Extrait de "Le mystère de la bombe allemande", de Mark Walker:
La fission nucléaire fut découverte
par Otto Hahn et Fritz Strassmann au cours de l'hiver 1938/1939.
Peu après, le phénomène fut expliqué
correctement par Lise Meitner et son neveu Otto Frisch :
lorsqu'on bombarde des noyaux d'uranium avec des particules atomiques
électriquement neutres, des neutrons, il arrive que les
noyaux se scindent en libérant de l'énergie et de
nouveaux neutrons. Chaque fission libérant en moyenne plus
de deux neutrons, une réaction en chaîne est alors
possible, avec deux types d'applications : lorsque ces réactions
sont contrôlées, elles libèrent de la chaleur
récupérable pour produire de l'électricité ;
lorsqu'elles sont incontrôlées, elles aboutissent
à une explosion nucléaire et donc à une nouvelle
arme. De façon indépendante, plusieurs scientifiques
allemands informèrent différents responsables gouvernementaux
à propos des implications militaire et économique
de l'énergie nucléaire. Au tout début de
la Seconde Guerre mondiale, une petite douzaine de chercheurs
fut ainsi affectée à un projet de recherche, conduit
sous l'autorité de l'armée.
Pour contrôler et maîtriser l'énergie nucléaire,
deux technologies majeures sont nécessaires : la séparation
isotopique et les réacteurs nucléaires. Il est tout
à fait crucial de bien reconnaître la "dualité"
technologique de ces deux filières. La séparation
isotopique permet d'accroître la quantité d'isotope
235 dans un échantillon d'uranium, de telle sorte qu'on
peut, dans un réacteur nucléaire, utiliser de l'eau
ordinaire pour ralentir les neutrons et faciliter, à un
moindre coût, la réaction en chaîne. C'est
d'ailleurs ainsi que fonctionnent la plupart des centrales nucléaires
actuellement en service. Mais l'uranium 235 pur, obtenu par séparation
isotopique, peut également servir d'explosif nucléaire.
En outre, il faut savoir que n'importe quel réacteur "civil"
peut produire du plutonium, autre explosif nucléaire. De
fait, la dualité technologique de ces filières annule
donc toute distinction entre les usages supposés pacifiques
de l'énergie nucléaire et ses applications militaires
éventuelles, et ce, quels que soient les désirs
des scientifiques, des ingénieurs ou des hommes politiques.
A l'époque où la guerre éclair avait déjà
submergé une grande partie de l'Europe, les quelque 60
ou 70 scientifiques alors affectés en Allemagne aux recherches
sur l'énergie nucléaire firent des progrès
constants. Après quelques faux départs, ils commencèrent
à travailler sur la séparation isotopique de l'uranium
par centrifugation. D'emblée, cette technique apparut prometteuse.
D'autres équipes avaient, de leur côté, démarré
les premières expériences sur un réacteur
nucléaire. Peu concluantes, elles permettaient cependant
de penser qu'un système opérationnel n'était
qu'une affaire de temps et de quantité de matériaux.
Avec du temps et des moyens, les applications "civiles"
et "militaires" de l'énergie nucléaire
devenaient réalisables.
En fait, si l'on compare les travaux allemands et américains
de cette période, on ne peut qu'être frappé
par leur extraordinaire parallélisme. Des deux côtés,
le nombre de chercheurs et le montant des investissements furent
à peu près identiques, et la similitude s'étend
aux résultats obtenus. On notera cependant une différence
cruciale en faveur des Américains : la supériorité
technologique globale dont bénéficiait la physique
d'outre Atlantique. Les chercheurs américains disposaient
par exemple d'accélérateurs de particules sophistiqués
et puissants ; une telle technologie faisait défaut
aux Allemands. Au cours de l'hiver 1941-1942, seuls les Américains
purent donc produire et analyser de petits échantillons
de plutonium et d'uranium 235.
Très peu de temps après cette avancée parallèle,
les chemins divergèrent, et les Allemands furent très
rapidement distancés par les Américains. Pourquoi
et comment ? Pour comprendre ce qui s'est passé, l'examen
des décisions prises au cours de l'hiver 1941-1942, par
les autorités responsables de la politique scientifique
des deux pays, s'impose. L'importance du contexte de la guerre
doit en particulier être mise en avant. Du côté
américain, l'attaque sur Pearl Harbor, en décembre
1941, provoqua la participation active du pays au conflit. Du
côté allemand, la fin de la période de guerre
éclair, en novembre/décembre 1941, modifia profondément
la perception de la durée de la guerre et, dans une certaine
mesure, fit naître les premiers doutes sur son issue.
