Le Parisien, 8 novembre 2016 :
Le passant qui longerait le haut mur qui borde
l'avenue de la Convention, à Arcueil, sans y prêter
attention n'aurait aucune chance de deviner ce qui se cache derrière.
Tout juste pourrait-il se douter du caractère sensible
des lieux, en apercevant les barbelés qui ornent le haut
de la façade. C'est en effet là que, dans les années
30, Marie Curie a installé ses laboratoires, avant que
l'Institut de physique nucléaire de la faculté des
sciences de Paris et Orsay, puis la Fondation Curie-Institut du
radium n'y mènent leurs propres études radio chimiques.
Abandonné en 1978, le site fait, depuis 1991, l'objet d'une
procédure de décontamination. Problème :
elle n'est toujours pas terminée, et sa date d'achèvement
n'en finit pas d'être repoussée.
« Il s'agit d'opérations très complexes, indique
l'équipe municipale. Les déchets qui s'y trouvent
sont très anciens, et consistent en des mélanges
effectués par des chercheurs. C'est très compliqué,
techniquement. L'an passé, un appel d'offres a été
lancé, concernant l'enlèvement de ces résidus
chimiques. Mais la procédure a encore été
retardée, après qu'il a été jugé
infructueux par les services du rectorat. » Propriétaire
des lieux, ce dernier ne semble pas pressé de dresser le
bilan des opérations de décontamination en cours.
Ses services renvoient vers ceux de la préfecture, et réciproquement.
Consciente du caractère anxiogène de la question,
la mairie a impulsé la création d'une commission
de suivi, en 2013. Composée de représentants de
l'Etat, des maires et conseillers municipaux d'Arcueil et Cachan,
de riverains et d'acteurs associatifs, elle se réunit une
fois par an. « Les analyses des eaux souterraines effectuées
depuis au moins trois ans prouvent par ailleurs que leur qualité
est bonne, poursuit la municipalité d'Arcueil. Elles seraient
potables, même si bien sûr, elles ne finissent pas
dans les canalisations des riverains ! Quant aux mesures dosimétriques,
chargées d'évaluer la radioactivité des lieux,
elles indiquent toujours des taux normaux. »
Marie-Charlotte Dutheil
Le Parisien, 8 juin 2010:
C'est dans les années 1930 que Marie Curie installe ses laboratoires en plein centre-ville d'Arcueil. Dans ce laboratoire, elle va extraire des radioéléments naturels à partir de minerais d'origines diverses qui sont régulièrement importés par camions. Par la suite, l'Institut de physique nucléaire de la faculté des sciences de Paris et Orsay y effectue des recherches avant que la Fondation Curie-Institut du radium ne prenne sa place pour ses propres études radiochimiques. En 1978, les locaux sont abandonnés et mis sous surveillance. Dans les années 1980, le préfet du Val-de-Marne demande au propriétaire, qui est l'université Paris-VI, d'assurer la sécurité des lieux par une clôture interdisant toute intrusion et par un murage du bâtiment le plus contaminé. En 1991, puis en 2000, les 5400 m2 de terrain et les 500 m2 de bâtiments font l'objet d'une décontamination. Deux tonnes de produits chimiques sont enlevées mais des flacons et des fioles de produits chimiques et radioactifs continuent à dormir dans un souterrain inaccessible. Mais la décontamination coûte cher et, ni le ministère de l'Education nationale, ni celui de l'Environnement ne débloquent les crédits nécessaires à l'opération. L'année dernière, une réunion publique avait permis aux riverains d'apprendre que la dépollution se poursuivait et devrait être achevée en 2012.
Question écrite n° 08952 de M.
Jean Desessard (Paris SOC-R)-
publiée dans le JO Sénat du 04/06/2009 page
1364
M. Jean Desessard attire l'attention de Mme la ministre de l'enseignement
supérieur et de la recherche sur la décontamination
de l'Institut du radium à Arcueil.
L'Institut du radium d'Arcueil est l'un des
plus importants sites radioactifs en milieu urbain de France.
Selon l'Agence nationale
pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), 2 tonnes
de produits chimiques contaminés et 70 fûts de déchets
d'assainissement contenant des radionucléides se trouvent
sur le site.
Il est impossible à l'heure actuelle d'avoir une vision
globale de l'impact sanitaire de ce site radioactif sur la population
arcueillaise et sur les ouvriers, souvent sous-traitants, qui
interviennent sur ce site. En outre, aucune évaluation
sur la contamination de la Bièvre, rivière souterraine
qui passe à proximité, n'a été effectuée.
Dans le projet de loi de finances pour 2009, le budget du programme
recherche et enseignement supérieur prévoit le financement
de 5 grands projets immobiliers, dont celui de la décontamination
de l'Institut du radium. 34,3 millions d'euros ont été
débloqués en crédits de paiement et 38,8
millions d'euros sont prévus en autorisation d'engagement
pour le financement de ces projets. Or, la décontamination
totale de ce site est estimée à elle seule à
30 millions d'euros si les préconisations du guide méthodologique
de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire
(IRSN) sont respectées.
