On sait que l'iode 131, produit de fission des bombes thermonucléaires, se fixe dans la thyroïde des buveurs de lait frais contaminé. On sait que, chez des enfants, il peut entraîner la mort. On sait qu'il y avait forcément de l'iode 131 dans le nuage radioactif qui vint de Chine après la dernière bombe chinoise. On sait qu'il y eut surcroît de morts infantiles aux États-Unis pendant la période correspondante. Mais on ne peut rien affirmer...
On le soupçonne, mais on ne peut hélas pas le prouver : l'explosion d'une bombe atomique en Chine, le 26 septembre 1976, a sans doute coûté la vie à plusieurs milliers d'enfants américains.
Dans les Etats du Delaware, du New Jersey,
du Connecticut, du New Hampshire et du Maine, on a observé
cette année une très nette augmentation de la mortalité
infantile. Or, ces Etats ont reçu le' gros des retombées
radioactives de l'explosion. Dans un autre Etat, le Massachusetts,
les autorités avaient pris des précautions pour
éviter que des substances radioactives ne se retrouvent
dans le lait. Et c'est précisément là que
la mortalité infantile a diminué cette année
par rapport à l'année dernière.
Une enquête est néanmoins en cours, pour déterminer
la mortalité que l'on peut imputer à ces retombées.
Travail difficile, mais d'ores et déjà, il semble
que les doses de radioactivité considérées
comme « permissibles » sont bien trop élevées.
« Scandaleusement élevées », dit le
Dr Ernest Sternglass, professeur de radiologie à la faculté
de Médecine de l'université de Pittsburgh, Pennsylvanie.
L'engin chinois était une bombe nucléaire de 200
kt, qui a explosé dans l'atmosphère près
de Lop Nor, site principal des expériences atomiques en
Chine. En quelques jours, son nuage radioactif a traversé
le Pacifique et atteint les Etats-Unis. Inévitablement,
il charriait des produits de fission du plutonium et des transuraniens.
Il a passé au-dessus de la Californie, atteint la Floride,
au sud-est du pays, puis fait un crochet vers le nord.
Un nuage qui fait le tour du monde. En huit jours, le nuage radioactif provoqué par l'explosion d'une bombe atomique chinoise dans l'atmosphère, le 26 septembre 1976, a traversé le Pacifique et les États-Unis. De fortes pluies ont précipité des déchets radioactifs au nord-est des États-Unis. Quelques semaines plus tard, il traversait l'Atlantique et passait au-dessus de l'Angleterre et de la Suisse. |
C'est alors, huit jours et demi après
l'explosion, qu'une pluie torrentielle s'abattit sur la région
côtière du Nord-Est, précipitant avec elle
les déchets radioactifs. Ceux-ci, notamment l'iode 131,
particulièrement dangereux du fait d'un rythme d'émission
assez intense (sa demi-vie est de 8 jours) et de sa concentration
sélective dans la thyroïde, imprégnaient le
sol. Et ils suivirent le cycle « classique » : vaches,
lait, humains.
Parmi les buveurs de lait radioactif se trouvèrent les
femmes enceintes, notamment entre le quatrième et le sixième
mois de grossesse, période où la glande thyroïde
du foetus commence à fonctionner et à concentrer
l'iode, et là l'iode 131. Résultat, selon le Dr
Sternglass risque accru d'hypothyroïdisme, insuffisance de
la sécrétion de cette glande, qui peut se traduire
par le myxoedème, handicap bien connu à la survie
des nouveau-nés. Cette affection se traduit par un ralentissement
de toutes les fonctions, aboutissant à une diminution considérable
du métabolisme de base. Si l'enfant survit, il peut être
prédisposé à des troubles divers tels que
la non-apparition de la puberté ou la frigidité,
et à des troubles intellectuels plus ou moins marqués.
Dès le début de cette année, le Dr Sternglass,
qui étudie depuis longtemps les risques des .retombées
nucléaires, commença son enquête ; elle consistait
essentiellement à recueillir les chiffres de mortalité
infantile dans les Etats soumis aux retombées les plus
intenses. La comparaison entre les données établies
dans les cinq Etats cités plus haut, pour le premier trimestre
1976 et le premier trimestre 1977 traduit une augmentation. Augmentation
d'autant plus significative que, dans l'ensemble des Etats-Unis,
la mortalité infantile est en régression. L'augmentation
la plus marquée touche le Delaware 60 % d'augmentation,
soit 11,2 décès pour 1 000 pendant le premier trimestre
1977, contre 7 pour 1 000 pendant la période correspondante
de l'année précédente.
Deux exceptions : Rhode Island, et le Massachusetts, Etat voisin,
où la mortalité a diminué. Une explication
: l'application des mesures d'exception - dans le Massachusetts
seulement - qui sont de rigueur dans ces circonstances et qui
consistent à retirer de la consommation tout le lait frais.