Les autorités américaines, et en particulier les
responsables de la politique scientifique, conclurent que des
armes nucléaires pourraient être fabriquées
et utilisées avant la fin du conflit et qu'elles seraient
décisives. Ce choix était à la fois raisonnable
et rationnel. Les Américains disposaient en effet de grandes
ressources non touchées par la guerre. Ils avaient en outre
estimé qu'une fois l'Amérique entrée dans
le conflit, celui-ci durerait au moins quatre ou cinq ans. Ils
perçurent comme d'autant plus nécessaire d'inclure
dans leur effort de guerre la fabrication de telles armes qu'ils
étaient convaincus que le premier à en disposer,
fut-il perdant sur le terrain, remporterait la victoire.
Les responsables militaires allemands en vinrent,
eux, à une autre conclusion. Bien qu'ayant reconnu que
de telles armes étaient théoriquement faisables,
ils les jugèrent non appropriées : ils firent l'analyse
qu'elles ne pourraient être construites et utilisées
avant la fin de la guerre et ne pourraient donc influer sur son
cours. Ce choix était, lui aussi, raisonnable et rationnel.
D'une part, leur économie était déjà
soumise à de fortes tensions. D'autre part, qu'ils gagnent
ou qu'ils perdent, les Allemands ne s'attendaient pas à
ce que la guerre dure encore très longtemps. Les armes
nucléaires leur apparurent donc non "pertinentes"
en regard de l'effort de guerre, et ils jugèrent irresponsable
d'essayer de les fabriquer.
Cette décision prise par les autorités militaires
allemandes durant les tout premiers mois de 1942 fut définitive.
Dès lors personne, ni les militaires, ni le gouvernement
national-socialiste, ni même les scientifiques, ne crurent
que de telles armes pourraient être construites et utilisées
durant la Seconde Guerre mondiale. Cette decision ne fut pas remise
en question pendant la durée de la guerre. A bien des égards
pourtant, il apparaît aujourd'hui davantage comme une non-décision
que comme une décision. La preuve en est qu'après
cette date, le "programme" de recherche dans le domaine
de l'énergie nucléaire ne fut pratiquement pas modifié,
et que, comme avant, toutes ses applications économiques
et militaires, bien que projetées désormais à
un horizon plus lointain, continuèrent d'être étudiées.
Il apparaît donc que les scientifiques allemands ne furent
jamais confrontés à la question morale de
savoir s'ils devaient construire des bombes atomiques pour Hitler.
Durant la première phase de la guerre éclair, aucune
"arme miracle" ne fut nécessaire, et la question
ne se posa même pas. Lorsque, plus tard, des doutes vinrent
planer sur les perspectives de victoire, les autorités
militaires décidèrent, après avoir examiné
le problème, qu'on ne tenterait pas de les construire pendant
la guerre. Plus tard enfin, quand la situation sur le terrain
devint de plus en plus désespérée, la recherche
d'armes miracles s'intensifia. Toutefois, ironie de l'histoire,
l'une des rares voies à ne pas avoir été
explorée à cette époque, fut celle de la
bombe atomique : elle avait déjà été
évaluée et avait fait l'objet d'un rejet définitif
deux ans plus tôt. [...]
Extrait de "Pionniers de l'atome"
de Bertrand Goldschmidt, publié en 1987 aux éditions
stock:
Malgré son accès au gisement
de Joachimsthal, au stock considérable d'uranium belge,
et à l'usine
norvégienne d'eau lourde, l'effort nucléaire
allemand après un bon démarrage s'était perdu
dans les sables après l'attaque contre l'Union soviétique
en 1941. Un premier écho rassurant fut apporté par
Niels Bohr lors de son évasion du Danemark à l'automne
1943, puis sembla se confirmer en novembre 1944, à la suite
du dépouillement d'un certain nombre de documents trouvés
à l'université de Strasbourg par une mission composée
de spécialistes du renseignement scientifique, sous la
direction du physicien nucléaire américain Samuel
Goudsmit; celui ci avait été spécialement
choisi à l'extérieur du projet américain
[de bombe atomique] pour le cas où il tomberait dans des
mains ennemies.
