Le nouvel arrêté régissant la décharge radifère de Gueugnon

Un nouvel arrêté préfectoral régissant la décharge radifère de Gueugnon (71 Saône-et-Loire) a été signé le 20 avril 1994; il mérite d'être brièvement présenté et commenté, car il présente un certain nombre d'éléments nouveaux: non seulement il semble appliquer la loi dans son esprit et ne contient pas d'erreurs, ce qui est une première en Saône-et-Loire (en matière de nucléaire s'entend), mais il pose certains principes qui pourraient être repris ailleurs sur des sites comparables. Alors, pour une fois qu'il y a quelque chose de positif dans le paysage nucléaire français, pourquoi ne pas en parler ?

Rappels sur Geugnon: La COGEMA y a exploité de 1954 à 1980 une usine de raffinement du minerai d'uranium (production de "yellow cake"). Les résidus de ce traitement ont tout naturellement été remplir des gravières situées à proximité immédiate. Ces résidus sont logiquement composés - outre les résidus chimiques de précipitation - des différents radioéléments des familles de l'uranium 238 et du thorium 232, à l'exception des isotopes de l'uranium. En 1980 l'exploitation a cessé et un premier arrêté (4/9/1980) a autorisé le démantèlement de l'usine, qui a été enterrée au milieu de ses propres déchets. En 1987 (28/8), un autre arrêté fixait un certain nombre de prescriptions techniques prétendues garantir l'environnement au voisinage du dépôt. En fait, cet arrêté prévoyait un suivi on ne peut plus sommaire de la radioactivité : les seuls radioéléments dont le suivi était imposé étaient le radium 226 et l'uranium 238 (le moins présent puisqu'ayant fait l'objet d'une séparation) ; pour le reste, différentes positions sur la clôture et l'aménagement du site étaient fixées, la plupart n'ayant jamais été appliquées comme il est (était ?) de coutume en France.

Ainsi en 1989, les clôtures n'étaient-elles toujours pas complètes, l'aménagement des abords inexistant et la couverture végétale pour le moins parcellaire ; pour couronner le tout, les lapins avaient creusé de nombreux terriers, mettant à nu l'intérieur de la décharge. C'est à ce moment que celle-ci avait fait quelque bruits dans la presse et qu'une campagne de mesures avait été confiée par des associations locales à un laboratoire d'analyses indépendant. Certains résultats d'analyses étaient impressionnants : la terre à la sortie de terriers de lapin avait une activité de plus de 11 000 Bq/kg en radium 226, les mesures de radon donnaient des résultats auxquels on est plus habitué dans des habitations sur terrain granitique qu'à l'air libre (environ 480 Bq/m3 sur le site) ; les éléments les plus contaminés de la chaîne alimentaire étaient des champignons (Coprins en particulier), pouvant avoir une activité de plus de 600 Bq/kg en plomb 210 mesuré sur la matière sèche.

A l'époque la COGEMA avait réagi comme souvent en se voulant rassurante et en étayant son argumentation de quelques déclarations mensongères, par exemple en affirmant que la recommandation de la Commission Européenne sur la concentration de radon admissible dans les maisons était de 700 Bq/m3 (le progrès 13/5/90), alors quelle est de 200 et de 400 selon qu'il s'agit d'un bâtiment neuf ou ancien.

Cela n'a pas empêché la machine administrative de se remettre en marche et la DRIRE semble s'être mise au travail avec beaucoup de méticulosité.

 

Contenu de l'arrêté

Le texte contient toute une série de prescriptions relatives tant à l'aménagement matériel du site qu'aux contrôles de radioactivité.

Sur l'aménagement du site : prescriptions très précises pour réaménager le site là où les lapins ont creusé des terriers et pour empêcher qu'à l'avenir des galeries ne soient creusées ; enfin, espérons que "toutes dispositions ( ... ) pour prévenir le creusement de terriers" seront suffisantes pour empêcher les lapins de gratter !

Concernant la stabilité des berges de la rivière Arroux, passant à quelques mètres du bord du site, des relevés topographiques sont imposés une fois par an.

Sur les mesures de contrôle de la radioactivité:

- Quelques dispositions "classiques" d'abord : un réseau piézométrique est prévu ainsi que des mesures régulières de l'eau de l'Arroux ; l'élément intéressant est que le plomb 210 devra être mesuré dès dépassement de la concentration moyenne annuelle en radium soluble ; il aurait peut-être été préférable que le plomb 210 soit analysé d'office, mais au moins cet élément fait-il son apparition dans un texte, ce qui est très important au vu de sa radiotoxicité : la limite annuelle d'incorporation est de 3 000 Bq selon la directive européenne, de 2 000 Bq selon la loi française et passera sans doute à 600 Bq lorsque les dernières recommandations de CIPR seront reprises dans les textes européens.

- Les mesures de radon sont introduites (inexistantes dans l'arrêté de 1980). En cas de dérive significative, des mesures de flux de 222Rn sont imposées, ainsi qu'un examen du facteur d'équilibre entre le radon et ses descendants à vie courte. Il est intéressant de noter l'apparition dans le texte d'un arrêté du concept de dérive significative.

- Par ailleurs, la surveillance de la radioactivité est imposée dans certains bio-indicateurs (il semblerait que ce soit là aussi une première) : les sédiments des gravières situées en aval, bien sûr, mais aussi les poissons s'y trouvant (connus pour concentrer certains radioéléments dont le radium), les plantes potagères à racines (carottes, connues pour concentrer le radium et le plomb 210) ou à grande surface foliaire (salades, choux) et les champignons : le groupe des agarics (rosés des prés) parce qu'ils sont souvent consommés et des coprins, car c'est dans ces derniers que les concentrations les plus fortes de radioactivité ont été révélées par les analyses. Ces contrôles doivent être effectués au moins une fois tous les deux ans et porteront "a minima" sur le 238U, le 226Ra et le 210Pb. Ce concept a minima mérite aussi d'être relevé, puisqu'il implique qu'en cas de concentration anormalement élevée, d'autres éléments devront être analysés.

