DELRIEU Jean Marc
4 F Avenue Edouart Herriot
91440 Bures-sur-Yvette
Objet: Autorisation de vente de terrains radioactifs donnée par le ministère de la santé publique.
Résumé:
La société Difer (128, rue de Paris à Palaiseau)
propose à la vente des terrains pollués par des
matières radioactives, à l'emplacement d'une ancienne
usine de produits radioactifs. Cette société croyait
en toute bonne foi, à la véracité de la lettre
ci-jointe affirmant l'absence de contamination radioactive
résiduelle du terrain possédé par Mme Danne
à Gif-sur-Yvette après l'opération de décontamination
surveillée par le Ministère de la Santé.
En tant que futur acquéreur, à la suite de remarques
faites par mes collégues de travail au C.E.A. à
Saclay sur l'absence de soins apportés à la décontamination,
j'ai effectué un contrôle et j'ai constaté
que le 13 juin cette affirmation ["absence de contamination
radioactive résiduelle"] était fausse. Le taux d'irradiation du public est
sur ce terrain supérieur au seuil légal de 0,5 rad/an ;
il est en certain points de l'ordre de 10 rad/an. A la suite de
mon alerte, le C.E.A. chargé du contrôle a répertorié,
les sources que j'avais signalé plantant de petits drapeaux
sans avoir rien enlevé à la date du 1er juillet ;
de plus il en a oublié en dépit de mes appels téléphoniques,
de sorte que l'entreprise chargée des travaux de viabilité
et de fondations a dispersé des sources, rendant radioactifs
des endroit propres. De plus un contrôle
rapide m'a permis de trouver une source radioactive dans un champ
de pommes de terres d'un voisin (Mr. Morvan). Je demande donc
qu'un contrôle sérieux soit effectué chez
les voisins de façon à éliminer toutes les
sources radioactives qui restent. En particulier dans le passé
des morceaux de l'usine ont étés volés qui
sont très certainement très radioactifs, de sorte
que des personnes sont soumises à des rayonnements sans
s'en douter. Rien n'a été fait pour les en informer
par la presse.
Rapport:
Différents acquéreurs (liste ci-jointe), à
la suite de la proposition de la société Difer [...]
ont signé une promesse de vente pour 9 lots sur le terrain
de Mme Danne à Gif-sur-Yvette. Ce terrain était
autrefois possédé par la Société Nouvelle
du Radium qui y avait construit une usine fabriquant des produits
radioactifs [...]. Plusieurs acquéreurs [...] se sont inquiétés
de savoir s'il ne restait pas de matières radioactives
sur ce terrain, où se trouvait autrefois [cette] usine
[...] fonctionnant avant guerre dans des conditions de sécurité
à peu près nulles (une
bonne partie des ouvriers et de la famille [de Mme Danne] sont
morts de maladies dues aux rayonnements).
Toutes les réponses à leurs questions concordaient:
il ne restait aucun danger. La lettre ci-jointe du Ministère de la Santé
ne laissait aucun doute ; de plus vers le 13 juin 1974 le
préfet a accordé 1'autorisation de division sans
réserves (comme par exemple: sous réserve de contrôle
de tout travaux de terrassements par le S.C.P.R.I. étant
donné les risques très sérieux de déterrer
des produits radioactifs). Ainsi à la date du 10 juin toutes
les personnes concernées croyaient à l'absence de
toute radioactivité. En toute bonne foi je fis une option
le 10 juin sur le terrain qui m'était proposé exactement
à l'emplacement de 1'ancienne usine. Comme par hasard c'était
le dernier terrain de libre. Le lendemain mes collégues
de travail au C.E.A. m'apprirent que ce terrain était bien
connu, très radioactif et que je ferai bien de vérifier
s'il était encore radioactif. N'ayant pu obtenir des preuves
certaines de ces "ragots", j'ai pris l'appareillage
nécessaire à un contrôle rapide (un compteur
Geiger à piles et un Babyline donnant une mesure précise
de l'intensité des rayons Gamma).
Je fus très surpris de constater les jeudi 13 et vendredi 14 juin 1974 un taux de radioactivité fort à l'emplacement de l'ancienne usine dont les décombres venaient d'être enlevés récemment (taux était supérieur à 3 mrad/heure sur des surfaces de plusieurs mètres carrés ; vivant sur ce terrain pendant un an j'aurais subi une irradiation de 24 rad/an alors que le maximum légal pour le public est de 0,5 rad/an) ; j'ai aussi constaté la présence de quelques sources d'intensité comparable jusqu'à 50 mètres de l'usine ainsi que chez un voisin Mr. Morvan dans un champ de pomme de terre (voir plan ci-joint) ; ce voisin m'a d'ailleurs dit qu'il préférait ne pas se plaindre pour ne pas avoir d'ennuis avec sa voisine.
Ainsi ce terrain en principe propre [...] assure à tout habitant actuellement un taux d'irradiation 48 fois supérieur au maximum légal. J'ai très nettement l'impression que sans mes remarques rien n'aurait été fait pour supprimer cet état de fait dangereux puisque les parties concernées n'en avaient pas conscience, leur contrôle avant les démolitions de l'usine ayant été mal fait.
Après cette constatation j'ai téléphoné au S.C.P.R.I. (ministère de la santé) qui n'a pas été capable de me donner une réponse par téléphone: le responsable Mr. Rebattet était en vacances et un chef de service ne sachant rien m'a conseillé d'écrire le lundi 17 juin.
