d'assemblages faiblement enrichi similaire au KLT-40S » d'une puissance de 175 MWth délivrant 50 MWe [AIEA, 2022].

 

 

Novosti, 3/12/2004:
(Photos rajoutées par Infonucléaire, et légende des photos à partir de motherhouse.ru)

La flotte nucléaire civile russe a 45 ans

MOURMANSk - Ce vendredi la Flotte nucléaire civile russe marque son 45e anniversaire.

Le navire mesurait 134 mètres de long, 27,6 mètres de large et 16,1 mètres de haut. Il avait un déplacement de16 000 tonnes et pouvait atteindre une vitesse de 18 noeuds.

Le 3 décembre 1959 les couleurs nationales ont été hissées sur le premier brise-glace atomique du monde "Lénine", raconte le porte-parole officiel de la Compagnie de navigation de Mourmansk. "Pendant trente ans le navire n'a fourni à personne le moindre prétexte pour douter de sa capacité inédite de surmonter la banquise dans les dures conditions de l'Arctique", a-t-il poursuivi son récit. Les ingénieurs et les constructeurs ont créé un navire qui ne demandait pas un rodage durable. Il était prêt à être normalement exploité dès son premier trajet.

En octobre 1961, il a assuré le premier débarquement d'une station polaire en dérive (SP-10) sur la banquise dans les environs de l'île Wrangel. En mai 1971, pour la première fois depuis le début de l'exploration de l'Arctique, le brise-glace a parcouru le trajet de Mourmansk à l'Extrême-Orient en contournant par le nord toutes les îles de l'Eurasie. En avril 1976, le "Lénine" a conduit le motorship "Pavel Ponomarev" jusqu'à la presqu'île de Yamal où a été réalisé le premier débarquement sur la glace côtière. Pour la première fois la navigation arctique a été commencée trois mois avant que d'habitude.

Le "Lénine" premier brise-glace à propulsion nucléaire de l'URSS en service pendant 32 ans. Deux accidents s'y sont produits (voir article de Bellona ci-dessous). Le premier a eu lieu en 1965. En conséquence, le coeur du réacteur a été partiellement endommagé. Pour éliminer les conséquences de l'accident, une partie du carburant a été placée sur une base technique flottante, et le reste a été déchargé et placé dans un conteneur. Le deuxième en 1967, le personnel technique du navire a enregistré une fuite dans la canalisation du troisième circuit du réacteur. En conséquence, tout le compartiment nucléaire du brise-glace a dû être remplacé et l'équipement endommagé a été remorqué et inondé dans la baie de Tsivolki.

Les brise-glace atomiques qui ont suivi le "Lénine" ont également réalisé des progrès notables. En août 1977, le "Arktika", brise-glace de la deuxième génération, a atteint le point géographique du pôle Nord, performance qu'aucun navire de surface n'a pu réaliser avant lui.

Le "Arktika" - 1975 (ou Leonid Brejnev de 1982 à 1986) mesure 147,9 m de long et 29,9 m de large avec un déplacement de 23 460 tonnes. Le projet comprenait initialement la possibilité de convertir rapidement le navire en un croiseur de combat auxiliaire capable d'opérer dans des conditions polaires (possibilité due en grande partie grâce une puissance accrue, lui permettant de surmonter la glace jusqu'à 2,5 m d'épaisseur). Entre 1977 et 2007, cinq autres navires à propulsion nucléaire ont été construits au chantier naval de la Baltique de Leningrad (plus tard Saint-Pétersbourg). Tous ces navires ont été conçus selon le type "Arktika", et aujourd'hui deux d'entre eux - "Yamal" et "50 Years of Victory" continuent d'ouvrir la voie à d'autres navires dans la glace sans fin près du pôle Nord.

Yamal" et "50 ans de victoire", deux brise-glaces nucléaires avec une centrale nucléaire à deux réacteurs d'une capacité de 75 000 ch, les brise-glace sont spécialement peints en rouge foncé afin qu'ils puissent être clairement vus dans la glace blanche.

La flotte atomique a permis de prolonger de cinq à dix mois la navigation dans l'Arctique et d'augmenter le trafic de 36 fois pendant la période hivernale. En mai 1978, les brise-glaces "Sibir" et "Lénine" (atomiques) et "Kapitane Sorokine" (classique) ont inauguré la navigation non stop entre Mourmansk et Doudinka pour approvisionner le complexe métallurgique de Norilsk situé au-dessus du cercle polaire.