- Le principe d'analyses contradictoires est clairement posé dans l'article 4 : il peut avoir lieu sur demande de l'inspecteur des installations classées, mais un bilan contradictoire sera en tout état de cause établi tous les cinq ans par un laboratoire extérieur agréé.

- Le Taux Annuel d'Exposition Totale Ajoutée fait son apparition dans le texte : il s'agit de l'application du principe général de radioprotection selon lequel la somme des expositions intemes (à des radioéléments différents ayant des LAI différentes) et externe ne doit pas aboutir à un dépassement de l'exposition totale. Cela semble évident, mais c'est rarement dit et encore plus rarement appliqué dans les textes. Ajoutons un autre élément conforme à l'esprit des règles de radioprotection: pour l'eau potable, l'arrêté admet qu'une personne du public consomme 2,2 1 par jour pendant 365 jours par an et pour l'inhalation, l'arrêté admet qu'une personne du public séjourne aux abords du site 7 000 heures par an en inhalant 0,8 m3 d'air par heure.

- Pour terminer l'article 11 prévoit la publicité de l'arrêté outre les dispositions habituelles, un avis doit être publié dans deux journaux régionaux, indiquant où les prescriptions imposées peuvent être consultées.

Pour résumer, alors que l'ancien arrêté n'imposait que des mesures d'uranium et de radium dans l'eau, le nouveau texte impose des analyses d'uranium, de radium, de radon 220 et 222 et de leurs descendants à vie courte, de plomb 210 et de polonium 210, tout cela "a minima". En cas de dérive, des analyses de flux de radon sont prévues, ainsi que des analyses des autres radioéléments de la famille de l'uranium. Les milieux contrôlés sont non seulement le milieu aquatique mais aussi l'air, les sédiments, les bio-indicateurs, la chaîne alimentaire et le rayonnement extérieur. Le principe d'analyses contradictoires est énoncé. Une annexe fixe les servitudes et interdit en particulier toute construction de bâtiment et toute activité agricole, ce jusqu'à ce que les causes ayant rendu nécessaires ces servitudes aient totalement été supprimées (donc dans quelques millénaires).

On peut simplement regretter que les radioéléments de la chaîne du thorium n'aient pas été inclus ; il semblerait que la DRIRE ne souhaitait pas alourdir le texte, estimant que les éléments de cette famille ne seraient pas surreprésentés si les taux de radioéléments de la chaîne de l'uranium restaient présents à une concentration "normale". Le texte pourrait être critiqué aussi pour un autre élément: il part des chiffres d'activité massique des résidus officiellement admis : 495 Bq/kg. Si l'on pense que le dépassement de la limite de 500 Bq/kg entraîne le classement dans une autre rubrique de la nomenclature, il est permis de se poser des questions sur le chiffre officiel de 495 Bq/kg , il ne sera toutefois jamais possible de connaître l'activité exacte présente dans le site.

De toute façon, l'arrêté se base sur la législation actuelle et la modification des textes européens semble imminente : le texte du projet de règlement a été soumis au Parlement Européen pour avis et la procédure devrait suivre son cours. Il est quasiment certain que les limites actuelles devront être divisées par 5. L'arrêté devra alors être modifié dans ce sens et ce pourrait être l'occasion de le compléter en ajoutant par exemple les radioéléments descendants du thorium.

Là n'est cependant peut-être pas le problème principal : il est en effet fort probable que certaines analyses auront mis en évidence des activités dépassant les limites qui seront alors imposées (pour des champignons, les LAI seraient atteintes avec la consommation d'un peu plus d'un kg par an si les résultats sont les mêmes qu'en 89/90). Le problème de l'héritage nucléaire de posera alors dans toute son ampleur : une situation de fait à laquelle rien ne peut remédier, du moins pour ce site. Mais cela permettra de susciter la réflexion avant d'en créer d'autres: au niveau de la Saône-et-Loire, la COGEMA envisage par exemple d'ouvrir une exploitation minière (lire les commentaires sur le dossier soumis à l'enquête publique) à St. Symphorien-de-Marmagne.

De plus, même si l'on ne doute pas de longévité du Service des Installations Classées (l'art. 4 b de l'annexe 3 dispose: "les servitudes ne pourront être levées que par suite de la suppression totale des causes ayant rendu nécessaire l'établissement des présentes servitudes et après avis du Service des Installations Classées" ; la suppression des causes sera en l'occurrence la disparition du radium au bout de x périodes de 1600 ans - x dépendant de la quantité initiale. Rappelons que le fameux " 10 périodes" ne représentent qu'un facteur 1000 !), il est évident que tôt ou tard les mesures de contrôle tomberont dans l'oubli ; plus les prescriptions seront sévères, plus il y a de chances que cette échéance soit lointaine : mieux vaut que la décharge soit oubliée dans 200 ou 300 ans que dans 50 ou 60...

A notre avis cet arrêté apporte des éléments positifs, non seulement pour le site mais pour d'autres décharges ou exploitations ; si les associations de protection de l'environnement poussent à la roue et que les nouvelles générations d'ingénieurs responsables des installations classées ont un esprit plus ouvert, ce texte pourra servir de source d'inspiration pour bien d'autres sites.

Olivier Daillant,
La Gazette Nucléaire n°137/138, novembre 1994.