Aussi, il lui demande comment l'État compte financer la
décontamination de l'Institut du radium et quelles seront
les prochaines étapes de la mise en oeuvre de ce programme
de décontamination.
Réponse du Ministère de l'enseignement supérieur
et de la recherche - publiée dans le JO Sénat
du 24/09/2009 page 2255
L'État, conscient des dangers que peut encourir la population
d'Arcueil et des ouvriers qui interviennent sur ce site radioactif
et des risques pour l'environnement, a pris toutes les dispositions
utiles pour mettre fin à cette situation. Le site d'Arcueil
était précédemment affecté à
l'université Paris-VI. Ce site ayant changé d'affectation
en 2006, c'est désormais le recteur de l'académie
de Créteil qui assure la maîtrise d'ouvrage des travaux
de décontamination. Le planning des travaux de dépollution
est le suivant : 2009 : phase A, élimination des déchets
; 2010 : phase B, caractérisation radiologique et
chimique du site ; phase C, définition du plan de
gestion ; 2011 et 2012 : phase D, mise en oeuvre d'une
stratégie de réhabilitation. Le budget de l'opération
s'élève à 1 million d'euros pour les
dépenses en cours. Pour les dix-huit mois à venir,
les dépenses ont été estimées à
4 millions d'euros. Ce montant sera affiné au fur
et à mesure de l'avancement de l'opération et sera
couvert par l'État.
Extrait de la revue "Sortir du nucléaire" n° 27, juillet 2005:
Témoignage exclusif
Au début des années 1930, Marie Curie installe son laboratoire au centre ville d'Arcueil, ville du Val-de-Marne, située à 5 km au sud-est de Paris. Ce laboratoire extrait des radioéléments naturels à partir de minerais d'origines diverses importés par camion. Un véritable Tchernobyl sur Seine.
Par la suite, l'Institut de Physique Nucléaire de la Faculté des Sciences de Paris et Orsay y effectue des recherches sur les propriétés physico-chimiques des radioéléments naturels et artificiels et les méthodes d'extraction du protactinium 231. Enfin la Fondation Curie - Institut du radium y mène ses propres études radiochimiques. Les locaux ont été abandonnés en 1978 et mis «sous surveillance».
Le préfet du Val-de-Marne demande au cours des années 1980 au propriétaire, en l'occurrence l'Université de Paris VI, d'assurer la sécurité des lieux par une clôture interdisant toute intrusion et par un murage du bâtiment le plus contaminé.
Radium city
En 2001, en mission au sein du département
"Risques chimiques, biologiques et nucléaires"
à l'université Paris VI, je réceptionne un
matin un pli contenant 16 films dosimètre thermoluminescent
à installer sur le site d'Arcueil à la demande de
l'OPRI (IRSN maintenant). Etonné par cette requête
concernant une mesure d'ambiance sur un site fermé et a
priori sans activité, je me suis renseigné auprès
des «anciens» de mon département pour comprendre
le besoin.
Etant le seul spécialiste en radioprotection, je me suis
rendu sur le site après m'être équipé
d'un détecteur Radiagem, d'un spectromètre portable
qui permet une identification instantanée des isotopes
présents et de protections diverses (gants, tenue papier,
masque, etc.)
Mes premières constatations sont plutôt édifiantes.
Dans un décor d'abandon, imaginez une grande maison de
maître en pierre meulière, restée en l'état
après 24 ans d'inoccupation, la bibliothèque avec
tous ses livres, les bureaux, les labos, des châteaux de
plomb disséminés, un souterrain servant de puits
de stockage et la maison aux fenêtres murées du gardien,
mort depuis...
J'ai découvert sur le site :
1. la présence d'une contamination très
importante au niveau du sol (mon détecteur a largement
dépassé les 5000 cps/s sur certaines zones), des
mesures plus de 1000 fois supérieures à la radioactivité
naturelle;
2. un débit de dose faible, sauf sur des points très
précis (laboratoires par exemple);
3. la présence de zones délimitées (zones
tréflées rouge et jaune);
4. un souterrain servant de stock de sources hautement contaminé
et irradiant;
5. un bric-à-brac contaminé important dans les laboratoires
et les ateliers;
6. la présence de fûts
radioactifs avec des matières inconnues.
Pourquoi rien n'a t-il été fait
pour dépolluer ce site ? Comment peut-on tolérer
cet état de délabrement ? Après quelques
recherches dans les archives et entretiens, j'ai retrouvé
la trace de certaines actions menées. Ainsi, l'ANDRA a
évacué une grosse quantité de fûts
de matière radioactive entre 1999 et 2002. Le problème
est que cette agence de l'Etat, unique prestataire des retraitements
des déchets nucléaires, ne prend en charge que les
rebuts bien identifiés. Or, le site d'Arcueil présente
des fûts, dont on ne sait que faire car mélangés
avec des solvants chimiques (évalué à deux
tonnes). Leur déblaiement nécessiterait un gros
investissement financier.