Le "Sibir" (Sibérie - 1977).

En 1987, le "Sibir" a effectué un trajet sans précédent dans les hautes latitudes pour prendre à bord le personnel de la station scientifique en dérive SP-27 et en déployer une autre, SP-29, avant d'atteindre le pôle Nord à des fins scientifiques. En août 1990, le navire atomique "Rossia" a déposé au pôle Nord les premiers touristes étrangers.

Le "Rossia" (Russie - 1985)

Par la suite, d'autres navires, le "Sovietski Soyouz" et le "Yamal", ont effectué jusqu'à cinq croisières touristiques chaque été dans cette région de la planète. "Pour mettre en valeur ses richissimes ressources naturelles, la Russie qui possède la côte arctique la plus étendue du monde, n'avait pas d'autre choix que de créer une flotte capable de défier l'élément naturel le plus sévère.

Le Sovetskij Sojuz.

Et voilà que les 45 ans de son exploitation ont confirmé que cette stratégie s'est pleinement justifiée", a souligné le porte-parole de la Compagnie de navigation de Mourmansk.

Le "Lénine" en 1989, après 30 ans de service, mis hors service est devenu un musée à Mourmansk.

A l'heure actuelle, des travaux de réfection sont en cours sur le premier brise-glace atomique "Lénine" qui sera transformé en un musée d'exploration de l'Arctique et de la Voie maritime du Nord. Il sera immobilisé pour toujours en novembre 2005. Outre le musée, il abritera un Centre analytique de sécurité radiologique et un Centre d'affaires.

Ekaterina Kozlova


Bellona, 20 juin 2003:

Brise-glace nucléaire Lénine

Le premier brise-glace nucléaire au monde, Lénine, a été en service de 1959 à 1989. Durant cette période, il y a eu deux accidents graves à bord.

Photo rajoutée par Infonucléaire.

La première unité de propulsion nucléaire (OK-150) sur Lénine disposait de trois réacteurs à eau sous pression (REP) identiques avec une puissance calorifique maximale de 90 MWt. La puissance à l'arbre était de 44 000 chevaux. L'uranium enrichi était utilisé comme combustible (la teneur en U-235 équivalait à 85 kg) et l'eau distillée était utilisée comme modérateur et pour le transfert de chaleur. Le coeur du réacteur mesurait 1,6 mètre de haut et mesurait un mètre de diamètre. 7 704 broches combustibles dans 219 assemblages combustibles.

Il y a eu deux accidents à bord du brise-glace nucléaire Lénine. La première a eu lieu en février 1965, alors que Lénine était en réparation et en ravitaillement en carburant. Le navire a subi de graves dommages mécaniques au niveau des assemblages combustibles, dont certains ont été brisés en deux morceaux, et ont été détectés lors du déchargement du combustible du réacteur numéro deux. Environ 95 assemblages de combustible nucléaire usé ont été transférés sur le navire de service nucléaire Lepse et le déchargement a ensuite été interrompu.

Après avoir étudié les raisons pour lesquelles les assemblages de combustible nucléaire usé étaient déformés, il a été établi que les exploitants du réacteur nucléaire avaient commis une erreur en laissant le coeur du réacteur sans eau de refroidissement. La déformation partielle des assemblages combustibles était due à une surchauffe du coeur du réacteur. Environ 60 % des assemblages ont été endommagés.

Il a été décidé de décharger les 124 assemblages de combustible nucléaire usé restants ainsi que les barres absorbant les neutrons et la grille de contrôle.

Un fût spécial a été construit à terre pour mettre en oeuvre cette opération. Une partie du réacteur contenant du combustible nucléaire usé (SNF) a été placée dans l'emballage et remplie de matières solidifiantes à base de furfurol. Ce fût a ensuite été stocké pendant deux ans. En 1967, il a été rechargé sur un ponton, remorqué par un remorqueur jusqu'à la côte est de l'archipel de Novaya Zemlya et déversé dans la baie de Tsivolki.