J'ai aussi téléphoné au
chef de service du S.P.R. (Service de Protection des Rayonnements
) au C.E.A. à Saclay qui était chargé par
le S.C.P.R.I. de la décontamination pendant la première
phase et du contrôle des travaux pendant la deuxième
phase. La définition de ces phase ne m'a pas paru très
claire au point de vue pratique: aucun niveau limite de radioactivité
ne m'a été donné. C'est seulement à
la fin de la troisième phase que le terrain deviendrait
habitable par le public. Mr. Joffre chef du S.P.R. a été
très surpris que le préfet ait donné l'autorisation
de division et que les terrains soient en vente ; il n'a
jamais dans un rapport déclaré que le terrain était
habitable dans son état actuel. En particulier à
la fin de la décontamination il avait fait des réserves:
le terrain était décontaminé sous réserve
de contrôle après les travaux de démolitions.
L'entreprise Gailledrat 17 rue P. Rigaud 94 Ivry (tél.
672 41 89) a effectué ces démolitions pendant la
première quinzaine du mois de juin sous contrôle
du S.P.R. (en principe). Ce contrôle a consisté à
dire à l'entreprise que les surperstructures du batiment
étaient propres et sans danger à la suite de la
décontamination et que "s'ils avaient des doutes sur
un objet sorti de terre comme une canalisation d'eaux usées
ils n'hésitent pas à appeler le S.P.R. de Saclay".
Ainsi pendant la démolition l'entreprise n'a pas eu de
"doutes" et le C.E.A. n'est pas venu contrôler
une seul fois du 1 au 15 juin avant mon contrôle personnel
le 13 juin.
A la suite de mes appels téléphoniques le S.P.R.
a controlé les travaux dans la semaine du 17 au 23 juin.
En particulier 1'emplacement de l'usine était plein de
petits drapeaux repérant l'emplacement des sources radioactives.
J'ai remarqué que les sources loin de cet emplacement n'étaient
pas marquées comme si le S.P.R. n'avait pas recherché
les sources loin de cette usine pensant à priori qu'il
n'y avait rien en dépit de mes remarques répétées
par téléphone. En particulier une source placée
très près du chemin de la terre marnée (voir
plan) non repérée par
un drapeau a été emportée par les excavateurs
qui ont élargi le chemin. A cette date, 29 juin, j'ai retrouvé
cette source dissiminée dans les déblais du talus
qui sont encore sur place. Le S.P.R. ne s'est nullement inquiété
de mes informations ainsi que d'une source dans le champ de pommes
de terres voisin de Mr. Morvan. Le S.P.R. ne peut intervenir que
sur demande expresse du propriétaire qui refuse pour ne
pas avoir d'ennuis avec sa voisine Mme Danne. Une autre source
non marquée risque dans les quelques jours qui suivent
d'être dispersée sans contrôle par 1'entreprise
Gailledrat, par suite de l'absence d'information par le S.P.R.
de la présence [de cette] source radioactive.
Ainsi il n'y a eu aucune recherche systématique de toutes les sources radioactives pouvant être répandues aux alentours du terrain alors que l'on savait que des fioles de matières radioactives avaient été emportées, cassées, et même volées dans le passé (c'est l'interprétation officielle de la présence de sources en dehors de l'emplacement de l'usine). Je pense aussi que la poussière associée à la démolition des murs de l'usine a contribuée aussi à répandre ces sources sur le terrain et les environs en dépit du la décontamination préalable du S.P.R.. D'autre part le S.P.R. a refusé de prêter un compteur Geiger à l'entreprise Gailladrat chargée des démolitions et des travaux dans la terre pour qu'elle puisse avoir "des doutes" et appeler le S.P.R.. Il parait que la possession d'un compteur Geiger est plus dangereux que de ne pas en avoir, par suite de la difficultée à s'en servir ; cependant l'utilisation est plus simple que celle d'un poste de radio ordinaire.
En résumé pendant les travaux aucun contrôle n'a été fait avant que je contrôle moi-même de sorte que des sources radioactives ont été dissiminées sans contrôle (la décharge où ont été déposés les déblais devrait être controlée).
De plus actuellement on laisse l'entreprise
manipuler la terre sans pratiquement de contrôle, une source
radioactive ayant été emportée sans que l'entreprise
sans rende compte.
Dans cette affaire l'autorisation de diviser le terrain a été
donné par le S.C.P.R.I. sans que l'on soit sûr d'arriver
un jour à supprimer toute radioactivité sur le terrain.
Le S.P.R. a été incapable de me dire quand le terrain
sera sans danger ; c'est seulement à la fin de la troisième
phase que cela se passera [...] et dépend de ce que on
trouvera sous terre en creusant les fondations et les tranchées.
Ainsi chaque futur propriétaire devra posséder un
compteur Geiger et contrôler la terre qu'il remue chaque
fois qu'il creuse un trou. Il me semble inadmissible que le S.P.R.
refuse de préter un compteur Geiger à l'entreprise
chargée des terrassement qui continue apparemment à
ne pas "avoir de doutes". Les ouvriers chargés
des démolitions n'étaient
pas prévenus du danger et n'ont pas été controlés
au spectromètre
Gamma à la fin des travaux. La poussière particulièrement
[importante] entraînée par les démolitions
pouvait contenir des poussières radioactives (ou même
le gaz radon), susceptibles d'être inhalées ou mangées
par les ouvriers. Mr. Joffre m'a affirmé que de telles
poussières n'étaient pas possibles mais comme il
a été surpris qu'il y ait des poussières
radioactives après démolitions, le doute est permis.
La facilité d'un contrôle des ouvriers ne permet
pas d'hésiter.
Je suis d'autre part très surpris qu'il
n'y ait aucune recherche systématique des sources radioactives
qui peuvent être répandues dans les environs comme
celle que j'ai trouvée chez Mr. Morvan au cours d'un contrôle
très rapide.
Liste partielle des futurs acquéreurs voisins du terrain qu'on m'a propose: [...]