Par ailleurs, le CEA et l'ANDRA, qui connaissent bien le site,
ont préconisé la décontamination totale du
lieu, à savoir la destruction des bâtis (la maison
principale et celle du gardien, les laboratoires), l'extraction
de 5000 m3 de terre sur 5 mètres de profondeur. Sans oublier
le déblaiement du souterrain, véritable abri atomique
regorgeant de déchets radioactifs.
Maison murée du gardien défunt.
A ce jour, la seule action entreprise est le retrait de toute matière papier de la maison de maître, pour éviter les risques d'incendie. Le solde des autres travaux se chiffre en millions d'euros, un investissement colossal pour le propriétaire du site.
Au royaume des aveugles, le borgne est roi
Faute de moyens, Paris VI, sur les conseils
de l'OPRI, a mis en place une surveillance à travers la
pose de films dosimètres. Ces derniers mettent en évidence
les rayons gamma, qui au-delà d'une dose peuvent se révéler
néfastes pour l'être humain. Je rappelle que le laboratoire
de Marie Curie est situé au coeur de la cité d'Arcueil.
Habitué à l'interprétation des résultats
des films dosimètres, je peux assurer qu'il n'existe pas
de risque d'exposition directe pour les populations avoisinantes.
Le débit de dose à l'extérieur est très
faible, voire inexistant.
Encore faut-il mesurer ce qui est véritablement dangereux.
Dans
le jardin derrière les laboratoires...
La surveillance du site est très mal conduite. A ma connaissance,
il n'y a pas eu de mesure de contamination (frottis ou aspiration
sur filtre) des particules alpha. Or, sur ce site, on extrayait
le radium de la pechblende, on étudiait les radioéléments
comme le polonium, l'uranium, le thorium, le protactinium La plupart
sont émetteurs alpha
Aucun film, aucun résultat ou étude ne permet de
dire si les voies publiques longeant le site (rue de la Convention
et rue Clément Ader) sont propres. Je n'ai pas trouvé
un seul document donnant le taux de contamination en alpha, particule
déclarée non grata dans toutes les industries électro
nucléaires françaises.
Une surveillance à deux vitesses
En France, les installations industrielles manipulant l'énergie nucléaire sont sous surveillance très règlementée. Mais paradoxalement, l'état et ses institutions se désintéressent des sites dédiés à la recherche, qui plus est pollués et abandonnés. Le constat sera aussi vrai si la pollution est chimique ou biologique.
Les industriels doivent effectuer des prélèvements
d'air, de la faune et de la flore, tout mesurer, rechercher le
millième de becquerel, sous divers contrôles : DRIRE,
ASN, IRSN, DGSNR... Ils sont garants de l'impact de leur activité
sur l'environnement.
Sur notre site d'Arcueil entouré d'HLM, d'enfants, d'un
arrêt de bus, d'une voie routière fréquentée,
de la Bièvre qui coule en dessous, le propriétaire
ne met en place qu'une simple surveillance dosimétrique,
dans l'indifférence des institutions de protection environnementale.
Quand on travaille sous rayonnement ionisant,
des procédures et des règles strictes sont à
prendre. L'information des salariés, leur surveillance,
leur contrôle et le site où ils travaillent sont
de la responsabilité de l'employeur.
A Arcueil, on s'aperçoit que l'herbe et les arbres de l'Institut
du Radium sont taillés. Les agents d'entretien des espaces
verts de l'Université viennent s'occuper du site. Les déchets
sont traités en déchets naturels. Sont ils prévenus
des risques et suffisamment équipés pour se protéger
?
Arcueil, parce que je le vaux bien!
Arcueil, jolie bourgade de la Bièvre,
riche d'un aqueduc romain classé monument historique, mérite
un regard des pouvoirs publics pour sauver ce site d'une pollution
qui pourrait se révéler beaucoup plus grave si l'on
décelait un risque de contamination des eaux souterraines
de la Bièvre, rivière souterraine et affluent de
la Seine. Ou si une étude sanitaire sérieuse était
menée pour évaluer l'impact sur les populations
environnantes.
Attend-on des cas multiples de cancers, à l'instar des
zones urbaines touchées par le nuage de Tchernobyl ?
Cyril,
Radioprotectionniste, Ingénieur Hygiène Sécurité
Environnement,
mail : cyril@mail.be
Le Parisien, 29 mars 2000.:
94/ARCUEIL. Des milliers de flacons de produits chimiques ou radioactifs « plus ou moins identifiables ». Voilà l'encombrant stock qui « dort » depuis 1978, dans l'ancien institut du radium, en plein centre ville d'Arcueil. Construit dans les années 30 pour Marie Curie, le laboratoire désaffecté -inscrit à l'inventaire national des sites radioactifs- appartient désormais à l'université Paris VI qui va y lancer la semaine prochaine un nouveau chantier de décontamination. Réclamés depuis des années, ces travaux ne suffiront cependant pas à rassurer les riverains du site. Faute de lieu de stockage approprié pour les déchets radioactifs « à vie longue », seuls les produits chimiques seront retirés du site. Les produits radioactifs (contenant notamment du radium) seront, quant à eux, reconditionnés et laissés sur place. « Une simple mise en sécurité », résume un observateur.