Le deuxième accident à bord du Lénine a eu lieu en 1967, lorsque le système de canalisations du troisième circuit a provoqué une fuite suite au chargement de combustible nucléaire neuf. Dans ce cas, il a fallu ouvrir la protection biologique du compartiment réacteur afin de localiser la fuite. Cette protection était constituée de béton mélangé à des copeaux de métal et nécessitait l'utilisation de masses pour percer le bouclier, ce qui a entraîné d'autres dommages à l'installation du réacteur. Après un examen ultérieur, il est devenu clair qu'il serait impossible de réparer les dommages causés à l'installation du réacteur par les masses.

À cette époque, un modèle amélioré de l'installation du réacteur, l'OK-900, était presque terminé. L'échec de la réparation du système de refroidissement a entraîné le remplacement de l'ensemble du réacteur du Lénine et, par conséquent, l'ensemble du compartiment du réacteur de 3 500 tonnes, y compris les générateurs de vapeur et les pompes, a dû être supprimé. L'un des réacteurs de l'installation OK-150 endommagée ayant été récemment chargé de combustible neuf, il a été décidé de retirer tous les assemblages et d'envoyer le combustible nucléaire au fabricant. Cependant, les surfaces internes et externes des assemblages présentaient des niveaux importants de contamination radioactive ; tous les assemblages ont donc été démontés et les éléments combustibles ont été retirés (36 éléments combustibles dans un assemblage). Ensuite, les éléments contenant du combustible nucléaire frais ont été décontaminés à l'aide de solutions chimiques et soigneusement essuyés. Ce n'est qu'alors qu'ils ont été envoyés à l'usine de fabrication.

Le SNF des deux autres réacteurs a également été chargé sur le navire de service nucléaire Lepse. L'installation du réacteur elle-même était remplie d'une matière solidifiante à base de furfurol. Des découpes spéciales ont été réalisées autour de l'installation du réacteur et dans la coque du brise-glace. Après cela, Lénine a été remorqué jusqu'à la baie de Tsivolki (archipel de Novaya Zemlya). L'installation du réacteur a ensuite été préparée pour être immergée dans la baie. Les traverses fixant toute la construction de l'installation étaient remplies d'explosifs. Les explosifs ont ensuite explosé et la construction du réacteur s'est séparée de la coque du brise-glace et a coulé à une profondeur de 40 à 50 mètres.

Le brise-glace a ensuite été remorqué jusqu'au chantier naval Zvezdochka à Severodvinsk, dans le comté d'Archangelsk, où le navire est resté du 12 décembre 1967 jusqu'en mai 1970, pendant l'installation d'une nouvelle installation de réacteur OK-900. Les opérations de démantèlement de la centrale nucléaire OK-150 ont été réalisées au chantier Zvezdochka à Severodvinsk et ont duré 38 mois. L'opération comprenait les deux étapes suivantes :

- démontage du générateur du 19 avril au 12 décembre 1967. Cette opération a été réalisée selon les directives élaborées par le bureau d'études central Aisberg. Le générateur avec protection biologique a été retiré par la cale du navire directement dans une zone de déversement (baie de Zivolki, Novaya Zemlya). Le poids total du matériel déversé était de 3 500 tonnes.

- l'installation et les tests du nouveau générateur OK-900 ont été effectués du 12 décembre 1967 au 20 juin 1970.

La centrale nucléaire OK-900 comptait deux réacteurs avec quatre générateurs de vapeur et quatre pompes de circulation primaires. Le premier réacteur OK-900 est entré en service le 22 avril 1970 et le deuxième réacteur a démarré le 23 avril de la même année. Les opérations de réparation et de préréglage ont duré jusqu'au 20 juin 1970. La centrale nucléaire OK-900 est ensuite restée en activité jusqu'à la mise hors service de Lénine en 1989. Le combustible nucléaire usé a été retiré des réacteurs en 1990.

Au cours de la seconde moitié des années 1990, des opérations de contrôle ont été réalisées sur les canalisations des générateurs de vapeur sous forme de découpe d'échantillons métalliques à des fins d'essais. Les résultats de ces tests seront appliqués au développement de solutions visant à prolonger l'utilisation active des centrales électriques à bord des navires nucléaires.

Le brise-glace nucléaire Lénine est actuellement amarré dans le port de Mourmansk, situé à 1 km du centre de la ville. Au début de l'année 2000, il a été décidé de créer un musée à bord du brise-glace qui serait amarré dans le port de Mourmansk. Ce projet coûtera plus d'un million de dollars ; le budget fédéral pour l'année 2000 a alloué à cet effet 500 000 roubles (l'équivalent d'environ 18 000 USD).