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Ce texte a des implications très graves, aussi bien pour le travail d'investigation et d'information des associations de protection de l'environnement et des journalistes que pour la société française dans son ensemble. En effet, si de telles atteintes disproportionnées et injustifiées à la liberté d'expression et au droit à l'information sont admises pour le nucléaire, bien d'autres domaines où s'exercent les pressions des lobby pourraient demain être concernés.
La CRIIRAD a décidé d'employer toutes les voies légales à sa disposition pour obtenir l'abrogation de l'arrêté. Ainsi, en complément de l'appel à mobilisation lancée à la société civile et de la pétition nationale portée par 30 associations et syndicats, elle a souhaité s'associer à Greenpeace et Reporters sans frontières pour déposer un recours en annulation devant le Conseil d'Etat.
L'arrêté du 24 juillet 2003 qui classifie secret défense la plupart des informations relatives aux " matières nucléaires " est en effet dépourvu de base légale et ne permet pas de déterminer précisément les éléments objectifs de l'infraction alors même qu'il expose les contrevenants à des peines excessivement lourdes (jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende).
Parce qu'il implique une restriction considérable de la liberté d'expression
En effet, sont désormais classifiées secret défense la quasi totalité des informations relatives aux " matières nucléaires " et par conséquent toutes les étapes du cycle du combustible, à l'exception de l'extraction du minerai d'uranium (qui de toutes façons ne se fait plus en France)
Parce que cette atteinte exorbitante au droit est introduite par voie d'un simple arrêté
Il n'est pas possible qu'une décision aussi importante soit prise par la voie d'un simple arrêté qui n'a même pas été signé par le ministre mais par un haut fonctionnaire ayant délégation de signature. La mesure n'a été précédée d'aucun débat et l'arrêté publié en toute discrétion, en plein coeur de l'été. C'est indigne d'une démocratie et en contradiction avec le droit.
Parce que la lourdeur des sanctions pourrait réduire au silence n'importe quelle association
Les déclarations des exploitants ou de la DGSNR (organisme de contrôle) assurant qu'ils continueraient de diffuser des informations font sourire et ne doivent pas abuser. Cet arrêté pris à la demande de Cogéma-Aréva vise à l'évidence le travail des associations et de certains journalistes : c'est l'information dérangeante qui est visée et non l'information officielle de l'Etat ou celle des exploitants. La lourdeur des peines signifie en effet que toute association qui braverait les dispositions de l'arrêté jouerait sa survie
Parce que l'arrêté introduit un bouleversement inédit de la logique même du Secret défense
Sont normalement classifiées secret défense des informations secrètes dont il convient d'empêcher la divulgation. L'arrêté inverse la logique : ce sont des pans entiers d'informations directement accessibles, appartenant au domaine public, qui sont classifiés et dont il est désormais interdit de parler.
Si l'on prend le texte au pied de la lettre (et c'est ce qui doit être fait en droit puisque les termes sont choisis pour leur signification précise), un citoyen lambda voyant passer un camion transportant du plutonium (parfaitement visible, avec trèfle radioactif et escorte de gendarmerie) s'expose à des poursuites s'il " révèle " cette information, même par oral, à son voisin.
Le travail effectué dans le passé par la CRIIRAD sur les transports de combustible irradié ou de déchets radioactifs un travail qui a permis d'alerter cheminots et usagers de la route et du chemin de fer sur l'irradiation qu'ils subissaient à leur insu est désormais un travail à haut risque passible de poursuites et de graves sanctions pour peu que l'Etat ou les exploitants décident de recourir aux possibilités que leur ouvre le décret. Le champ d'application du décret étant extensible à loisir, c'est une épée de Damoclès permanente qui est ainsi placée au-dessus des associations et de tous ceux qui dérangent.
Si le gouvernement souhaite effectivement instaurer l'omerta sur toutes les informations relatives aux matières nucléaires, cela doit passer impérativement par un texte législatif. C'est en effet un changement radical en matière d'information sur les risques nucléaires qui doit nécessairement être débattu au Parlement. La CRIIRAD demande en conséquence que soit mis au programme des débats parlementaires de l'hiver, non pas une loi sur la transparence, mais sur l'opacité nucléaire.
La CRIIRAD a été conviée par le secrétariat du haut fonctionnaire de Défense (le signataire de l'arrêté incriminé) à une réunion d'information lundi prochain, 13 octobre. L'objectif est d'expliquer comment le texte sera appliqué. L'idée de base est que l'arrêté donne des possibilités de poursuites quasi illimitées mais que l'Administration n'abusera pas de ce pouvoir et en délimitera strictement le contenu par oral et par voie de circulaire. Or, en matière de droit, ce sont les termes de la loi ou du règlement qui prévalent : en l'occurrence, les termes de l'arrêté, les déclarations comme les circulaires n'ayant aucune valeur réglementaire.
Si les pouvoirs publics sont de bonne foi, ils abrogeront l'arrêté... quitte à établir un nouveau texte présentant une liste détaillée, précise et explicite des informations qu'il est effectivement nécessaire de classifier. Au lieu de prendre le texte en toute discrétion, le projet d'arrêté pourrait être publié afin que chacun puisse vérifier si les interdits sont ou non justifiés. En l'état, l'arrêté Secret défense est le symbole même de l'arbitraire : son application pouvant varier en fonction des orientations politiques et de la volonté de faire pression ou de punir telle ou telle personne ou association.
Alors que de nombreux textes réglementaires sont en souffrance, on peut s'étonner de la promptitude du gouvernement à répondre à la demande d'Aréva-Cogéma et à mettre en place de tels outils de répression. Alors que les textes d'application de la loi de 1991 sur les déchets radioactifs ne sont toujours pas rédigés (après 14 ans ! ! !) ce qui empêche de sanctionner les stockages illégaux de La Hague, Cogéma n'a qu'à claquer des doigts pour obtenir un texte excessivement répressif à l'encontre des associations qui pourraient la mettre en cause.
En accédant à la demande de Cogéma-Areva, le gouvernement a choisi de museler l'information sur les risques. Cela ne les fera pas disparaître, bien au contraire !
Cet arrêté n'est pas isolé. Il participe d'un mouvement général pour renforcer le contrôle de l'information et octroyer au ministère de la Défense nationale des pouvoirs inédits en matière de nucléaire civil.
Ainsi, le 10 septembre 2003 était publié un décret présidentiel portant création d'un " comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques " qui confie au secrétaire général de la Défense nationale la haute main sur la gestion des accidents nucléaires, qu'ils surviennent sur une installation civile ou militaire ou au cours d'un transport. La DGSNR, déjà sous la tutelle étroite du ministère de l'Economie et de l'Industrie, est ainsi placée sous contrôle du ministère de la défense pour toutes les situations de crise. Déjà, en 2002, ce même ministère devenait, avec celui de l'Industrie, le principal ministère de tutelle de l'IRSN, l'organisme officiel d'expertise.