Telle est la mesure que prépara dès octobre 1976
le Service de contrôle des radiations du Département
de la Santé du Massachusetts, en adressant au Département
de l'Agriculture du même Etat un avertissement concernant
le risque du passage de l'iode radioactif du sol au lait. Avertissement
adressé ensuite aux fermiers, assorti de la recommandation
d'utiliser du foin et du fourrage non contaminés, plutôt
que de laisser le bétail brouter l'herbe qui n'allait pas
tarder à devenir radioactive.
Les autorités sanitaires du Massachusetts n'avaient pourtant
aucune certitude en ce qui concerne le risque posé par
les retombées. Des analyses de sol avaient bien été
faites, et l'on avait identifié plusieurs échantillons
« chauds ». « Nous avons opté pour la
prudence », dit M. Gerald Parker, directeur du programme
de contrôle des radiations pour cet Etat.
Le rapport du Dr Sternglass va être revu point par point
par le Comité sur les effets biologiques des radiations,
au sein du Conseil National de la Recherche des Etats-Unis. Rapport
délicat, car non seulement il remet en question la notion
de « dose permissible », adoptée un peu partout
dans le monde sans que l'on sache vraiment sur quelles bases repose
la « permissivité", mais encore il se
heurte à un écueil grave : l'impossibilité
d'établir de façon formelle des relations de cause
à effet. « Tout au plus ", comme le déclare
le spécialiste Georges Pétavy, du groupe Orsay,
« peut-on mettre en corrélation des variables qui
penchent dans le même sens et avec la même amplitude
de variations, c'est ce que l'on appelle la quasi-proportionnalité.
"
Aux Etats-Unis, le gouvernement fédéral a limité
à 2 000 picocuries par litre la radioactivité «
permissible " pour le lait. Ce niveau, selon le Dr
Sternglass, est « scandaleusement élevé »
et devrait être divisé au moins par 100. Les essais
qu'il a fait réaliser dans de nombreuses laiteries ont
montré que de nombreux échantillons de lait ont
accusé 300 à 800 picocuries par litre après
les retombées. Les doses sont au-dessous de la moyenne
« permissible ", et cependant auraient provoqué
une mortalité infantile accrue, et, peut-être, des
séquelles chez des enfants qui ont survécu.
C'est entre trois et six mois que le foetus est particulièrement
sensible à la radiation, affirme le Dr Sternglass. «
Le risque le plus important est associé à un effet
indirect des radiations sur les fonctions hormonales dont le rôle
est essentiel au développement normal et la survie du nouveau-né.
» Il recommande que les enfants exposés soient suivis
pendant six mois après leur naissance, surtout en ce qui
concerne leur fonction thyroïdienne. « L'hypothyroïdisme
peut provoquer l'arriération mentale. Mais s'il est décelé
précocement, ce retard peut être prévenu.
»
Il n'est pas surprenant que les rapports du Dr Sternglass aient
provoqué une controverse, et que celle-ci risque de se
prolonger. En effet, il n'est pas facile de se fonder sur des
statistiques de mortalité infantile pour en déduire
avec certitude que les retombées de l'explosion chinoise
ont coûté la vie à des milliers de petits
Américains.
Ainsi, à Rhode Island, la mortalité infantile a
décru du premier trimestre 1976 au premier trimestre 1977,
sans mesures spéciales. Et, malgré la diminution
progressive de la mortalité infantile aux Etats-Unis, certains
Etats font de temps en temps des « poussées »
de mortalité plus élevée. De telles poussées
ont eu lieu, en 1977, dans des Etats autres que ceux qui ont connu
les retombées de l'expérience chinoise. Par exemple,
la mortalité infantile a également augmenté
dans certains Etats du sud (Georgie, Tennessee, Missouri), alors
qu'ils n'ont pas reçu de retombées.
Pour Robert J. Armstrong, directeur du service des statistiques
de mortalité du gouvernement fédéral, les
variations de mortalité dans certains Etats sont inexplicables.
Si l'Etat du Maine, sur la côte au nord-est des Etats-Unis,
qui a été atteint par les retombées, a accusé
en 1977 une mortalité infantile accrue, il n'en demeure
pas moins qu'une diminution générale constante de
la mortalité infantile de 1968 à 1975 a quand même
été interrompue par des pointes de mortalité
élevée en 1970 et 1972. Le sommet de 1977, ne serait-il
pas lui aussi « inexplicable », plutôt que le
résultat de la consommation par les femmes enceintes de
lait chargé d'iode radioactif ?
Néanmoins, les résultats de l'enquête menée par le Dr Sternglass sont troublants. Il semble peu probable que l'augmentation de la mortalité infantile enregistrée dans cinq Etats sur sept, qui ont été particulièrement atteints par les retombées, soit due au hasard (d'autant plus que, dans le sixième Etat, le Massachusetts, des précautions exceptionnelles ont été prises pour que le lait ne soit pas contaminé).
Il faudra sans doute attendre l'année prochaine pour que les hypothèses du Dr Sternglass soient confirmées ou démenties. Si, en 1978, la mortalité infantile au Delaware, New Jersey, Connecticut, New Hampshire, et Maine s'abaisse pour se rapprocher de la moyenne des années précédentes, on n'aura plus guère de doute quant à la responsabilité de l'iode radioactif dans le lait, même à des doses dites « permissibles ».