Cette
mission, conçue par Groves et Bush, était chargée
de capturer en Allemagne savants, matériaux et documents
relatifs au travail sur l'uranium. Elle avait pris comme nom de
code Alsos, traduction grecque du mot anglais grove, bosquet
en français. Elle commença à se faire les
dents à Paris, en interrogeant Joliot le jour de la Libération
de la capitale, et à Toulouse, en mettant la main, à
la poudrerie, sur la trentaine de tonnes d'uranate belge qui y
avait été camouflée durant toute la guerre
comme matériau de construction.
A la mi-avril 1945, la mission Alsos,
devançant les troupes soviétiques, avait réussi
à s'emparer des onze cents tonnes de composés d'uranium
belge près des mines de sel de Stassfurt en Allemagne orientale,
puis à saisir les stocks d'eau lourde et d'uranium métal
destinés à être utilisés dans une future
expérience, cette fois dans la zone de pénétration
française avec seulement quelques heures d'avance sur nos
troupes. Ces stocks étaient cachés dans un vieux
moulin à Haigerloch, au sud de Stuttgart, dans le Wurtemberg.
Les autres éléments de l'expérience envisagée
furent trouvés dans un tunnel, creusé dans une falaise,
non loin du laboratoire de physique monté à cet
effet. La plupart des scientifiques et des documents furent capturés
vers la mi-avril dans cette région et ce sont ces rapports
que nous devions étudier à Montréal après
mon retour de France.
Il en ressortait que l'affaire, après un bon démarrage
technique, avait été mal répartie entre groupes
rivaux, sans les priorités nécessaires. Les Allemands,
conscients du potentiel explosif redoutable de l'uranium 235,
avaient été découragés par la difficulté
de trouver un procédé convenable pour séparer
les deux isotopes et par l'immense effort nécessaire pour
le traduire à l'échelle industrielle. Ils avaient
abordé le procédé d'ultracentrifugation sur
lequel ils se spécialiseront trente ans plus tard.
En avril 1942, mettant en jeu la même quantité d'eau
lourde que Halban et Kowarski dans leur expérience de Cambridge
de décembre 1940, ils arrivèrent au même résultat
et déduisirent avec justesse qu'il leur faudrait environ
cinq tonnes d'eau lourde pour obtenir la réaction en chaîne
continue. Mais, grâce à l'héroïsme de
la Résistance norvégienne, ils ne disposèrent
jamais de cette quantité.
En cette année 1942, le maréchal Hermann Goering
mit la haute main sur l'entreprise, mais ni lui ni le chef de
la production industrielle, Albert Speer, n'y attachèrent
jamais une importance suffisante car celle-ci fut trop timidement
affirmée par les scientifiques. L'entreprise était
alors effectivement dirigée par un physicien de talent,
Walter Gerlach; les lettres et rapports, rarement secrets, qui
lui étaient adressés lui donnaient le titre de «
plénipotentiaire pour la physique nucléaire du maréchal
du Reich ».
L'industrie allemande avait mis au point la fabrication de l'uranium
métal, en poudre d'abord, puis en cubes et en plaques.
Un des rapports caractéristiques du climat intellectuel
qui régnait dans les laboratoires nous avait fascinés.
Il relatait, avec un extraordinaire luxe de détails et
avec une chronologie précise, un incendie dû à
de la poudre d'uranium, substance hautement pyrophorique, et qui
avait eu lieu au cours de l'expérience uranium eau lourde
suivant celle d'avril 1942. L'incident avait abouti à une
perte totale de l'uranium et de l'eau lourde, largement diluée
dans l'eau ordinaire utilisée par les pompiers. L'auteur
du rapport insistait, en conclusion, sur les risques inhérents
à son travail, selon lui tout aussi sérieux que
ceux qu'il aurait rencontrés au front. Les savants allemands
avaient à justifier que les travaux sur l'uranium n'étaient
pas [...] un moyen de se planquer !
Au moment de la débâcle, une vaine tentative fut
faite pour réunir les savants concernés dans le
réduit bavarois, mais l'effondrement de l'Allemagne fut
trop rapide. Bien que n'ayant pas réussi à construire
une première pile comme Fermi en décembre 1942,
ils étaient fiers de leurs études surtout théoriques
et persuadés de leur avance. Il fallut l'annonce de la
destruction d'Hiroshima pour qu'ils comprennent, non sans quelque
incrédulité d'abord, leur immense retard. Les microphones
installés dans la villa où ils étaient internés
dans la campagne anglaise permirent de le savoir. L'Allemagne
avait non seulement perdu la guerre, mais aussi la course atomique,
dont Hitler avait chassé les meilleurs spécialistes
vers les pays alliés européens ou les Etats-Unis.
