Introduction
Bruyères-le-Chatel est un joli
village situé à une trentaine de km de Paris, non
loin de l'autodrome de Linas/Montlhéry.
Il était connu surtout pour les
graines sélectionnées produites par la maison Simon
avant que ne vienne, en 1956, s'y installer un établissement
de la Direction des Applications Militaires (DAM) du CEA.
Suivant les traditions, il fut question
à l'époque de l'implantation d'une usine de fabrication
d'appareils électroménagers. Mais, lorsque les journalistes
locaux de la Marseillaise de Seine et Oise vinrent sur le terrain,
ils eurent la surprise de se faire virer énergiquement
par des gardiens déjà musclés à l'époque,
qui n'hésitèrent pas à détruire les
appareils photo.
Depuis, pour tout le monde dans la région,
c'est le CEA et c'est là qu'on fait la
bombe. Difficile d'approcher car le site est muni d'une double
enceinte électrifiée, enserrant un chemin de ronde
où circulent des patrouilles de maîtres-chiens avec
leurs fauves.
Les langues de la région parlent
de blokhaus souterrain très profond pour y faire on ne
sait trop quels essais. Le site, dans le jargon CEA, c'est BII.
Et suivant les habitudes, il y a plusieurs niveaux de «secrets»
qui vont de la zone où les physiciens extérieurs
au CEA peuvent assister à des séminaires, à
celles où travaillent les "gugusses" qui jouaient
avant à Reggane et Im Angel, qui jouent maintenant à Moruroa
et Fangatofa.
Dans le vocabulaire officiel, c'est une
INB secrète (Installation Nucléaire de Base dépendant
du CEA et de l'Armée), établissement en dérogation
pour tout ce qui concerne étude d'impact, enquête
publique par rapport aux INB «standard», elles-mêmes
en dérogation par rapport au droit administratif courant
(voir le décret particulier de 1974 qui annule un article
de la loi de 1964, cité dans la Gazette 61 comme
un prodigieux montage anticonstitutionnel!).
C'est si dérogatoire que nos nécrocrates
se sont assis sur les prescriptions du BRGM (bureau de recherches
géologiques et minières) et, en totale infraction
avec les règles, s'alimentent en eau par un forage dans
une nappe profonde de très grande pureté, nappe
en principe super protégée. Après avoir fait
passer cette eau dans leurs circuits de refroidissement, le centre
la rejette dans les égouts. Anodin, direz-vous. Eh bien
non. Réfléchissez c'est un véritable crime
contre les générations futures. Il faudra bien qu'un
jour les hydrogéologues du BRGM sortent de leur réserve
pour expliquer au grand public les problèmes de la gestion
des nappes d'eau.
C'est donc à BIII que l'on vient
d'inaugurer une nouvelle (?!) pratique. On vient d'y réaliser
des expériences
de dispersion de produits radioactifs dans l'environnement
pour étudier la reconcentration.
C'est génial on utilise la population
comme cobaye. Oh, bien sûr pas grand chose, 1 g de tritium. Cela ne fait guère
que de l'ordre de 10.000 Ci (370.000.000.000.000 Bq). Et puis comme on n'avait pas dû bien voir la
manip a été recommencée!
La première opération consistant
en 2 lâchers de 2 à 3 semaines d'intervalle était
programmée en mai 86. Mais les russes ont tout saboté
avec Tchernobyl.
Qu'à ne cela tienne, l'essai a été repoussé
à septembre 86.
La seconde opération vient d'avoir
lieu début avril 87.
Il faut lire le papier du CEA, envoyé
à la Mairie de Bruyère -le- Chatel et reproduit
dans le bulletin municipal:
«...le risque radiologique lié
au tritium sous forme d'eau tritiée est plus élevé
que le risque dû au tritium sans forme gazeuse du fait de
l'assimilation rapide de l'eau par l'organisme.
L'objectif de cette étude est
la mesure du taux de conversion au tritium en eau tritiée
dans l'environnement en se rapprochant le plus possible des conditions
d'exploitation d'un réacteur de fusion...
Les résultats ne sont bien
entendu pas connus à l'avance... on obtiendrait un risque
d'exposition théorique égal à 0,2 millirem
pour le point le plus exposé, situé dans les champs...».
On peut se poser toute une série
de questions, mais au préalable il faut affirmer: IL EST
INADMISSIBLE DE SE LIVRER A UNE EXPERIMENTATION DE CE TYPE EN
UTILISANT LE PUBLIC COMME SUJET D'EXPERIMENTATION.
Imagineriez-vous l'Institut Pasteur flanquer
le SIDA à la population pour expérimenter ses vaccins?
Non, et l'Institut non plus bien sûr.
La deuxième question qui vient
ensuite est la suivante puisqu'on affirme aujourd'hui ne rien
savoir du taux de conversion du tritium gazeux en eau tritiée:
sur quelle base scientifique ont été fixées
les limites des rejets pour les centrales et pour La Hague ?
Rappelons
que pour 4 tranches de 1.300 MWe (Cattenome par exemple), l'autorisation
est de 89.000 Ci pour les gaz rares + tritium (hors halogènes
et aérosols), ce qui donne environ 200 Ci de tritium pour
une tranche par an.
Nos militaires ont vu large 50 fois plus,
soit en un lâcher, le maximum autorisé pour 50 réacteurs
en un an
Il serait temps de s'inquiéter
de savoir quels sont les processus de transfert et on peut s'étonner
que, compte tenu de l'ignorance où on se trouve, on utilise
de pareilles quantités pour des «manips».
Si sur le plan de l'éthique c'est
inacceptable, sur le plan scientifique ça n'a pas de sens.
Comment peut-on espérer interpréter
quoi que ce soit avec une expérimentation comportant tant
de paramètres non dominés.
C'est d'autant plus stupide que le centre
du CEA de Cadarache est remarquablement bien équipé
pour faire des études de radioécologie avec des
serres, des élevages, des plantations, etc..., toutes choses
ou on peut faire varier les paramètres 1 par 1 et savoir
ce qu'on fait.
De toute façon, comme c'est à
Cadarache que doit se construire Tore Supra, la machine à
fusion thermonucléaire à aimants supra conducteurs,
c'est sur la végétation de cette région qu'il
vaudrait mieux tester le cycle du tritium.
Une autre remarque, cette fois sur les
rejets de tritium des machines à fusion qu'on nous promet
pour l'an 2000 (enfin peut-être). Depuis longtemps nous
répétons qu'il est faux d'affirmer que ce sera une
source d'énergie non polluante. En fait, ces réacteurs
vont pisser le tritium*. Il va s'en échapper des quantités
énormes et ce indépendamment des volumes importants
de métaux activés qu'il faudra stocker (pour des
millénaires) chaque année.
Nous vous donnons donc en information
les pages du bulletin municipal de Bruyères-le-Chatel ainsi
que des extraits d'une publication sur le tritium.
Dans cette publication, il y a plusieurs
remarques fort importantes sur l'action du tritium et en particulier
le fait que lorsque le tritium entre dans la composition des molécules
de structure, on peut considérer, pour les plantes, qu'il
est fixé à demeure, c'est-à-dire durant toute
leur vie. Qu'en est-il pour les humains ?
* Le tritium est un isotope de l'hydrogène. Il a donc les mêmes propriétés chimiques, en particulier celle de diffuser avec allégresse à travers tous les métaux et ce d'autant plus que la température est élevée.
La Gazette nucleaire n°78/79, juin 1987.