Quant à faire peser sur les seuls Chinois la responsabilité de la mort d'enfants américains, c'est là une idée qui, pour le moment, ressortit un peu trop au domaine de la polémique. La France aussi a procédé à des explosions en haute atmosphère, jusqu'à l'interdiction qui lui a été signifiée le 22 juin 1963 par la Cour Internationale de Justice de La Haye. L'Inde aussi a procédé à une explosion en haute atmosphère. Qui peut chiffrer, aux Etats-Unis ou ailleurs, le prix en vies d'enfants de telles expériences ?
Il est clair qu'une science réellement responsable ne pourra plus très longtemps feindre d'ignorer la gravité d'une recherche aussi lourde de conséquences pour l'ensemble de l'humanité. Nous sommes entrés, à cet égard aussi, dans l'ère du soupçon.
Alexandre Dorozynski,
Science & Vie n°723, décembre 1977.
A propos du nucléaire en Chine:
"En 1960, suite au différend qui
gela pratiquement ses relations avec l'URSS, la Chine prenait
la décision de fabriquer son propre arsenal. En à
peine quatre ans, les nombreux problèmes d'ordre scientifique
et technique qu'impliquait cet objectif furent résolus,
ce qui constitua une surprise d'autant plus grande que l'on apprit,
par la suite, que la voie choisie était l'emploi de l'uranium.
Cependant, bien que le fait ne soit pas officiellement reconnu,
certains indices montraient à l'évidence que la
Chine avait considérablement bénéficié
de sa collaboration avec l'URSS, auprès de qui elle put
accéder à la technique de séparation isotopique
et aux informations permettant de concevoir une bombe.
A cette époque là ce pays était parvenu à
créer une solide structure scientifique capable d'asseoir
le projet atomique, auquel contribua notablement l'Institut de
l'énergie atomique fondé en 1950. Des scientifiques
chinois installés à l'étranger en nombre
considérable, furent motivés pour rentrer au pays
et participer à l'entreprise : parmi eux se trouvaient
l'expert en accélérateur Xie Jialin, le radiochimiste
Yang Chengzong et le physicien Deng Jiaxian qui, conjointement
à Yu Min, devaient chapeauter, par la suite, les travaux
sur la bombe à hydrogène. Avec d'autres spécialistes
remarquables comme Jian Shengjie, Wang Ganchang et Zhu Guangya,
ils devinrent les pionniers tant de la technologie que de l'industrie
nucléaire chinoise.
Extrait de Sciences et Avenir n°204, février
1964.
Le minerai d'uranium ne posa pas, au début, un grand problème, car, comme on put le vérifier plus tard, les ressources dépassaient même les riches gisements d'Afrique du Sud. Vers 1962, dans la région de Chen Sian, une des plus grandes usines d'enrichissement d'uranium du pays commençait à fonctionner: elle traitait 800 000 tonnes de minerai par an et obtenait 1000 tonnes d'oxyde.
Le 16 octobre 1964, la Chine devenait le cinquième membre
du très fermé Club nucléaire, en faisant
éclater son premier engin dans le désert de Xing
Qiang.
Deux ans plus tard, c'était le tour
d'un prototype extrêmement évolué d'ogive
nucléaire capable d'être transportée par des
missiles, et, le 17 juin 1967, celui de sa première bombe
à hydrogène: elle gagnait ainsi clairement son statut
de nouvelle puissance. Le complexe nucléaire militaire
exigeait, à l'époque, des moyens atteignant 500,
600, voire 1000 millions de dollars par an.
Par la suite, pratiquement tous les efforts allaient être
consacrés au développement d'une compétence
scientifique et technologique qui garantisse l'augmentation et
le perfectionnement constants du potentiel militaire nucléaire,
en particulier dans le domaine des fusées. C'est dans ce
but que furent construits, dans les localités de Lan Chon,
Bao Tu, Yui Men et Hai Yan, de grands complexes de séparation
isotopique par diffusion gazeuse, usines fabriquant de l'hexafluorure
d'uranium, de l'uranium métallique, du lithium et de l'eau
lourde ainsi que des réacteurs produisant du plutonium.
Toute l'activité, de la production de matériaux
fissiles à la fabrication et aux essais de charges nucléaires,
était subordonnée aux plus hauts nivaux de direction,
à travers le Conseil militaire du Comité central
du Parti et le Conseil militaire central du Conseil d'Etat.
Actuellement, l'industrie atomique chinoise - qui domine complètement
le cycle du combustible nucléaire - emploie un demi-million
de personnes dont quelques soixante mille scientifique et cadres
techniques répartis sur plus de quatre vingts instituts
et organisations relevant de sept ministères..."
Extrait de: "Energie nucléaire"
du très pronucléaire Fidel Castro Diaz-Balart, Editions
Naturellement, 2001.