Extrait du livre de Samuel A. Goudsmit, "L'Allemagne
et le secret atomique (La mission Alsos)", Librairie
Arthème Fayard, 1948:
[...]
Pourtant, malgré ces changements administratifs et l'importance
croissante accordée au développement de la recherche
sur l'uranium, ce développement demeura relativement insignifiant.
Le chiffre total des hommes de science qui étudiaient le
problème de l'uranium et les questions annexes n'atteignait
pas la centaine. Ils manquaient de l'équipement nécessaire
à la création de tout laboratoire convenable. Ils
se plaignaient, entre autres, dans leurs rapports, de ce qu'il
n'existât pas de cyclotron en Allemagne, tandis que les
Etats Unis possédaient une vingtaine de ces appareils importants.
Ils étaient dans l'obligation de se rendre à Paris
pour utiliser le cyclotron de Joliot-Curie. Une demi douzaine
de ces machines étaient projetées ou même
déjà en construction en Allemagne, mais une seule
fut terminée et utilisée avant la fin de la guerre
: celle de la section des sciences physiques de l'Institut Kaiser
Wilhelm pour la recherche médicale, à Heidelberg.
C'était là toute l'armature de la Recherche aIlemande.
Jusqu'où allèrent-ils sur le chemin de la solution
du problème de l'uranium ?
Les Allemands avaient reconnu possible la construction d'une bombe
à l'U 235, mais ils croyaient impraticable la séparation
de l'U 235 pur. On ne peut guère les en blâmer d'ailleurs.
C'est peut-être seulement en Amérique que l'on pouvait
imaginer et réaliser un « Oak Ridge » où
les efforts gigantesques
et combinés de la science, du génie civil, de l'industrie et de l'armée, s'unissaient
pour produire de l'U 235 pur. Les savants allemands n'eurent certainement
aucune conception de ce genre et ne purent jamais compter sur
une aussi grande combinaison de forces travaillant toutes avec
acharnement.
Qui plus est, les Allemands n'eurent à aucun moment l'idée
d'utiliser le plutonium pour la construction de la bombe, ce qui
simplifiait énormément le problème. Déjà,
avant la guerre, les revues scientifiques et quelques rapports
secrets allemands avaient mentionné, sans d'ailleurs lui
donner de nom, le plutonium et prévu ses propriétés,
mais on avait complètement négligé le côté
pratique du problème.
En fait, la conception allemande de la bombe différait
entièrement de la nôtre et était beaucoup
moins développée. Les Allemands songeaient à
la construction d'une pile où la réaction en chaîne
se ferait si vite qu'elle aboutirait à une explosion. Leur
bombe n'était donc à peu près qu'une pile
explosive, qui aurait eu des effets dérisoires à
côté de ceux de la veritable bombe.
Cette erreur initiale engagea les Allemands à s'attacher
en premier lieu au problème de la pile productrice d'énergie.
Pour nous, nous prîmes l'affaire par l'autre bout. Il nous
apparut plus facile de faire une bombe atomique que de produire
de l'énergie atomique.
Mais nous avions de la peine à abandonner notre croyance
en la supériorité de la science allemande et à
admettre un échec aussi total de la part des physiciens
germaniques [lire l'extrait du livre en PDF: "La mauvaise organisation de la science germanique"].
Il se trouve encore parmi nous quelques savants qui se refusent
à croire que leurs contemporains allemands aient pu commettre
de telles erreurs. C'est pour ces savants que nous allons noter
ici quelques rapports allemands qui ne laissent plus aucun doute
possible sur ce sujet.
Lorsque, à l'automne de 1943, le plus grand des physiciens
atomistes contemporains, Niels Bohr, se réfugia au Danemark,
il nous signala que les Allemands en étaient seulement
à la conception de la pile explosive. Il nous parut alors
que c'était simplement la preuve que nos ennemis avaient
admirablement réussi à garder secret le but véritable
de leurs travaux, même auprès d'un savant aussi avisé
que Bohr.
Extrait du livre de Géraud Jouve, "Voici
l'âge atomique", publié en 1946 aux
éditions Franc-Tireur:
Dans la course à l'atome, l'Allemagne
semble bien avoir échoué, parce qu'à deux
reprises les géniales inspirations de ses chefs ont détourné
les savants de leur tâche.
Dans cette course, le Japon
n'a guère essayé de suivre le train, bien qu'il
disposât de deux atomistes de qualité, Nishina et
Sagane.
Après avoir quitté l'Angleterre où il avait
travaillé dans le laboratoire de lord Rutherford, Yoshio
Nishina étudia en Allemagne.
Revenu au Japon, en 1928, Nishina fut nommé directeur des
recherches atomiques, mais ses laboratoires à Hongo, faubourg
de Tokio, seront complètement détruits lors du raid
américain, du 13 avril 1945. Après la capitulation
du Japon, le correspondant du Daily Mail a demandé
au savant japonais s'il avait reçu information ou assistance
de l'Allemagne. Nishina a répondu négativement.
La guerre des laboratoires a été gagnée par
les Alliés. Certains se sont demandé, en Amérique
surtout, si, indépendamment de l'attaque brusquée
de Pearl Harbour, les Etats-Unis ne seraient pas entrés
en guerre, de tontes façons, contre l'Allemagne, parce
qu'ils savaient, dès 1939, les dangers que les découvertes
nucléaires, aux mains des Allemands, pouvaient faire courir
au monde entier. On invoque, dans cet ordre d'idées, le
précédent de la première guerre mondiale,
où l'entrée des Etats-Unis dans le conflit a pu
être facilitée par le désir d'éliminer
un concurrent devenu très dangereux avec la mise au point
des procédés Haber pour la synthèse de l'azote.
Sans doute est-il aujourd'hui difficile de déterminer dans
quelle exacte mesure les Alliés ont devancé les
Allemands pour l'utilisation guerrière de l'énergie
nucléaire. La course à l'atome a été
gagnée par les Anglo-Saxons. Il ne faut pas qu'elle dégénère
en course à l'abîme. Des craintes à ce sujet
s'expriment partout, surtout en Angleterre. « La légende
selon laquelle une course de vitesse était engagée
entre l'Allemagne et nous pour la fabrication de la bombe atomique
est fausse (1). Les Allemands étaient désespérément
en retard sur le Alliés. Il faut détruire cette
légende, sinon les Russes pourraient se demander où
se trouvent les installations allemandes pour la fabrication des
bombes et ils pourraient nous suspecter de les leur cacher. »
Le maréchal Keitel, interrogé, le 23 avril 1945,
au Luxembourg, par des journalistes américains, estime
que les recherches des savants allemands n'avaient guère
dépassé le stade théorique : « J'ai
vu Hitler au début de l'année et il ne m'en a jamais
parlé; si nous avions eu une bombe atomique il me l'aurait
dit ! » Keitel aurait pu ajouter : « Il
s'en serait servi. »
Si un doute subsistait à ce sujet, qu'on lise ces extraits d'un journal intime d'un officier
supérieur S.S., exécuté
par les Alliés fin 1945 (2).
Le 20 octobre, après avoir noté lyriquement «
la beauté et le charme insolent » de cet automne,
il écrit: «
J'éprouve quelque chose qui ressemble à de l'envie
en songeant à ce pilote américain qui provoqua,
à Hiroshima, la fin partielle, du monde. Il devait se sentir
l'égal d'un dieu, celui qui anéantit d'un mouvement
de levier la vie de milliers de gens. La main qui appuyait sur
le levier tremblait-elle ? La mienne n'eût pas tremblé.
»
« La bombe atomique était en réalité
notre arme. C'est l'humeur capricieuse et la souveraine injustice
de l'histoire qui l'ont fait tomber entre les mains de nos ennemis
d'abord. Oui, elle était notre arme, l'arme du crépuscule
des dieux, l'arme du national-socialisme par excellence. Nous
étions seuls capables d'en exploiter à fond les
infernales énergies destructrices. Nous seuls les avions
devinées. Notre système était son corollaire
spirituel; la bombe atomique constituait le fondement matériel
qui faisait défaut au national socialisme. Nous avons «
atomisé » la société. La bombe «
atomisera » la base de cette société, la matière.
»
(1) Observer (Londres) du 28
octobre 1945.
(2) Journal de Genève, 23 février
1946.